Zitiervorschlag: Jacques-Vincent Delacroix (Hrsg.): "Préface de l’Éditeur.", in: Le Spectateur françois ou le Nouveau Socrate moderne, Vol.1\000c (1790), S. 3-8, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4408 [aufgerufen am: ].


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Préface
de
l’Éditeur.

Metatextualität► Il y a des livres originaux qui sont inimitables. Tel est celui du Spectateur Anglois qui parut au commencement de ce siecle. Il suffit de prononcer les noms célebres d’Adisson, Richard Stéel et Pope, qui en étoient les auteurs, pour en faire l’éloge. Outre une littérature immense et des connoissances profondes, ces beaux génies avoient l’art d’écrire, qui est le premier talent de l’auteur.

Cependant, comme les meilleurs morceaux de morale sont relatifs, et que ceux qui sont considérés comme excellens dans un siecle, passent pour médiocres dans un autre, on peut dire (sans rien diminuer de la réputation de ces grands hommes), que le [4] Spectateur Anglois est un beau canevas, dont ces écrivains ont laissé le soin à la postérité de remplir.

Cet ouvrage est plutôt un texte moral qu’un livre de morale. Personne n’ignore qu’il fut publié en feuilles volantes, en forme de gazette : or il est impossible de mettre dans trois ou quatre pages un sujet de philosophie ou de morale, qui n’entreroit pas souvent dans plusieurs volumes.

Voici d’autres réflexions. La maniere d’écrire, qui convient à une génération, ne convient pas toujours à une autre, soit dans la politique, la morale ou le gouvernement. Si un philosophe anglois vouloit donner aujourd’hi <sic> le Spectateur à Londres, il se garderoit bien d’employer les mêmes tableaux dont Richard Stéel se servit pour peindre les mœurs de son tems.

Chaque âge a ses vertus et ses vices ; c’est à l’esprit philosophique à choisir [5] les vertus les plus utiles, et les vices les moins dangéreux. Ceci demande des lumieres et des connoissances profondes. Il est vrai que les passions des hommes sont toujours les mêmes ; mais les manieres, les usages et les coutumes sont différentes, et ce sont celles-ci qui forment les mœurs de chaque génération.

Le Spectateur François, qu’on annonce ici, peindra ceux de notre tems : chaque vice, chaque défaut, chaque imperfection aura son miroir particulier, où il se verra dans toute sa difformité : les passions y seront d’autant plus reconnoissable, que ce seront celles qui regnent aujourd’hui au milieu de nous. On y peindra l’homme tel qu’il est, et non pas tel qu’il étoit il y a un siecle.

Richelieu (I1 ), qui vient de descendre dans le tombeau, disoit qu’il y avoit [6] une si grande différence des François qui vivoient à la cour de Louis XV. de ceux qui vivent aujourd’hui à celle de Louis XVI, qu’il y avoit six générations differentes. A quelle distance les eût-il donc placés, s’il eût vécu deux ans de plus ?

Il me reste à justifier l’Auteur sur la publication de son ouvrage sous le titre du Socrate moderne, dans un tems où on ne lit plus que des feuilles politiques. Mais il est à présumer qu’il a fait ce choix pour faire diversion à ce genre de littérature le plus dangereux qu’on ait imprimé depuis la fondation de la monarchie.

Par une fatalité attachée à la condition de l’homme physique, chacun porte chez soi ce qu’il lit dans le cabinet des nouvelles, et autres lieux destinés à la lecture des papiers publics : s’ils sont écrits sans ordre, sans méthode, sans modération, ceux qui les parcourent [7] tous les jours en prennent insensiblement le caractere. S’ils sont scandaleux, ont <sic> se livre au scandale ; s’ils sont incendieux, on devient incendiaire.

Ceux qui, avec un œil philosophique, ont suivi les différentes gradations du caractere des Parisiens depuis trente ans, se seront sans doute apperçus que la société civile de cette capitale, qui étoit autrefois la plus douce, la plus aimable, la plus traitable, et peut-être la plus humaine qui ait jamais existé sous la voûte du ciel, a dégénéré au point de ne plus être reconnoissable.

Ce fut dans les mêmes circonstances, ou pour mieux dire, dans le feu d’une guerre étrangere qui désoloit l’Angleterre, que le célebre Adisson donna son Spectateur. Ce grand philosophe savoit qu’il y a des cas où il faut faire diversion aux calamités publiques. Tous ceux qui ont lu ce livre, savent qu’il fit un grand nombre de prosélites en morale. [8] Vingt mille Anglois, qui avant cet ouvrage dévoroient les feuilles politiques, quitterent ces papiers qui ne leur apprenoient rien, pour lire le Spectateur qui leur apprenoit quelque chose.

Il seroit à souhaiter pour le bonheur de la république, que le Spectateur François à Paris eût le même succès que le Spectateur Anglois eut à Londres. On auroit alors plus d’obligation à sa livre qa’à <sic> celles qui ont paru jusqu’ici, et qui n’ont eu d’autre effet que de jetter le trouble et la confusion par-tout. ◀Metatextualität

Errata.

Page 28, lisez 26.

Page 56, lisez 52.

Page 134, lisez 232.

N°. 11, au lieu de Chapitre X, lisez Discours XI. ◀Ebene 1

1(I) Richelieu vivoit du tems de Louis XIV.