Zitiervorschlag: Justus Van Effen [Joseph Addison, Richard Steele] (Hrsg.): "Discours CXLIV.", in: Le Mentor moderne, Vol.3\144 (1723), S. 357-364, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4403 [aufgerufen am: ].


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Discours CXLIV.

Zitat/Motto► Nos canimus sylvas, Sylvæ sunt consule dignæ.

Virg.

Chantons les lieux champetres ; jadis ils firent les délices des plus illustres Romains. ◀Zitat/Motto

Ebene 2► Il y a quelque tems, que je menois à ma maison de campagne un de mes amis, homme d’un très bon goût, pour ce qui regarde l’Architecture, & le Jardinage. Je craignois fort que ma petite retraite ne fut très peu capable de fournir le moindre agrément à ce Cavalier, qui a vu tout ce que nôtre Europe à de Palais magnifiques & de jardins enchantez ; quel agreable surprise pour moi ! de lui entendre déclarer quil <sic> dé-[358]couvroit dans ma petite terre cette sorte de beauté, qu’il trouvoit à redire dans la plûpart des maisons de campagne, qui ornent nôtre Isle. Pour me dépeindre cet agrément particulier qu’il trouvoit chez moi il se servit de ces vers de Martial.

Ebene 3► Zitat/Motto► Bajana nostri, Basse, Faustini

Non otiosis ordinata Myrtetis,
Viduaque Platano, tensilique Buxeto,
Ingrata lati spatia detinet campi ;
Sed rure vero barbaroque lætatur.

La Terre, cher Bassus, de nôtre ami Faustin

N’est pas un régulier jardin
Ou les Myrtes oisifs, la Platane inutile
Ne donnent qu’une ombre sterile ;
La Nature en a banni l’art ;
Une ennuieuse symetrie
Effet d’une seche industrie
Ne vaut pas un heureux hazard. ◀Zitat/Motto ◀Ebene 3

Certainement il y a dans la simplicité de la nature quelque chose, qui répand dans l’ame une espece de tranquillité plus satisfaisante, & des sensations plus delicieuses, que celles, qui peuvent être excitées, par tous les ornemens recherchez.

C’étoit la le goût des anciens, comme il est aisé de le voir dans deux des-[359]criptions d’un Jardin parfait, tracées par les deux plus beaux Genies de l’Antiquité ; qui se sont distinguez sur tout par la connoissance, & par la noble imitation de la Nature. L’un de ces grands hommes est Virgile, l’autre Homere ; le dernier nous donne le tableau du Jardin d’Alcinous, & comme, selon moi, c’est le plus beau plan, qu’on puisse imaginer dans ce genre, je ferai de mon mieux, pour en donner ici une traduction, aussi naturelle, qu’il me sera possible.

Ebene 3► Zitat/Motto► Au pied de ce Palais commode & gracieux,

A l’abri de Borde un Jardin spacieux
De sa beauté naive enchante nôtre vûë ;
Quatre arpens de terrain en bornent l’Etenduë.
Des Myrthes toûjours verts delices de l’Amour,
Par une haye epaisse en forment le contour.
Les arbres jusqu’aux Cieux étendent leur verdure,
Ici l’Or embellit la pomme deja meure ;
La, la figure bleuatre etalée à nos yeux
Promet à nôtre goût un jus delicieux.
La Grenade autre part brule sous le feuillage,
Et la Poire entassée affaisse le branchage,
Les soufles éternels d’officieux Séphirs
Contraignent chaque plante a combler nos désirs.
A la figue succede une figue plus noire
[360] A la Pomme la Pomme, & la Poire à la Poire,
Une même saison en même tems produit
La verdure, la fleur, le bouton, & le fruit.

L’on voit près du verger mille vignes fertiles

Dans un ordre charmant s’étendre en plusieurs files.
Varieté riante ! ce vers le Soleil
Le raisin transparent devient deja vermeil.
Plus loin il offre aux yeux la Pourpre la plus vive ;
La, l’on ne voit que fleurs sur la branche tardive.
De toutes les saisons les travaux rassemblez
Occupent à l’envi les vignerons zelez ;
Des présens de
Bacchus l’un decharge la treille
L’autre au Soleil ardent pend la grappe vermeille
Et d’autres au pressoir écrasant le raisin
Font sous leurs pieds nerveux couler des flots de vin,
Tandis qu’en d’autres lieux plus d’une main habile
Retranche des sarmens tout le bois inutile
Et par la renvoyant tout le suc dans les troncs.
Le force à ne couler qu’en des rameaux féconds.

Dans un espace à part mille especes d’herbages

Font du terroir fécond d’agreables partages,

Au bout de ce Jardin deux pures sources d’eau

[361] Tombent sur le gravier du sommet d’un coteau,
L’une par cent détours dans ces lieux serpentante
Humecte le terroir, & nourrit chaque plante,
Par des tuyaux conduite au dessous du palais
L’autre court se prester aux besoins des sujets. ◀Zitat/Motto ◀Ebene 3

Le Chevalier Temple remarque, que cette description contient tout ce qui peut rendre un jardin agreable & utile. Celui d’Alcinous avoit quatre arpens d’étenduë, ce qui dans ce siecle ami de la simplicité étoit plus que suffisant pour un Monarque même ; une Haye verte suffisoit pour le defendre, & il étoit au pied du Palais pour offrir des plaisirs aisez à la Famille Royale.

Les arbres y suivoient leur pente naturelle & se poussoient dans les airs aussi haut que la fertilité du terroir pouvoit les perter ; ces Sephirs éternels, qui forcent les Plantes à combler tous les desirs du maitre, dépeignent par une image très poëtique, la succession des fruits, sur les mêmes arbres, soûtenuë pendant tout le cours de l’année.

Le poëte semble donner un compartiment à part aux vignes, aussi bien qu’aux legumes, que l’ordre de sa des-[362]cription paroit placer au bout de tout le terrain, tout de même comme nous en usons à l’égard de nos Jardins potagers.

La disposition des deux sources, est encore très remarquable ; elles se répandent d’une hauteur dans l’enclos même. L’une coulant dans differens canaux sert à arroser toutes les parties du Jardin ; l’autre, conduite par un aqueduc par dessous le palais, se jette dans la ville pour l’utilité du peuple.

Combien nôtre jardinage moderne ne s’éloigne-t-il pas de cette noble simplicité des Anciens ; nous nous faisons une étude serieuse d’étouffer la nature, en donnant à nos arbres, par le moyen des ciseaux, les figures les plus régulieres ; ce n’est pas tout nous faisons sur les plantes des entreprises monstrueuses, qui sont au dessus de la portée de l’art même. Nous voulons donner aux arbres un air de Sculpture, & nous aimons mieux leur menager la ressemblance la plus imparfaite & la plus grossiere de la figure humaine, que de leur permettre d’étaler à nos yeux leur perfection naturelle.

On a observé d’une maniere très judicieuse, que ceux qui ont du genie, [363] & qui sont les plus capables de connoître l’art, sont précisement ceux qui sont les plus charmez de la nature ; la raison en est claire ; c’est qu’ils comprennent parfaitement, que tout l’art veritable ne consiste que dans l’imitation de la Nature ; le Peuple, au contraire, la populace morale se plait particulierement à certaines petites delicatesses de l’art, où l’imagination semble le plus dominer ; ce qui est le moins naturel lui paroit toûjours le plus beau. Un Bourgeois de Londres ne se voit pas plûtôt proprietaire d’une couple d’Ifs qu’il ne forme le projet flatteur d’en faire deux geants Monstrueux. Je connois un Rotisseur, qui a fait fortune, qui a executé une invention parfaitement heureuse dans ce goût. Le principal embellissement de sa maison de campagne est une representation fleurissante du Festin, qu’on donne dans la sale de Westmunster, le jour du couronnement de nos Rois ; à un des côtez de la table on voit le Champion à cheval, tout couvert d’armes vertes, & à l’opposite on découvre la Reine avec ses habits royaux, qui acquierent toutes les années plus d’étendue & de magnificence.

[364] Je say une trouvaille admirable pour mes compatriottes, qui sont de ce gout rafiné ; un Jardinier très habile, une espece de Virtuoso s’est addressé à moi, pour avertir le public, qu’il a resolu de faire une vente publique d’un grand nombre d’Arbres Sculpturez, qu’il croit très propres à orner les Jardins polis, & à les distinguer des terres rustiques des Campagnards. Dans la liste, qu’il m’a communiquée, on voit Adam & Eve, la Tour de Babel, St. George avec le Dragon, la Reine Elisabeth, des Geans, des Poëtes modernes, L’arche de Noé, &c. Le tout caracterisé par la verdure qui compose chaque piece.

Au reste mon Correspondant efface l’art de tous ses predecesseurs ; il fait des Tableaux, où l’on voit des Familles entieres, Pere, Mere, Enfans, domestiques ; comme c’est un Puritain qui ne parle que le langage de Canaan, il ne manque jamais de prononcer devant tous ceux qui viennent voir les curiositez de de <sic> son Jardin, le passage d’un Pseaume ; ta Femme sera comme la vigne fertille & tes Enfans comme des rejettons d’Olivier autour de ta table. ◀Ebene 2 ◀Ebene 1