Le Mentor moderne: Discours CXLII.
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Discours CXLII.
Zitat/Motto
Fuit ista quondam in hac Republica
Virtus, ut viri fortes acrioribus suppliciis Civem
perniciosum, quam acerbissimum hostem coërcerent.
C’étoit autrefois une coûtume excellente dans nôtre République
de punir plus sévérement un Citoyen pernicieux, que l’Ennemi le
plus acharné.
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La bravoure & le succès, avec
lesquels j’ai attaqué les longues Brettes m’ont attiré je ne sai
combien de Lettres de félicitation de la part de tous les
Maîtres de nos plus fameux Caffez. Ils me disent, qu’au lieu,
qu’auparavant toutes leurs Chambres étoient trop petites, leurs
Chalands y ont à present leurs coudées franches, & peuvent
passer d’une table à l’autre sans aucun obstacle considerable.
D’autres honnêtes gens me congratulent encore sur le bonheur,
que j’ai eu, d’élargir toutes nos petites ruës, & de
débarrasser le Cours & toutes les Promenades publiques. Mais
ce qui me satisfait le plus, ce sont les Billets doux, que m’ont
écrits les personnes les plus aimables d’entre le
Beau Sexe ; elles me remercient, de la maniere du monde la plus
obligeante, de leur avoir épargné une bonne somme par an, que
pendant long-tems elles ont été obligées d’employer à la
reparation de leurs falbalas & de leurs Jupes de Baleine
exposées aux continuelles attaques de la garde & de la
pointe. Un Espion habile, à qui j’avois donné ordre d’aller
reconnoître l’Ennemi, & de m’informer de ses desseins les
plus secrets, vient de mettre le comble à ma joye, en m’assurant
que toute la Ligne terrible est battue à plate couture, &
que la déroute de ces Bâtards de Mars est générale. Je suis
pourtant informé, par le canal de mon Lion, qu’un petit nombre
d’Epées enormes subsiste encore dans la Ville ; mais par bonheur
on ne les voit guéres que dans les Brelans, & dans ces
réduits obscurs qui servent de Chapelles à Venus la Saloppe.
Ce Cavalier se trouvant
par hazard dans un même Cabaret, avec un fameux
Membre de nôtre Bande de Gladiateurs, fut pris par ce Champion,
à son habillement, & à son air, pour un brave homme de la
même profession. Ce rude Joueur, qui craignoit apparemment que
la vigueur de son bras ne se perdit dans le repos, s’avança d’un
aire déterminé vers nôtre Capitaine de la Bande terrible, &
l’invite à haute voix à se battre avec lui sur le theatre
ordinaire avec les armes accoûtumées ; mon Ennemi fut assommé
par ce défi comme par un coup de massuë ; il trouva cet affront
tellement insupportable pour un homme de sa naissance, qu’il se
déroba à la Compagnie, la confusion peinte sur le visage, &
qu’on ne l’a pas revû depuis dans aucun des lieux, qu’il
frequentoit auparavant. Comme rien n’est fait en vain, & que
les Plantes & les Animaux, quelques inutiles, quelques
pernicieux même, qu’ils paroissent, ne laissent pas de servir à
quelque chose, il est certain qu’on peut tirer quelque usage de
nos hommes terribles, & qu’il y a des moyens pour les faire
figurer dans le grand monde. Ces moyens m’ont été découverts par
un étranger de mes Amis, qui reside à Londres
pour avoir soin des affaires les moins importantes de plusieurs
Souverains. Il m’a dit que les Guerres continuelles, qui
ravagent nôtre Europe, ont tellement débarassé les Cantons
Suisses de leurs Sujets superflus, qu’il est presque impossible
desormais d’en trouver pour garder l’entrée des Cours, & des
Hôtels ; mais il s’est mis dans l’esprit, qu’on pourroit les
remplacer, en choisissant ici les mieux faits d’entre le grand
nombre de gens à longue Brette, que je viens de chasser des
ruës, & de tous les lieux publics, excepté de ceux qui sont
hors de la sphere de mes soins. Dans cette idée il a résolu de
publier bien-tôt un Avertissement, dont il croit pouvoir tirer
de grands avantages, & qui sera conçû à peu près dans les
termes, que voici :
Puisque ce dessein ne m’a pas été confié comme un secret,
je crois rendre un service important à ceux, qui en sont les
objets, de le leur communiquer, afin que se préparant de leur
mieux à la destinée qu’on leur prépare, & pour laquelle ils
paroissent nez, ils ayent soin de changer leur levre superieure
d’une belle paire de moustaches bien garnies ; je suis persuadé
c’est là tout ce qui leur manque pour s’acquiter bien de
l’Emploi d’un véritable Suisse.
Metatextualität
Je ne saurois m’empêcher de
régaler ici mes Lecteurs d’une Avanture qui est arrivée il y
a quelques jours à mon spirituel Antagoniste, dont on a vû
dans un de mes Discours un Billet adressé à moi, & tout
rempli de menaces burlesques.
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Zitat/Motto
Si quelques personnes de belle
taille, & d’un air fier, tant Membres de la Coterie
des redoutables, qu’autres dignes d’en être, cherchent
des moyens sûrs pour déployer leurs talens & pour
satisfaire leur unique ambition, ils n’ont qu’à me venir
trouver chez moi, en compagnie de leurs grandes épées.
Ils y seront fournis de Baudriers, de grands Chapeaux,
de Plumets rouges, & de Hallebardes,
afin d’être transportez dans differentes Cours, ou
placez chez les plus grands Seigneurs de l’Europe, où
ils pourront, sans courir le moindre danger, & sans
qu’il leur en coûte un sol, manger, boire, &
effrayer les honnêtes gens.
Lettre.
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Brief/Leserbrief
Monsieur, Il y a déja
long-tems que j’attends avec impatience l’Erection de la
Licorne, que vous avez promise au Beau-Sexe ; mais puis
qu’elle ne vient pas, il faut bien que je me serve d’une
autre voye, pour vous communiquer mes
pensées, & si je l’ose dire mes conseils ; par
malheur pour les grandes gorges l’Hyver approche à
grands pas ; mais, dites-moi, je vous en conjure, si la
rigueur de cette Saison est moins à craindre pour les
hommes, qui paroissent vouloir devenir de vrais Adamites
en se débraillant jusqu’à la ceinture dans le tems le
plus froid. Je vous avouë, Monsieur, que je me persuade
fortement qu’il n’y a que cette coûtume, qui nous a
portées, par un principe d’émulation, à donner une si
grande étendue à nos gorges. Croyez moi, Monsieur, ces
fouilles veloutées, que vous avez destinées à
l’habillement des Vieilles, seroient excellentes pour
couvrir l’estomac des petits Maîtres. Faites en sorte
qu’ils s’en servent, si vous voulez emprisonner de
nouveau les charmes de nôtre sein dans un tour de
gorge ; tant que les hommes se feront un honneur
d’exposer leurs vilaines poitrines aux yeux de tout le
monde, vous auriez mauvaise grace de nous empêcher
d’étaler des seins de neige & d’albatre ; je sai
bien que nous sommes le Sexe le moins vigoureux, mais
vous m’avouerez bien aussi, que nous sommes le Sexe le
plus beau, & que le Spectacle qu’ils donnent au Public n’est pas si agréable, que celui
que nous lui prodiguons, quoi que bien souvent aux
dépens de nôtre santé.