Le Spectateur françois ou le Nouveau Socrate moderne: Discours X.
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Niveau 1
No. 10.
Discours X.
Discours X.
Niveau 2
Sur les Duels.
Il y a long-tems qu’on cherche à éteindre
le duel, d’autant plus que ce vice tend qu’à la
destruction du genre-humain : mais jusqu’ici on n’a fait que
l’irriter ; car par une fatalité attachée à la nature, plus on
défend une chose qu’on croit honorable, et plus on se déshonore
en violant la loi. Si l’on calculoit depuis cent ans la breche
que les duels ont faite à la population, on trouveroit qu’il est
mort plus de François de la main des François, que de celle des
ennemis de la France. Il y en a même qui portent l’audace
jusqu’à se faire gloire d’être les meurtriers de leurs freres.
On en voit qui se battent toujours parce qu’ils se sont battus
une fois. On m’a fait voir dernierement un homme dans une
promenade publique, qui, quoiqu’il n’eût que quarante ans,
s’étoit battu vingt-cinq fois : il est vrai qu’il n’avoit tué
que six hommes : mais ce n’étoit pas sa faute, il s’étoit mis en
position de se défaire de tous les vingt-cinq ; car, pour me
servir de son expression, il y alloit beau jeu, bon argent. On
appelle ces honnêtes gens des spadassins, mais on feroit mieux
de les appeller des assassins ; car dès qu’un homme en tue un
autre, on peut lui donner ce nom ; c’est du moins celui que lui
donne l’Etre Suprême dans ses divines écritures : loi contre
laquelle il n’y a point d’appel, à moins qu’on ne veuille
s’inscrire en faux contre l’évangile. Ce malheureux penchant en
France est très-ancien ; il régnoit du tems de Pharamond. Ce bon
prince, après avoir employé toutes les voies de la douceur pour
détruire le duel, et ne pouvant y réussir, publia l’ordonnance
suivante :
Cette
ordonnance est dictée par un esprit de justice, où l’on voit un
bon père qui, sans chercher à répandre le sang de ses enfans,
veut les ramener à leur devoir par des peines qui les corrigent
de ce vice sans leur donner la mort. Mais les annales de son
siécle ne disent point qu’il y ait réussi. La nature humaine a
des vices invétérés qui résistent aux meilleures loix. La maladie du point d’honneur
resta toujours ; on se battit comme auparavant. Je dis maladie,
car on n’a pas encore défini ce que c’est que le
point d’honneur ; personne n’a dit en quoi il consiste,
c’est-à-dire, quels sont les devoirs qu’il renferme, celui où le
point d’honneur commence et où il finit. Il est vrai qu’il y a
en France un tribunal qui le dirige, mais en fait de préjugés,
l’opinion met l’homme au-dessus de tous les tribunaux. Il est
étonnant que dans cette longue suite d’ordonnances publiées sous
tant de regnes pour éteindre ce vice qui a précipité tant de
François dans le tombeau, on n’ait pas encore cherché à humilier
l’amour-propre qui en est toujours l’instigateur ; car ce n’est
que par lui que les contrevenans désobéissent à la loi. La
confiscation des biens ne garantit pas toujours l’ordonnance du
prince. Souvent celui qui la viole est aussi superbe et arrogant
dans la pauvreté, qu’il avoit été vain et audacieux dans la
pauvreté, qu’il avoit été vain et audacieux dans la prospérité.
La privation des charges et des dignités n’influe pas mieux sur
un cœur fier et altier ; il tire souvent sa gloire de celle-ci.
Il morgue le prince par l’endroit même qu’il a cherché à le
dépouiller. La mort n’est pas suffisante pour retenir des hommes
qui se font gloire de la mépriser : mais si tous les duellistes
étoient condamnés au pilori, il y auroit beaucoup moins de ces
gens d’honneur, du moins ils se verroient par-là bannis de la
société civile. Les hommes résistent à tout, excepté à
l’humiliation : il suffit de blesser leur amourpropre pour les corriger de leurs vices. Voilà tout ce qui
reste à la philosophie morale pour les ramener à leur devoir.
Tous les autres moyens sont incertains ; celui-ci est sûr. J’ai
lu toutes les ordonnances qui ont été publiées sur les duels
dans nos tems modernes ; j’ai trouvé qu’elles manquent toutes
par l’endroit seul qui peut l’abolir, c’est-à-dire, déshonorer
ceux qui s’en rendent coupables. En effet, si le dueliste est
rebelle aux loix divines, s’il s’oppose à la volonté du
Créateur, s’il viole les loix de la religion ; si cet acte est
un de ceux qui favorisent le plus l’athéisme ; si le dueliste se
rend criminel de lèze-majesté, en désobéissant formellement à
son roi ; si en se faisant justice lui-même, il se met au-dessus
des tribunaux établis pour la rendre ; s’il viole toutes les
loix de l’humanité ; s’il est assez barbare pour arracher la vie
à son semblable ; s’il tue son meilleur ami ; s’il pousse la
cruauté jusqu’à enlever un fils unique à son père, un époux
chéri à une tendre épouse ; s’il porte la désolation dans une
honnête famille ; s’il trouble l’ordre de la société civile ; en
un mot, si le duelliste viole toutes les loix divines et
humaines ; pourquoi ne pourroit-on pas prononcer contre lui,
d’autant plus qu’il s’est rendu coupable d’une foule de crimes ?
peut-être même qu’il le mérite davantage relativement, parce que
le délit d’un particulier ne porte que sur une seule personne,
aulieu <sic> que l’exemple du duëliste porte sur toute la
nation, ce qui, pour un citoyen, est de tous
les crimes le plus grand. Dans les premiers âges, lorsque la
lépre devint une maladie contagieuse, on reléguoit les lépreux
dans des hôpitaux séparés du reste de la société ; on les
rendoit incapables des effets civils. Si quelque bon roi de
France, pénétré des maux dont les duels affligent son royaume,
mettoit au bas de ses arrêts le peu d’articles suivans, on y
verroit moins de ces vampires qui succent le sang du corps
humain. Mais
comment pourrons-nous espérer, dans cette espèce de vacance du
trône, que l’assemblée nationale, établie pour diriger l’Empire,
fera une loi pour abolir les duels, tandis que plusieurs de ses
membres se sont battus comme les spadassins dont nous venons de
parler. On vient de voir deux duels en champs clos par quatre de
ses membres, sans qu’elle ait daigné s’en formaliser ; au
contraire, un des duellistes, qui avoit envoyé le cartel, et qui
avoit assassiné son adversaire, peu de tems après fut nommé
président à l’assemblée, comme en commémoration de l’honneur
qu’il s’étoit acquis dans ce duel. Si ceux qui sont établis pour
faire de nouvelles loix sur les vices qui déshonoroient la
société civile, laissent, non-seulement, subsister le duel, qui
est le plus grand de tous ; quelle espérance devons-nous avoir
de la réforme des autres vices qui désolent la nation ?
Pourquoi, au premier bruit de ces deux premiers duels, reconnus
et avoués des quatre duellistes, pourquoi l’auguste assemblée
nationale, qui a fait plus de loix dans six mois que la
république Romaine n’en a fait en six siécles, n’a-t-elle pas
donné le décret suivant ?
Niveau 3
Lettre/Lettre au directeur
Monsieur le Spectateur, Je
suis gentilhomme françois, et vous savez à quoi cette
qualité engage, lorsqu’il est question de point
d’honneur : c’est le non plus ultrà de la noblesse
françoise. Il y a environ trois ans, qu’ayant été
insulté par un officier des troupes de ligne, j’étois
résolu de lui envoyer un cartel pour qu’il me rendit
raison de l’insulte qu’il m’avoit faite ; mais plusieurs
personnes de bon sens, de ma connoissance, me
conseillerent d’abandonner cette affaire, attendu que le
militaire qui m’avoit insulté, étoit si méprisé dans son
corps, qu’aucun de ses camarades n’auroit
osé se battre avec lui. Je suivis son conseil. Cependant
le public ayant été informé de mon procédé, me taxa de
lâche. Sur cette réputation, aucun de mes anciens amis
ne voulut me voir. Je trouvai en même tems la porte
fermée de plusieurs maisons où j’allois auparavant, dont
la société que j’y voyois m’estimoit beaucoup, me
faisant dire pour excuse que j’avois perdu mon honneur,
et qu’à cause de cela je n’étois plus digne de leur
compagnie. Mais il y a trois mois qu’ayant eu une
seconde affaire avec un fat qui m’insulta, je l’appellai
en duel sans consulter personne. Il se rendit le même
jour sur le lieu, et je le tuai. Cependant un de ses
parens alla me dénoncer à la justice, et celle-ci mit
aussi-tôt ses supôts en campagne pour m’arrêter. Je me
dérobai à leurs poursuites ; je me retirai au temple, où
je suis actuellement, d’où je vous écris. J’ai pris
cette précaution pour ne pas être pendu, car je ne suis
peut-être pas assez bon gentilhomme pour avoir la tête
tranchée, et il n’y a pas une oreille à rabattre.
Monsieur le Spectateur, en matiere de loix, il faut
qu’une porte soit ouverte ou fermée. Pourquoi faut-il
que lorsqu’un homme d’honneur, après avoir été offensé,
refuse de se battre soit déshonoré, et que lorsqu’il se
bat, il est condamné à mort ? Il n’y a donc que cette
cruelle alternative, de mourir, ou d’être indigne de
vivre. Cependant mes amis me conseillent de paroître,
attendu que les honorables membres de l’assemblée
nationale viennent d’autoriser les duels
par leur exemple. Vous savez, sans doute, que M. Barnave
a prouvé qu’il étoit aussi brave au champ de Mars, que
grand orateur à la tribune. Après avoir blessé son
homme, il parut le lendemain à l’assemblée, comme s’il
avoit fait une bonne loi civile. M. de Castries ne s’en
est pas tiré à si bon marché ; car ayant fait une petite
égratignure avec son épée à son adversaire, le public
lui a jetté pour quatre cents mille livres de meubles
par la fenêtre. Aussi, pourquoi est-il aristocrate ? Ce
n’est pas assez maintenant en France de croire en Dieu,
il faut encore croire à notre mere l’église des
communes. Mais comme je ne suis pas de cet honorable
corps qui a le privilége exclusif de violer toutes les
lois divines et humaines, je vous serai obligé de me
dire ce qu’il faut que je fasse si je suis obligé de
faire un second duel ; c’est-à-dire, si je dois passer
pour un lâche, ou être pendu après m’être battu. Je
requiers votre avis sur le champ.
Lettre/Lettre au directeur
Réponse.
En fait de préjugé établi, tout conseil est inutile Le meilleur que je puisse vous donner, c’est de n’avoir jamais d’affaire ; et vous le pourrez toujours, lorsque vous serez honnête et prudent. Le Spectateur.Niveau 3
« Pharamond, roi des Gaules, à
tous ses bons et fideles sujets : Salut. D’autant qu’il est
venu à notre connoissance royale, qu’au mépris de toutes les
lois divines et humaines, la coutume s’est introduite parmi
la noblesse et les gentilshommes de ce Royaume, sur la
moindre légere occasion, de même que pour de grieves
insultes, de s’appeller en duel, afin de terminer ainsi
leurs démêlés par eux-mêmes et de leur propre autorité :
nous avons cru qu’il étoit de notre devoir de remédier à cet
abus, et après une recherche exacte des causes qui
produisent d’ordinaire ces fatales décisions, nous trouvons
que malgré tous les préceptes de l’évangile, et toutes les
regles de l’humanité, le pardon des injures, qu’on peut
regarder comme le plus grand effort de l’esprit humain, est
avili et rendu infâme par cette malheureuse coutume, que
tous les devoirs de la société civile et d’une conversation
honnête sont renversés par là : que les hommes fiers, les
impudens et les débauchés insultent ceux qui sont modestes,
discrets et d’une vie exemplaire : qu’enfin, la vertu est
foulée aux pieds et le vice encouragé dans cette seule
démarche qui rend un homme capable d’affronter la mort. Nous
avons remarqué d’ailleurs, avec un extrême chagrin, que par
une longue impunité causée par des affaires plus importantes
qui nous occupoient alors, ces cruels défis sont devenus
honorables, et qu’il y a de la honte à les
refuser. Nous voyons aussi que les personnes qui ont le plus
de mérite et de capacité, de même qu’une plus forte passion
pour la véritable gloire, se trouvent plus exposées au péril
qui nait de cette licence effrénée. A ces causes, après
avoir mûrement réfléchi sur tout ce qui est allégué
ci-dessus, et considéré qu’il est déjà pourvu, par des lois
antécédentes, à tous les cas de cette nature, où il arrive
que l’injure est trop subite ou trop criante pour la pouvoir
soutenir, et que de moindres injustices, qui naissent de
l’ingratitude, ou de quelque autre mauvais principe, ne
sauroient tomber sous un réglement général. Nous avons
résolu de bannir de l’esprit de tous nos sujets cette
cruelle mode, qui ne respire que la vengeance, et d’ordonner
ce qui s’ensuit : Art. Ier. Toute personne qui enverra ou
qui acceptera un cartel, ou la postérité de l’un et de
l’autre, quoiqu’il ne soit pas suivi de la mort d’aucuns des
combattans, deviendra incapable, après la publication de cet
édit, d’avoir aucun emploi et crédit dans les terres de
notre domination. Art. II. Toutes <sic> personne qui
donnera des preuves convaincantes de l’envoi ou de
l’acceptation d’un cartel, obtiendra la jouissance de tous
les biens meubles des deux parties intéressées ; et leur
héritier immédiat sera d’abord mis en possession de leurs
biens immeubles, comme s’ils étoient
actuellement morts. Art. III. Dans tous les cas où il s’agit
d’un meurtre, et où les loix que nous avons déjà données
admettent un appel, si le prévenu est alors condamné,
non-seulement il souffrira la mort, mais tous ses biens,
meubles et immeubles, passeront aussi-tôt à l’héritier
immédiat de la personne dont le sang a été répandu. Art. IV.
Qu’il ne sera plus à l’avenir au pouvoir de notre personne
royale, ni de nos successeurs, de pardonner un tel crime, ou
de rétablir les coupables dans leurs biens, honneurs et
dignités. Donné à notre cour de Blois, le 8 de Février 420,
et la seconde année de notre règne ».
Exemple
Louis XIV, qui vint treize-cens ans
après, défendit le duel sous peine de la vie. Ce prince, à
l’exemple du conquérant des Gaules, punit l’effet sans
détruire la cause.
Niveau 3
1°. Le présent publié,
tout duelliste qui sera convaincu d’avoir envoyé ou reçu un
cartel de duel, sera déshonoré, et, en conséquence, son
déshonneur sera inséré dans nos archives pour passer à la
postérité. 2°. S’il est gentilhomme, il deviendra roturier,
s’il est chevalier de Saint-Louis, il sera dégradé. 3° Il
sera défendu à toute société civile de recevoir un
duelliste, lorsqu’il aura été convaincu de s’être rendu
coupable de ce crime. 4°. Enjoignons à toutes les
demoiselles de qualité de ne pas l’épouser. 5°. Lui
défendons de se presenter à la cour sous peine de vingt ans
et un jour de prison, non à l’Abbaye, mais à Bicêtre. 6°.
Ordonnons à tous les Suisses de nos maisons royales, de ne
pas le recevoir dans les jardins publics, sous peine de
punition. 7°. Faisons savoir à tous les directeurs de
théâtre de ne pas le recevoir dans quelque
place que ce soit, pas même au parterre ; et, à cet effet,
le signalement seroit affiché à la porte.
Niveau 3
10. Nous
décrétons que tout membre qui sera convaincu de duel, sera
banni pour toujours de l’Assemblée nationale. 20. Que s’il a
fait auparavant des discours remplis
d’éloquence et de savoir, ils seront enlevés des archives,
et brûlés publiquement. 30. Qu’il sera exilé de Paris, et ne
pourra y rentrer sous peine d’une punition arbitraire ;
qu’il sera déclaré inhabile de posséder aucune charge dans
la municipalité. <sic> Que s’il n’est pas marié, et
qu’il se marie, son mariage sera regardé comme nul. 50.
Qu’il ne pourra ni hériter, ni tester.
Niveau 3
Suite des grandes époques. Mazarin vouloit que
tout fût divisé, parce que cette division le rendoit
nécessaire à la cour dont il étoit l’arbitre. Au milieu des
troubles de la guerre civile, il prévoyoit que chaque parti
s’adresseroit à lui, selon que la fortune lui seroit plus ou
moins favorable. Il avoit une autre ambition, celle de
disposer des premieres charges militaires ; de faire des
généraux, des maréchaux de France, établir des compagnies
dans lesquelles il avoit part aux monopoles. Quoique les
guerres fussent alors moins dispendieuses qu’elles ne le
sont aujourd’hui, et qu’on pouvoit avec une petite somme
faire une grande guerre, il manquoit d’argent au trésor
royal. On créa quelques impôts qui de nos jours ne
suffiroient pas pour faire le siége d’une petite place. Le
parlement qui pensoit se rendre utile à la cour par les
obstacles, parce qu’il croyoit qu’elle auroit recours à lui
pour les lever, refusa l’enregistrement de l’édit de ces
mêmes impôts. La cour menaça le parlement,
d’où il prit occasion de faire bien du bruit. Ce corps alla
plus loin ; il prit les armes, sans savoir trop ce qu’il en
feroit. Un conseiller est arrêté. Le peuple croyant par là
avoir perdu un de ses protecteurs, entre en fureur. C’est
assez son caractere de tomber en délire sans avoir fait
réflexion pourquoi. Le coadjuteur Paul de Gondi, connu
depuis sous le nom de cardinal de Retz, attisoit le feu de
la rébellion. Le portrait de cet homme extraordinaire a
échappé à la plupart des historiens. On le reconnoit mieux
dans ses mémoires par le caractere d’inconstance qu’il se
donne, qui le fit passer d’un parti à l’autre. Cet homme
factieux et violent, étoit né pour le personnage qu’il
faisoit. A la duplicité d’un adroit courtisan, il joignoit
toute l’audace d’un prêtre ambitieux. Il donna une nouvelle
chaleur à la ligne par son caractere. Sa méchanceté étoit
d’autant plus dangereuse, qu’il employoit le zele de la
religion qu’il n’avoit pas. Comme la cour étoit en danger à
Paris, la reine s’enfuit à Saint-Germain avec ses enfans et
son ministre, dont elle ne pouvoit plus se passer. On mit en
gage chez les usuriers les pierreries de la couronne pour
faire ce voyage. La pauvreté étoit si grande dans ce
tems-là, que Voltaire dit, que les princesses du sang
restoient au lit, faute d’avoir du bois pour se chauffer. Je
crois bien que c’est un mensonge ; mais il prouve cette
vérité, que la misere étoit générale, puisque
les princesses nées à côté du trône, manquoient souvent des
choses les plus nécessaires. La reine pria le grand Condé de
protéger son fils, comme si un sujet pouvoit protéger son
roi. Le héros de Rocroi se rendit à ses sollicitations. Il
promit d’assoupir les troubles et les divisions ; mais le
feu étoit trop grand pour pouvoir se flatter de l’éteindre
sitôt. Il falloit le grand Condé pour donner quelque
considération à cette guerre, qui, sans lui, eût passé pour
ridicule. Ce fut dans cette occasion qu’on connut la
différence d’une armée bourgeoise avec une troupe de légion.
Condé assiégea cinq cents mille hommes avec huit mille
soldats ; c’est-à-dire, que la différence d’un milicien à un
autre milicien, étoit dans la proportion d’un à environ
cinquante-deux, Cependant ces huit mille hommes tinrent
Paris en respect. Ce fut dans ces tems malheureux que
Turenne quitta la France, et bien-tôt Condé, pour passer au
service d’Espagne. Il est triste de voir les deux plus
grands hommes du royaume n’être point citoyens, et passer
dans une armée qu’ils avoient souvent vaincue. La retraite
de ce héros fut l’effet de son ressentiment contre Mazarin.
On sait qu’il fut détenu plus d’un an en prison, parce que
ce ministre vouloit se venger du mépris qu’il lui avoit
témoigné dans plusieurs occasions, tant il est
vrai que les petites choses sont souvent la source des
grands maux dans un royaume. Ce fut dans ce tems-là que
Mazarin, qui s’étoit éloigné de la France à cause des
troubles, rentra dans le royaume avec cette puissance qui
mene à la conquête. Il avoit une armée à sa suite qu’il
avoit levée à ses dépens, c’est-à-dire, avec l’argent de
l’Etat. Son armée avoit un général, ainsi que des officiers
et des soldats à sa livrée. A peine fut-il arrivé à Paris,
qu’une nouvelle cabale l’en éloigna ; on fit plus, on mit sa
tête à prix ; et il n’est pas aisé de savoir la somme que
l’on eût donné à celui qui l’auroit assasiné ; car on ne
sauroit donner d’autre nom à ceux qui se prêtent à de
pareils crimes. A peine Condé avoit quitté la France que
Turenne y rentra, pour secourir sa patrie et son roi.
Suite de Mazarin.
De toutes les administrations de nos tems modernes, il n’en est aucune qui mérite plus l’attention des hommes que celle de Mazarin : elle fait époque dans les annales ministérielles de la France. On voit par elle, que la duplicité, cachée sous le masque de la modestie, peut s’élever jusqu’au pied du trône, et diriger l’empire. Elle découvre un intrigant inconnu à la cour, étranger au Roi et à la France, lutter contre les grands, les peuples et les parlemens ; opposer une politique fine et adroite à la fureur héroïque du grand Condé ; s’emparer des premieres charges de la monarchie ; disposer de la fortune de l’état. Il n’est pas défendu à un méchant homme de s’élever plus haut avec tant de vices qui empêchent la plupart des ambitieux de s’aggrandir. Dom Louis d’Hara, qui négocioit avec lui pour la paix générale, disoit de lui : Cet homme a un grand défaut en politique ; c’est qu’il veut toujours tromper. Mais qu’est-ce que la politique, si ce n’est l’art sublime d’en imposer ? Toute l’habileté consiste à savoir la cacher ; car là où l’on découvre la politique, il n’y a plus de politique.Metatextualité
Je supplie qu’on me permette
de détourner les yeux de la guerre de la Fronde. On en
trouve la déplorable histoire dans tous les historiens
qui ont parlé de Louis XIV.