Le Spectateur françois ou le Nouveau Socrate moderne: Discours IX.
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Niveau 1
N°. 9.
Discours IX.
Discours IX.
Niveau 2
Sur le génie des Femmes comparé à celui des Hommes.
Lorsque dans l’Illiade d’Homere la femme d’Hector s’entretient
avec son époux sur le combat où il alloit s’engager, ce héros la
prie de lui en laisser la conduite, de se retirer dans son
appartement avec ses femmes, et de borner ses soins à celui de
sa quenouille : ce poëte veut insinuer par là, que chaque sexe a
un genre particulier d’administration, soit politique ou civile,
dont il ne doit pas sortir. Qui le diroit ! c’est cette
misérable quenouille, comparée à l’épée, qui a donné lieu au
plus grand procès qui ait été dans le monde. Il est question de
savoir dans celui-ci auquel des deux sexes on doit
donner la préfèrence pour l’esprit et le génie : le mal est que
ce procès est d’une nature à ne pouvoir être jugé faute de
tribunal légal, puisque les hommes et les femmes sont juges et
partie dans la même cause. En attendant, il n’y a point
d’outrage qu’on ne fasse au sexe. Après lui avoir donné tous les
défauts qui peuvent le rendre méprisable dans la société civile,
on a poussé l’insulte jusqu’à dire qu’il n’entreroit point dans
le paradis, que ce séjour de délices n’étoit pas fait pour lui.
Il y a même un peuple (I1)
entier qui soutient par l’autorité de ses livres sacrés, que les
femmes n’ont point d’ame : malheureux ce peuple, qui croit que
le plus joli morceau de chair qui existe sur la terre ne soit
qu’un composé de matiere ! En qualité de grand admirateur du
sexe dont j’ai toujours été le très-humble esclave, je vais
défendre ici sa cause, qui, si elle n’est pas la plus juste, est
au moins la plus belle, au sentiment d’un célebre auteur anglois
(I2), qui dit : que les
femmes sont composées de la plus fine porcelaine du
genre-humain. Il est vrai que ce philosophe galant oublie de
dire que c’est aussi la plus fragile.
L’affaire s’engagea à trois
heures après midi, et ne finit qu’à huit heures du soir.
La dame, qui défendott <sic> son sexe, étoit vive
et gentille. Elle avoit des belles dents, qui est la
partie essentielle de l’orateur ; d’ailleurs, le ton
décisif, comme l’ont la plupart des jolies femmes. Le
cavalier qui défendoit la cause des hommes, étoit trop
galant pour vouloir avoir raison avec sa belle
adversaire : aussi n’employa-t-il que des raisonnemens
vagues, des lieux communs, dont on se sert depuis deux
mille ans contre les femmes. En
cet endroit, la dispute finit, dont la dame sortit
triomphante, ce qui me fit souvenir de ces vers de
Virgile :
Niveau 3
Récit général
Metatextualité
Quoi qu’il en soit, je
vais faire ici le récit d’une dispute qu’il y eut
derniérement à ce sujet entre un homme et une femme,
où je me trouvai comme simple spectateur dans une
assemblée mêlée. Au reste, je ne
suis ici que le Rapporteur des pieces justificatives
de part et d’autre, sans prétendre prononcer sur le
fond du procès.
Dialogue
De tout tems, dit le cavalier en commençant, nous
avons été les plus fermes appuis des empires par
notre force et notre courage. Je le crois bien, dit
la dame ; vous faites tout ce que vous pouvez pour
nous affoiblir l’esprit et le corps, et vous dites
ensuite que vous êtes les plus forts : mais qui vous
a dit que la bravoure et le courage ne soient pas
égaux entre les deux sexes. Eprouvez-nous dans les
qualités et les exercices que l’éducation n’a point
affoiblis, et nous verrons si vous êtes les plus
forts ? Lorsqu’il a fallu que nous fissions la
guerre, nous l’avons portée dans les lieux les plus
reculés de la terre. C’est-à-dire, que depuis la
création du monde, vous avez égorgé la
moitié du genre-humain : vous avez fait là un bel
ouvrage ; vantez-vous-en. Mais si c’est par là que
vous avez l’avantage sur nous, les lions ont
l’avantage sur vous ; eux qui dévorent tous les
hommes qu’ils trouvent. Voici, ajouta-t-elle, une
étrange contradiction de l’esprit humain. Lorsque la
fureur des armes ne vous agite point, que le plaisir
et la molesse vous retiennent auprès de votre foyer,
vous vous récriez contre cet art ; vous lui donnez
le nom de brigandage militaire. Arrive-t-il une
révolution dans la politique à vous prenez les
armes, et vous cherchez à vous faire honneur de ce
même fléau que vous avez méprisé, et à qui vous
donnez le nom de gloire. Nous perpétrons la société,
nous peuplons le monde. Quoi ! tous seuls ? J’espere
que vous voudrez bien nous faire la grace de croire
que nous y entrons pour quelque chose ; j’ose même
dire pour plus que vous : car, monstres que vous
êtes, si lorsque nous sommes liées avec vous par
l’hymen, et que vous vous livrez à vos passions
déréglées, si nous ne vous retenions pas par nos
pleurs, par nos larmes, vous ne manqueriez pas de
vous livrer aux courtisannes, vice honteux, qui sans
remplir l’objet du mariage, n’en représente que les
plaisirs. Nous avons fait des livres. N’en
eussiez-vous jamais fait. Ce sont vos livres qui ont
garé l’esprit. Avant que vous eussiez mis la plume à
la main, on avoit du génie ; maintenant on n’a que des saillies. La nature sembloit avoir sagement pourvu à ce
que les sottises des hommes fussent passageres, et
les livres les immortalisent. Un sot devroit être
content d’avoir ennuyé ceux qui ont vécu avec lui ;
il veut encore tourmenter les races futures. Il veut
que sa sottise triomphe de l’oubli, dont il auroit
pu jouir comme du tombeau. Il veut que la postérité
sache qu’il a vécu, et qu’elle soit informée à
jamais qu’il a été un sot. Voilà l’histoire
universelle des livres et des auteurs. S’il y a
quelque exception, elle est si petite, qu’elle ne
change rien à la regle générale. Nous possédons les
sciences. Voilà précisément la raison pourquoi vous
êtes des ignorans ; puisque le prince des
philosophes a dit, que la premiere de toutes les
sciences, est celle de ne savoir rien. C’est ce même
savoir qui a jetté le trouble et la confusion
par-tout ; car lorsqu’un savant prouve qu’il est
jour, un autre démontre qu’il est nuit : de maniere
qu’en fait de savoir, aujourd’hui, il n’est ni jour
ni nuit. Nous avons établi les académies. Ce n’est
pas ce que vous avez fait de mieux. Voyez celle qui
porte le nom de Françoise ; les membres qui la
composent ne sont pas plutôt réunis, que la maladie
de jaser vient les attaquer. N’est-ce
pas là un bel établissement que celui de s’assembler
pour s’encenser et se louer ? Nous sommes
législateurs. Hélas ! oui, pour le malheur du monde,
et sur-tout pour celui de ces derniers temps,
puisque votre maladie est d’être des innovateurs,
oubliant cette premiere maxime du gouvernement
politique : que les anciennes lois sont des
préceptes, et les nouvelles des abus. Mais les
faiseurs de lois de nos temps modernes n’entendent
pas ce langage : il faut qu’ils bouleversent, qu’ils
renversent, qu’ils changent tout, pour rétablir
tout. Nous sommes politiques. Bon ! nous y voilà :
c’est-à-dire, des hommes sans foi et sans loi,
honneur ni probité. Un auteur anglois a dit : que
tous les beaux esprits méritoient d’être pendus. Je
crois qu’il s’est trompé de potence, qu’il a voulu
dire les politiques. Un bel esprit n’est souvent
qu’un sot, un fat, qui mérite compassion ; au lieu
qu’un politique est ordinairement un fourbe, Un
scélérat, qui a mérité plusieurs fois la corde. Je
pourrois vous en citer mille exemples ; mais je me
bornerai à deux.
Nous avons été les
premiers orateurs qui aient professé l’éloquence.
Point du tout, c’est nous ; puisqu’Aspasie, (femme
ne vous en déplaise,) en donna les
premiers éléments à Socrate. D’ailleurs, l’éloquence
nous revient de droit, puisque nous la tenons de la
nature. On dit que Demosthene se mettoit de petits
cailloux dans la bouche pour se délier la langue,
afin de parler avec plus de facilité. Oh ! pour
nous, nous n’avons pas besoin de petits cailloux ;
graces au ciel, les fibres de ce petit instrument
sont si déliés, que notre langue va d’elle-même ;
c’est un tocsin perpétuel ; nous pouvons parler six
heures sur rien, au lieu qu’il y a peu d’hommes qui
en puissent pérorer deux sur quelque chose, à
l’exception de ces orateurs mercenaires, dont les
parlemens et les assemblées nationales abondent, qui
travaillent à leurs pieces, et qui sont payés à tant
le rôle. Nous gouvernons le monde. Point du tout ;
encore c’est nous : celui-ci est notre grand
département. Si vous parcourez les cabinets, les
tribunaux, les corps de magistrature, vous y
trouverez toujours une femme cachée derriere un
homme. Nous gouvernons la cour comme la ville.
Il est
vrai qu’aujourd’hui il n’y a en France ni roi, ni
princes, ni pairs, ni ducs, ni comtes,
ni marquis, ni grands ; mais la nation entiere nous
reste en la personne de ses représentans. Nous en
avons déja trois ou quatre cents dans nos filets,
qui sont nos très-humbles esclaves. On ne sauroit
croire combien il nous est facile de faire la loi à
ces législateurs : ils tonnent en public ; mais ils
sont doux comme des agneaux en particulier. Ce qui
nous dégoûte de ces faiseurs de décrets, c’est
qu’ils sont pauvres comme des rats d’église. Les
dix-huit francs que la nation leur donne pour
renverser l’empire, suffisent à peine pour pénétrer
jusqu’à notre anti-chambre. Nous représentons la
nature : c’est nous qui avons inventé les scenes ;
nous sommes comédiens. Pas tant que nous, j’espere.
Vous n’êtes sur le théâtre que deux ou trois heures
par jour ; au lieu que nous jouons la comédie depuis
le matin jusqu’au soir, et cela avec d’autant plus
de succès, que nous vous représentons ce que vous
êtes, c’est-à-dire, des sots. Nous sommes médecins.
Tant pis pour vous, ou, pour mieux dire, tant pis
pour tous. On diroit que cet art porte la mort avec
lui. C’est une regle générale, que plus il y a de
médecins dans un état, et moins il y a d’hommes. On
m’a parlé d’une ville dans le nord de l’Europe, où
il est défendu, sous peine de la vie, d’exercer la
médecine : on y vit des sieclès ; elle est remplie
de vieillards ; il faut assommer les hommes pour les
enterrer. Nous sommes peintres.
Mauvais. Depuis Raphaël, il ne s’est pas fait un
tableau qui mérite qu’on le nomme. Les peintres
d’aujourd’hui ne font que copier les ouvrages de ce
grand homme : or, rien n’affoiblit plus le pinceau
que la copie pittoresque. Tout peintre qui n’imagine
pas, n’est point artiste. On a donné dans le
portrait, ce qui marque une sécheresse dans le
génie. La derniere fois que je fus au cabinet de
peinture du Louvre, où chaque professeur expose
toutes les années ses travaux aux yeux du public, je
comptai cent visages pour un tableau ; cependant ce
dernier est la premiere partie de cet art, parce
qu’il transmet à la postérité les principaux
événemens de chaque siecle ; au lieu que le portrait
va s’ensévelir avec la cendre de celui qu’il
représente, parce qu’après une génération ou deux,
il ne reste aucun modele pour le comparer. Nous
sommes architectes. Plus mauvais encore. Il faut
distinguer l’architecture d’avec la maçonnerie ; il
suffit des bras pour celle-ci, au lieu qu’il faut du
génie pour celle-là. Cet art qui fut du temps des
Grecs et des Romains le plus bel ornement du monde,
est réduit de nos jours à entasser des pierres les
unes sur les autres, sans goût, sans génie. On parle
beaucoup de Sainte-Sophie, qu’on regarde comme un
morceau d’architecture comparable à ceux des
anciens : pour moi, je ne connois point de monument
qui ressemble plus à un moulin-à-vent, que celui de cette église ; il ne lui manque les
aîles : on diroit qu’elle va prendre le vol, à
l’exemple de la Santa-Caza de l’Eurete, qui fit le
voyage dans les airs depuis la Palestine jusqu’en
Italie. Voyez les édifices pour les amusemens
publics. On a mis le théâtre d’Arlequin dans une
église, et celui de Pourceaugniac dans un temple.
Examinez le jardin du palais-royal, monument rempli
de fautes d’architecture. Voyez le cirque, ce caveau
informe, plein de défauts d’architecture.
Citation/Devise
La fureur de la plupart des françois,
dit un philosophe moderne, c’est d’avoir de
l’esprit ; et la fureur de ceux qui veulent avoir
de l’esprit, c’est de faire des livres. Cependant,
ajoute-t-il, il n’y a rien de si mal imaginé.
Exemple
Si on
avoit pendu Cromwel, il n’auroit pas fait mourir
Charles I son roi.
Exemple
Si on avoit fait
renfermer Richelieu, il n’eût pas gouverné la
France en tyran.
Exemple
En lisant l’histoire
moderne, on y voit un Louis XIV qui aspiroit à la
possession de tous les états de l’Europe, borner
son ambition à posséder une femme qui le gouverna
pendant trente ans.
Exemple
Louis XV éprouva le
même sort ; deux femmes sans nom gouvernerent
l’empire.
Exemple
On dit des Romains,
qu’ils commandoient à toutes les nations, et
qu’ils obéissoient à leurs femmes.
Citation/Devise
Hæc memini et
victum frustra contendere Thyrsint.
Metatextualité
Pour venir à la morale de ce
discours sur le préjugé établi à l’égard de la préférence
sur l’esprit et le génie qu’on doit à l’un des deux sexes,
je dirai qu’il y a une chose remarquable dans cette fameuse
querelle qui dure depuis la création du monde ; je veux dire
que pour la résoudre, on n’a jamais établi de principes
généraux tirés de la nature des choses. Pour juger si l’un
des deux sexes est inférieur à l’autre, il faut établir
l’égalité dans l’éducation, les faire passer par les mêmes
écoles, leur apprendre les mêmes sciences, leur donner les
mêmes talens, les mêmes maîtres, alors celui des deux sexes
qui sortiroit de ces exercices dans un état de supériorité,
seroit le supérieur. Je ferai ici une remarque
qui a échappé à tous les auteurs qui ont traité cette
matiere avant moi. Si, en général, on réfléchit à
l’éducation qu’on donne aux hommes, on trouvera qu’on le
divise presque en autant de branches, qu’il y a d’individus
qui la reçoivent. Par exemple, si un pere de famille
découvre dans son fils la moindre vocation pour le
sanctuaire, il lui donne des maîtres qui l’instruisent dans
les sciences propres à le faire distinguer dans l’église. Si
au contraire un pere s’apperçoit que son fils a du goût pour
les armes, il l’envoie dès sa premiere jeunesse à la guerre
pour le former à bonne heure dans l’art militaire : ainsi de
la robe, ainsi du commerce, ainsi de toutes les professions
qui distinguent les hommes dans la société politique et
civile. Il n’en est pas de même des filles, à qui, en
général, on ne donne guere qu’une sorte d’éducation,
indépendamment de leur humeur, de leur caractere, ou de leur
fortune, qui se réduit aux qualités qui les font passer pour
aimables. Pour arriver à ce but principal, les peres et
meres s’y prennent de bonne heure. Saint Evremont dit dans
ses Œuvres mêlées : lorsque les filles arrivent à un certain
âge, on leur donne le titre flateur de maîtresses, et on
leur persuade que l’unique soin est de penser à plaire aux
hommes. Là-dessus celles commencent à s’ajuster et à faire
dépendre toutes leurs espérances, de l’ornement de leur
personne. Mais je prendrai la cause de plus loin, je
remonterai aux principes de leur éducation.
Une fille a à peine atteint l’âge de huit ans, qu’on la met
entre les mains de M. Rigodon, qui lui éstropie les jambes
pour lui apprendre à porter les pieds. Il lui enseigne
d’abord à faire la révérence et à se présenter dans une
compagnie de bonne grace. Pour peu que l’enfant ait de
l’intelligence, et le maître du talent, elle ne perd gueres
que deux ans à ce noble exercice, le premier de tous : car
en bonne éducation féminine, il faut qu’une demoiselle sache
danser avant de savoir parler. A la suite de M. Rigodon,
paroit M. Piano-forte, Maître de Clavecin, qui lui place ses
petits doigts sur des morceaux d’ébene, ou d’ivoire. Dès la
premiere leçon, elle entend des sons qui lui donnent des
sensations. Il est vrai qu’elle ne sait pas ce qu’elle
sent ; mais elle sent, et c’est déjà beaucoup pour une
petite fille que de sentir. Après ces deux professeurs,
vient M. Arietta, maître de musique vocale. Comme pour
l’ordinaire, celui-ci est Italien, dès la premiere leçon, il
lui dit dans son idiome : Signorina bisogna cantare di buon
gusto. Qu’est-ce que c’est que ce gusto, lui demande
l’enfant. Il gusto, è il gusto. En attendant el gusto
<sic>, il lui fait perdre le goût de la vertu, en lui
faisant passer les années les plus précieuses de sa vie à
recevoir les premiers principes du chant. Pendant tout ce
petit manege, la fille de chambre ne perd pas son tems ;
elle lui met un collier de fer au cou pour l’accoutumer à
porter la tête droite, la coeffe avec des rubans, et des pompons couleur de feu, lui façonne sa
petite gorge, et lui recommande sur toutes choses de se
rendre aimable, sous peine, si elle y manque, de n’avoir
point de mari. La petite fille, qui a déjà onze ans, creuse
son cerveau pendant la nuit, pour savoir ce que c’est que ce
mari dont on lui parle tant. Elle se démene de tant de
façons, et s’y prend de tant de manieres, qu’à la fin, elle
découvre la chose. Dès ce moment, elle sait tout : elle n’a
pas besoin d’autre maître que celui de la nature, pour
savoir ce qu’on vouloit lui tenir caché. Le reste de son
éducation, jusqu’à seize ans, se réduit à plaire ; et comme
ce noble art ne s’apprend pas en chambre, elle galope à côté
d’une mere, d’une tante, ou d’une vieille cousine, les
théâtres de l’Opéra, de la Comédie Françoise, de
l’Italienne, sur-tout le jardin du palais royal, où une
jeune demoiselle apprend à marcher devant cinq à six cens
hommes qui la passent en revue. Comme il faut qu’elle ait de
l’esprit, ne fut-ce que pour faire semblant d’en avoir dans
les premieres visites de son mariage, on lui donne des
livres à fictions à lire ; ce qui ne manque pas de produire
cet admirable effet, qu’on remarque dans celles qui ont lu
la célebre bibliotheque des romans. A l’âge de 21 à 22 ans,
on la livre à un mari qui la lâche dans le monde : voilà en
général ces femmes qui disputent aux hommes l’empire du
monde et celui des connoissances et du savoir.
Cependant, on dit continuellement que les femmes sont d’une
création inférieure à celle des hommes. A qui en est la
faute ? Ce n’est pas certainement à la nature, qui n’est
imparfaite dans aucune de ses productions ; c’est à
l’éducation. Elevez un garçon comme une fille, et une fille
comme un garçon, je crois que le garçon sera plus fille que
la fille ne sera garçon. Il arriveroit de cette hypothese,
que le sexe, toute chose égale d’ailleurs, auroit
l’avantage, puisque les principes de l’éducation
influeroient plus sur lui que sur l’autre. Je puiserai le
sujet dans un autre discours.
Niveau 3
Suite des grandes époques.
Henri IV.
Hétéroportrait
On peut regarder le régne de
ce prince comme le précurseur du siécle de Louis XIV,
soit par la révolution qu’il causa dans les esprits, la
politique dont il jetta les premiers fondemens, ou par
l’ambition qu’il fit naître dans tous les cœurs. Henri
IV fut un des plus grands rois dont l’histoire ait
jamais fait mention. Il avoit appris l’art de régner à
l’école de l’adversité qui est la seule qui puissent
former un grand roi. Par un bonheur assez rare, à la
cour des souverains, Sully son ami et son ministre, fut
le plus grand homme d’état qui ait jamais
gouverné la France. Cet agent de la couronne avoit
l’esprit assez vaste pour embrasser toutes les parties
du gouvernement politique et économique. Il rétablit
l’ordre dans les finances. Il fut le premier qui déchira
le voile qui cache les monopoles des gens d’affaires. A
la mort d’Henri IV, la France tomba dans le premier
cahos où elle étoit auparavant.
Louis XIII.
Hétéroportrait
Ce monarque qui lui succéda,
monta sur le trône dans un tems, où le gouvernement
François avoit de grandes discussions avec les cours
étrangeres. Des intérêts délicats, mais ménagés, des
pertes à rétablir, une grande monarchie à diriger, et
une gloire à réparer. Il eût fallu pour cela un prince
d’une politique profonde, qui eût eu le coup d’œil
juste, des lumieres étendues, l’art de manier les
esprits factieux, occuper les inquiets et contenir les
mécontens. Ce prince au contraire, avoit l’esprit
foible, n’ayant point de caractere, sans vertus comme
sans vices ; aimant mieux vivre dans l’obscurité d’un
particulier, que de régner avec éclat sur le trône. On a
dit de Charles II, qu’il n’avoit pas été roi un seul
quart-d’heure de sa vie. On peut dire que Louis XIII ne
régna pas un seul jour pendant vingt-cinq ans qu’il
porta la couronne.
Richelieu.
Hétéroportrait
Ce ministre qui avoit dirigé
l’empire des François, pendant que Louis XIII étoit
caché derriere son trône, avoit un caractere à lui,
qu’il ne devoit qu’à son caractere, ou pour mieux dire,
qu’à son ambition. Dévoré du désir, de dominer, et de
régner seul, il ne fut pas plutôt à la tête du
gouvernement, qu’il lui communiqua toute sa chaleur.
Grand dans toutes ses vertus, extrême dans chacun de ses
vices, il ne perdit pas le tems à dénouer le nœud
gordien de ce tems-là, il le coupa. Il établit pour
maxime fondamentable <sic> : que dans une
monarchie, il ne doit y avoir qu’un roi, un ministre et
des sujets, c’est-à-dire en langue orientale, un sultan,
un visir, et des esclaves. Il ne vouloit point de rangs
intermédiaires. Il ne donnoit d’autre appui au trône,
que celui du trône lui-même. Quand cet homme, dit le
président Montesquieu, n’auroit pas eu le despotisme
dans le cœur, il l’auroit eu dans la tête. Au masque
imposant de ses vertus, il joignoit le talent imposteur
de donner de l’éclat à ses vices. Il étonna l’Europe par
le brillant de son esprit, et encore plus par l’audace
de son génie. Il devint l’arbitre de tous les événemens,
et le maîre de la république générale. Son ambition
commença par où celle des plus grands ministres finit.
C’est néanmoins un problème en politique, si Richelieu
fut un grand homme d’état, ou un génie
ordinaire. Ce qu’il y a de très-vrai, c’est qu’aucun de
ses projets ne réussiroit dans nos tems modernes, et que
ce que l’on regardoit alors comme des plans admirables,
seroit regardé aujourd’hui, indépendamment de leur
attrocité, comme des fautes politiques : tant il est
vrai que ce sont les circonstances qui font les
ministres, et que tel qui est un grand homme d’état dans
un tems, est un très-petit génie dans un autre.
D’ailleurs, Richelieu avoit tous les vices des ames
foibles. Il ne pardonna jamais a ses ennemis, et fit
mourir tous ceux qui tramerent contre sa vie. Il
conserva la rancune jusqu’au tombeau : voilà ses vices
en qualité de ministre. Comme auteur, il eut un
amour-propre qu’on reproche aux écrivains ; car il se
piquoit de l’être, quoiqu’il n’eût aucuns talens qui en
en <sic> font mériter le nom. Mais cette petitesse
d’écrivain se perdoit dans la grandeur des qualités du
ministre. Il força routes <sic> les cours de
reconnoître la France pour la premiere puissance de
l’Europe. Il commanda en maître dans tous les
gouvernemens ; et il est à présumer qu’il eût élevé la
maison de Bourbon au-dessus de toutes celles de
l’Europe, si la mort ne l’eût surpris au milieu de ses
projets ambitieux. Ce ministre, avant sa mort, avoit
établi qu’il falloit que la France fit continuellement
la guerre pour acquérir par les armes cette supériorité
qu’elles seules peuvent donner. Il est triste qu’on
puisse reprocher à un homme d’église
d’avoir fait une maxime de puissance et de grandeur du
plus grand de tous les maux. Il l’a fondé sur
l’équilibre de l’Europe, sur cette balance idéale dont
on a toujours parlé, et qui n’a jamais existé.
Le grand Condé.
Après la mort de Richelieu, il falloit une grande victoire à la France pour rétablir la puissance de son empire que tant de secousses avoient ébranlée. La bataille de Rocroy se donna : la victoire fut due au duc d’Anguien, fils du prince de Condé, à qui on avoit donné le commandement de l’armée de Flandre. Il est certain que Condé étoit le plus grand capitaine de son tems, dans un âge où l’on a à peine commencé la carriere de la gloire ; ce qui prouve que les grands hommes peuvent se passer de l’expérience, et qu’ils trouvent en eux toutes les vertus des héros sans le secours de l’éducation. On trouve dans plusieurs livres, que Condé la veille de l’action, après avoir donné les ordres nécessaires, s’endormit d’un sommeil plein, et qu’il fallut l’éveiller le lendemain pour donner la bataille. On a dit de même d’Alexandre ; mais cette anecdote n’ajoute rien à la gloire de ces deux héros. Après la bataille de Rocroy, et une seconde aussi glorieuse que la premiere, la France acquit une gloire dont elle n’avoit pas joui depuis plusieurs siecles : mais par une fatalité attachée à ce trône, la cour détruisit par ses intrigues et sa cabale la puissance que Condé venoit de donner au trône par ses armes.Minorité de Louis XIV.
L’enfance des rois est la partie foible du gouvernement monarchique. C’est ce que la France éprouva après la mort de Louis XIII.Hétéroportrait
Anne d’Autriche, à qui le
parlement avoit donné la régence, n’avoit ni assez de
génie, ni assez de lumieres pour diriger l’empire. Ce
n’est pas qu’elle manquât d’ambition. Pour l’ordinaire,
ceux qui n’ont pas assez d’esprit pour gouverner un
état, aspirent au gouvernement. Cependant cette
princesse eut assez de modération pour se persuader
qu’il lui falloit un maître pour conduire les affaires
de l’empire, et elle s’en donna un en la personne de son
ministre.
Mazarin.
Hétéroportrait
Le portrait de Mazarin n’a
pas été flatté. Son nom n’a échappé à aucun de ceux qui
ont eu à parler contte <sic> son ministere : mais
si l’on fait attention que ce premier agent de la
couronne surmonta tous les obstacles qui s’opposoient à
son élévation, qu’il dissipa toutes les intrigues et les
cabales qui se formerent contre lui, et qu’il se mit
au-dessus de tous les grands coups du sort, on verra
bien que ce n’est pas un homme ordinaire. Les places que
le génie et le talent donnent, sont
sujettes comme les autres : ce malheur à tout homme
d’état qui servit à un parti qui devient le dominant. Il
vient toujours dans l’esprit que le ministre a besoin
d’une grande étendue de lumieres, sur-tout un génie
supérieur, pour diriger l’empire : on se trompe. Un
esprit d’ordre et de méthode, suivi d’un travail
constant relatif à la chose publique, vaut mieux que ces
génies transcendans, qui, pour diriger tout, gâtent
tout ; en un mot, c’est le caractere qui fait le
ministre. Ce qui prévient en faveur de Mazarin, c’est
que Richelieu l’avoit désigné pour son successeur ; et
Richelieu n’étoit pas homme à se méprendre en fait de
caractere. Ce grand politique prévoyant les troubles qui
après sa mort devoient agiter la France, crut que sa
modération apparente, sur-tout ses détours et ses
sinceres, seroient plus utiles à la France que la
sincérité et la droiture. Il n’est pas impossible que
les vices qui le déshonnorerent le plus, fussent ceux
qui le servirent le mieux. Il est certain du moins que
jamais mortel ne cacha tant d’ambition sous le masque de
la modération. Mazarin étoit italien : et c’est assez
l’ordinaire de ceux de cette nation, de montrer beaucoup
de désintéressement pour les choses qu’ils souhaitent le
plus ardemment. Un ministre françois obtient la premiere
place par son ambition. Un italien y parvient par la
duplicité, la feinte et la dissimulation.