Zitiervorschlag: Justus Van Effen [Joseph Addison, Richard Steele] (Hrsg.): "Discours CXLVI.", in: Le Mentor moderne, Vol.3\146 (1723), S. 377-384, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4405 [aufgerufen am: ].


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Discours CXLVI.

Zitat/Motto► Quique sui memores alios fecere merendo.

Virg.

Des gens, qui par leurs bonnes actions se perpetuent dans la mémoire des hommes. ◀Zitat/Motto

Ebene 2► On ne sauroit douter que le Christianisme n’eut donné une élevation & une force extraordinaire au grand genie de Virgile. Si cette vive lumiere avoit guidé ses pensées, il est vrai-semblable que dans le Vers placé à la tête de ce Discours il eut mis le mot similes, au lieu de Memores. Par là le Caractere d’un homme d’un vrai merite auroit été exprimé bien plus noblement. Un homme qui par ses bonnes actions rend les autres hommes semblables à lui, est bien autrement estimable qu’un homme qui par ses bonnes actions fait ensorte que les autres hommes se souviennent de lui. On agit par un motif bien plus beau, & bien plus pur quand on a pour but de rendre la Posterité meilleure, que lors qu’on ne songe qu’à se faire estimer d’elle. Celui, qui a pour [378] unique fin la réputation, tire ses actions les plus belles d’une source impure, & l’on peut dire que le vice est la baze de toutes ses vertus. Il court mille fois risque de sacrifier sa conscience à la crainte de s’attirer le mépris du Public, & de se jetter de propos déliberé dans des fautes réelles pour éviter les censures ridicules de l’extravagante multitude ; bien souvent il souille son ame pour embellir l’idée de son caractere dans l’esprit des autres ; le motif de rendre les hommes meilleurs est bien éloigné d’être sujet à de semblables inconveniens. L’homme, qui le prend pour guide, a sa récompense dans sa propre main ; on peut le comparer à un Receveur, qui se paye lui-même sa Pension de l’argent, que son Maître lui confie.

S’il y a eu un exemple de cette vertu desinteressée dans nôtre Nation, c’est certainement celui qu’a donné M. Boyle, qui a fondé, pour ainsi dire, un certain nombre de Sermons destinez à prouver la Vérité de la Religion Chrétienne contre les Athées, & contre d’autres sortes d’Incredules. Il n’est pas impossible que le desir d’étendre avantageusement sa mémoire dans les Siécles à venir ait contribué à le porter à cette charité [379] sublime ; mais il est très naturel de croire que ce n’étoit-la qu’un motif subordonné, & qu’il a songé à rendre les hommes ses Imitateurs plûtôt que ses Panegyristes.

Cette pieuse Institution a déja produit de très heureux effets. Une noble émulation a engagé plusieurs grands hommes à penetrer par la reflexion dans l’abîme immense de la nature & des attributs de la Divinité, & comme il est très naturel, ils ont eu le bonheur de s’étendre & de s’aggrandir avec leur sujet, & de laisser loin derriére eux les autres productions de leur genie. C’est ainsi que le grand dessein de nôtre excellent Philosophe a été couronné par les plus grands succès. En fournissant aux plus beaux Esprits de nôtre Patrie la plus noble occupation, il travaille encore lui-même après sa mort à faire retentir parmi nous les louanges de son Créateur ; Spectacle digne de l’attention des Anges mêmes ! Le Bienfaiteur, & ceux qui jouïssent de ses bienfaits, different en condition, & en maniere d’exister, s’unissent dans l’execution du plus noble projet, qui fut jamais formé par une Créature raisonnable.

Ce grand homme employa toute sa [380] vie à penetrer dans la Nature, mais à y penetrer uniquement dans la vûë d’y dévoiler par tout celui qui est le principe de tous les Etres ; il y réussit, & pour en éterniser sa reconnoissance, il fit ses Héritiers de ceux qui voudroient bien consacrer leurs talens & leurs connoissances à la gloire de la Cause premiere.

Parmi ceux qui ont parfaitement bien répondu au but de ce pieux Fondateur, excelle, selon moi, l’Auteur d’un Ouvrage intitulé la Théologie Physique, Livre que j’ose recommander à tous ceux, qui n’ont pas fait un cours régulier de Recherches Philosophiques. Il est composé par M. Derham Recteur d’Upminster dans la Comté d’Essex. Je ne sai pas si ce Benefice est considerable, mais si le meilleur de toute l’Angleterre étoit à ma disposition, je le croirois, en le lui donnant, au dessous de son merite, sur tout depuis que je sai de bonne part, que sa vie répond à ses lumieres.

Ce qui contribuë le plus à me donner une haute opinion de cet Auteur, c’est sa méthode aisée & naturelle, qui rend son Ouvrage intelligible & agréable, non seulement aux Philosophes, mais encore à ceux qui ne se sont pas rendu familieres ces sortes de recherches ; quel char-[381]me pour des gens sensez de trouver des sources inépuisables de plaisir & de satisfaction dans des objets qui leur deviennent entiérement nouveaux ? Dans des objets, que pendant tout le cours de leur vie ils n’ont honorez d’aucun regard capable d’exciter dans leurs ames des reflexions propres à augmenter leur felicité & leurs lumieres ? Nôtre excellent Auteur leur fait commencer une espece de vie nouvelle ; il dévoile devant leur esprit le merveilleux spectacle de la Nature ; il leur montre comme du doit toutes les facultez particulieres, qui dans toutes les especes d’Animaux répondent à leur destination, & les organes distinguez qui leur sont necessaires, pour leur conservation & pour celle de leur race ; il fait voir avec la derniere évidence, que chaque individu vivant est fait exprès pour le Rôle qu’il a à jouer dans l’Univers ; qu’il soit créé pour ramper, pour voler, pour sauter, pour marcher, pour nager ; qu’il doive habiter les entrailles de la Terre, ou le sommet des Montagnes, les Marais ou les Eaux vives ; qu’il doive heurler dans les Forêts, ou vivre paisiblement parmi les hommes ; il nous développe le méchanisme de tout animal depuis le moindre ver de [382] terre jusqu’à l’homme ; graces à ses observations curieuses & exactes, tous les ouvrages de la Nature, qui ne faisoient que nous étonner & nous confondre, sont devenus pour nous des sources d’admiration & d’amour pour le Créateur.

Celui qui auparavant s’habilloit exprès tous les jours, & qui couroit toute la Ville, dans le dessein de ramasser quelque chose pour remplir le vuide de son esprit, peut desormais se dispenser de cette fatigue ; par le secours de cet admirable Ouvrage, il n’a que faire de Nouvelles pour se desennuyer ; l’air seul, qui l’environne, peut fournir une matiére abondante à ses pensées ; chaque jour il peut considerer, qu’il va respirer avec tous les autres animaux ce salutaire mêlange d’air & de vapeurs, qui embrasse nôtre Globe ; mais il peut considerer en même tems, que de tous les Etres, qui reçoivent à chaque instant par leurs narines une nouvelle vie, ou plûtôt de nouveaux delais de la mort, il est le seul, qui puisse élever ses reflexions jusqu’au Bienfaiteur commun de l’Univers.

Un homme que l’éducation n’a pas formé à des Contemplations Philosophi-[383]ques, sera plus charmé de tant de découvertes absolument neuves, que des plus heureuses Nouvelles, qui l’ayent jamais réjouï. Il verra que la chûte des pluyes, & l’agitation, que les Vents causent dans l’air, lui apportent la santé & la vie ; il considerera la lumiere avec une joye, qu’il ne sentit jamais, & avec une espece d’extase raisonnable.

De l’Atmosphere, qui entoure nôtre Globe il sera porté à l’examen de ce Globe même, qu’il verra divisé en Terre, & en Eau, & rempli d’une varieté & d’une quantité prodigieuse de tout ce qui est necessaire pour soûtenir toutes les differentes parties de nôtre Planete. Absorbé par cette contemplation générale il descendra dans un détail, qui mettra son esprit plus à l’aise ; il examinera les differences des Terroirs, des Mineraux, des Plantes, des Fruits, & avec une satisfaction égale, il visitera les Cavernes, les Forêts, les Montagnes, & les Vallées. Dès que par le secours de l’Auteur, il aura connu le séjour qu’il doit habiter, pendant cette vie, il apprendra de lui la structure des organes, qui nous ont été donnez, pour nous ren-[384]dre ce séjour agréable & commode ; il comprendra que l’oreille est disposée pour recevoir les sons ; que nos narines sont faites exprès pour l’odeur, comme la langue pour le goût, & les yeux pour la vûë, & que les nerfs sont munis d’une sensibilité heureuse, qui nous fournit des moyens promts & rapides pour éviter tout ce qui est pernicieux pour nôtre corps.

Tout cet Ouvrage renfermé en quinze Sermons est fini par des reflexions, qui en appliquent chaque partie au but unique de l’Auteur, à la gloire de Dieu ; puis qu’il a travaillé pour une fin si noble, il peut espérer avec confiance, qu’il en sera récompensé, par une immortalité glorieuse, bien plus desirable, que l’estime éternelle des foibles Humains. ◀Ebene 2

Fin du Tome troisiéme. ◀Ebene 1