Citation: Justus Van Effen [Joseph Addison, Richard Steele] (Ed.): "Discours CX.", in: Le Mentor moderne, Vol.3\110 (1723), pp. 64-75, edited in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Ed.): The "Spectators" in the international context. Digital Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4369 [last accessed: ].


Level 1►

Discours CX.

Citation/Motto► Quisque suos patimur Manes.

Virg.

Nous avons tous notre genre de mort. ◀Citation/Motto

Level 2► Level 3► Letter/Letter to the editor► Monsieur,

La Lettre suivante n’est pas de mon [65] invention ; elle a été réellement écrite par un jeune Cavalier qui languissoit dans une maladie, qui paroissoit incurable, & à lui-même, & à tous ceux qui le voyoient ; si vous croyez que l’image de la situation d’esprit où se doit trouver un homme dans une si triste conjoncture vaut la peine d’être étalée aux yeux du Public, cette Lettre est à votre service. En voici une Copie fidéle. ◀Letter/Letter to the editor

Level 4► Letter/Letter to the editor► Mon cher Monsieur,

Vous m’avez dit autrefois que rien ne prouvoit mieux la foiblesse de la Nature humaine, que la difference qu’on trouvoit dans les pensées & dans les inclinations d’un même homme dans la santé & dans la maladie. Dans la plûpart des gens le corps décide absolument de la situation de l’ame, mais d’une maniere bien particuliere ; la santé & la vigueur du corps introduisent la foiblesse & la maladie dans l’ame, & le corps affoibli remplit l’ame de force & de vigueur. Depuis quelque tems j’ai eu de fréquentes occasions de me considerer moi-même dans ces differentes vûës, & j’ose [66] croire que j’en ai tiré des avantages très considérables. La maladie aussi bien que la vieillesse, en diminuant la force du corps semble élargir la prison de l’ame, & lui donner la liberté de s’étendre davantage. Une maladie languissante n’est dans le fond qu’une vieillesse prématurée, elle fait mieux nous détacher du monde, & élever nos esperances vers une vie meilleure, que mille Volumes composez par les Philosophes les plus éclairez, par les Théologiens les plus judicieux. Les secousses salutaires qu’elle donne à la vigueur, & à la Jeunesse ces foibles appuis de notre vanité, nous font songer à nous fortifier en dedans, à mesure que nous voyons les ouvrages de dehors, sappez & prêts à crouler sur leurs propres fondemens. La Jeunesse, à la considerer de son côté le plus avantageux, ne fait que miner la vie humaine d’une maniere plus douce & plus insensible, que ne fait l’âge avancé, qui par les incommoditez ses Compagnes inséparables, nous avertit qu’elle creuse le Sepulcre sous nos pieds ; elle ressemble à un ruisseau, qui nourrit un arbre planté sur son rivage, & qui le couvre de verdure & de fleurs, dans le tems qu’en secret ses on-[67]des en détachent la racine, & le prépare à une chûte soudaine. Mon jeune age a eu avec moi une conduite plus sincere & plus noble ; il a découvert â mes yeux, les périls qui m’environnoient, & par là il m’a procuré le rare avantage de résister aux appas seducteurs du monde, qui font un effet presque infaillible sur les cœurs encore novices. J’ai été assez heureux pour commencer ma vie par où la plûpart des hommes la finissent, je veux dire par une vûë claire de la vanité de l’ambition, & de la veritable nature des plaisirs mondains dont on attend en vain une satisfaction parfaite & durable. Quand un accès extraordinaire de mon indisposition vient m’annoncer la ruine prochaine de mon corps j’en suis aussi peu allarmé, que l’étoit un certain Irlandois, qui resta tranquillement dans son lit pendant le dernier grand orage. On lui dit que sa maison alloit tomber ? Que m’importe, répondit-il, je n’en suis que le Locataire.

Le tems le plus favorable pour quitter cette vie, est ce me semble, celui où notre ame se trouve dans la plus grande tranquillité ; quelque foible que je sois, je puis dire en conscience, que la mort n’a pas la force de m’inspirer la moindre [68] pensée inquiete. Je ne me chagrine point de sortir de ce monde, & d’en laisser la possession à d’autres, qui pour la plûspart <sic> indignes de mon estime ne meritent pas une seule de mes reflexions ; je ne me mets gueres en peine non plus des sentiments que ma mort va produire dans les cœurs de mes Parens & de mes Amis. Chaque individu humain est un atome si peu considerable en comparaison de toute la masse des Etres créez, qu’il seroit honteux ce me semble, de prendre garde à l’éloignement d’une foible creature comme moi. Le lendemain après mon trepas, le soleil brillera à son ordinaire, les fleurs auront la même odeur agréable, les abres <sic> étaleront aux yeux leur verdure accoûtumée, & les gens riront d’aussi bon cœur, que si j’étois dans la santé la plus vigoureuse. La memoire de l'homme, comme dit fort élegamment le Livre intitulé la Sagesse de Salomon, passe comme le souvenir d’un Hôte, qui ne reste qu’un seul jour. Dans le quatrieme Chapitre de ce même Livre il y a des raisons très fortes pour porter un jeune homme à regarder la mort d’un oeil ferme & tranquille. L’âge honorable n’est pas celui qui consiste dans la longueur [69] du tems, & qui se mesure par le nombre des années ; la sagesse sert de chevaux blancs à l’homme, & une vie sans tache est la veritable vieillesse.

Il fut emporté au plus vîte, est-il dit d’un jeune homme dans un autre endroit, de peur que la méchanceté n’alterât son entendement, & que la fraude ne trompât son ame.

Je suis. ◀Letter/Letter to the editor ◀Level 4 ◀Level 3

Autre Lettre.

Level 3► Letter/Letter to the editor► Mon cher Monsieur,

Je suis l’Epoux fortuné d’une aimable petite femme, qui n’a jamais tort, quoi quelle se querelle sans relâche avec tout le monde, & particulierement avec ses Servantes, & avec moi-même. Pour les Servantes, elle en a du moins tous les ans l’un portant l’autre une bonne douzaine quoiqu’elle n’en ait jamais une seule à la fois. La derniere ne manque jamais d’être la plus méchante de toutes celles qu’elles ait jamais euë dans sa maison ; quoique souvent ces filles ayent contenté d’autres Maitresses pendant plu-[70]sieurs années de suite. Ce n’est pas qu’elle aime le changement, ou qu’elle se fasse un plaisir de les chasser simplement pour les chasser ; point du tout, mais elle les tarabuste tellement, elle se met tellement à leurs trousses, elle les chicane tant sur tout ce qu’elles font, elle leur donne des titres si odieux, elle les accable de cris si longs, & si perçants, qu’elles l’avertissent d’abord de songer à une autre servante, ou bien qu’elles décampent sans demander seulement leurs gages ; c’est ainsi, que par le grand soin qu’elle a d’en faire les meilleurs d’omestiques <sic> du monde, & par leur obstination à n’être pas meilleurs qu’il leur est possible, ma maison est toujours sens dessus dessous, & dans le desordre le plus afreux. Avant qu’une servante ait eu le tems de bien apprendre la place de tous les utensiles, zeste la voila partie, & remplacée par une autre qui dans peu de jours a le même sort ; c’est ainsi que toutes les années se passent. Tout le monde me croit le meilleur des Maris, & moi je suis du sentiment de tout le monde jusquà ce que ma chere Moitié le vrai revers de Grizelidis trouve à propos de me desabuser là-dessus, & de me faire savoir que je ne [71] vaux pas mieux que ses servantes. Hélas, mon cher Monsieur, jamais femme ne fut traittée, comme elle ; le monde ne sait pas jusqu’à quel point elle est malheureuse ; je ne suis qu’un Loup sous l’habit d’un Agneau ; D’ailleurs les voisins sont d’un si maurais <sic> naturel, qu’ils ne veulent pas lui permetre de dire de leurs familles tout ce qu’il lui vient dans l’esprit, & qu’ils pretendent lui rendre la pareille. Comment voulez-vous qu’elle supporte des gens d’un si mauvais caractere ; Il faut bien qu’elle rompe tout commerce avec eux ; la voila sans amis hors de chez elle, & sans la moindre consolation dans sa famille, ou elle ne trouve qu’une Servante Diablesse, & un Boureau de Mari, qui a la cruauté de pretendre qu’elle se tranquilise ; mais la voila qui vient, je me hâte de me dire :

Monsieur, &c. ◀Letter/Letter to the editor ◀Level 3

Level 3► Letter/Letter to the editor► Monsieur.

Je vous conjure de vouloir bien faire tous vos efforts pour rompre la maudite Cotterie des Taciturnes, pour l’amour de moi, qui suis assez malheureuse pour [72] avoir épousé un membre de cette belle Société ; quand il revient de cette Compagnie peu joyeuse, je suis une impertinente babillarde ; ma fille de chambre est une méchante Diablesse, le Valet un Chien stupide, un baudet insupportable, & le Cuisinier n’a non plus de goût qu’une bête ; s’il entend crier un Enfant la servante est une gueuse qui n’a pas le moindre soin, si j’ai de la Compagnie c’est une troupe de Cannes bruiantes, & quand j’ai été faire des visites, je suis une vraïe Madame Trottenville. Les Femmes & les chats, dit il, doivent garder la maison : c’est là sa sentence favorite. Ayez la bonté, Monsieur, de trouver quelque remede contre l’humeur bourrue d’un homme, qui se tait d’ordinaire, & qui ne rompt le silence, que pour dire des choses choquantes & injurieuses. Vous rendrez par là un très important service à toutes les Malheureuses femmes, qui sont attachées par des liens indissolubles aux Epoux les plus facheux, à des hommes sombres, tristes, & taciturnes.

Je suis. ◀Letter/Letter to the editor ◀Level 3

[73] Lettre d’une Quakresse.

Level 3► Letter/Letter to the editor► Ami Mentor,

Notre Frere Tremble t’ayant donné des avis salutaires touchant les tours de gorge, je viens te donner un bon conseil qui regarde ta propre conduite dont jusqu’ici toutes nos Sœurs sont très satisfaites. J’ai lû dans le livre mysterieux appellé les Fables d’Esope, qu’un jour certain Ane s’étoit deguisé sous une peau de Lion, afin de passer pour un des Puissans de ce monde ; mais voici sa vanité fuit trouvée legere, & l’esprit du mensonge fut découvert. Car lors que l’animal glorieux ouvrit ses machoires pour rugir, son vilain braire fit retentir toutes les Montagnes. Ami, ami, que la Morale de cette parabole descende profondément dans ton esprit ; plus tu la peseras, & plus tu deviendras propre à entrer dans la Compagnie des Fidéles. Nous esperons de jour en jour mieux de toi ; mais entre toi & moi, quand tu seras converti, tu feras bien de prendre un nom sanctifié. Un de tes freres portoit un nom de fort bonne Odeur ; il [74] s’appelloit Isaac, mais à present il dort. Le nom de Jacob va fort bien aussi à ton Libraire ; mais certes Mentor à un son Babylonien pour les oreilles de ta bonne Sœur & Amie.

Ruth Simple. ◀Letter/Letter to the editor ◀Level 3

Level 3► Letter/Letter to the editor► Monsieur,

En dépit de vos graves reflexions sur les Dames qui prodiguent les beautez de leur gorge, Elles vont toûjours leur train, & nous autres jeunes gens nous sommes en plus grand danger que jamais. Hier au soir environ à sept heures je fis un tour de promenade dans un Jardin public avec un jeune Cavalier, qui ne venoit que d’arriver de la Province ; à peine y avions-nous été pendant un demi quart d’heure, que mon jeune ami voulut s’en aller, sous prétexte de lassitude ; mais lorsque je le pressai de rester encore quelque temps, il me dit brusquement en me montrant au doit une très belle Femme ! de quoi diantre croyez vous que je sois fait pour pouvoir soutenir la vûë, d’une si ravissante gorge ; je n’en puis plus, je vous dis : cette Da- [75] me là est terriblement belle. Là-dessus nous nous separames, & je pris le parti de jouïr encore pendant une demi heure de la beauté de ce lieu ; mais toutes les fois que je passois par devant la Beauté en question, je baissois les yeux, afin de me derober au pouvoir de ses charmes ; Hélas en voulant éviter Scylla je tombai sur Charibde. Mes yeux portez vers la terre la virent frisée legerement par les pieds de cette Belle, qui étoit les plus charmans du monde ; ils s’offroient à mes regards dans toute leur étendue aussi bien que la moitié d’une jambe faite au Tour ; helas, cher Mentor, si les Corps & les Jupes des Dames se resserrent ainsi dans un plus court espace, s’il est également perilleux de baisser nos regards & de les lever, que ferons-nous desormais de nos yeux, où les fourerons-nous ? Considerez s’il vous plait, que vos Eleves Masculins ne sont pas de fer, & continuez à faire vos efforts, pour épargner à nôtre fragilité de si puissantes tentations. ◀Letter/Letter to the editor ◀Level 3 ◀Level 2 ◀Level 1