Le Spectateur françois ou le Nouveau Socrate moderne: Préface de l’Éditeur.
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Préface
de
l’Éditeur. Errata.
Page 28, lisez 26. Page 56, lisez 52. Page 134, lisez 232. N°. 11,
au lieu de Chapitre X, lisez Discours XI.
de
l’Éditeur.
Metatextualität
Il y a des livres originaux qui sont
inimitables. Tel est celui du Spectateur Anglois qui parut au
commencement de ce siecle. Il suffit de prononcer les noms
célebres d’Adisson, Richard Stéel et Pope, qui en étoient les
auteurs, pour en faire l’éloge. Outre une littérature immense et
des connoissances profondes, ces beaux génies avoient l’art
d’écrire, qui est le premier talent de l’auteur. Cependant,
comme les meilleurs morceaux de morale sont relatifs, et que
ceux qui sont considérés comme excellens dans un siecle, passent
pour médiocres dans un autre, on peut dire (sans rien diminuer
de la réputation de ces grands hommes), que le
Spectateur Anglois est un beau canevas, dont ces écrivains ont
laissé le soin à la postérité de remplir. Cet ouvrage est plutôt
un texte moral qu’un livre de morale. Personne n’ignore qu’il
fut publié en feuilles volantes, en forme de gazette : or il est
impossible de mettre dans trois ou quatre pages un sujet de
philosophie ou de morale, qui n’entreroit pas souvent dans
plusieurs volumes. Voici d’autres réflexions. La maniere
d’écrire, qui convient à une génération, ne convient pas
toujours à une autre, soit dans la politique, la morale ou le
gouvernement. Si un philosophe anglois vouloit donner aujourd’hi
<sic> le Spectateur à Londres, il se garderoit bien
d’employer les mêmes tableaux dont Richard Stéel se servit pour
peindre les mœurs de son tems. Chaque âge a ses vertus et ses
vices ; c’est à l’esprit philosophique à choisir les
vertus les plus utiles, et les vices les moins dangéreux. Ceci
demande des lumieres et des connoissances profondes. Il est vrai
que les passions des hommes sont toujours les mêmes ; mais les
manieres, les usages et les coutumes sont différentes, et ce
sont celles-ci qui forment les mœurs de chaque génération. Le
Spectateur François, qu’on annonce ici, peindra ceux de notre
tems : chaque vice, chaque défaut, chaque imperfection aura son
miroir particulier, où il se verra dans toute sa difformité :
les passions y seront d’autant plus reconnoissable, que ce
seront celles qui regnent aujourd’hui au milieu de nous. On y
peindra l’homme tel qu’il est, et non pas tel qu’il étoit il y a
un siecle. Richelieu (I1), qui vient de descendre dans le
tombeau, disoit qu’il y avoit une si grande
différence des François qui vivoient à la cour de Louis XV. de
ceux qui vivent aujourd’hui à celle de Louis XVI, qu’il y avoit
six générations differentes. A quelle distance les eût-il donc
placés, s’il eût vécu deux ans de plus ? Il me reste à justifier
l’Auteur sur la publication de son ouvrage sous le titre du
Socrate moderne, dans un tems où on ne lit plus que des feuilles
politiques. Mais il est à présumer qu’il a fait ce choix pour
faire diversion à ce genre de littérature le plus dangereux
qu’on ait imprimé depuis la fondation de la monarchie. Par une
fatalité attachée à la condition de l’homme physique, chacun
porte chez soi ce qu’il lit dans le cabinet des nouvelles, et
autres lieux destinés à la lecture des papiers publics : s’ils
sont écrits sans ordre, sans méthode, sans modération, ceux qui
les parcourent tous les jours en prennent
insensiblement le caractere. S’ils sont scandaleux, ont
<sic> se livre au scandale ; s’ils sont incendieux, on
devient incendiaire. Ceux qui, avec un œil philosophique, ont
suivi les différentes gradations du caractere des Parisiens
depuis trente ans, se seront sans doute apperçus que la société
civile de cette capitale, qui étoit autrefois la plus douce, la
plus aimable, la plus traitable, et peut-être la plus humaine
qui ait jamais existé sous la voûte du ciel, a dégénéré au point
de ne plus être reconnoissable. Ce fut dans les mêmes
circonstances, ou pour mieux dire, dans le feu d’une guerre
étrangere qui désoloit l’Angleterre, que le célebre Adisson
donna son Spectateur. Ce grand philosophe savoit qu’il y a des
cas où il faut faire diversion aux calamités publiques. Tous
ceux qui ont lu ce livre, savent qu’il fit un grand nombre de
prosélites en morale. Vingt mille Anglois, qui avant
cet ouvrage dévoroient les feuilles politiques, quitterent ces
papiers qui ne leur apprenoient rien, pour lire le Spectateur
qui leur apprenoit quelque chose. Il seroit à souhaiter pour le
bonheur de la république, que le Spectateur François à Paris eût
le même succès que le Spectateur Anglois eut à Londres. On
auroit alors plus d’obligation à sa livre qa’à <sic>
celles qui ont paru jusqu’ici, et qui n’ont eu d’autre effet que
de jetter le trouble et la confusion par-tout.
1(I) Richelieu vivoit du tems de Louis XIV.