Le Mentor moderne: Discours CX.
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Discours CX.
Autre Lettre.
Zitat/Motto
Quisque suos patimur Manes.
Virg.
Nous avons tous notre genre de mort.Ebene 2
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Brief/Leserbrief
Monsieur, La Lettre suivante
n’est pas de mon invention ; elle a été
réellement écrite par un jeune Cavalier qui languissoit
dans une maladie, qui paroissoit incurable, & à
lui-même, & à tous ceux qui le voyoient ; si vous
croyez que l’image de la situation d’esprit où se doit
trouver un homme dans une si triste conjoncture vaut la
peine d’être étalée aux yeux du Public, cette Lettre est
à votre service. En voici une Copie fidéle.
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Brief/Leserbrief
Mon cher Monsieur, Vous
m’avez dit autrefois que rien ne prouvoit mieux la
foiblesse de la Nature humaine, que la difference
qu’on trouvoit dans les pensées & dans les
inclinations d’un même homme dans la santé &
dans la maladie. Dans la plûpart des gens le corps
décide absolument de la situation de l’ame, mais
d’une maniere bien particuliere ; la santé & la
vigueur du corps introduisent la foiblesse & la
maladie dans l’ame, & le corps affoibli remplit
l’ame de force & de vigueur. Depuis quelque tems
j’ai eu de fréquentes occasions de me considerer
moi-même dans ces differentes vûës, & j’ose croire que j’en ai tiré des avantages
très considérables. La maladie aussi bien que la
vieillesse, en diminuant la force du corps semble
élargir la prison de l’ame, & lui donner la
liberté de s’étendre davantage. Une maladie
languissante n’est dans le fond qu’une vieillesse
prématurée, elle fait mieux nous détacher du monde,
& élever nos esperances vers une vie meilleure,
que mille Volumes composez par les Philosophes les
plus éclairez, par les Théologiens les plus
judicieux. Les secousses salutaires qu’elle donne à
la vigueur, & à la Jeunesse ces foibles appuis
de notre vanité, nous font songer à nous fortifier
en dedans, à mesure que nous voyons les ouvrages de
dehors, sappez & prêts à crouler sur leurs
propres fondemens. La Jeunesse, à la considerer de
son côté le plus avantageux, ne fait que miner la
vie humaine d’une maniere plus douce & plus
insensible, que ne fait l’âge avancé, qui par les
incommoditez ses Compagnes inséparables, nous
avertit qu’elle creuse le Sepulcre sous nos pieds ;
elle ressemble à un ruisseau, qui nourrit un arbre
planté sur son rivage, & qui le couvre de
verdure & de fleurs, dans le tems qu’en secret
ses ondes en détachent la racine, &
le prépare à une chûte soudaine. Mon jeune age a eu
avec moi une conduite plus sincere & plus
noble ; il a découvert â mes yeux, les périls qui
m’environnoient, & par là il m’a procuré le rare
avantage de résister aux appas seducteurs du monde,
qui font un effet presque infaillible sur les cœurs
encore novices. J’ai été assez heureux pour
commencer ma vie par où la plûpart des hommes la
finissent, je veux dire par une vûë claire de la
vanité de l’ambition, & de la veritable nature
des plaisirs mondains dont on attend en vain une
satisfaction parfaite & durable. Quand un accès
extraordinaire de mon indisposition vient m’annoncer
la ruine prochaine de mon corps j’en suis aussi peu
allarmé, que l’étoit un certain Irlandois, qui resta
tranquillement dans son lit pendant le dernier grand
orage. On lui dit que sa maison alloit tomber ? Que
m’importe, répondit-il, je n’en suis que le
Locataire. Le tems le plus favorable pour quitter
cette vie, est ce me semble, celui où notre ame se
trouve dans la plus grande tranquillité ; quelque
foible que je sois, je puis dire en conscience, que
la mort n’a pas la force de m’inspirer la moindre
pensée inquiete. Je ne me chagrine
point de sortir de ce monde, & d’en laisser la
possession à d’autres, qui pour la plûspart
<sic> indignes de mon estime ne meritent pas
une seule de mes reflexions ; je ne me mets gueres
en peine non plus des sentiments que ma mort va
produire dans les cœurs de mes Parens & de mes
Amis. Chaque individu humain est un atome si peu
considerable en comparaison de toute la masse des
Etres créez, qu’il seroit honteux ce me semble, de
prendre garde à l’éloignement d’une foible creature
comme moi. Le lendemain après mon trepas, le soleil
brillera à son ordinaire, les fleurs auront la même
odeur agréable, les abres <sic> étaleront aux
yeux leur verdure accoûtumée, & les gens riront
d’aussi bon cœur, que si j’étois dans la santé la
plus vigoureuse. La memoire de l'homme, comme dit
fort élegamment le Livre intitulé la Sagesse de
Salomon, passe comme le souvenir d’un Hôte, qui ne
reste qu’un seul jour. Dans le quatrieme Chapitre de
ce même Livre il y a des raisons très fortes pour
porter un jeune homme à regarder la mort d’un oeil
ferme & tranquille. L’âge honorable n’est pas
celui qui consiste dans la longueur du
tems, & qui se mesure par le nombre des années ;
la sagesse sert de chevaux blancs à l’homme, &
une vie sans tache est la veritable vieillesse. Il
fut emporté au plus vîte, est-il dit d’un jeune
homme dans un autre endroit, de peur que la
méchanceté n’alterât son entendement, & que la
fraude ne trompât son ame. Je suis.
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Brief/Leserbrief
Mon cher Monsieur, Je suis
l’Epoux fortuné d’une aimable petite femme, qui n’a
jamais tort, quoi quelle se querelle sans relâche avec
tout le monde, & particulierement avec ses
Servantes, & avec moi-même. Pour les Servantes, elle
en a du moins tous les ans l’un portant l’autre une
bonne douzaine quoiqu’elle n’en ait jamais une seule à
la fois. La derniere ne manque jamais d’être la plus
méchante de toutes celles qu’elles ait jamais euë dans
sa maison ; quoique souvent ces filles ayent contenté
d’autres Maitresses pendant plusieurs
années de suite. Ce n’est pas qu’elle aime le
changement, ou qu’elle se fasse un plaisir de les
chasser simplement pour les chasser ; point du tout,
mais elle les tarabuste tellement, elle se met tellement
à leurs trousses, elle les chicane tant sur tout ce
qu’elles font, elle leur donne des titres si odieux,
elle les accable de cris si longs, & si perçants,
qu’elles l’avertissent d’abord de songer à une autre
servante, ou bien qu’elles décampent sans demander
seulement leurs gages ; c’est ainsi, que par le grand
soin qu’elle a d’en faire les meilleurs d’omestiques
<sic> du monde, & par leur obstination à
n’être pas meilleurs qu’il leur est possible, ma maison
est toujours sens dessus dessous, & dans le desordre
le plus afreux. Avant qu’une servante ait eu le tems de
bien apprendre la place de tous les utensiles, zeste la
voila partie, & remplacée par une autre qui dans peu
de jours a le même sort ; c’est ainsi que toutes les
années se passent. Tout le monde me croit le meilleur
des Maris, & moi je suis du sentiment de tout le
monde jusquà ce que ma chere Moitié le vrai revers de
Grizelidis trouve à propos de me desabuser là-dessus,
& de me faire savoir que je ne vaux pas
mieux que ses servantes. Hélas, mon cher Monsieur,
jamais femme ne fut traittée, comme elle ; le monde ne
sait pas jusqu’à quel point elle est malheureuse ; je ne
suis qu’un Loup sous l’habit d’un Agneau ; D’ailleurs
les voisins sont d’un si maurais <sic> naturel,
qu’ils ne veulent pas lui permetre de dire de leurs
familles tout ce qu’il lui vient dans l’esprit, &
qu’ils pretendent lui rendre la pareille. Comment
voulez-vous qu’elle supporte des gens d’un si mauvais
caractere ; Il faut bien qu’elle rompe tout commerce
avec eux ; la voila sans amis hors de chez elle, &
sans la moindre consolation dans sa famille, ou elle ne
trouve qu’une Servante Diablesse, & un Boureau de
Mari, qui a la cruauté de pretendre qu’elle se
tranquilise ; mais la voila qui vient, je me hâte de me
dire : Monsieur, &c.
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Brief/Leserbrief
Monsieur. Je vous conjure de
vouloir bien faire tous vos efforts pour rompre la
maudite Cotterie des Taciturnes, pour l’amour de moi,
qui suis assez malheureuse pour avoir
épousé un membre de cette belle Société ; quand il
revient de cette Compagnie peu joyeuse, je suis une
impertinente babillarde ; ma fille de chambre est une
méchante Diablesse, le Valet un Chien stupide, un baudet
insupportable, & le Cuisinier n’a non plus de goût
qu’une bête ; s’il entend crier un Enfant la servante
est une gueuse qui n’a pas le moindre soin, si j’ai de
la Compagnie c’est une troupe de Cannes bruiantes, &
quand j’ai été faire des visites, je suis une vraïe
Madame Trottenville. Les Femmes & les chats, dit il,
doivent garder la maison : c’est là sa sentence
favorite. Ayez la bonté, Monsieur, de trouver quelque
remede contre l’humeur bourrue d’un homme, qui se tait
d’ordinaire, & qui ne rompt le silence, que pour
dire des choses choquantes & injurieuses. Vous
rendrez par là un très important service à toutes les
Malheureuses femmes, qui sont attachées par des liens
indissolubles aux Epoux les plus facheux, à des hommes
sombres, tristes, & taciturnes. Je suis.
Lettre d’une Quakresse.
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Brief/Leserbrief
Ami Mentor, Notre Frere
Tremble t’ayant donné des avis salutaires touchant les
tours de gorge, je viens te donner un bon conseil qui
regarde ta propre conduite dont jusqu’ici toutes nos
Sœurs sont très satisfaites. J’ai lû dans le livre
mysterieux appellé les Fables d’Esope, qu’un jour
certain Ane s’étoit deguisé sous une peau de Lion, afin
de passer pour un des Puissans de ce monde ; mais voici
sa vanité fuit trouvée legere, & l’esprit du
mensonge fut découvert. Car lors que l’animal glorieux
ouvrit ses machoires pour rugir, son vilain braire fit
retentir toutes les Montagnes. Ami, ami, que la Morale
de cette parabole descende profondément dans ton
esprit ; plus tu la peseras, & plus tu deviendras
propre à entrer dans la Compagnie des Fidéles. Nous
esperons de jour en jour mieux de toi ; mais entre toi
& moi, quand tu seras converti, tu feras bien de
prendre un nom sanctifié. Un de tes freres portoit un
nom de fort bonne Odeur ; il s’appelloit
Isaac, mais à present il dort. Le nom de Jacob va fort
bien aussi à ton Libraire ; mais certes Mentor à un son
Babylonien pour les oreilles de ta bonne Sœur &
Amie. Ruth Simple.
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Brief/Leserbrief
Monsieur, En dépit de vos
graves reflexions sur les Dames qui prodiguent les
beautez de leur gorge, Elles vont toûjours leur train,
& nous autres jeunes gens nous sommes en plus grand
danger que jamais. Hier au soir environ à sept heures je
fis un tour de promenade dans un Jardin public avec un
jeune Cavalier, qui ne venoit que d’arriver de la
Province ; à peine y avions-nous été pendant un demi
quart d’heure, que mon jeune ami voulut s’en aller, sous
prétexte de lassitude ; mais lorsque je le pressai de
rester encore quelque temps, il me dit brusquement en me
montrant au doit une très belle Femme ! de quoi diantre
croyez vous que je sois fait pour pouvoir soutenir la
vûë, d’une si ravissante gorge ; je n’en puis plus, je
vous dis : cette Dame là est terriblement
belle. Là-dessus nous nous separames, & je pris le
parti de jouïr encore pendant une demi heure de la
beauté de ce lieu ; mais toutes les fois que je passois
par devant la Beauté en question, je baissois les yeux,
afin de me derober au pouvoir de ses charmes ; Hélas en
voulant éviter Scylla je tombai sur Charibde. Mes yeux
portez vers la terre la virent frisée legerement par les
pieds de cette Belle, qui étoit les plus charmans du
monde ; ils s’offroient à mes regards dans toute leur
étendue aussi bien que la moitié d’une jambe faite au
Tour ; helas, cher Mentor, si les Corps & les Jupes
des Dames se resserrent ainsi dans un plus court espace,
s’il est également perilleux de baisser nos regards
& de les lever, que ferons-nous desormais de nos
yeux, où les fourerons-nous ? Considerez s’il vous
plait, que vos Eleves Masculins ne sont pas de fer,
& continuez à faire vos efforts, pour épargner à
nôtre fragilité de si puissantes tentations.