Le Mentor moderne: Discours CXXVII.

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Discours CXXVII.

Zitat/Motto

Accipiat sane mercedem sanguinis, & sic Palleat, ut nudis pressit qui calcibus anguem.

Juven.

Que la récompense de ses débauches, soit une paleur semblable à celle d’un homme, qui a marché nuds pieds sur un Serpent.

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Lettre.

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Brief/Leserbrief

Monsieur, Je croi que vous me surpassez encore plus en lumiéres, qu’en âge ; je suis sûr que vous meritez toute la réputation, que vous vous êtes attirée, & c’est dans cette persuasion, que j’implore votre secours, pour corriger la conduite d’un Fils indocile, qui aimera mieux peut-être prêter l’oreille à vos sages leçons qu’aux reprimandes severes de l’Auteur de sa vie. Vous saurez, Monsieur, qu’il y a deux ans que j’envoyai à Londres mon Fils aîné, & par conséquenet l’Héritier de mes Biens, pour être mis au Temple, moins dans le dessein de lui faire apprendre le Droit, que dans la vûë de le former aux manieres du monde. Je ne pris ce parti que par pure complaisance pour une de ses Cousines, une Dame à grands airs, qui me fatiguoit, à force de me representer, que mon Fils deviendroit un véritable Campagnard, si on ne lui donnoit pas l’occasion de voir un peu le monde. Elle a été elle-même élevée dans la Ville, & depuis qu’elle s’est mariée dans la Province, elle s’opiniâtre à differer de toutes ses voisines, en air, en parure, & en manieres de parler, ce qui la rend l’admiration de tout le monde, excepté de son Mari. Vers la fin du mois passé une affaire importante m’ayant appellé à Londres, la premiére chose, que je crus devoir faire, fut de rendre une visite à mon Fils ; je me transportai à son appartement environ à dix heures du matin, mais lors que je heurtai à sa chambre, je fus arrêté par la Servante, qui fait son lit ; Elle me dit, que son Maître ne se levoit d’ordinaire qu’à midi, & que si je voulois bien revenir à une heure, je pouvois compter de le trouver alors occupé à prendre son Thé. Je lui imposai silence d’une maniere un peu rude, & je lui ordonnai d’ouvrir la porte au plus vîte. En entrant dans sa chambre, je jettai par hazard mes yeux sur la table, & le premier objet qui les frappa fut un Livre intitulé, les Amours secrets de . . . . . ; ce bel Ouvrage étoit placé à côté d’une boëte pleine de pillules. Sur un fauteuil à côté de son lit je vis & une Tabatiere, avec un Eventail rompu, &, près de là, la terre étoit couverte de plusieurs Jeux de Carte. Comme j'avois fait quelque bruit en entrant mon Gentilhomme s’éveilla, & se mit à jurer fort doctement contre la Servante, qui, comme il s’imaginoit, troubloit son repos de si bonne heure ; après avoir évaporé sa colere dans ces Phrases édifiantes, il se tourna de l’autre côté, pour se rendormir, & me découvrit un visage si pâle, si maigre, & si défait, que si je n’avois pas reconnu sa voix, je n’aurois jamais cru que ç’eût été mon Fils ; quelle difference entre l’air, que je lui trouvai, & cette figure saine, robuste & vigoureuse, qu’il avoit en quittant la Province ! Après que je l’eus réveillé un peu brusquement, il me fit entendre, qu’il ne venoit que de se rétablir d’une fiévre violente, & qu’il ne m’en avoit rien écrit, de peur que cette triste nouvelle ne causât de trop grandes allarmes dans la Famille. Pour faire court, Venerable Mentor, je trouvai à propos de tirer mon Fils de là, & de le ramener avec moi à la campagne, où je m’occupe à present à l’engraisser, afin que sa triste figure ne deshonore point une race, qui s’est toûjours distinguée par sa vigoureuse santé. Je puis vous assurer, Monsieur, qu’il n’est pas arrivé de mémoire d’homme, qu’aucune personne de ma Famille ait été attaquée de la consomption, excepté une certaine Demoiselle Dorothée, qui mourut Fille à l’âge de quarante-cinq ans. Je n’ai garde de souffrir, que mon Fils suive un si mauvais exemple, & je ne neglige rien pour le ramener à la taille de ses Ancêtres. Je l’envoye au lit à dix heures du soir, & je le fais lever à cinq & demie, & quand il crie pour du Thé, & pour du Lait, je mets devant lui un morceau de Bœuf froid, ou un Jambon bien saupoudré de poivre, & je lui ordonne de manger & de se porter bien ; quand il a déjeûné à fond, je le mene avec moi dans les champs pour avoir l’œil sur les Laboureurs ; & je le fais marcher de côté & d’autre pendant quelques heures. Tout le monde se chagrine de le voir bâti comme il est, excepté son impertinente Cousine qui lui donne bonne opinion de lui-même, en lui persuadant qu’il est devenu joli, & qu’il a la taille fort dégagée : mais mes bons Fermiers haussent les épaules en le voyant, hé bon Dieu! se disent-ils les uns autres, voyez donc comment notre pauvre jeune Maître est devenu malingre. Lors que je lui parlai l’autre jour de la compassion que ces honnêtes gens ont pour lui, il eut l’impudence de me repliquer, Hé, Monsieur, j’espére du moins, que vous ne me voudriez pas aussi gros que Monsieur de la Barique notre voisin ; comme les Dames siffleroient une figure si monstrueuse ? Ciel ! que deviendrois-je avec une semblable bedaine. Si vous êtes véritablement, comme votre titre nous le promet, le Gouverneur de vos Compatriotes, considerez je vous prie, quelle Posterité nous pouvons attendre de ces Damoiseaux de la Ville, qui pour la plûpart s’accoûtument, dès leur premiere jeunesse à la vie la plus molle. Un de mes amis prononça devant moi, il y a quelque tems des Vers que j’ai copiez, & que je trouve fort applicables à ce triste sujet ; il me dit, si je m’en souviens bien, qu’ils étoient traduits d’un Poëte Latin, qui étoit un fort habile homme.

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Zitat/Motto

Oh que d’un autre Hymen sortit cette jeunesse Qui du sang de Carthage a fait rougir les flots,
Qui domtant la Syrie, & l’Afrique, & la Grèce
Au bonheur de l’Empire immola son repos.
Race des vieux Romains elle soûtint la Gloire
De ces Soldats formez par de doubles leçons.
Qui de la même main, qu’ils forçoient la Victoire
Hâtoient par leurs travaux les tardives Moissons.
Quand sortant des sillons, qu’ils rendoient plus fertiles
Leurs Bœufs quitoient le joug au coucher du Soleil,
Ils revenoient courbez sous des fardeaux utiles
S’apprêtant par la peine un tranquille Sommeil.
Mais que n’alterent point les tems impitoyables
Nos Peres plus méchans, que n’étoient nos Ayeux,
Ont eu pour Successeurs des Enfans plus coupables
Qui seront remplacez par de pires Neveux.
Je suis,
Monsieur,
Votre, &c.
Jonathan Courbois. P. S. En passant par l’Antichambre de Monsieur mon Fils, j’y trouvai sur une Table ce Billet extraordinaire.

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Livr. Schel. Sols. Livré à Monsieur Courbois une Coëffure de Mousseline avec des Engageantes de Dentelle de France. 1 – 18 – 6 Six paires de Gands de Chevre pour Mademoiselle Lisette. 0 – 14 – 0 Trois Fichus pour la même Demoiselle. 0 – 15 – 0
Le Compte de son Cordonnier n’est pas moins curieux ; le voici :

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Pour Monsieur Courbois
Trois paires de Souliers brodez. 3 – 00 – 0
J’eus encore le bonheur de m’emparer d’une espece de Billet doux fort aimable, que vous serez bien-aise de voir.

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Brief/Leserbrief

Monsieur, Si vous êtes assez campagnard pour oublier l’usage, & le soin de votre Tabattiere, je suis bien-aise de vous dire, que cette négligence ne vous donne pas le droit de vous mettre dans l’esprit, que je l’ai volée ; c’est tout ce que j’ai à vous dire ; épargnez-vous désormais la peine de me voir. Sara Galop.
Sous ces belles paroles mon digne Héritier avoit écrit les suivantes : Nota bene. Il faut lui faire dire que j’ai trouvé ma Boëte quoi que je sois sûr qu’elle l’a.