Le Mentor moderne: Discours CXLVI.
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Ebene 1
Discours CXLVI.
Fin du Tome
troisiéme.
Zitat/Motto
Quique sui memores alios fecere
merendo.
Virg.
Des gens, qui par leurs bonnes actions se perpetuent dans la mémoire des hommes.Ebene 2
On ne sauroit douter que le
Christianisme n’eut donné une élevation & une force
extraordinaire au grand genie de Virgile. Si cette vive lumiere
avoit guidé ses pensées, il est vrai-semblable que dans le Vers
placé à la tête de ce Discours il eut mis le mot similes, au
lieu de Memores. Par là le Caractere d’un homme d’un vrai merite
auroit été exprimé bien plus noblement. Un homme qui par ses
bonnes actions rend les autres hommes semblables à lui, est bien
autrement estimable qu’un homme qui par ses bonnes actions fait
ensorte que les autres hommes se souviennent de lui. On agit par
un motif bien plus beau, & bien plus pur quand on a pour but
de rendre la Posterité meilleure, que lors qu’on ne songe qu’à
se faire estimer d’elle. Celui, qui a pour unique
fin la réputation, tire ses actions les plus belles d’une source
impure, & l’on peut dire que le vice est la baze de toutes
ses vertus. Il court mille fois risque de sacrifier sa
conscience à la crainte de s’attirer le mépris du Public, &
de se jetter de propos déliberé dans des fautes réelles pour
éviter les censures ridicules de l’extravagante multitude ; bien
souvent il souille son ame pour embellir l’idée de son caractere
dans l’esprit des autres ; le motif de rendre les hommes
meilleurs est bien éloigné d’être sujet à de semblables
inconveniens. L’homme, qui le prend pour guide, a sa récompense
dans sa propre main ; on peut le comparer à un Receveur, qui se
paye lui-même sa Pension de l’argent, que son Maître lui confie.
S’il y a eu un exemple de cette vertu desinteressée dans nôtre
Nation, c’est certainement celui qu’a donné M. Boyle, qui a
fondé, pour ainsi dire, un certain nombre de Sermons destinez à
prouver la Vérité de la Religion Chrétienne contre les Athées,
& contre d’autres sortes d’Incredules. Il n’est pas
impossible que le desir d’étendre avantageusement sa mémoire
dans les Siécles à venir ait contribué à le porter à cette
charité sublime ; mais il est très naturel de
croire que ce n’étoit-la qu’un motif subordonné, & qu’il a
songé à rendre les hommes ses Imitateurs plûtôt que ses
Panegyristes. Cette pieuse Institution a déja produit de très
heureux effets. Une noble émulation a engagé plusieurs grands
hommes à penetrer par la reflexion dans l’abîme immense de la
nature & des attributs de la Divinité, & comme il est
très naturel, ils ont eu le bonheur de s’étendre & de
s’aggrandir avec leur sujet, & de laisser loin derriére eux
les autres productions de leur genie. C’est ainsi que le grand
dessein de nôtre excellent Philosophe a été couronné par les
plus grands succès. En fournissant aux plus beaux Esprits de
nôtre Patrie la plus noble occupation, il travaille encore
lui-même après sa mort à faire retentir parmi nous les louanges
de son Créateur ; Spectacle digne de l’attention des Anges
mêmes ! Le Bienfaiteur, & ceux qui jouïssent de ses
bienfaits, different en condition, & en maniere d’exister,
s’unissent dans l’execution du plus noble projet, qui fut jamais
formé par une Créature raisonnable. Ce grand homme employa toute
sa vie à penetrer dans la Nature, mais à y
penetrer uniquement dans la vûë d’y dévoiler par tout celui qui
est le principe de tous les Etres ; il y réussit, & pour en
éterniser sa reconnoissance, il fit ses Héritiers de ceux qui
voudroient bien consacrer leurs talens & leurs connoissances
à la gloire de la Cause premiere. Parmi ceux qui ont
parfaitement bien répondu au but de ce pieux Fondateur, excelle,
selon moi, l’Auteur d’un Ouvrage intitulé la Théologie Physique,
Livre que j’ose recommander à tous ceux, qui n’ont pas fait un
cours régulier de Recherches Philosophiques. Il est composé par
M. Derham Recteur d’Upminster dans la Comté d’Essex. Je ne sai
pas si ce Benefice est considerable, mais si le meilleur de
toute l’Angleterre étoit à ma disposition, je le croirois, en le
lui donnant, au dessous de son merite, sur tout depuis que je
sai de bonne part, que sa vie répond à ses lumieres. Ce qui
contribuë le plus à me donner une haute opinion de cet Auteur,
c’est sa méthode aisée & naturelle, qui rend son Ouvrage
intelligible & agréable, non seulement aux Philosophes, mais
encore à ceux qui ne se sont pas rendu familieres ces sortes de
recherches ; quel charme pour des gens sensez de
trouver des sources inépuisables de plaisir & de
satisfaction dans des objets qui leur deviennent entiérement
nouveaux ? Dans des objets, que pendant tout le cours de leur
vie ils n’ont honorez d’aucun regard capable d’exciter dans
leurs ames des reflexions propres à augmenter leur felicité
& leurs lumieres ? Nôtre excellent Auteur leur fait
commencer une espece de vie nouvelle ; il dévoile devant leur
esprit le merveilleux spectacle de la Nature ; il leur montre
comme du doit toutes les facultez particulieres, qui dans toutes
les especes d’Animaux répondent à leur destination, & les
organes distinguez qui leur sont necessaires, pour leur
conservation & pour celle de leur race ; il fait voir avec
la derniere évidence, que chaque individu vivant est fait exprès
pour le Rôle qu’il a à jouer dans l’Univers ; qu’il soit créé
pour ramper, pour voler, pour sauter, pour marcher, pour nager ;
qu’il doive habiter les entrailles de la Terre, ou le sommet des
Montagnes, les Marais ou les Eaux vives ; qu’il doive heurler
dans les Forêts, ou vivre paisiblement parmi les hommes ; il
nous développe le méchanisme de tout animal depuis le moindre
ver de terre jusqu’à l’homme ; graces à ses
observations curieuses & exactes, tous les ouvrages de la
Nature, qui ne faisoient que nous étonner & nous confondre,
sont devenus pour nous des sources d’admiration & d’amour
pour le Créateur. Celui qui auparavant s’habilloit exprès tous
les jours, & qui couroit toute la Ville, dans le dessein de
ramasser quelque chose pour remplir le vuide de son esprit, peut
desormais se dispenser de cette fatigue ; par le secours de cet
admirable Ouvrage, il n’a que faire de Nouvelles pour se
desennuyer ; l’air seul, qui l’environne, peut fournir une
matiére abondante à ses pensées ; chaque jour il peut
considerer, qu’il va respirer avec tous les autres animaux ce
salutaire mêlange d’air & de vapeurs, qui embrasse nôtre
Globe ; mais il peut considerer en même tems, que de tous les
Etres, qui reçoivent à chaque instant par leurs narines une
nouvelle vie, ou plûtôt de nouveaux delais de la mort, il est le
seul, qui puisse élever ses reflexions jusqu’au Bienfaiteur
commun de l’Univers. Un homme que l’éducation n’a pas formé à
des Contemplations Philosophiques, sera plus
charmé de tant de découvertes absolument neuves, que des plus
heureuses Nouvelles, qui l’ayent jamais réjouï. Il verra que la
chûte des pluyes, & l’agitation, que les Vents causent dans
l’air, lui apportent la santé & la vie ; il considerera la
lumiere avec une joye, qu’il ne sentit jamais, & avec une
espece d’extase raisonnable. De l’Atmosphere, qui entoure nôtre
Globe il sera porté à l’examen de ce Globe même, qu’il verra
divisé en Terre, & en Eau, & rempli d’une varieté &
d’une quantité prodigieuse de tout ce qui est necessaire pour
soûtenir toutes les differentes parties de nôtre Planete.
Absorbé par cette contemplation générale il descendra dans un
détail, qui mettra son esprit plus à l’aise ; il examinera les
differences des Terroirs, des Mineraux, des Plantes, des Fruits,
& avec une satisfaction égale, il visitera les Cavernes, les
Forêts, les Montagnes, & les Vallées. Dès que par le secours
de l’Auteur, il aura connu le séjour qu’il doit habiter, pendant
cette vie, il apprendra de lui la structure des organes, qui
nous ont été donnez, pour nous rendre ce séjour
agréable & commode ; il comprendra que l’oreille est
disposée pour recevoir les sons ; que nos narines sont faites
exprès pour l’odeur, comme la langue pour le goût, & les
yeux pour la vûë, & que les nerfs sont munis d’une
sensibilité heureuse, qui nous fournit des moyens promts &
rapides pour éviter tout ce qui est pernicieux pour nôtre corps.
Tout cet Ouvrage renfermé en quinze Sermons est fini par des
reflexions, qui en appliquent chaque partie au but unique de
l’Auteur, à la gloire de Dieu ; puis qu’il a travaillé pour une
fin si noble, il peut espérer avec confiance, qu’il en sera
récompensé, par une immortalité glorieuse, bien plus desirable,
que l’estime éternelle des foibles Humains.