Le Mentor moderne: Discours CXXXI.
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Nivel 1
Discours CXXXI.
Cita/Lema
Libelli stoici inter
sericos
Jacere pulvillos amant.
Jacere pulvillos amant.
Hor.
Les livres de morale sont fort bien placez parmi les ouvrages de foye.Nivel 2
Je me suis souvent étonné de ce qu’on
s’obstine à bannir le savoir de l’Education d’une fille de
qualité. Puisque les Femmes ont aussi bien que nous, des ames propres à être enrichies d’utiles
connoissances, par quelle raison ne songe-t-on pas à leur
communiquer ces tresors ? Pourquoi faut-il laisser l’esprit en
friche dans l’une moitié du Genre-Humain, tandis qu’on la
cultive avec tant de soin dans l’autre. Il y a des raisons très
plausibles, qui me font croire, qu’à plusiers egards l’Erudition
est plus du ressort des Femmes, que des hommes. D’abord elles
ont plus de tems de reste que nous & elles menent une vie
plus sedentaire, leurs affaires les retiennent generalement
parlant dans leurs maisons, & elles ne se mêlent point de
ces occupations turbulentes, qui sont incompatibles avec la
tranquillité, que demandent les Etudes. Mylady Lizard, dont on
ne sauroit assez admirer toute la conduite, a meublé, avec ses
Filles, dans l’espace d’un seul Eté, toute une galerie, de
Chaises & de Fauteuils de Tapisserie, & dans le même
tems elle à entendu lire deux fois tous les Sermons de
l’Illustre Docteur Tillotson. C’est une coûtume constante dans
cette maison, qu’une des Filles lit pendant que les autres
travaillent, & c’est ainsi que l’instruction de la Famille
ne nuit jamais à ses Manufactures. J’étois charmé
l’autre jour de les voir toutes occupées à faire des Confitures,
autour de ma chere Brillante, qui assise au milieu de ses Sœurs
lisoit la pluralité des Mondes de M. Fontenelles. Rien n’étoit
plus amusant que de les entendre partager leurs reflexions entre
des Gelées, & des étoiles, & de faire des transitions
d’un Abricot au Soleil, & du Systême de Copernic à une
Marmelade de Coins. Une autre raison, pourquoi les Femmes
devroient se faire une utile provision de Sciences,
préferablement aux hommes, c’est qu’elles ont dans un plus haut
degré, que nous, le don naturel de s’exprimer ; Elles ont un
talent admirable pour trouver sans peine une abondance de termes
propres & expressifs ; n’est-ce pas une pitié, de voir qu’on
ne les forme pas à en faire un heureux usage ? S’il faut que la
langue d’une Femme soit dans un mouvement perpetuel, pourquoi ne
pas faire en sorte, que cette activité soit avantageuse à
elle-même, & aux autres ? Si elles savoient parler comme il
faut, des taches du Soleil, peut-être songeroient-elles moins à
faire des réfléxions malignes sur les taches, qu’elles trouvent
dans la conduite de leur prochain. Leur esprit
attaché aux aspects & aux conjonctions des Planetes n’auroit
pas le loisir, de faire des Commentaires sur les regards coquets
de leurs voisines, ni sur leurs Mariages clandestins. En un mot,
si leur cerveau étoit rempli de matieres tirées des Arts &
des Sciences, elles puiseroient leurs discours dans leur
mémoire, & non dans leur invention. Un troisiéme motif
devroit porter encore les Dames de qualité à se donner à l’étude
de Belles Lettres, c’est l’ignorance où croupissent leurs Maris.
C’est quelque chose de triste, qu’il n’y ait pas la moindre
érudition dans toute une Famille distinguée. Pour moi, je suis
veritablement mortifié quand j’entre dans une grande maison, où
je suis sûr que personne ne sait épeller seulement, si ce n’est
peut-être le Confiturier, ou quelque laquais. Quelle figure un
riche Heritier fera-t-il dans le monde, quand il est né Butor du
côté maternel, aussi bien que du côté paternel ? Quand nous
jettons un œil attentif sur les Histoires des Femmes illustres,
nous trouvons que ce Sexe a donné de tems en tems au monde de
très grands Philosophes ; ce n’est pas tout, nous
voyons avec étonnement que certaines Femmes se sont distinguées
dans les Sectes Philosophiques dont la Doctrine étoit la plus
opposée à leurs penchant naturels. Il y a eu de Fameuses
Pythagoréennes, quoique une des grandes épreuves de cette
Philosophie consistât dans la force de garder un secret, &
qu’elle obligeât ses Disciples à garder le silence pendant cinq
années entieres. Je ne ferai pas mention ici de Portie, qui
cachoit sous un Habit de Femme toute la Doctrine severe des
Stoïciens, ni de Hyparchta la Cynique, qui poussa les études si
loin, que sans rougir elle eût commerce avec son Epoux en plein
jour, & dans la ruë. Le savoir est une perfection en nous, à
cause de nôtre nature, & nullement à cause de nôtre Sexe.
C’est en qualité d’Etres raisonnables, & non pas en qualité
de mâles, qu’il nous est utile d’épurer & d’étendre nos
lumieres. Les Femmes ont par consequent, sur l’érudition les
mêmes droits, que nous. On voudra bien m’avouër du moins, qu’une
Femme Philosophe, n’a pas un caractere plus opposé à son sexe,
qu’une Joueuse de profession, & qu’il n’est pas plus
convenable au beau Sexe de manier les Cartes
pendant tout un jour, que d’employer le même tems à se faire un
magazin d’utiles connoissances. Cette reflexion me fournit un
autre motif, pour recommander l’Etude aux Femmes ; rien n’est
plus capable de les préserver de l’ennui, & de les empêcher
de s’en delivrer par des occupations pernicieuses.
Metatextualidad
Je pourrois encore appuyer toutes
ces raisons par une autre, à laquelle naturellement le beau
Sexe est assez sensible. Plusieurs Femmes qui s’étoient
formé l’esprit par les Etudes, ont eu le bonheur de s’élever
par là aux plus hauts degrez de l’honneur & de la
fortune, & j’en pourrois citer un exemple éclatant, que
me fournit une personne qui fait un des plus beaux ornements
d’une Nation voisine. Mais j’aime mieux finir ce chapitre
par l’Histoire d’Athenaïs, qui est très propre à exciter
parmi mes aimables Concitoyennes, une salutaire Emulation.
Nivel 3
Ejemplo
L’Empereur Theodose âgé
environ de vingt & un ans, & ayant envie de se
marier pria sa Sœur Pulcherie, & son ami Paulinus de
chercher dans tout l’Empire une personne, qui par agréments du corps, & par les qualitez
de l’ame fut digne de monter avec lui sur le Trône des
Cæsars. Lors qu’ils furent le plus occupez à cette
recherche, un heureux hazard leur fit rencontrer une
jeune fille Grecque nommée Athenaïs. Son Pere un
Illustre Philosophe d’Athenes, l’avoit instruite dès le
berceau, dans toutes les sciences, qui fleurissoient
dans ce sejour de l’Erudition. En mourant, il lui avoit
laissé fort peu de bien, dont l’injustice de deux Freres
lui disputoit encore la paisible possession. Leur
indigne procedé la força d’aller implorer la protection
de l’Empereur, qui tenoit sa Cour à Constatinople ; Elle
trouva dans cette ville une Parente, qui recommanda son
affaire à la Princesse Pulcherie, que son merite rendoit
toute puissante sur l’esprit de son Frere. C’est par ce
moyen que cette Princesse celebre par ses lumieres,
& par sa pieté, eut l’occasion de faire connoissance
avec Athenaïs ; elle lui trouva non seulement la beauté
la plus vive, qui puisse accompagner la premiere flœur
de l’âge, mais encore des connoissances étendues, &
une raison cultivée & virile, qui étoit en elle la
source de la vertu la plus belle, la plus noble. Elle alla d’abord rendre compte à son
Frere de cette belle découverte. Le portrait qu’elle lui
traça de la beauté du visage, & du caractere de
cette jeune Grecque, fit une telle impression sur
l’esprit de l’Empereur, qu’il pria se Sœur de la faire
conduire dans le moment chez son ami Paulinus ; Il s’y
transporta avec toute l’impatience d’un amour naissant,
& trouva dans la figure, & dans la conversation
d’Athenaïs des charmes superieurs à tout ce qu’il avoit
été capable de s’imaginer sur son sujet. Paulinus
réussit bientôt à faire goûter à cette Belle la Religion
Chretienne si conforme à la justesse de son raisonnement
& à la pureté de ses mœurs. Elle reçut dans le
Batême le nom d’Eudoxie, & peu de jours après elle
épousa l’Empereur, qui jouït dans ce mariage de toute la
felicité, qu’il s’étoit promise de la possession d’une
personne si savante & si vertueuse : Elevée à ce
faîte de la grandeur, elle ne se contenta pas de
pardonner à ses Freres, des injustices, qui avoient été
l’occasion de son bonheur, mais elle les fit monter
encore aux postes les plus émments. Les productions de
son esprit, & sa conduite exemplaire, la rendirent tellement les délices de tout
l’Empire, qu’on lui erigea un grand nombre de Statuës,
& qu’elle fut celebrée par plusieurs Peres de
l’Eglise comme l’ornement & l’honneur de son Sexe.