Le Mentor moderne: Discours CXII.
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Nivel 1
Dicours CXII.
Lettre.
Cita/Lema
Matronæ præter faciem nil cernere
possis
Cætera, ni Catia est, demissa veste tegentis.
Cætera, ni Catia est, demissa veste tegentis.
Horace.
Une Dame Romaine, à moins qu’elle ne soit galante de profession, ne montre jamais que son visage, & couvre le reste de son corps d’une Robbe, qui va jusqu’à terre.Nivel 2
Metatextualidad
On séme des bruits très
desavantageux de mon Lion, à cause que pendant quelques
jours il a suspendu ses rugissemens ; un de mes Amis me
mande de sa Province, qu’on lui a dit
confidemment, que mon Lion est réduit au silence, par un
ordre du Gouvernement. D’autres avancent, qu’on lui a
détaché un Huissier, qui l’a saisi, avec tous les Papiers
qu’il avoit sur lui, & qu’en les examinant on y a trouvé
des choses très pernicieuses pour l’Etat. Il y a encore
certaines gens aussi ennemis du Lion que de son Maître, qui
debitent dans le monde, qu’il meurt de faim, & qu’à
peine il a avalé un seul bon morceau en quinze jours de
tems. Je déclare ici, que tous ces rapports sont faux, &
sans aucun fondement ; & puisque j’ose démentir la Voix
publique, je dois encore protester au Lecteur, que
l’Histoire du Billet de Banque de deux cens livres parvenu
jusqu’à moi, par la gueule du Lion, est un Conte fait à
plaisir. La véritable raison de son silence est celle-ci :
Ses Sifleurs ne lui ont mis dans la bouche, que de vilaines
paroles, qu’il n’auroit pas pu repeter après eux sans
choquer les régles les plus communes de la Politesse, &
de la Bienséance. Malgré les sages avis que j’ai donnez à
mes Correspondans, plusieurs d’entr’eux lui ont glissé dans
la gueule un tas d’impertinentes calomnies ;
d’autres l’ont bourné d’obscenitez infames ; il y en a qui
l’ont rempli jusqu’au nœud de la gorge, de choses destituées
de sens-commun, & en le nourrissant ainsi de Chardons,
ils semblent en avoir voulu faire un Ane. Lundi passé en
l’examinant, je le trouvai un vrai Tory François, & le
lendemain c’étoit le Whig le plus Anti-monarchique qui ait
jamais songé à renverser l’heureuse forme de nôtre
Gouvernement ; certaines gens ont porté leur noire malice
assez loin, pour l’animer contre son propre Maître. Mais
comme je me suis engagé à ne point souffrir qu’il attaque la
réputation de quique ce soit, mes Lecteurs peuvent se
persuader que j’aurai grand soin, qu’il ne se jette pas sur
la mienne. Pour donner cependant au Public une satisfaction
aussi générale, qu’il me sera posible ; j’ai resolu de
faire, d’une de chambres du Caffé, la Bibliotheque de mon
Lion, & d’y placer les differens pacquets de Lettres,
qu’on lui addresse, sans que je trouve à propos de les
communiquer a mes Lecteurs, ce seront des Memoires secrets,
qui auront leur prix avec le temps, & qui pourront
donner de grandes lumiéres aux Historiens futurs, qui travailleront à débrouiller les affaires de
nôtre Siecle. En voilà assez là-dessus ; voyons ce que mon
Lion aura de bon à nous dire aujourd’hui ; Les Naturalistes
nous assurent que ces Animaux ont de grands égards pour la
chastete ; on a pu le remarquer dans le mien, qui a poussé
des rugissements terribles contre les gorges découvertes ;
si je le connois bien il n’en demeurera point là, & sa
voix fera trembler les Dames, jusqu’à ce qu’elles songent
tout de bon à réformer cet abus.
Nivel 3
Carta/Carta al director
Monsieur, Il faut que je vous
dise, pour vôtre satisfaction, que vôtre Lion est devenu
une espece d’Epouventail pour les Dames de nôtre ville.
Quand mon Epouse revient du Jeu à une heure induë, je
lui dis à l’oreille d’un ton entre serieux & badin,
que je donnerai de ses nouvelles au Lion, & je vous
assure, que cette menace n’est pas sans effet. Au nom de
vôtre amour pour le Genre Humain, ne donnez point repos
au beau Sexe, jusqu’à ce qu’il se soit
réconcilié avec le tour de gorge ; n’est-il pas certain
que les Femmes se condamnent elles-mêmes, de s’être trop
dépouillées, en donnant le nom de Piéce modeste à une
petite bande de Mousseline de la largeur d’un doit,
foible barriere, que les plus sages d’entr’elles
opposent encore à la nudité, qui gagne tous les jours du
terrain ? Hélas ce pauvre reste du tour de gorge baisse
continuellement, & qui sait où il voudra bien
s’arrester <sic> à la fin. Vous saurez, Monsieur,
que je fais Commerce en Marchandises de Turquie, &
que j’ai passé une bonne partie de ma jeunesse dans cet
Empire où les Femmes ne montrent absolument que leurs
yeux ; vous ne croiriez jamais jusqu’à quel point je fus
étonné à mon retour ici de voir mes belles Concitoyennes
si prodigues de leurs beautez les plus agaçantes,
quoique dans ce temps-là elles ne parussent qu’à l’ombre
d’un Tour de gorge d’une raisonnable largeur. Peu de
temps après j’épousai une très jolie personne, mais qui
a le defaut de pousser toûjours la mode, jusqu’à la
derniere extrémité ; j’étois ravi de penser, que mon
titre de Mari, me feroit faire tous les jours chez mon
aimable Femme quelque nouvelle découverte
cachée au reste du monde ; mais je me suis bien trompé
dans mon calcul, & graces à cette abominable mode,
les yeux de tous les hommes sont aussi familiers avec
ses charmes, que les miens. Je puis vous protester,
qu’en trois années sa gorge est cruë de huit bons
pouces ; mais ce qui me fait trembler quand j’y pense,
c’est que son joli petit pied, & une bonne partie de
sa belle jambe, sont exposez aux regards de tout le
monde ; Beautez, qui ne devroient être que pour les
Epoux, & qui me causoient des extases de joye ; lors
que je m’en vis l’heureux Proprietaire. Comme le rideau
se leve de plus en plus, je suis sur qu’un tas de jeunes
Débauches promet déja à leur imagination libertine
quelques nouvelles décorations. Mais voici quelque chose
de bien plus chagrinant pour moi. Au lieu d’être plus
familier que tout autre avec les charmes de ma Femme, il
se trouve que je le suis moins. Quand elle est au logis,
elle est affublée d’un tas prodigieux de Cornettes, de
Mouchoirs & de robbes de Chambres, & ce n’est
que l’après dînée qu’elle se dépouille, pour s’étaler en
public. Ce n’est qu’à force de se
dépouiller qu’elle s’habille, & elle se croit à
moitié ajustée lors quelle s’est debarassé des
guenilles, qui la dérobboient à son mari. Permettez-moi
de vous dire, Monsieur, qu’il y a de vôtre faute à tout
cela. Vous vous y êtes mal pris ; ce n’étoit pas en
decouvrant ce que cette mode a de contraire à la pudeur,
que vous deviez songer à la réformer. Si vous voulez que
les femmes deviennent vos Proselytes, prouvez leur, que
si elles veulent attrapper des Maris il ne faut pas
qu’elles montrent tous leurs apas, avant le Mariage ; je
suis sur, que si ma Femme avant que je l’eusse épousée,
avoit été habillée, comme elle l’est à présent, la
grande moitié de ma curiosité auroit été satisfaite.
Bien des gens ont été détournez de dépenser leur argent
à quelque spectacle par les tableaux, qu’ils voyoient
devant la porte. J’ai vû plus d’une fois des personnes
tellement attentives à ces objets, qu’elles pouvoient
voir pour rien, qu’à peine prêtoient-elles l’oreille au
maitre du jeu, qui s’egosilloit à crier : Entrez donc,
Messieurs, Entrez. Je vous ai dit au commencement de ma
lettre jusqu’où les Mahometantes portent la modestie de
leur habillement, & vous nous avez
informez des bornes que sa Sainteté a trouvé bon de
prescrire aux Gorges des Dames Romaines. J’espere qu’à
la fin nos belles Bretonnes voudront bien aussi entendre
raison sur ce chapitre ; il est vrai qu’elles ont les
plus belles peaux du monde, mais pourtant elles ne
seroient pas trop mal de n’en faire voir que ce qui
appartient precisement au vigase <sic>, aux mains,
& à la gorge proprement dite ; si elles sont tout à
fait belles, il ne s’en suit pas, qu’elles doivent être
tout à fait nuës. Vous savez, Monsieur, qu’au
commencement du dernier siecle, il y avoit parmi nous
une Secte d’hommes, qui s’appelloient Adamites, &
qui marchoient dans les ruës sants <sic> habits !
Si vous n’y mettez ordre, cette Heresie pourroit bien
s’emparer de l’autre sexe, puisque deja nous voyons par
tout un si grand nombre de Femmes, qui paroissent avoir
un vif penchant à se rendre Evites. Je suis.