Le Mentor moderne: Discours CXXIII.
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Livello 1
Discours CXXIII.
Citazione/Motto
Primus hominum Leonem manu tractare
ausus, & ostendere mansuefactum Hanno & Clarissimis
Pænorum traditur.
Plin.
On dit que Hannon sorti d’une des plus illustres maisons de Carthage est le premier, qui s’est familiarisé avec des Lions, & qui a trouvé l’art de les apprivoiser.
Livello 2
Metatestualità
La plupart de mes Lecteurs sont
charmez de la promesse que mon Corespondant leur a faite de
compiler une Histoire de la race Lionne. Deja un grand
nombre de gens d’Esprit lui promettent leur secours pour
ramasser des materiaux de tous les Magazins
d’Erudition tant ancienne que moderne, aussi bien que des
thesors <sic> cachez dans les manuscripts des
voyageurs. Ce n’est pas tout ; pour faciliter cette
entreprise, plusieurs personnes opulentes, ont promis de
contribuer de tout leur pouvoir à faire imprimer cet
ouvrage, par souscription, avec toute la magnificence
imaginable. Leur plan est de le donner in Folio, sur du
Papier Royal, enrichi d’un grand nombre de tailles douces
gravées par les meilleurs maitres. Elles representeront une
varieté surprenante de Forêts, de Deserts, de Roches, de
Cavernes, & de Lions de toutes les Especes, & dans
toutes les differentes attitudes possibles. En un mot, le
public n’aura jamais rien vû de si beau, de si bien executé,
& de si digne d’embellir une Bibliotheque. Le sujet vaut
bien la peine aussi, qu’on n’épargne rien à l’impression de
cette Histoire. On a composé un grand nombre de gros volumes
sur des Insectes, & sur des Reptiles, & les
Philosophes se sont engagez dans de grandes peines &
dans d’excessives dépenses, pour démêler par des Microscopes
la structure, & les qualitez presque imperceptibles de
ces vils animaux ; n’est il pas naturel &
raisonnable, de donner du moins un in folio du premier
calibre à un animal noble & magnanime, dont la mine
Majestueuse saute aux yeux ? Ce ne sont pas les seuls
savants qui s’interessent dans la reussite de nôtre projet,
voici une Piéce, qu’un Marchand de mes Amis m’envoye, pour
être inserée dans l’Histoire future des Lions.
Livello 3
Lettera/Lettera al direttore
Monsieur. Puis qu’un de vos
Correspondants s’est engagée de nous donner une Histoire
des Lions, dans laquelle selon toutes les apparences, il
y aura un grand nombre de faits curieux &
surprenants, je me sens animé d’un désir ambitieux de
contribuer quelque chose à l’éxecution d’une si belle
entreprise. Si vôtre Auteur a résolu de ranger les faits
selon l’ordre des tems, je puis esperer de fournir de la
matiere pour une des dernieres pages, en lui
communiquant une Relation moderne, que j’ai reçûë l’an
1700. de celui-là même, a qui la chose est arrivée.
Je suis.
Livello 4
Racconto generale
Il y a environ
soixante ans que pour éviter la Peste, qui faisoit
de cruels ravages à Naples, le Chevalier George
Davis Consul de la Nation Angloise dans cette
ville se transporta à Florence. Il eut un jour la
curiosité d’aller voir les Lions du Grand-Duc. On
lui en montra un entre autres prodigieusement
grand, & d’un naturel si terrible, qu’à peine
avoit-on réussi, en trois ans de tems, à le
domter. Dès que le Chevalier parut devant les
grilles, qui entouroient cette Bête feroce, elle
s’avança vers lui avec toutes les marques de joye,
que le Chien le plus caressant pourroit donnee à
son Maître. il <sic> se leva sur les pates
de derriére, & se mit à lecher la main du
Consul, qui la lui tendoit à travers de la Grille.
Celui, qui gardoit les Lions, effrayé d’une
temerité pareille fit tout ce qui lui étoit
possible pour tirer le Chevalier de là, & il
le pria à mains jointes de s’éloigner du plus fier
animal qui fut jamais entré dans ce lieu. Il eut
beau faire, bien loin de se retirer, le Chevalier
voulut absolument qu’on lui ouvrit la porte de la
cage, & il poussa l’audace jusqu’à y entrer.
Le Lion lui jetta d’abord les pieds sur les
épaules, & lui lécha le visage ;
tantôt il se couchoit à ses pieds, tantôt il
sautoit d’un bout de sa cage à l’autre, tantôt il
se mettoit à courir autour de lui, en un mot, il
lui faisoit toutes les caresses imaginables, au
grand étonnement de tous les spectateurs. Le
Chevalier lui rendit caresses pour caresses, &
après s’être embrassez de la maniere la plus
tendre, & la plus cordiale, ils se separerent
les meilleurs amis du monde. Le bruit de cette
entrevûë se repandit bien-tôt par toute la Ville ;
& peu s’en fallut que le Chevalier ne passât
pour un Saint dans l’esprit de tout le peuple ; le
Grand-Duc lui-même, ayant entendu parler d’une
particularité si extraordinaire, voulut voir le
Consul Anglois, & lui donna rendez-vous auprès
de la cage même de son bon ami le Lion. C’est là
que Son Altesse vit de ses propres yeux, une chose
qu’il avoit cruë au dessus de toute
vrai-semblance ; il pria le Chevalier de lui
donner quelque éclaircissement, sur un Phénomene
si extraordinaire, & voici comment le Consul
satisfit la curiosité de ce Prince. Le Capitaine
d’un Navire qui revenoit de Barbarie me donna ce
Lion, lors qu’il étoit encore fort
jeune, & pendant quelques années je le
laissois courir par la maison comme un Chien, dont
il representoit parfaitement la douceur &
l’humeur caressante ; mais voyant à la fin qu’il
devenoit trop grand pour continuer à lui donner
tant de liberté, je lui fis batir une cage dans ma
Cour, & je ne lui permis d’en sortir, que lors
que je voulois moi-même le produire à mes Amis,
pour leur faire admirer la bonté de son naturel.
Cependant, il devint insensiblement plus féroce,
& à l’âge de cinq ans il commençoit à badiner
un peu rudement avec differentes personnes, qui
eurent trop de confiance en lui. Il lui arriva
même de faire sentir ses griffes à un homme, d’une
maniere très sanglante ; ce qui m’engagea à lui
vouloir donner un coup de fusil par la tête, pour
prévenir le malheur d’être coupable moi-même des
desordres, qu’il pourroit causer à l’avenir. Je
fus pourtant detourné de cette resolution par un
Ami qui dinoit alors avec moi, & qui me pria
de lui en faire present ; je le voulus bien, &
voilà tout ce que j’en sai. J’ignore absolument
comment il est venu ici. Le Duc de
Toscane là-dessus lui ayant demandé le nom de cet
Ami, lui dit que c’étoit précisément de ce même
Gentilhomme, qu’il avoit reçû le Lion, dont il
s’agissoit.