Le Mentor moderne: Discours CVI.
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Discours CVI.
Zitat/Motto
Homo sum, humani à me nihil alienum
puto.
Terence.
Je suis homme, & je m’intéresse à tout ce qui regarde ceux qui sont hommes comme moi.Ebene 2
Quand nous considérons avec une
attention philosophique le Systême de toutes les Créatures, qui
sont à la portée de nos connoissances, tant dans le monde
corporel, que dans le monde intellectuel, il n’est pas possible
que nous n’y trouvions une certaine harmonie, une certaine
liaison entre toutes les parties différentes ; nous ne saurions
qu’y sentir une unité de dessein, & une conformité
d’opérations, qui nous démontrent, que tout l’Univers est la
production d’un seul Etre infiniment bon, & infiniment
sage ; il faut de nécessité, que nous découvrions, que le monde
raisonnable suit des Loix constantes dérivées de la même
Puissance, qui a donné des Loix invariables au monde matériel.
La contemplation de l’arrangement, de la Cohésion,
& du mouvement de la matiére unit dans nos jours les plus
grands Philosophes dans l’opinion, qu’il y a une attraction
mutuelle dans tous les corps, du moins dans ceux qui se trouvent
dans nôtre Systême Solaire. Tous les corps, qui font leurs
révolutions autour du Soleil sont attirez vers cet Astre, &
les uns vers les autres par un principe secret, constant &
uniforme ; c'est par là que la Terre & les autres Planetes,
au lieu de s'échaper par une ligne tangente, roulent autour du
Soleil ; c'est par là que la Lune fait un mouvement pareil
autour de nôtre Globe, dont elle est compagne fidéle depuis tant
de Siécles. Ce même principe, qui entretient l’ordre dans ce
vaste Systême Planétaire, régle aussi les moindres parties de la
matiére. Si nous détournons nos pensées du monde corporel vers
le monde moral, nous trouvons dans les ames humaines un
semblable principe d’attraction, qui forme parmi les hommes, les
Peuples, les Sociétez, les Familles, les Cotteries, & les
relations d’amitié ; comme dans les corps égaux en quantité,
l’attraction est la plus efficace entre ceux qui sont le moins
éloignez les uns des autres, l’attraction
spirituelle est aussi la plus forte, toutes choses égales, entre
les Hommes qui ont ensemble les Relations les plus étroites,
& le plus de proximité. Ces corps séparez par un espace de
plusieurs millions de lieuës ne laissant pas d’operer les uns
sur les autres par une attraction constante, quoique l’effet
n’en soit pas remarquable ; ils s’approcheroient certainement,
s’ils n’étoient pas retenus par les forces contraires d’autres
corps, qui les attirent de differens côtez. Il en est de même de
l’attraction, qui a lieu dans nos cœurs ; nôtre pente naturelle
vers les individus de nôtre espece, avec qui nous n’avons qu’une
Relation éloignée, ne fait point un effet sensible, à cause
d’une attraction plus efficace, qui nous unit avec les Hommes,
qui ont avec nous une Relation plus prochaine. Mais ôtez cet
obstacle ; l’effet de ce Penchant, qui nous porte vers tous les
Hommes se développera par degrez & deviendra bien-tôt très
sensible. Un homme qui n’a point de Parens entrera bien-tôt dans
d’étroites liaisons avec des Voisins ou avec des Amis. S’il est
éloigné de ceux-là ils <sic> s’accroche à des Concitoyens,
ou bien à des Compatriotes, qui se trouvent avec lui dans un même lieu. Deux Anglois, qui se rencontrent à
Rome ou à Constantinople, trouvent des raisons suffisantes
d'union, en ce qu'ils sont nez dans un même Royaume. Dans le
Japon ou dans la Chine, c'est assez d'être Européen pour se lier
par le Commerce le plus intime. Si nous étions transportez dans
Jupiter, ou dans Saturne, & si nous y rencontrions un
Chinois, où quelque Habitant de la partie de notre Globe la plus
éloignée de la Grande-Bretagne, nous le considererions comme un
proche Parent, & bien-tôt nous entrerions avec lui dans le
Commerce le plus familier. Ce sont là des Réfléxions, dont la
vérité est palpable, & qui nous sont sentir que nous sommes
liez, comme par une chaine imperceptible, à tous les Individus
de notre espece. Tous les grands corps, qui composent notre
Systême solaire seroient bien-tôt unis par l’attraction au
centre de gravité qui leur est commun. Mais l’Auteur de la
Nature pour empêcher cette union a donné à chacun de ces corps
un mouvement en ligne directe, qui concourant avec le principe
d’attraction les retient dans les mêmes orbites autour du Soleil. Si ce mouvement en ligne directe
semblable à celui d’un boulet qui sort d’un piece de Canon,
venoit une fois à cesser, la gravitation seule ne trouvant plus
une force qui la contrebalançât ramasseroit bien-tôt tous ces
vastes corps dans une une <sic> même masse. C’est d’une
maniére parfaitement parallele, que dans la societé, les
mouvemens de l’ame produits par l’amour-propre traversent
l’operation de ce principe de bienveuillance & d’union, qui
est essentiel à notre nature, & qui continuë pourtant d’agir
& de balancer ces mouvemens qui tendent à nous concentrer en
nous-mêmes. Qu’on nous ôte les vuës d’un intérêt grossier &
le desorde des passions, bien-tôt l’attraction spirituelle ne
sera qu’une seule masse de tout le genre-humain. Le principe de
la gravitation des corps ne sauroit être expliqué que d’une
seule maniére ; c’est en l’attribuant à la volonté directe,
& à l’operation immediate de Dieu, qui l’a trouvé le plus
propre à maintenir l’ordre dans le Monde corporel. Notre
Parallele est encore ici parfaitement éxact ; nous ne saurions
indiquer d’autre cause de l’attraction qui dirige nos ames, que
la volonté immediate de l’Auteur de la Nature. Elle
n'est point l’effet de l’Education, des loix, de la coutume ;
c’est un attribut <sic> essentiel de l’ame, qui l’a reçu
de Dieu avec l’éxistance. Si dans l’attraction corporelle on
trouve un principe général, qui produit un nombre infini
d'effets, & qui est la clef de presque tous les Phenomenes
de la Nature, le Penchant vers la Societé, qui est essentiel au
cœur humain, est un autre principe général, dont découlent
presque toutes nos actions morales, qui se rapportent à ce
Penchant comme à leur source, & à leur regle. C’est ce
Principe qui porte chaque homme a s’unir avec toute son espece,
& qui lui inspire la conduite la plus convenable au bien du
Genre-Humain ; de là cette Sympathie, qui nous fait participer à
la joye & à la douleur de nos prochains ; de là cet amour si
vif, & si impetueux, qui nous entraine vers nos Enfans,
& qui n’est point fondé sur notre intérêt, ni sur le merite
de ceux qui sont les objets d'une si violente passion. C’est ce
principe, qui nous donne de la curiosité pour les affaires des
Nations les plus éloignées, avec lesquelles nous n’avons rien à démêler. C’est cet heureux Penchant, qui
étend nos soins jusques aux générations futures, & qui nous
rend les Bienfaiteurs de ceux, que nous ne verrons jamais, &
dont par conséquent nous ne saurions attendre la moindre
récompense. Enfin c'est ce noble principe qui est la source de
cette humanité si étenduë, dont il est aussi difficile de donner
une Idée à ceux, qui ont le malheur de ne la point sentir, que
de communiquer à un aveugle l’idée de la vuë. Ces sortes d’ames
dures sont bien à plaindre, il leur manque un attribut
essentiel, ce sont des especes de monstres, & leur
defectuosité les prive d’une source abondante de sensations
délicieuses. C’est
nôtre devoir, parce que nous repondons par là au but l’être
suprême, qui a jetté dans nos ames ces semences d’un amour
mutuel, pour nous faire sentir, qu’il a à cœur le bonheur
général du Genre-Humain. C’est nôtre intérêt, parce
que le bonheur de chaque particulier est une suite nécessaire de
la felicité de toute l’espece ; contribuer au bien de toute la
societé, c'est travailler à nôtre propre bonheur. Elles nous
fournissent une forte preuve de la Divinité de la Religion
Chrétienne, qui se caractérise en nous prêchant sur tout la
Charité. Differentes maximes, differens preceptes ont été comme
la livrée d’autres Religions ; mais le precepte particulier de
l’Evangile, la Leçon dominante de notre Sauveur revient à ceci,
Aimez vôtre Prochain comme vous-même ; par ceci l’on verra que
vous êtes mes Disciples, si vous vous aimez les uns les autres.
Je sai <sic> fort bien, que ce qui fait la plus belle
preuve de la Divinité de la Religion Chrétienne est en même tems
un accablant reproche, pour ceux, qui osent se faire honneur du
nom de Chrétiens ; mais cette preuve n'en est pas moins
évidente. Si nous considerons l’Analogie de la Nature, dans
l’attraction mutuelle des corps, & dans le Penchant qu’a
naturellement l’ame humaine, pour l’union ; si nous comparons
ensemble les vuës & les facultez, qui se
trouvent & dans le monde visible & dans le monde
intellectuel, nous ne saurions douter que le precepte, qui est
le caractére de nôtre Religion, ne derive de l’Auteur de la
Nature. L’Univers n’est qu’union, le Christianisme n’est
qu’union ; ce sont deux plans paralleles, qui ont le même but,
& qui viennent d’une même origine. Il est vrai que nos
Esprits-forts modernes taxent la Morale Chrétienne d'être
défectueuse en ce que l’Evangile ne fait pas la moindre mention
de l’Amitié, vertu si agréable & si utile. S’il m’est permis
de me servir d’une phrase proverbiale, je dirai que ces grands
Hommes ne voyent pas le bois à cause des arbres, & que les
maisons les empêchent de découvrir la Ville. Quoi ! une Religion
dont le grand but est d’inspirer aux Hommes la Charité la plus
noble, la bienveuillance, la plus désinteressée pour tout le
Genre-Humain ; une Religion qui veut que nous regardions tous
les Hommes comme nos Freres ; une Religion enfin qui nous prêche
la plus tendre Amitié pour chaque individu humain ; une telle
Religion est accusée de rayer l’Amitié de la liste
des vertus ? En verité, une objection de cette nature
caracterise parfaitement bien l'aveuglement & la prévention
de ceux qui ont le front de la proposer.
Metatextualität
J’insére d’abord de
ce que je viens d’avancer que puisque ce Penchant est
absolument nécessaire au bien général de la societé, c’est
le devoir & l’intérêt de chaque individu humain de le
nourir & de l’augmenter dans son cœur.
Metatextualität
Je tire une seconde conséquence des
Réfléxions, qu’on vient de voir.