Le Spectateur françois ou le Nouveau Socrate moderne: Discours X.

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No. 10.
Discours X.

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Sur les Duels.

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Brief/Leserbrief

Monsieur le Spectateur, Je suis gentilhomme françois, et vous savez à quoi cette qualité engage, lorsqu’il est question de point d’honneur : c’est le non plus ultrà de la noblesse françoise. Il y a environ trois ans, qu’ayant été insulté par un officier des troupes de ligne, j’étois résolu de lui envoyer un cartel pour qu’il me rendit raison de l’insulte qu’il m’avoit faite ; mais plusieurs personnes de bon sens, de ma connoissance, me conseillerent d’abandonner cette affaire, attendu que le militaire qui m’avoit insulté, étoit si méprisé dans son corps, qu’aucun de ses camarades n’auroit osé se battre avec lui. Je suivis son conseil. Cependant le public ayant été informé de mon procédé, me taxa de lâche. Sur cette réputation, aucun de mes anciens amis ne voulut me voir. Je trouvai en même tems la porte fermée de plusieurs maisons où j’allois auparavant, dont la société que j’y voyois m’estimoit beaucoup, me faisant dire pour excuse que j’avois perdu mon honneur, et qu’à cause de cela je n’étois plus digne de leur compagnie. Mais il y a trois mois qu’ayant eu une seconde affaire avec un fat qui m’insulta, je l’appellai en duel sans consulter personne. Il se rendit le même jour sur le lieu, et je le tuai. Cependant un de ses parens alla me dénoncer à la justice, et celle-ci mit aussi-tôt ses supôts en campagne pour m’arrêter. Je me dérobai à leurs poursuites ; je me retirai au temple, où je suis actuellement, d’où je vous écris. J’ai pris cette précaution pour ne pas être pendu, car je ne suis peut-être pas assez bon gentilhomme pour avoir la tête tranchée, et il n’y a pas une oreille à rabattre. Monsieur le Spectateur, en matiere de loix, il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée. Pourquoi faut-il que lorsqu’un homme d’honneur, après avoir été offensé, refuse de se battre soit déshonoré, et que lorsqu’il se bat, il est condamné à mort ? Il n’y a donc que cette cruelle alternative, de mourir, ou d’être indigne de vivre. Cependant mes amis me conseillent de paroître, attendu que les honorables membres de l’assemblée nationale viennent d’autoriser les duels par leur exemple. Vous savez, sans doute, que M. Barnave a prouvé qu’il étoit aussi brave au champ de Mars, que grand orateur à la tribune. Après avoir blessé son homme, il parut le lendemain à l’assemblée, comme s’il avoit fait une bonne loi civile. M. de Castries ne s’en est pas tiré à si bon marché ; car ayant fait une petite égratignure avec son épée à son adversaire, le public lui a jetté pour quatre cents mille livres de meubles par la fenêtre. Aussi, pourquoi est-il aristocrate ? Ce n’est pas assez maintenant en France de croire en Dieu, il faut encore croire à notre mere l’église des communes. Mais comme je ne suis pas de cet honorable corps qui a le privilége exclusif de violer toutes les lois divines et humaines, je vous serai obligé de me dire ce qu’il faut que je fasse si je suis obligé de faire un second duel ; c’est-à-dire, si je dois passer pour un lâche, ou être pendu après m’être battu. Je requiers votre avis sur le champ.

Brief/Leserbrief

Réponse.

En fait de préjugé établi, tout conseil est inutile Le meilleur que je puisse vous donner, c’est de n’avoir jamais d’affaire ; et vous le pourrez toujours, lorsque vous serez honnête et prudent. Le Spectateur.
Il y a long-tems qu’on cherche à éteindre le duel, d’autant plus que ce vice tend qu’à la destruction du genre-humain : mais jusqu’ici on n’a fait que l’irriter ; car par une fatalité attachée à la nature, plus on défend une chose qu’on croit honorable, et plus on se déshonore en violant la loi. Si l’on calculoit depuis cent ans la breche que les duels ont faite à la population, on trouveroit qu’il est mort plus de François de la main des François, que de celle des ennemis de la France. Il y en a même qui portent l’audace jusqu’à se faire gloire d’être les meurtriers de leurs freres. On en voit qui se battent toujours parce qu’ils se sont battus une fois. On m’a fait voir dernierement un homme dans une promenade publique, qui, quoiqu’il n’eût que quarante ans, s’étoit battu vingt-cinq fois : il est vrai qu’il n’avoit tué que six hommes : mais ce n’étoit pas sa faute, il s’étoit mis en position de se défaire de tous les vingt-cinq ; car, pour me servir de son expression, il y alloit beau jeu, bon argent. On appelle ces honnêtes gens des spadassins, mais on feroit mieux de les appeller des assassins ; car dès qu’un homme en tue un autre, on peut lui donner ce nom ; c’est du moins celui que lui donne l’Etre Suprême dans ses divines écritures : loi contre laquelle il n’y a point d’appel, à moins qu’on ne veuille s’inscrire en faux contre l’évangile. Ce malheureux penchant en France est très-ancien ; il régnoit du tems de Pharamond. Ce bon prince, après avoir employé toutes les voies de la douceur pour détruire le duel, et ne pouvant y réussir, publia l’ordonnance suivante :

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« Pharamond, roi des Gaules, à tous ses bons et fideles sujets : Salut. D’autant qu’il est venu à notre connoissance royale, qu’au mépris de toutes les lois divines et humaines, la coutume s’est introduite parmi la noblesse et les gentilshommes de ce Royaume, sur la moindre légere occasion, de même que pour de grieves insultes, de s’appeller en duel, afin de terminer ainsi leurs démêlés par eux-mêmes et de leur propre autorité : nous avons cru qu’il étoit de notre devoir de remédier à cet abus, et après une recherche exacte des causes qui produisent d’ordinaire ces fatales décisions, nous trouvons que malgré tous les préceptes de l’évangile, et toutes les regles de l’humanité, le pardon des injures, qu’on peut regarder comme le plus grand effort de l’esprit humain, est avili et rendu infâme par cette malheureuse coutume, que tous les devoirs de la société civile et d’une conversation honnête sont renversés par là : que les hommes fiers, les impudens et les débauchés insultent ceux qui sont modestes, discrets et d’une vie exemplaire : qu’enfin, la vertu est foulée aux pieds et le vice encouragé dans cette seule démarche qui rend un homme capable d’affronter la mort. Nous avons remarqué d’ailleurs, avec un extrême chagrin, que par une longue impunité causée par des affaires plus importantes qui nous occupoient alors, ces cruels défis sont devenus honorables, et qu’il y a de la honte à les refuser. Nous voyons aussi que les personnes qui ont le plus de mérite et de capacité, de même qu’une plus forte passion pour la véritable gloire, se trouvent plus exposées au péril qui nait de cette licence effrénée. A ces causes, après avoir mûrement réfléchi sur tout ce qui est allégué ci-dessus, et considéré qu’il est déjà pourvu, par des lois antécédentes, à tous les cas de cette nature, où il arrive que l’injure est trop subite ou trop criante pour la pouvoir soutenir, et que de moindres injustices, qui naissent de l’ingratitude, ou de quelque autre mauvais principe, ne sauroient tomber sous un réglement général. Nous avons résolu de bannir de l’esprit de tous nos sujets cette cruelle mode, qui ne respire que la vengeance, et d’ordonner ce qui s’ensuit : Art. Ier. Toute personne qui enverra ou qui acceptera un cartel, ou la postérité de l’un et de l’autre, quoiqu’il ne soit pas suivi de la mort d’aucuns des combattans, deviendra incapable, après la publication de cet édit, d’avoir aucun emploi et crédit dans les terres de notre domination. Art. II. Toutes <sic> personne qui donnera des preuves convaincantes de l’envoi ou de l’acceptation d’un cartel, obtiendra la jouissance de tous les biens meubles des deux parties intéressées ; et leur héritier immédiat sera d’abord mis en possession de leurs biens immeubles, comme s’ils étoient actuellement morts. Art. III. Dans tous les cas où il s’agit d’un meurtre, et où les loix que nous avons déjà données admettent un appel, si le prévenu est alors condamné, non-seulement il souffrira la mort, mais tous ses biens, meubles et immeubles, passeront aussi-tôt à l’héritier immédiat de la personne dont le sang a été répandu. Art. IV. Qu’il ne sera plus à l’avenir au pouvoir de notre personne royale, ni de nos successeurs, de pardonner un tel crime, ou de rétablir les coupables dans leurs biens, honneurs et dignités. Donné à notre cour de Blois, le 8 de Février 420, et la seconde année de notre règne ».
Cette ordonnance est dictée par un esprit de justice, où l’on voit un bon père qui, sans chercher à répandre le sang de ses enfans, veut les ramener à leur devoir par des peines qui les corrigent de ce vice sans leur donner la mort. Mais les annales de son siécle ne disent point qu’il y ait réussi. La nature humaine a des vices invétérés qui résistent aux meilleures loix.

Exemplum

Louis XIV, qui vint treize-cens ans après, défendit le duel sous peine de la vie. Ce prince, à l’exemple du conquérant des Gaules, punit l’effet sans détruire la cause.
La maladie du point d’honneur resta toujours ; on se battit comme auparavant. Je dis maladie, car on n’a pas encore défini ce que c’est que le point d’honneur ; personne n’a dit en quoi il consiste, c’est-à-dire, quels sont les devoirs qu’il renferme, celui où le point d’honneur commence et où il finit. Il est vrai qu’il y a en France un tribunal qui le dirige, mais en fait de préjugés, l’opinion met l’homme au-dessus de tous les tribunaux. Il est étonnant que dans cette longue suite d’ordonnances publiées sous tant de regnes pour éteindre ce vice qui a précipité tant de François dans le tombeau, on n’ait pas encore cherché à humilier l’amour-propre qui en est toujours l’instigateur ; car ce n’est que par lui que les contrevenans désobéissent à la loi. La confiscation des biens ne garantit pas toujours l’ordonnance du prince. Souvent celui qui la viole est aussi superbe et arrogant dans la pauvreté, qu’il avoit été vain et audacieux dans la pauvreté, qu’il avoit été vain et audacieux dans la prospérité. La privation des charges et des dignités n’influe pas mieux sur un cœur fier et altier ; il tire souvent sa gloire de celle-ci. Il morgue le prince par l’endroit même qu’il a cherché à le dépouiller. La mort n’est pas suffisante pour retenir des hommes qui se font gloire de la mépriser : mais si tous les duellistes étoient condamnés au pilori, il y auroit beaucoup moins de ces gens d’honneur, du moins ils se verroient par-là bannis de la société civile. Les hommes résistent à tout, excepté à l’humiliation : il suffit de blesser leur amourpropre pour les corriger de leurs vices. Voilà tout ce qui reste à la philosophie morale pour les ramener à leur devoir. Tous les autres moyens sont incertains ; celui-ci est sûr. J’ai lu toutes les ordonnances qui ont été publiées sur les duels dans nos tems modernes ; j’ai trouvé qu’elles manquent toutes par l’endroit seul qui peut l’abolir, c’est-à-dire, déshonorer ceux qui s’en rendent coupables. En effet, si le dueliste est rebelle aux loix divines, s’il s’oppose à la volonté du Créateur, s’il viole les loix de la religion ; si cet acte est un de ceux qui favorisent le plus l’athéisme ; si le dueliste se rend criminel de lèze-majesté, en désobéissant formellement à son roi ; si en se faisant justice lui-même, il se met au-dessus des tribunaux établis pour la rendre ; s’il viole toutes les loix de l’humanité ; s’il est assez barbare pour arracher la vie à son semblable ; s’il tue son meilleur ami ; s’il pousse la cruauté jusqu’à enlever un fils unique à son père, un époux chéri à une tendre épouse ; s’il porte la désolation dans une honnête famille ; s’il trouble l’ordre de la société civile ; en un mot, si le duelliste viole toutes les loix divines et humaines ; pourquoi ne pourroit-on pas prononcer contre lui, d’autant plus qu’il s’est rendu coupable d’une foule de crimes ? peut-être même qu’il le mérite davantage relativement, parce que le délit d’un particulier ne porte que sur une seule personne, aulieu <sic> que l’exemple du duëliste porte sur toute la nation, ce qui, pour un citoyen, est de tous les crimes le plus grand. Dans les premiers âges, lorsque la lépre devint une maladie contagieuse, on reléguoit les lépreux dans des hôpitaux séparés du reste de la société ; on les rendoit incapables des effets civils. Si quelque bon roi de France, pénétré des maux dont les duels affligent son royaume, mettoit au bas de ses arrêts le peu d’articles suivans, on y verroit moins de ces vampires qui succent le sang du corps humain.

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1°. Le présent publié, tout duelliste qui sera convaincu d’avoir envoyé ou reçu un cartel de duel, sera déshonoré, et, en conséquence, son déshonneur sera inséré dans nos archives pour passer à la postérité. 2°. S’il est gentilhomme, il deviendra roturier, s’il est chevalier de Saint-Louis, il sera dégradé. 3° Il sera défendu à toute société civile de recevoir un duelliste, lorsqu’il aura été convaincu de s’être rendu coupable de ce crime. 4°. Enjoignons à toutes les demoiselles de qualité de ne pas l’épouser. 5°. Lui défendons de se presenter à la cour sous peine de vingt ans et un jour de prison, non à l’Abbaye, mais à Bicêtre. 6°. Ordonnons à tous les Suisses de nos maisons royales, de ne pas le recevoir dans les jardins publics, sous peine de punition. 7°. Faisons savoir à tous les directeurs de théâtre de ne pas le recevoir dans quelque place que ce soit, pas même au parterre ; et, à cet effet, le signalement seroit affiché à la porte.
Mais comment pourrons-nous espérer, dans cette espèce de vacance du trône, que l’assemblée nationale, établie pour diriger l’Empire, fera une loi pour abolir les duels, tandis que plusieurs de ses membres se sont battus comme les spadassins dont nous venons de parler. On vient de voir deux duels en champs clos par quatre de ses membres, sans qu’elle ait daigné s’en formaliser ; au contraire, un des duellistes, qui avoit envoyé le cartel, et qui avoit assassiné son adversaire, peu de tems après fut nommé président à l’assemblée, comme en commémoration de l’honneur qu’il s’étoit acquis dans ce duel. Si ceux qui sont établis pour faire de nouvelles loix sur les vices qui déshonoroient la société civile, laissent, non-seulement, subsister le duel, qui est le plus grand de tous ; quelle espérance devons-nous avoir de la réforme des autres vices qui désolent la nation ? Pourquoi, au premier bruit de ces deux premiers duels, reconnus et avoués des quatre duellistes, pourquoi l’auguste assemblée nationale, qui a fait plus de loix dans six mois que la république Romaine n’en a fait en six siécles, n’a-t-elle pas donné le décret suivant ?

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10. Nous décrétons que tout membre qui sera convaincu de duel, sera banni pour toujours de l’Assemblée nationale. 20. Que s’il a fait auparavant des discours remplis d’éloquence et de savoir, ils seront enlevés des archives, et brûlés publiquement. 30. Qu’il sera exilé de Paris, et ne pourra y rentrer sous peine d’une punition arbitraire ; qu’il sera déclaré inhabile de posséder aucune charge dans la municipalité. <sic> Que s’il n’est pas marié, et qu’il se marie, son mariage sera regardé comme nul. 50. Qu’il ne pourra ni hériter, ni tester.

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Suite des grandes époques.

Suite de Mazarin.

De toutes les administrations de nos tems modernes, il n’en est aucune qui mérite plus l’attention des hommes que celle de Mazarin : elle fait époque dans les annales ministérielles de la France. On voit par elle, que la duplicité, cachée sous le masque de la modestie, peut s’élever jusqu’au pied du trône, et diriger l’empire. Elle découvre un intrigant inconnu à la cour, étranger au Roi et à la France, lutter contre les grands, les peuples et les parlemens ; opposer une politique fine et adroite à la fureur héroïque du grand Condé ; s’emparer des premieres charges de la monarchie ; disposer de la fortune de l’état. Il n’est pas défendu à un méchant homme de s’élever plus haut avec tant de vices qui empêchent la plupart des ambitieux de s’aggrandir. Dom Louis d’Hara, qui négocioit avec lui pour la paix générale, disoit de lui : Cet homme a un grand défaut en politique ; c’est qu’il veut toujours tromper. Mais qu’est-ce que la politique, si ce n’est l’art sublime d’en imposer ? Toute l’habileté consiste à savoir la cacher ; car là où l’on découvre la politique, il n’y a plus de politique.

Metatextualität

Je supplie qu’on me permette de détourner les yeux de la guerre de la Fronde. On en trouve la déplorable histoire dans tous les historiens qui ont parlé de Louis XIV.
Mazarin vouloit que tout fût divisé, parce que cette division le rendoit nécessaire à la cour dont il étoit l’arbitre. Au milieu des troubles de la guerre civile, il prévoyoit que chaque parti s’adresseroit à lui, selon que la fortune lui seroit plus ou moins favorable. Il avoit une autre ambition, celle de disposer des premieres charges militaires ; de faire des généraux, des maréchaux de France, établir des compagnies dans lesquelles il avoit part aux monopoles. Quoique les guerres fussent alors moins dispendieuses qu’elles ne le sont aujourd’hui, et qu’on pouvoit avec une petite somme faire une grande guerre, il manquoit d’argent au trésor royal. On créa quelques impôts qui de nos jours ne suffiroient pas pour faire le siége d’une petite place. Le parlement qui pensoit se rendre utile à la cour par les obstacles, parce qu’il croyoit qu’elle auroit recours à lui pour les lever, refusa l’enregistrement de l’édit de ces mêmes impôts. La cour menaça le parlement, d’où il prit occasion de faire bien du bruit. Ce corps alla plus loin ; il prit les armes, sans savoir trop ce qu’il en feroit. Un conseiller est arrêté. Le peuple croyant par là avoir perdu un de ses protecteurs, entre en fureur. C’est assez son caractere de tomber en délire sans avoir fait réflexion pourquoi. Le coadjuteur Paul de Gondi, connu depuis sous le nom de cardinal de Retz, attisoit le feu de la rébellion. Le portrait de cet homme extraordinaire a échappé à la plupart des historiens. On le reconnoit mieux dans ses mémoires par le caractere d’inconstance qu’il se donne, qui le fit passer d’un parti à l’autre. Cet homme factieux et violent, étoit né pour le personnage qu’il faisoit. A la duplicité d’un adroit courtisan, il joignoit toute l’audace d’un prêtre ambitieux. Il donna une nouvelle chaleur à la ligne par son caractere. Sa méchanceté étoit d’autant plus dangereuse, qu’il employoit le zele de la religion qu’il n’avoit pas. Comme la cour étoit en danger à Paris, la reine s’enfuit à Saint-Germain avec ses enfans et son ministre, dont elle ne pouvoit plus se passer. On mit en gage chez les usuriers les pierreries de la couronne pour faire ce voyage. La pauvreté étoit si grande dans ce tems-là, que Voltaire dit, que les princesses du sang restoient au lit, faute d’avoir du bois pour se chauffer. Je crois bien que c’est un mensonge ; mais il prouve cette vérité, que la misere étoit générale, puisque les princesses nées à côté du trône, manquoient souvent des choses les plus nécessaires. La reine pria le grand Condé de protéger son fils, comme si un sujet pouvoit protéger son roi. Le héros de Rocroi se rendit à ses sollicitations. Il promit d’assoupir les troubles et les divisions ; mais le feu étoit trop grand pour pouvoir se flatter de l’éteindre sitôt. Il falloit le grand Condé pour donner quelque considération à cette guerre, qui, sans lui, eût passé pour ridicule. Ce fut dans cette occasion qu’on connut la différence d’une armée bourgeoise avec une troupe de légion. Condé assiégea cinq cents mille hommes avec huit mille soldats ; c’est-à-dire, que la différence d’un milicien à un autre milicien, étoit dans la proportion d’un à environ cinquante-deux, Cependant ces huit mille hommes tinrent Paris en respect. Ce fut dans ces tems malheureux que Turenne quitta la France, et bien-tôt Condé, pour passer au service d’Espagne. Il est triste de voir les deux plus grands hommes du royaume n’être point citoyens, et passer dans une armée qu’ils avoient souvent vaincue. La retraite de ce héros fut l’effet de son ressentiment contre Mazarin. On sait qu’il fut détenu plus d’un an en prison, parce que ce ministre vouloit se venger du mépris qu’il lui avoit témoigné dans plusieurs occasions, tant il est vrai que les petites choses sont souvent la source des grands maux dans un royaume. Ce fut dans ce tems-là que Mazarin, qui s’étoit éloigné de la France à cause des troubles, rentra dans le royaume avec cette puissance qui mene à la conquête. Il avoit une armée à sa suite qu’il avoit levée à ses dépens, c’est-à-dire, avec l’argent de l’Etat. Son armée avoit un général, ainsi que des officiers et des soldats à sa livrée. A peine fut-il arrivé à Paris, qu’une nouvelle cabale l’en éloigna ; on fit plus, on mit sa tête à prix ; et il n’est pas aisé de savoir la somme que l’on eût donné à celui qui l’auroit assasiné ; car on ne sauroit donner d’autre nom à ceux qui se prêtent à de pareils crimes. A peine Condé avoit quitté la France que Turenne y rentra, pour secourir sa patrie et son roi.