Zitiervorschlag: Justus Van Effen [Joseph Addison, Richard Steele] (Hrsg.): "Discours CXIX.", in: Le Mentor moderne, Vol.3\119 (1723), S. 147-155, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4378 [aufgerufen am: ].


Ebene 1►

Discours CXIX.

Zitat/Motto► Pacis mala : sævior armis
Luxuria incubuit victumque ulciscitur.

Ce sont les suites funestes de la Paix. La volupté & le luxe nous attaquent, & vangent ceux, que nous avons vaincu. ◀Zitat/Motto

Ebene 2► Metatextualität► Me trouvant forcé aujourd’hui de vaquer à quelque affaire domestique, je donne un plein-pouvoir à mon Imprimeur, d’ouvrir le tresor de mon Lion, & d’en tirer ce qu’il croira le plus utile au Public. M. Button est autorisé par celle-ci, à donner à mon dit [148] Imprimeur un libre accès au dit Lion, jusqu’à ce qu’il reçoive de ma part des ordres contraires ; la presente lui servira de décharge.

En vertu de l’ordre ci-dessus, le Lion a été soigneusement examiné, & les deux papiers suivans qu’on a trouvez sur lui, ont été jugez dignes d’être communiquez au Public. ◀Metatextualität

Lettre.

Ebene 3► Brief/Leserbrief► Monsieur,

Je suis Tuteur d’une jeune Heritiere, & je veille sur sa conduite avec tout le soin imaginable, de peur que le pied ne lui glisse dans cet âge scabreux. Vous voyez la conformité qu’il y a entre nos Charges & nos sentimens, & cela seul doit être un puissant motif pour vous porter à m’écouter favorablement. Par la maniere dont vous parlez de Votre Brillante & de vos autres Eleves femelles, il m’est facile de juger que vous connoissez parfaitement bien les difficultez qu’il y a à détourner une jeune Fille d’un divertissement, pour lequel elle se sent une forte inclination ; jusqu’ici [149] je l’avouë, ma Pupille a été fort traitable pour une Fille, qui aura bien-tôt quinze ans, & qui sait qu’elle doit jouïr un jour d’une grosse fortune ; mais depuis deux ou trois jours elle n’est pas connoissable ? Le Chevalier Furluquet lui a tellement échauffé l’imagination des Masquarades du dernier Bal du Duc d’A . . . d, & selon sa vivacité ordinaire il en a fait une peinture si brillante, qu’elle en est toute éblouïe, & qu’elle ne sauroit penser à autre chose. Elle brûle d’envie d’y aller, & je ne sai comment m’y prendre pour résister plus long-tems à l’importunité de ses sollicitations. Depuis ce malheureux jour je l’ai surprise plusieurs fois occupée à mettre tous ses habits en piéces, pour en composer quelque habillement extraordinaire, & j’ai eu bien de la peine à lui arracher à la fin ses impitoyables ciseaux. Cette affaire m’embarasse prodigieusement, mon cher Monsieur, je voudrois tranquilliser l’esprit de la pauvre Enfant, & cependant je n’ai aucune envie de la hazarder toute seule dans cette mer de tentations. Je n’ai rien négligé de ce que j’ai cru capable de la détourner d’un si funeste dessein ? Je lui ai representé, que c’est sous le masque, [150] que le Diable a attaqué la credulité d’Eve, & que c’est une veritable masquarade, qui a privé nos premiers Parens de la Félicité du Paradis. Mais elle se moque de toutes mes raisons ; elle n’est pas moins dominée de la curiosité que le fut jadis notre premiere Mere, & comme elle, elle hazardera le paquet, si je la laisse faire. J’en appelle à votre raison, & à votre grande expérience, sage Mentor, à quoi tendent ces Assemblées nocturnes, qu’à donner un fort dangereux tour à l’imagination d’une jeune Fille ; déja il est certain, que le déguisement est un préservatif infaillible contre la modestie, & contre la honte. Sous le Masque un Petit-Maître croît pouvoir dire toutes les sottises qui lui viennent dans l’esprit, & sous le masque une Belle s’imagine avoir le privilege d’y prêter l’oreille. Elle avale le poison avec autant de plaisir, que le Galant effronté en trouve à le lui verser. Il est probable d’ailleurs que les Dames se perdent elles-mêmes dans leurs ajustemens bizarres, & qu’entrant dans un faux caractere, elles se permettent, sans y penser, des choses très indignes de leur caractere veritable. Dès qu’une Fille se voit Laitiere, elle peut sans con-[151]séquence permettre qu’on lui donne la Cotte-verte, & quand elle est Bergere, rien ne l’empêche de se coucher sur un lit de mousse avec un aimable Berger. Malheureusement dans le tems qu’elle jouë son rolle d’une maniere si naturelle, elle peut tellement se livrer aux sentimens que lui inspirent ses habits Romanesques & les fleurettes de son Pasteur, qu’elle ne songe à ce qu’elle est réellement, sinon lors que la Comedie est poussée jusqu’au dernier Acte.

Considerez, je vous conjure, une Fille dont l’imagination est encore neuve dans le tumulte brillant d’un Bal de cette sorte ; le feu d’un petillant Vin de Champagne met tous ses esprits dans une fermentation extraordinaire. Son cœur s’épanouït, & se dilate par la gayeté attractive, qui est répanduë sur tout ce qui l’environne ; une Musique touchante, & flateuse verse dans son ame une douce & tendre langueur ; ajoûtez y l’impression, que font sur elle tant de corps bien faits, qu’un mouvement réglé & agréable place dans les attitudes les plus avantageuses & les plus variées. Voilà la jeune personne toute concentrée dans le plaisir ; elle s’y perd, elle s’y oublie ; sa pudeur, sa vertu, sa [152] raison, tout s’endort dans les bras de la volupté ; rien ne veille sur elle ; jugez si dans ce moment critique, les moindres attaques ne sont pas plus que suffisantes pour triompher d’elle. Ne souffrez pas, Monsieur, que nos Belles soient plus long-tems exposées à des dangers si terribles, dictez à votre Lion les rugissemens les plus épouvantables contre des Assemblées si pernicieuses ; je crois tout de bon, que c’est le seul moyen d’en détourner ma pauvre Pupille, qui est naturellement fort craintive, & que depuis son Enfance on a porté par la peur à faire son devoir. Peut-être trouverez-vous aussi votre propre compte à faire rugir votre Lion le plus fort qu’il pourra contre de pareils desordres ; songez que vous avez de jeunes Filles sous votre Tutelle, qu’elles sont de la même pâte que les autres, & que si elles ne courent pas encore après la nouveauté dangereuse de ces plaisirs bruyans, il n’y a pas d’apparence, que leur raison tienne long-tems bon contre la curiosité qui est si naturelle à leur Sexe. Il s’agit ici de travailler à votre propre repos & au mien, de garantir la vertu de tout le beau Sexe, des plus dangereuses attaques, & de rendre un ser-[153]vice important à toutes les Meres vertueuses.

Je suis, &c. ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3

Autre Lettre

Ebene 3► Brief/Leserbrief► Monsieur,

Ayant prevu que la secte des Evites pourroit bien s’établir dans ce Royaume, & que par consequent les feuilles de Figuier deviendroient fort à la mode, j’ai loué un petit champ, dont le terroir est fort propre pour ces sortes d’Arbres, & je vois avec plaisir, qu’ils y croissent que c’est un charme. Je vous conjure, Monsieur, de favoriser mon dessein, & de faire savoir aux Dames, qui <sic> j’ai un assortiment tres curieux de feuilles de Figuier de toutes sortes ; elles sont du plus beau vert, qu’on puisse s’imaginer, d’un tissu délicat, & d’une varieté agréable causée par des fibres d’une grande finesse, qui les parcourent comme autant de Meandres ; on voit sur leurs extremitez comme une espece de broderie, qui paroit plûtôt un effet de l’art, que de la nature ; en un mot il n’y a rien de [154] plus charmant. J’en ai d'Eté & d’Hyver ; les premieres sont extremement fraiches, & si minces, qu’elles sont tout à fait transparentes. Les autres ont plus d’épaisseur, & par là elles sont très propres à defendre le beau Sexe contre les injures de l’air. J’en ai encore de fort petites & de fort mignonnes, qui paroissent faites exprès, pour les petites filles, de maniere que je me trouve en état de satisfaire toutes les Dames de quelque goût, & de quelque condition quelles puissent être. Elles n’ont qu’à me venir trouver à l’enseigne d’Adam & d’Eve prez du jardin de Cupidon. Si vous voulez bien avoir la bonté, Monsieur, d’insérer cet avertissement dans vôtre feuille volante, je vous promets de faire present à vôtre chere Brillante de ce que j’ai de meilleur & de plus choisi dans toute ma Boutique ; puis qu’elle est vôtre favorite, je ne saurois mieux faire que de lui offrir les premices de mon Jardin ; pour vous, Monsieur, si vous pouvez me procurer un bon nombre de Chalands pour mes feuilles, vous pouvez compter que mes figues seront à vôtre service.

Je suis &c.

[155] P. S. J’aurai bientôt une bonne quantité de belles feuilles de Patience enrichies aux extremitez de certains falbalas qui ont fort bon air. Elles conviendroit <sic> extremement aux Femmes & aux Filles suranées, à cause de deux excellentes qualitez qu’elles ont ; la premiere est de venir le mieux dans un terroir sec ; & l’autre d’être composées de plusieurs peaux veloutées, ce qui les rend extremement douces & chaudes. ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3 ◀Ebene 2 ◀Ebene 1