Le Spectateur françois ou le Nouveau Socrate moderne: Discours VII.
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Nível 1
No. 7.
Discours VII.
Discours VII.
Nível 2
Sur l’Opéra. Platon a dit qu’on ne
peut faire aucun changement dans la musique qu’il n’en soit un
dans la constitution ; c’étoit le sentiment d’Aristote, de
Théophraste, de Plutarque. Ces philosophes, qui étoient souvent
divisés sur d’autres principes, étoient d’accord
sur l’influence de la musique. C’est de cette option qu’ils
tiroient la science du gouvernement, et qu’ils dirigeoient les
empires. Il faut expliquer ceci, sans quoi, en lisant les
anciens, on croiroit voir d’autres hommes que nous. Les
premieres sociétés politiques, étoient très-différentes de
celles d’aujourd’hui. Chez les Grecs, toutes les professions et
tous les arts étoient regardés comme indignes d’un homme libre.
Tout bas commerce étoit odieux. Cette opinion alloit jusqu’à
l’agriculture, qui n’étoit exercée que par des esclaves ou par
quelques peuples vaincus qui étoient dans la servitude. Les
citoyens étant détachés de tout autre sentiment, il ne leur
restoit que celui de gouvernement, auquel il s’attachoit
inviolablement. Voilà l’origine de ces grandes actions qui
surprirent l’univers et qui étonnent aujourd’hui nos petites
ames, etc. Cependant, il faut rapprocher la musique de nous, et
voir l’influence qu’elle a sur nos sens. Comme ce qui rend les
hommes sensibles dans un tems, les affecte toujours un autre, il
n’est pas impossible qu’en suivant l’idée de Platon, cet art
n’ait fait beaucoup de changemens dans le grand systême qui sert
à diriger l’empire ; et comme notre musique est remplie de notes
et de roulades qui vont du bas en haut, et du haut en bas, il
suit de là que notre gouvernement, pour me servir de
l’expression d’un Anglois, est tantôt à la cave et
tantôt au grenier, il y a plus, comme les Paiësello, les
Sacchini, les Piccini, les rédacteurs de notre chant qui sont
sortis de la nature, il suit de là que notre systême politique
est devenu aussi stravagant que la musique est privée de bon
sens. L’Opéra, tel
qu’il est représenté de nos jours ne tient à aucun des
établissemens de chant des anciens ; c’est qu’il est ridicule.
En effet, faire une déclaration d’amour au son du violon,
exprimer un soupir avec l’accompagnement du flageolet, lire une
lettre amoureuse avec la basse - continue, frédonner un billet
doux d’un bout à l’autre, sont des actes d’une telle
extravagance, qu’on ne peut pas les supposer dans des êtres
raisonnables. On dit pour excuse que c’est une affaire du
préjugé ; préjugé tant qu’il vous plaira ; il faut toujours que
les hommes se conduisent par le bon sens et non par des opinions
erronées. C’est cette maniere de penser qui remplit le monde de
folies et d’extravagances. On sait que les anciens imaginerent
la tragédie, pour encourager les hommes aux grandes vertus par
de grands exemples ; et la comédie pour corriger les mœurs en
jettant un ridicule sur les vices : leçon qui ne pouvoit se
donner en chantant ; car en général, la musique est plus propre
à émouvoir l’esprit, qu’à régler ses passions. Il
est vrai qu’on a dit qu’Homere a chanté l’Iliade ; poëme qui
contient une morale ; mais si on examine la chose de près, on
trouvera que l’harmonie est plus dans les vers que dans le
chant. Montesquieu prétend qu’une piece lirique est une
harmonieuse extravagance. La Bruyere dit que l’Opéra tient les
yeux et les oreilles dans une sorte d’enchantement. St. Evremont
avance que ce spectacle n’est autre chose qu’un assemblage de
poésie et d’harmonie. Il y a aussi un proverbe qui dit : qu’il
n’y a que le manque de bon sens qui puisse être mis en musique :
et ce proverbe ne manque pas lui-même de bon sens. Voilà ce qui
engagea le célebre Adisson, qui, pour les mœurs, craignoit
peut-être autant ce spectacle que sa musique, conseilloit aux
Dames Bretonnes, d’aller plutôt aux marionnettes qu’à l’Opéra.
On sort de ce théatre, la tête remplie de sons, l’imagination
agitée, l’ame troublée, sans que cela produise d’autre effet que
celui d’une grande émotion. C’est une mauvaise représentation
que celle qui ne peut avoir aucun principe de morale ; car il
seroit inconcevable de dire, que la musique inspire la vertu.
Tout est grand, tout est sublime, tout est héroïque sur ce
théâtre ; c’est le séjour des Dieux, le palais des Déesses qui
descendent tout exprès trois jours de la semaine de l’Olympe
pour l’habiter. Le firmament, la lune, les étoiles, la pluie, le
beau tems, les éclairs, le tonnerre, s’intéressent
à son sort. L’Opéra jouit de tous les attributs de la nature, il
ne lui manque que du bon sens. La tragédie et la comédie avoient
fait un pas en avant pour arriver jusqu’à la vérité ; la scene
lyrique en a fait deux en arriere pour la manquer. On l’a
chargée d’enchantemens, de décorations qui ne lui ressemblent
pas, de machines et de nuages qui n’ont aucun rapport avec elle.
L’Opéra François fut formé dans le siecle le
plus fastueux qui fut jamais. Louis XIV qui vouloit mettre de la
grandeur par-tout, souvent même là où il n’en falloit pas, fit
venir Lully d’Italie pour apprendre à chanter à ses sujets, sans
faire attention que le climat est le premier maître de musique,
et que le physique seul peut faire chanter les hommes de chaque
nation. La premiere piece en musique qu’on donna, fut une
pastorale. Il paroit d’abord que ce spectacle fut une affaire
d’Etat, puisque Mazarin, qui gouvernoit alors la France, la fit
représenter aux dépens du Trésor-Royal. Cette
tragédie mise en chant, donne naissance à Ariane et Pomone, qui
fut admirée, et par conséquent très-suivie. Il est remarquable
qu’il arriva alors ce qui arrive encore aujourd’hui, qu’on ne
peut exécuter un opéra dans la capitale de la France, sans le
secours des provinces. On fut obligé de faire venir des
professeurs du Languedoc, comme on a été obligé d’en faire venir
depuis, du Béarn pour chanter les fêtes vénitiennes (I1). On pourroit
donner une raison physique de ceci ; c’est que les mœurs sont
moins corrompues en province qu’à Paris, parce qu’on y vit d’une
manière plus réglée. Peut-être d’autres causes peuvent y
contribuer ; mais il y a apparence que c’est la principale.
Pomone fut donnée huit mois de suite sans interruption. On peut
juger par-là combien la nation est devenue changeante dans le
chant, puisque de nos jours, les directeurs de ce théâtre sont
obligés de donner deux ou trois opéras différens dans la
semaine, pour soutenir l’attention indolente des spectateurs. Le
spectacle de l’Opéra fut d’abord une espece de république qui se
gouverna par elle-même, c’est-à-dire mal ; car en général, les
musiciens sont d’assez mauvais citoyens, du moins, ils ne
connoissent d’autre accord dans le gouvernement musical, que
celui de l’orchèstre, ni d’autre mesure dans l’administration
chantante, que celle d’un petit bàton. Un marquis
de Sourdac, profita de la révolution qui se fit dans ses membres
pour se rendre maître de la république chantante. Sous prétexte
qu’il lui avoit fait quelques avances, il s’empara de l’opéra,
et devint fermier-général des ariettes. Car on commençoit déjà
en France à mettre l’air en parti. Quoiqu’il en soit, la
république de chant devint monarchique ; où un roi, sous le
titre de directeur, dirigeoit l’empire. Ce souverain s’enrichit
par des monopoles, comme font tous les petits souverains qui
n’ont pas d’autres ressources. Mais bientôt, on donna une
nouvelle forme à ce théâtre ; on y établit un conseil ; on y
nomma plus de ministres, qu’il n’y en a dans quelques états
politiques de l’Europe, sans compter les secrétaires d’état
musicaux, qui dévoroient le gouvernement musical. Il n’est pas
bien aisé de dire, pourquoi on donna le nom d’académie à ce
théâtre ; puisque ce titre, chez les anciens, n’avoit été
destiné qu’aux écoles des sciences ; d’autant mieux qu’en
l’honorant de cet titre, on n’avoit pas mis dans sa
constitution, qu’elle ne donneroit que de grandes pieces
lyriques ; puisqu’on y a représenté depuis le Carnaval du
Parnasse, le Devin du village, Panurge et autres farces, plus
propres à être représentées par des baladins, que par des
académiciens. Je ferai ici une observation sur ce spectacle, que
je ne sache pas qu’aucun auteur ait fait avant
moi ; je veux dire que de tous les peuples chantants de
l’Europe, il n’y en a eu aucun qui pût mieux se passer de la
haute musique que les François. On chantoit depuis deux mille
ans dans ce royaume, sans avoir établi celle-ci. On avoit
toujours cru que des chansons détâchées, de petits couplets, des
vaudevilles, convenoient mieux à une nation vive, légere,
inconstante, qu’une musique méthodique : voilà la vraie raison
pourquoi les étrangers ne peuvent souffrir nos grands opéras, et
qu’ils aiment tant nos petits airs galants. Il faut bien qu’une
tragédie françoise mise en musique, porte un vice radical avec
elle, qui l’empêche d’acquérir le degré de perfection auquel
nous avons porté plusieurs autres arts ; du moins, nous n’avons
presqu’aucun opéra sur notre théâtre qui puisse passer pour un
chef-d’œuvre de talent lyrique. Jean-Jacques Rousseau a eu
raison de préférer la musique italienne à la musique françoise ;
cependant le bel éloge qu’il en fait, ne veut dire autre chose,
si ce n’est que la plupart des nations étrangeres, préferent le
chant du rossignol, à celui de tout autre oiseau. Mais la
musique n’est point dans le ramage d’un gosier heureusement
organisé ; ce n’est là que la mélodie du chant ; sa véritable
perfection est dans l’expression musicale, qui de la voix, passe
au cœur, où aboutissent toutes les sensations. J’aurois voulu
que ce grand homme, après avoir rendu à la musique
italienne, la justice qui lui est due, eût pensé comme Adisson,
qui remarque que la musique françoise convient parfaitement au
génie de la nation dont la langue qui est plus grave, a besoin
de moins d’inflexion dans la composition musicale : c’est ce que
fit Lully ; car cet artiste, ayant trouvé la musique françoise
barbare, au lieu de la changer entiérement, s’accomoda au génie
de ce peuple qui aime les tons aigus et les grands élancements
de voix. Il mêla à la musique françoise la mélodie italienne ;
mais il n’en employa pas une dose si forte qu’elle y dominât :
en un mot, il réforma ses vices sans corriger ses défauts. Un
philosophe cynique iroit peut-être plus loin : il diroit qu’il
vaudroit mieux mettre la clef sous la porte de l’opéra, que de
s’occuper de sa réforme ; et il y a apparence qu’il auroit
raison ; mais il ne convient pas toujours d’avoir raison dans
les établissemens qui se sont soutenues au de-là d’un siecle.
Leur durée suppose souvent une utilité publique, qu’on ne
sauroit détruire sans anéantir une foule d’arts et métiers qui
tiennent à l’industrie générale, et c’est toujours
celle-ci qu’il faut consulter avant de faire des réformes. Il
n’est guere possible de parler de l’opéra, sans dire quelque
chose de la danse. Cet art parut à propos pour ajouter
l’illusion à la chimere ; car pour que le bon sens manquât
toujours à ce spectacle, on fit danser à-la-fois les Dieux et
les Démons. Cependant la mythologie n’avoit jamais parlé de bals
au Parnasse, et de ballets dans les enfers. Le premier ballet
qui parut sur cette scene fut exécuté par les princes du sang,
et les premiers seigneurs de la cour. C’étoit d’abord annoblir
un art qui devoit finir par être bien roturier. Mais ce qui lui
donna beaucoup d’éclat, fut d’y voir danser le plus grand roi de
l’Europe ; chose nouvelle sur la scene, depuis sa création : car
on avoit bien vu autrefois des empereurs romains, représenter
des pieces (comme Néron) ; mais jamais exécuter de ballets. Il
est vrai qu’on n’avoit pas encore cette science admirable, qui
fait danser à livre ouvert, comme on a chanté depuis. Le beau
sexe voulut avoir part à ce nouveau talent ; les Dames les plus
qualifiées de la cour danserent dans ces premiers opéras ; mais
comme leur nombre n’étoit pas suffisant, elles s’associerent aux
danseuses de la ville. C’est ce qui donna lieu à cette grande
révolution, que la cabriole a faite depuis sur nos théâtre
<sic>. Il y a des époques dans les mœurs générales qui décident souvent de la corruption d’un
peuple entier. Si le tribunal qui préside à la décence publique
avoit saisi ce moment pour empêcher les femmes de monter sur le
théâtre, c’est-à-dire, de se montrer en dansant dans des
postures qui, sans être tout-à-fait indécentes, ne laissent pas
que d’être immodestes ; cette magistrature eût prévenu une
longue suite de débauches auxquelles il n’est peut-être pas
aujourd’hui en son pouvoir de remédier. Il ne falloit pas être
bien versé dans la connoissance du cœur humain, et encore moins
dans la marche des passions qui s’enflamment par les yeux, pour
juger que les différentes attitudes d’un sexe, qui ne peut
remuer la moindre partie de son corps, sans exciter une grande
émotion, devoit conduire les hommes à la corruption. On a dit
pour raison, que la scene faite pour représenter la nature,
devoit être formée des deux sexes qui la composent. Mais on a
dit mal ; tout ce qui mene à la dissolution est contraire à la
nature. Si cette loi étoit fondée, elle seroit générale, mais
elle ne l’est pas, à Rome, aucune femme n’a la permission de
monter sur le théâtre. Le roi de Portugal, qui dépensa tant de
millions pour donner un grand éclat à la scene lyrique, et n’y
admit jamais aucune personne du sexe, ainsi de plusieurs autres
états. Je finirai ce discours sur la danse par une anecdote
remarquable dans l’histoire des mœurs modernes.
Il n’en est pas
de même de nos actrices qui représentent sur les deux scenes.
L’opéra dans nos tems modernes, est devenu un lieu de débauche,
où toutes les lignes de la fortune publique vont se perdre, un
gouffre où la volupté qui se vend au poids de l’or a appauvi
<sic> la république en confondant le crime avec le revenu
des citoyens.
Suites des grandes
époques.
Cet empereur passa
pour le plus grand prince de son tems, et peut-être le
fut-il, à l’exception de François Ier., son contemporain et
son émule, parce qu’il se piqua moins de l’être ; car il en
est des souverains comme des particuliers, dont les vertus
sont d’autant plus estimables qu’elles s’exercent dans le
silence et la retraite. On ne connoit point de prince qui
ait eu tant de guerres à faire que Charlemagne. Il avoit
plusieurs usurpations à soutenir, et beaucoup de ses Etats à
défendre ; ce qui devoit précipiter dans le tombeau
plusieurs générations d’individus. La balance de l’Europe
étoit alors entre les mains d’Henri VIII, roi d’Angleterre,
ce prince qui changea une fois de religion, et huit fois de
femmes. L’empereur le courtisa beaucoup pour l’attirer dans
son parti ainsi que le roi de France. L’un et l’autre firent
la cour à son ministre, aussi despote que son maître. On a
beaucoup loué le conseil de Charles pour avoir fait élire
pape, son précepteur Adrien, sans faire attention qu’alors
la chaire de St. Pierre, tenoit plus à l’intrigue qu’à
l’habileté. Mais la politique qui le distingua, fut de
susciter contre la France, ce même Henri VIII dont il avoit
brigué l’alliance. Il passe en Italie d’où il chasse les
François, la chose n’étoit pas difficile ; on ne les aimoit
pas à cause de leur galanterie et leur
intempérance avec les femmes. Il se rend à Gênes, où il fait
un nouveau doge sous la protection impériale. Il détache les
Vénitiens de la France pour les mettre dans son parti, et
tout cela pour affoiblir François Ier, dont il veut être le
vainqueur. Il met tous les princes Italiens dans ses
intérêts ; la négociation n’est pas difficile, il est
puissant, et tous ces petits souverains sont foibles. On a
mis en question si Charles-Quint aspiroit à la monarchie
universelle ; on a fait la même demande à l’égard de Louis
XIV. On ne fait pas attention que la chose est impossible.
Il y a quatorze cent mille soldats qui gardent la république
générale. Un prince quelle que soit sa puissance, risqueroit
perdre ses Etats en voulant se rendre maitre de tous les
autres. Les Romains qui conquirent autrefois le monde, ne
conquerreroient pas aujourd’hui l’Europe, s’ils paroissoient
de nouveau sur le théâtre de la guerre.
Metatextualidade
J’ai prévenu le lecteur au commencement de cet
essai que les matieres qu’elles contiendroient seroient
entierement isolées, que chaque discours formeroit un volume
à part ; je vais donc donner aujourd’hui le volume de
l’Opéra. Cependant, je ferai une réflexion préliminaire
tirée des anciens sur le chant.
Metatextualidade
Mais ma tâche ne porte
aujourd’hui que sur le théâtre lyrique.
Citação/Lema
« Il est permis, dit un auteur
Anglois, d’être prodigue à l’excès dans les représentations
d’un Opéra dont le seul but est de plaire aux sens, et de
soutenir l’attention indolente des spectateurs ; avec cela,
le sens commun exige qu’il n’y ait rien de puérile ou
d’absurde dans les décorations ou dans les machines ».
Metatextualidade
Voici l’histoire de notre theatre
lyrique.
Metatextualidade
Pour dire quelque chose qui réponde
à l’utilité morale que je me suis proposé dans chacun de ces
discours, il faudroit, si j’ose m’exprimer ainsi, renverser
la machine musicale de ce théâtre, pour remettre chaque
piece à sa place, afin de rétablir sur ce théâtre, le
systême de la nature dont il s’est écarté.
Exemplo
Les angloises furent les
dernieres en Europe qui oserent se montrer sur la scene, pas
même dans la tragédie où a <sic> besoin de femmes pour
faire sentir la délicatesse des sentimens du cœur ; tant les
Bretonnes avoient pour principes, que la modestie est la
premiere vertu du sexe. Sous le regne de Charles II, on
habilloit les jeunes garçons en femmes pour leur faire
représenter les rôles de reine dans les pieces du grand
Sakespéar. Un jour que ce prince étoit arrivé au théâtre de
Drurilem, à l’heure marquée pour y voir représenter une
tragédie, il fut étonné qu’on ne tirât pas la toile, au
moment de son arrivée comme c’étoit l’usage. En ayant fait
demander la raison par un de ses gentilshommes, le directeur
du théâtre parût à la porte de sa loge, et lui dit : Sire,
on fait la barbe à la reine ; aussi-tôt qu’on aura fini de
la raser, on commencera la piece. Ce retard du sexe breton,
qui parut le dernier sur la scene, prouve que les Angloises
étoient alors comme elles le sont peut-être aujourd’hui, les
femmes les plus modestes de l’Europe.
Nível 3
Suites des grandes
époques.
Charles-Quint.
Cet empereur passa
pour le plus grand prince de son tems, et peut-être le
fut-il, à l’exception de François Ier., son contemporain et
son émule, parce qu’il se piqua moins de l’être ; car il en
est des souverains comme des particuliers, dont les vertus
sont d’autant plus estimables qu’elles s’exercent dans le
silence et la retraite. On ne connoit point de prince qui
ait eu tant de guerres à faire que Charlemagne. Il avoit
plusieurs usurpations à soutenir, et beaucoup de ses Etats à
défendre ; ce qui devoit précipiter dans le tombeau
plusieurs générations d’individus. La balance de l’Europe
étoit alors entre les mains d’Henri VIII, roi d’Angleterre,
ce prince qui changea une fois de religion, et huit fois de
femmes. L’empereur le courtisa beaucoup pour l’attirer dans
son parti ainsi que le roi de France. L’un et l’autre firent
la cour à son ministre, aussi despote que son maître. On a
beaucoup loué le conseil de Charles pour avoir fait élire
pape, son précepteur Adrien, sans faire attention qu’alors
la chaire de St. Pierre, tenoit plus à l’intrigue qu’à
l’habileté. Mais la politique qui le distingua, fut de
susciter contre la France, ce même Henri VIII dont il avoit
brigué l’alliance. Il passe en Italie d’où il chasse les
François, la chose n’étoit pas difficile ; on ne les aimoit
pas à cause de leur galanterie et leur
intempérance avec les femmes. Il se rend à Gênes, où il fait
un nouveau doge sous la protection impériale. Il détache les
Vénitiens de la France pour les mettre dans son parti, et
tout cela pour affoiblir François Ier, dont il veut être le
vainqueur. Il met tous les princes Italiens dans ses
intérêts ; la négociation n’est pas difficile, il est
puissant, et tous ces petits souverains sont foibles. On a
mis en question si Charles-Quint aspiroit à la monarchie
universelle ; on a fait la même demande à l’égard de Louis
XIV. On ne fait pas attention que la chose est impossible.
Il y a quatorze cent mille soldats qui gardent la république
générale. Un prince quelle que soit sa puissance, risqueroit
perdre ses Etats en voulant se rendre maitre de tous les
autres. Les Romains qui conquirent autrefois le monde, ne
conquerreroient pas aujourd’hui l’Europe, s’ils paroissoient
de nouveau sur le théâtre de la guerre. Francois Ier.
Si les titres de bravoure et de courage contribuoient à la puissance d’un roi, François Ier. eut été le plus puissant de l’Europe ; car il en étoit le premier chevalier. Bayard, surnommé sans peur et sans reproche, le plus beau nom qu’ait jamais porté un chevalier, pouvoit seul lui disputer cette gloire. Le nom de ce prince étoit déjà célebre par la victoire de Murignan ; mais livré à ses plaisirs, plus qu’un prince qui a une grande destinée à remplir, doit l’être, il manquoit souvent d’argent. Il fut obligé de prendre dans Tours, une grande grille d’argent qui pesoit sept mille marcs, dont Louis XI avoit fait entourer le tombeau de St. Martin. Ce Saint, à la vérité n’avoit pas besoin de cette grille ; mais elle lui étoit nécessaire pour payer ses troupes ; cela marquoit un grand dérangement dans ses finances ; et il est rare qu’un prince qui a recours à de pareils expédiens numéraires, n’en manque dans ses desseins politiques. Il aliéna ses domaines, il haussa les tailles, il augmenta les impôts, et créa des charges de juges à prix d’argent ; en un mot, il fit alors ce que font aujourd’hui les rois. François, qui auroit pu acquérir une gloire immortelle, en donnant ses soins à rétablir son empire qui est étayé de toutes parts, passe en Italie où il est fait prisonnier à la bataille de Pavie avec tous les grands de sa cour, et les principaux seigneurs du royaume. On connoit la lettre qu’il écrivit à sa mere, Madame, tout est perdu, hors l’honneur. Mais cet honneur, qui dans le fonds, n’est qu’un nom, ne sauva point la France des malheurs qui accompagnerent sa défaite. Les frontieres se trouverent dégarnies, le trésor sans argent, la consternation dans le royaume, le trouble dans tous les ordres ; la division dans le conseil de la régence ; sans compter les vicissitudes politiques, Henri VIII menaçant d’entrer en France et d’envahir le royaume. Que de maux la perte de cette bataille ne causoit-elle pas ! Voilà pourtant le mal qu’un homme peut faire à vingt millions d’individus ; c’est cependant ce que l’histoire appelle de la gloire des rois. Charles-Quint qui n’avoit pas encore tiré l’épée lorsqu’il avoit gagné cette bataille par ses généraux, retenoit, en prison à Madrid un roi brave et courageaux, et à qui on ne pouvoit reprocher d’autre faute dans ce jour d’action, que d’avoir été malheureux, goûtoit en secret le triste plaisir d’avoir soumis un ennemi dangereux. Cependant par cette arrangement des causes secondes, qui remet souvent chaque chose à sa place, cet événement qui devoit faire naitre de grandes révolutions, n’en causa aucunes. Il se réduisit à une rançon. Il est vrai que Charles-Quint ne tira pas de celui-ci, tout l’avantage qu’il pouvoit en retirer. Il arriva alors ce qui arrive toujours aux princes heureux qui se négligent au moment qu’ils devroient redoubler leurs soins pour achever l’ouvrage de la fortune. Charles, au lieu d’entrer en France, et de descendre en Italie pour finir l’ouvrage de ses généraux, reste oisif en Espagne, et laisse rétablir les affaires de son ennemi. Cependant François Ier, éclaira la France. Il jetta les premiers fondemens de cette littérature qui devoit faire un jour de grands progrès en Europe. Il est vrai que ce siecle n’étoit pas encore venu ; mais c’étoit déjà beaucoup que de le préparer.1(I) Géliot, premier chanteur.