Zitiervorschlag: Justus Van Effen [Joseph Addison, Richard Steele] (Hrsg.): "Discours CXXXIII.", in: Le Mentor moderne, Vol.3\133 (1723), S. 264-273, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4392 [aufgerufen am: ].


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Discours CXXXIII.

Zitat/Motto► Præsens vel imo tollere de gradu
Mortale corpus, vel superbos
Vertere funeribus triumphos.

La Fortune sait élever les hommes de la poussiere au faîte des grandeurs, & traverser les triomphes par des funerailles. ◀Zitat/Motto

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Lettre.

Ebene 3► Brief/Leserbrief► Monsieur,

J’ai lû avec autant de plaisir que d’attention le Discours où vous recommandez l’Etude de la Sagesse, & des Sciences utiles, à celles d’entre le Beau-Sexe qui ont tout le loisir nécessaire pour s’attacher à de pareilles occupations ; puisque vous alleguez comme un des plus puissans motifs, que par ce merite acquis plusieurs Dames se sont élevées à un degré éminent de réputation, & [265] de fortune, vous ne trouverez pas mauvais que je vous en fournisse un exemple sensible. C’est un fait très réel, & qui pourroit être attesté en cas de besoin, par plusieurs personnes dignes de foi.

Ebene 4► Allgemeine Erzählung► Il y a douze ans environ, que je vivois très familiairement avec un Gentilhomme, qui avoit un Emploi, dont le revenu suffisoit pour le faire vivre fort honnêtement. Il avoit une femme, & une fille unique, à l’Education de laquelle il donnoit de très grands soins ; mais, selon moi, il lui faisoit prendre certains airs, qui ne convenoient pas à une personne, qui ne pouvoit s’attendre à d’autre bien, qu’à celui que son Pere pouvoit ramasser pour elle, en épargnant quelque chose de son revenu annuel. Cependant, de la maniere qu’il s’y prenoit, à peine y en avoit-il là assez pour fournir aux dépenses journalieres. Rien n’étoit trop beau, pour Mademoiselle Babet, & à peine lui permettoit-on de frequenter des gens qui ne fussent pas des gens de la premiere distinction ; il ne falloit pas s’étonner par consequent qu’elle devint fiere & hautaine, & qu’elle eût des manieres méprisantes, pour ceux qu’elle consideroit comme ses inferieurs.

[266] Dans le voisinage de mon Ami demeuroit un Barbier, qui avoit une Fille à peu près de l’âge de nôtre jeune Demoiselle, & qui parloit parfaitement bon François. Elle avoit lu plusieurs excellens Livres, à ses heures de loisir, & elle brilloit dans tous les ouvrages qui conviennent à son Sexe ; avec ces talens, elle étoit jolie, modeste, & pleine d’esprit, elle s’attira l’attention de mon Ami, qui la paya, pour venir tous les jours passer quelques heures avec sa Fille, afin de parler François avec elle, & de lui enseigner à travailler. Elle le fit pendant quelque tems, & ne s’en rebuta pas, quoi que notre Demoiselle la traitât avec mépris, & qu’elle rejettât tous ses avis de la maniere la plus dédaigneuse.

Dans ce tems-là plusieurs Cavaliers commencerent à faire leur cour à cette Demoiselle ; elle avoit certainement de l’esprit & de la beauté, & elle auroit pu passer pour une personne d’un grand merite, si sa vanité n’avoit pas avili toutes ces bonnes qualitez. Parmi ses Adorateurs, il y avoit un jeune Cavalier fort uni dans ses manieres, mais parfaitement honnête homme ; il l’aimoit à la fureur, & sa passion devint le [267] sujet des discours de tout le voisinage, où sa Belle n’étoit pas nommée autrement que l’Ange de Monsieur T. . . ., c’étoit-là le titre qu’il lui donnoit d’ordinaire lui-même, quand il entretenoit ses amis de sa violente tendresse pour elle. Comme il avoit des Freres plus âgez que lui, sa fortune étoit fort mediocre, ce qui contribua beaucoup à rendre sa personne & son amour méprisables aux yeux de sa dédaigneuse Maîtresse. Outré de son malheur, il ne s’en laissa pas accabler, & il prit la vigoureuse résolution d’aller servir par Mer, & de travailler en même tems à faire sa fortune, & à oublier son ingrate Maîtresse ; dans ce dessein il se mit à bord d’un Armateur, & il fut tellement heureux dans ces courses, qu’en peu d’années il revint dans le Royaume avec un Capital de douze mille livres st.

Pendant tout ce tems Mademoiselle Babet continuoit à briller dans le grand monde ; se mettant fort peu en peine de cultiver sa raison, elle donnoit tout son tems à des amusemens steriles ; la lecture des Romans & des Comedies étoit son occupation serieuse dont elle se délassoit par la Danse, qu’elle possedoit dans la perfection. Dans le tems [268] qu’elle se livre de cette maniere aux extravagances de sa vanité, tout d’un coup le Ministere change ; & son Pere ayant perdu son Emploi se trouve forcé de quitter Londres, pour ne pas réjouïr ses ennemis par les malheureuses suites de sa chûte. Quelques années après sa retraite j’appris les nouvelles de la mort de ce pauvre Gentilhomme, & du déplorable état où ce nouveau desastre jettoit sa famille. Je fis tous mes efforts pour déterrer la Mere, & la Fille, mais toutes mes recherches furent vaines ; ce qui me fit soupçonner, qu’elles se déroboient par un principe d’orgueil, à la vûë, & aux secours de leurs Amis. Il y avoit plus d’une année, que je n’avois pas entendu parler d’elles, lors qu’allant voir un de mes Amis, je fus introduit dans l’Anti-chambre par une jeune personne très-aimable, qui me frappa d’abord par un air de connoissance ; je crus trouver en elle tous les traits de mon Ami défunt, & mon soupçon se fortifia quand je remarquai que ma presence la faisoit rougir, & qu’elle détournoit ses yeux de moi autant qu’il lui étoit possible. Je crus devoir prendre la liberté de lui parler : Oserois-je vous demander, lui dis-je, si [269] vous n’êtes pas Mademoiselle une telle ? Je vis qu’à ces paroles les larmes lui couloient des yeux, & qu’elle avoit envie de se retirer sans me répondre ; mais je l’arrêtai, & me trouvant obligé d’attendre pendant quelques momens l’Ami, que je venois voir, je voulus saisir cette occasion de satisfaire ma curiosité ; il m’étoit impossible de deviner par ses habits propres, sans être magnifiques, si elle étoit maîtresse de la maison, ou bien si elle y étoit domestique ; mais aimant mieux supposer le premier de ces cas, Je suis ravi, Mademoiselle, lui dis-je, de vous avoir rencontrée si heureusement, & de vous voir maîtresse d’une si belle maison. Ce compliment prononcé, dans le veritable dessein de lui dire quelque chose d’obligeant, fut un coup de poignard pour elle ; il la jetta dans un tel desordre, qu’elle fut longtems avant que de pouvoir s’en remettre, mais ayant retrouvé à la fin l’usage de la parole ; Vous vous trompez, Monsieur, me dit-elle, je ne suis ici que la Servante. Ces tristes paroles furent suivies d’un torrent de larmes accompagnées de sanglots, qui me fendoient le cœur, je fus au desespoir d’être la Cause innocente de son affliction, & je fis tous mes ef-[270]forts pour calmer sa douleur, par mes consolations ; Hélas, Monsieur, me répondit-elle d’un air humilié, je suis cent fois plus heureuse encore, que je ne le merite ; j’ai pour maîtresse la personne du monde la meilleure, & la plus obligeante, vous la connoissez bien, & vous l’avez vûë plusieurs fois, dans la maison de feu mon Pere. Elle est à present Epouse de celui, que vous venez voir.

Pour abreger mon Histoire j’appris, que la malheureuse Fille de mon Ami servoit chez cette même Fille de Barbier, qu’elle avoit traitée autrefois avec une hauteur si impertinente. Le Maître de la maison, où je me trouvois alors, en étoit devenu éperdument amoureux, & se trouvant en état de disposer d’une grosse fortune, il l’avoit épousée ; il ne s’en est point repenti ; il trouve dans sa possession toute la felicité imaginable, & quoi qu’il ait pour elle toute la tendresse, & tous les égards imaginables, il lui est impossible de pousser ses bontez au delà du merite de cette vertueuse Epouse. J’étois charmé de voir, que sa Servante ne tarissoit pas sur ses louanges ; elle me dit encore, qu’après la mort de son Pere elle avoit vécu avec sa Mere, dans la [271] plus affreuse pauvreté, sans vouloir s’abaisser à demander le moindre secours à ceux, qui avoient fait autrefois profession d’être de leurs amis ; mais qu’à la fin elles avoient été découvertes dans leur retraite par cette estimable Dame, qui leur avoit prodigué les marques les plus tendres de sa bonté ; elle avoit perdu à la fin sa Mere, qui pendant sa vie avoit mieux aimé la voir dans la misere, que dans une condition ; & n’étant plus soûtenuë alors, par ce malheureux appui de son orgueil, elle étoit entrée dans la maison de cette Dame, qui la traitoit plûtôt en amie, qu’en domestique.

Je retournai chez moi tout rempli de reflexions sur une avanture si particuliere, & une semaine après je me rencontrai par hazard dans une même compagnie, avec Monsieur T. cet Amant rebuté, dont je vous ai parlé au commencement de ma Lettre ; je lui contai toute l’Histoire de son Ange, ne doutant point qu’il n’en tirât la satisfaction, que d’ordinaire un Amant vindicatif puise dans les malheurs de sa Maîtresse, lesquels il regarde comme la juste punition de sa fierté dédaigneuse. A mesure que je lui communiquois toutes les [272] particularitez du desastre de sa Belle, je le vis, qui se couvroit le visage de la main, & qui sembloit avoir de la peine à respirer. Je crus d’abord que c’étoit un éclat de rire, qu’il s’efforçoit à étouffer, mais en levant la tête, je vis qu’il pleuroit amerement ; après la fin de l’Histoire il fit de son mieux, pour se remettre, & quelques momens après il se retira. A peine quinze jours étoient écoulez depuis cette entrevûë, lors que je reçus de lui le Billet suivant.

Ebene 5► Brief/Leserbrief► Mon cher Monsieur.

Je vous suis infiniment redevable des nouvelles, que vous m’avez données de mon Ange. Je viens de l’épouser, & je croi que le triste état, où je l’ai trouvée réduite, est dans le fond un vrai bonheur pour elle, & pour moi ; son infortune l’a dépouillée de cet excès de vanité, qui étoit la seule chose, qui me choquoit dans son Caractere, & m’a donné une favorable occasion de prouver à ma chere Maîtresse la sincerité & la constance de cet amour, que j’ai osé lui déclarer, lors que à tous [273] égards elle sembloit être au dessus de moi.

Je suis. ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 5 ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 4 ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3 ◀Ebene 2 ◀Ebene 1