Cita bibliográfica: Justus Van Effen [Joseph Addison, Richard Steele] (Ed.): "Discours CXXXIV.", en: Le Mentor moderne, Vol.3\134 (1723), pp. 273-279, editado en: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Ed.): Los "Spectators" en el contexto internacional. Edición digital, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4393 [consultado el: ].


Nivel 1►

Discours CXXXIV.

Cita/Lema► Incoctum generoso pectus honesto.

Pers.

Un Cœur tout penetré du genereux amour de la gloire. ◀Cita/Lema

Nivel 2► Il est bon, selon moi, d’appuyer, & de soûtenir autant qu’il est possible, tout principe qui est propre à mener l’Homme à des Actions louables & utiles à la Societé. La nature des Humains est si differente, que les mêmes motifs sont fort éloignez de faire les mêmes impressions sur chaque individu de notre espece ; l’amour de l’honneur, & le desir de s’attirer l’estime des honnêtes gens, font dans l’un, ce qui est produit dans l’autre par un principe de conscience, de devoir, ou de Religion, differens noms, qui expriment la même chose.

L’amour de l’honneur est d’une nature si delicate qu’on ne le trouve que [274] dans les ames qui sont naturellement genereuses, & dans celles, qui ont été élevées & aggrandies par de beaux exemples, & par une éducation bien conduite ; ce sera là aujourd’hui le sujet de mes reflexions, que je destine principalement à ceux, qui doivent être naturellement animez par ce noble motif.

Mais comme il n’y a rien de plus pernicieux, qu’un principe de conduite, duquel on n’entend pas la nature, je considererai l’honneur avec relation à trois sortes de gens. Ce sont ceux qui en ont une juste idée ; ceux qui n’en comprennent pas la veritable essence, & enfin ceux, qui le traitent de chimere, & qui le tournent en ridicule.

C’est d’abord à ceci qu’on reconnoît le veritable honneur, que, bien que ce soit un principe different de la Religion, il produit pourtant exactement les mêmes effets ; ces effets sont comme deux lignes d’actions, pour ainsi dire, qui tirées de differens côtez se terminent dans le même point. La Religion embrasse la vertu, parce que la pratique nous en est ordonnée par la Loi de Dieu ; l’honneur s’y attache, parce qu’elle ajoûte de la dignité & de l’ex-[275]cellence à la Nature humaine ; l’Homme Religieux craint de commettre un crime, l’Homme d’Honneur dédaigne de faire une mauvaise action ; celui-ci considere le vice comme au dessous de lui, celui-là comme irregularité qui déplaît à l’Etre Suprême. L’un le regarde comme bas, & l’autre comme défendu ; c’est le Caractere d’Homme d’honneur que Seneque revêt, lors qu’il déclare, que quand il n’y auroit point de Dieu Vangeur du crime, il ne voudroit pas s’y livrer, parce que rien n’est, par sa nature, plus vil, plus lâche, & plus infame.

Voici la noble description que nôtre Caton Britannique fait du veritable honneur.

Nivel 3► Cita/Lema► L’honneur est un lieu sacré, la Loi des Souverains, la perfection distinctive d’une grande ame ; là où il rencontre la vertu, il lui donne de l’ornement & de la force, & il l’imite là où elle n’est point, c’est une heureuse disposition, que la raison doit mettre à l’abri de la raillerie. ◀Cita/Lema ◀Nivel 3

Il s’agit de considerer en second lieu, ceux qui ont une fausse notion de l’honneur ; ce sont ces gens, qui se font un point d’honneur de ce qui est contraire aux Loix de Dieu, ou à celles [276] de leur Patrie ; ils croyent plus glorieux de vanger un affront, que de le pardonner ; ils ne se font point une affaire de dire un mensonge, & ils sont capables de donner la mort à celui qui les en accuseroit ; ils aiment mieux conserver leur réputation par leur courage, que par leur vertu. Je conviens que la veritable valeur, la veritable force d’esprit est tellement convenable à la Nature humaine, que celui, à qui cette qualité manque, merite à peine le nom d’homme ; malheureusement on trouve un grand nombre de personnes, qui abusent tellement de cette verité mal entenduë, qu’ils placent toute l’essence de l’honneur dans une espece de brutalité ; c’est graces à cette fausse Idée, que certaines gens parmi nous se donnent hardiment le titre de gens d’honneur, quoi que leur conduite soit si abominable, qu’ils deshonoreroient, pour ainsi dire, une Potence.

Rien n’est plus nécessaire, que de rectifier cette notion ; le vrai honneur, comme je l’ai déja dit, tend, comme la Religion, à un but veritablement honnête & vertueux ; il faut par conséquent rayer de la liste des gens d’honneur, celui qui sacrifie, à la mode, & [277] à la vogue, quelque devoir de la créature raisonnable ; celui qui ose considerer comme honorable, une action qui déplaît à son Créateur, & qui est pernicieuse pour la Societé ; enfin celui, qui par un principe d’honneur se croit obligé de pratiquer certaines vertus, & d’en négliger certaines autres.

Retrato ajeno► Toute la vie de Timogene a été un exemple frappant des illusions du faux honneur ; il étoit homme à applaudir aux railleries d’un Libertin, qui osoit insulter à son Créateur, & à appeler en duel ceux, qui avoient l’audace de dire le moindre mal d’un de ses Amis. Il auroit mieux aimé mourir, que de trahir la confidence de quelqu’un, quoi qu’il eût sû que ce secret découvert eût garanti sa Patrie d’une ruine inévitable. Timogene a arraché la vie à un jeune homme, pour avoir parlé en termes peu ménagez de Bélinde, que dans sa jeunesse il avoit séduite lui-même, & qui par la perfidie de cet homme d’honneur, languissoit dans la disette & dans l’infamie. Pour donner le dernier coup de pinceau à son Portrait, Timogene, qui avoit ruiné plusieurs pauvres familles, vendit à la fin tous ses Biens, pour satisfaire ses Créanciers ; mais confor-[278]mement à son caractere d’honnête Homme par excellence, il employa tout l’argent qu’il put tirer de l’Heritage de ses Peres, à payer ses dettes du Jeu, ou, pour m’exprimer dans son stile, ses dettes d’honneur. ◀Retrato ajeno

Il faut qu’en troisiéme lieu je fasse quelques reflexions sur ceux, qui traitent l’honneur de chimere, & qui font tous leurs efforts pour le tourner en ridicule. Des gens, qui font profession de bannir l’honneur de leur raison, & de leur conduite, sont dans un état plus desesperé, que ceux, qui se trompent sur l’idée de l’honneur ; c’est ainsi qu’on peut plûtôt esperer la conversion d’un Heretique que d’un Athée. Ces ames de bouë considerent l’honneur comme une brillante fantaisie, qui détourne du veritable but de jeunes gens sans experience, & qui, pendant qu’ils courent après des ombres, les jettent dans de veritables malheurs ; ce sont d’ordinaire des personnes usées dans les affaires du monde ; leur imagination & leur cœur ont contracté une espece de Callus ; ils ont perdu le goût de certains sentimens delicats, qui remuent d’une maniere si delicieuse les ames innocentes. Ces Vieillards dépravez se sont tellement [279] accoûtumez à ne faire attention qu’à un intérêt grossier, qu’ils ont perdu de vûë les satisfactions interieures de l’ame, le plus noble intérêt d’une Créature raisonnable ; ils traitent de ridicule & de romanesque tous les sentimens, qui pourroient les traverser dans la route de la Grandeur, ou de la Fortune, & ils prodiguent le titre de Visionaire à tous ceux, qui dans ce Siécle corrompu soûtiennent les droits d’un intérêt delicat & sublime. Les gens, que j’ai ici en vûë, ont fort souvent des talens, des lumiéres acquises par l’experience, & des vûës, qui les recommandent aux Chefs des Factions ; quelque ruineuses, que ces ames basses connoissent ces Factions pour leur Patrie, ils manquent rarement de les soûtenir, pourvû qu’elles leur offrent une perspective d’avantages particuliers. Mais cette conduite a beau les mener aux Dignitez & aux Tresors, ils peuvent compter, qu’une tache d’infamie marquera dans les Annales du Païs les noms de tous ceux, qui parviennent au Temple de l’Honneur par une route, opposée à celle de la vertu, & de la grandeur d’ame. ◀Nivel 2 ◀Nivel 1