Le Mentor moderne: Discours CXXIX.
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Nível 1
Discours CXXIX.
Citação/Lema
Admiranda tibi levium spectacula
rerum.
Virg.
Les Choses les moins importantes excitent l’admiration des pauvres humains.Nível 2
L’Orgueil est de toutes les passions
celle qui se glisse dans le cœur de la maniere la plus
imperceptible, & qui se derobbe à nos recherches sous une
plus grande varieté de deguisemens. Je ne sai si je me trompe,
mais en m’examinant avec toute l’attention possible je trouve
que si je suis exempt de quelque vice, c’est de l’orgueil, qui
est la honte de la Nature humaine ; peut-être ce jugement que
j’ose former de moi, est lui-même un tour, que me
jouë cette passion presque impenetrable. J’ai été toûjours
charmé de cette Maxime de l’Ecriture Sainte,
Il est certain que dans quelque jour que l’on considere la
Nature humaine, telle qu’elle est sur cette terre, on n’y
trouvera rien, qui ne soit capable d’étouffer toutes les
semences de l’orgueil, & de reduire l’ame à ce profond
abaissement qu’on appelle le renoncement à soi-même : l’orgueil
n’étoit pas fait pour l’homme, parce qu’il est une créature
criminelle, une créature ignorante, une créature miserable. Il
n’y a rien dans son entendement, dans sa volonté, ou dans sa
condition présente, qui soit propre, pas sa propre nature, à
nourir la vanité dans un être, qui sait faire usage de son bon
sens. Cepandant ces trois raisons, qui lui interdisent
l’orgueil, ne laissent pas d’être precisement, les motifs, qui
l’y conduisent. S’il n’étoit pas une créature pécheresse, il ne
seroit pas susceptible d’une passion, qui n’a d’autre source que
sa nature corrompue. S’il n’étoit pas une créature ignorante, il
connoitroit la veritable valeur des objets, & il verroit
tout ce qu’il y a de vil & de meprisable dans
les causes de sa vanité ; enfin si toute l’espece humaine
n’étoit pas miserable, il n’auroit pas devant les yeux, ce grand
nombre d’infortunez, dont l’etat comparé au sien lui inspire des
pensées si hautaines, & si dédaigneuses. Un homme
veritablement sage se contente de penser que la Gloire
s’attachera à sa condition, lors qu’il sera veritablement
glorifié ; lors que ses lumieres auront de la clarté & de
l’étenduë, sa volonté, une parfaite droiture, & son bonheur,
de la certitude & de la fermeté. Il differe à se croire
grand, jusqu’à ce que il ne sera ni pecheur, ni ignorant, ni
miserable. S’il y a quelque chose qui doive rendre la Nature
humaine riducule <sic> aux yeux des Intelligences
superieures, c’est sans doute l’orgueil. Ils ont une
connoissance parfaite de la vanité de ces perfections
imaginaires, & chimeriques, qui enflent le cœur de l’homme,
& qu’il cherche dans la naissance, dans la fortune, &
dans le rang, frêles avantages, qui n’ont rien à démêler avec ce
qu’il est réellement, & qui l’éngagent pourtant à s’élever
au dessus des autres ; nôtre Foible par consequent, si propre à
les divertir, doit du moins les étonner
extrêmement ; quelle Scene pour eux qu’un pauvre mortel, qui se
gonfle de rien, & qui se place hardiment au dessus de ses
semblables, monté sur des avantages qui sont étrangers à sa
nature, & qui ne l’exemtent pas des miseres & de la
bassesse, qui sont essentiellement propres à toute son espece !
Donnons du jour à cette idée par une Allegorie.
N’est-il pas permis de s’imaginer, que des Intelligences
pures regardent du même œil toutes les marques de vanité qui
deshonorent le Genre-Humain, & qu’ils ont pitié de notre
petitesse, lors qu’ils jettent un œil attentif sur les Habitans
de la Terre, sur ces pauvres fourmis qui peuplent un petit tas
de bouë, que leur vanité a distingué en Provinces,
& en Empires.
Citação/Lema
l’Orgueil n’étoit point fait pour l’homme.
Nível 3
Fábula
Jettons les yeux sur une espece
de Colline, qu’une Taupe a élevée dans une Prairie ;
imaginons-nous que ce petit tertre est habité par des
Fourmis, & prêtons leur notre tour d’esprit &
nos passions ; quelle pitié ne nous feroient pas ces
vils Insectes, en parlant de leurs genealogies, de leurs
tresors, & de leurs titres. Remarquez-vous ce mâle
quarré, & replet, qui traîne pourtant sa grosse
figure d’un air assez délibéré ! C’est l’Insecte le plus
riche de tout le côté meridional de ce Royaume ; il
possede en propre dans la Vallée une Terre d’une
demi-aune en long, & de six pouces en large ; de
plus, il a un Magazin rempli de douze grains de Froment,
& de trente grains de Millet. En voici un autre dont
la démarche est grave & majestueuse ; le hazard lui
a mis autour du col un petit brin de soye
bleuë, dont il tire toute sa gloire ; il ne la donneroit
pas pour toute la richesse du Crœsus, qui vient de
passer. Examinons un peu les Belles de cette Colonie ;
en voilà une qui est coquette ; voyez vous cette
démarche vive & brusque, cette tête à l’évent. Une
foule d’Adorateurs l’environne de tous côtez ; tantôt
elle s’approche de l’un, tantôt de l’autre, & tous
ensemble ils paroissent également satisfaits de ses
manieres ; chacun se croit le seul favorisé.
N’admirez-vous pas les airs panchez de cette autre ; un
petit Insecte d’une taille fine & déliée
l’accompagne d’un air soûmis ; il lui conte qu’elle est
une Déesse, que ses yeux sont plus brillans que le
Soleil, & qu’ils sont les arbitres de la mort, &
de la vie ; la petite folle l’en croit sur sa parole,
& se donne là-dessus mille petits airs importants.
Je découvre encore au haut de cette petite éminence une
fourmi femelle toute desechée par l’âge ; elle est
pourtant bien plus fiere qu’aucune de ses voisines. Elle
voit au dessous d’elle cinquante Laboureurs, qui se
tuent à travailler pour l’enrichir, & qu’elle traite
avec la derniere hauteur, quoi que, à les voir, ils la
vaillent au centuple ; elle tire tout son
orgueil de sa naissance : il n’y a pas un seul Insecte
de toute la Troupe, qui ait dans ses veines un aussi
beau sang qu’elle ; depuis sa jeunesse elle s’est
endormie dans une lâche indolence, qui l’a jettée dans
une vieillesse prématurée. Elle s’est toûjours cruë en
droit de ne rien faire, parce qu’elle descend de cette
noble race de Fourmis, à qui Salomon envoya autrefois
les Paresseux. Malheureusement, voila cet agréable
spectacle qui se dérobe à nos yeux : Un Oiseau se
précipite sur tout ce Peuple ; il en avale tous les
membres sans avoir le moindre égard, pour le merite
& pour le rang ; le vieille de qualité est croquée
avec ses Laboureurs, les flatteurs passent le pas avec
leur Crœsus, & le sort de la coquette est confondu
avec celui des Dupes de ses petits airs, & de ses
cajolleries.