Discours CV. Justus Van Effen [Joseph Addison, Richard Steele] Moralische Wochenschriften Klaus-Dieter Ertler Herausgeber Hannah Bakanitsch Mitarbeiter Lilith Burger Mitarbeiter Karin Heiling Mitarbeiter Elisabeth Hobisch Herausgeber Mario Müller Mitarbeiter Sarah Lang Gerlinde Schneider Martina Scholger Johannes Stigler Gunter Vasold Datenmodellierung Applikationsentwicklung Institut für Romanistik, Universität Graz Zentrum für Informationsmodellierung, Universität Graz Graz 01.06.2018 o:mws.6850 Justus Van Effen : Le Mentor moderne ou Discours sur les mœurs du siècle ; traduit de l'Anglois du Guardian de Mrs Addisson, Steele, et autres Auteurs du Spectateur. La Haye : Frères Vaillant et N. Prévost, Tome III, 9-18 Le Mentor moderne 3 105 1723 Frankreich Ebene 1 Ebene 2 Ebene 3 Ebene 4 Ebene 5 Ebene 6 Allgemeine Erzählung Selbstportrait Fremdportrait Dialog Allegorisches Erzählen Traumerzählung Fabelerzählung Satirisches Erzählen Exemplarisches Erzählen Utopische Erzählung Metatextualität Zitat/Motto Leserbrief Graz, Austria French Natur Natura Nature Naturaleza Nature Italy 12.83333,42.83333 France 2.0,46.0

Discours CV.

Nunc formosissimus Annus.

Virg.

C’est à présent la plus belle Saison de l’Année.

Les gens de mon âge sont plus touchez d’un beau tems, que de tout autre plaisir ; en vain empruntons-nous de la bouteille des esprits auxiliaires, & une chaleur artificielle ; la gayeté passagere qu’elle nous fournit ne sauroit tenir contre un Ciel couvert de nuages ; il semble que nous nous courbions sous un air épais ; il fait languir toutes nos facultez, & il communique à notre ame tout ce qu’il a de triste & de sombre ; au lieu qu'un beau Soleil, & un Ciel serain nous remplit des sensations les plus voluptueuses.

Dans mes accès d’Hypocondre je souhaite quelquefois de pouvoir me métamorphoser en marmotte ; hélas, quand je songe à un de ces animaux tout concentré en lui-même pendant l’Hiver, enséveli dans un tranquille sommeil, & renfermant dans les limites de sa fouru-re, tout ce qui lui est nécessaire pour être heureux, je ne puis que lui porter envie, & je troquerois ma qualité de Philosophe, contre son repos.

Si l'art de voler étoit jamais porté à sa perfection, je m’en servirois pour accompagner le Soleil en qualité de Satellite, & pour suivre le Printems par tous les Signes du Zodiac. Mon cœur tressaillit toûjours de joye au retour de cette agréable Saison ; qu’y a-t-il de plus merveilleux, & de plus digne de nos réfléxions, que ce changement universel qu'elle produit dans la Nature. Quel charme de voir la Terre couverte de neige, & garottée, pour ainsi dire, par le froid, se défaire insensiblement de ces liens, & revenir de sa longue léthargie ; quel spectacle touchant, quand elle commence à pousser les Plantes, & les Fleurs, que peu à peu elle se couvre d’un tapis verd orné de mille couleurs différentes, & qu’elle exhale des odeurs délicieuses, qui, par nos organes frapez voluptueusement, répandent la joye dans notre ame !

Attentif à toutes ces beautez du Printems, je me fais une Loi d’en perdre aussi peu qu’il m’est possible, & d’en mettre tous les momens à profit. Je me leve avec le Soleil, je me promene par les Campagnes, je me perds dans un Bois, & parvenu à cette pointe de lassitude, qui fait du repos une espéce de volupté, je me couche sur l’herbe, sur le bord fleuri de quelque ruisseau. Le dernier mois de Mai j’ai passé quelques jours à la Terre d’un Gentilhomme de mes Amis, où tous les matins je régalois mes yeux, & mon imagination de la plus charmante vûë, qu’il est possible de contempler. Pour en jouïr, je me plaçois d’ordinaire devant un vieux Château, situé sur une petite colline ; je voyois devant moi couler une Riviére passablement grande, qui bouchée à quelque distance de là par un monceau de grosses pierres, sort de son lit, & se glisse dans un épais Bocage. Je la suivois de l’œil dans tous ces Méandres, & je voyois par-ci par-là le cristal de ses Eaux briller à travers la verdure. Après l'avoir accompagné par une étenduë d'une demi lieuë, mes yeux étoient conduits entre deux rangées de collines verdoyantes, jusqu'à une haute Montagne, qui borne toute cette ravissante Perspective.

Le Lecteur me pardonnera j’espére de me laisser mener, par l’idée du Prin-tems, à celle d’un beau Païsage, c’est sur-tout dans cette aimable Saison, que les belles vûës s’offrent à l’imagination dans un jour avantageux ; mais si c’est alors que la Campagne charme les yeux, l’oreille n’y perd rien ; elle y trouve aussi dequoi s'amuser de la maniére la plus délicieuse. Les Oiseaux ranimez par une douce chaleur, ravissent notre ame par une musique, dont l’agrément sauvage fait, sur un goût ami de la Nature, des efforts plus touchans, que les compositions les plus profondes de la savante Italie. Une vigueur nouvelle se glisse dans leurs veines, & les porte à la propagation de leur espéce. Les mâles pleins de desirs amoureux, les expriment <sic> par le ramage le plus tendre & le plus doux. Ils font sortir de leurs gosiers flexibles, des cadences plus fortes & mieux soûtenuës, que celles dont ils égayent les Bois dans toute autre Saison. C’est un divertissement, qui n’est rien moins qu’indigne d’un Etre raisonnable de suivre ces aimables créatúres <sic> dans leurs tendres intrigues, de les voir s’attacher à l’objet de leur passion, d’examiner le tissu curieux de leurs nids, & de prêter attention aux soins qu’elles ont de leurs petites familles.

Je fis connoissance à la Campagne dont je viens de parler, avec un Hochequeue & avec sa Maîtresse, c’étoit un plaisir très-vif pour moi de remarquer tous les petits soins qu’il étoit obligé d'employer journellement, avant que de la porter à le rendre heureux ; par quels détours n’étoit-il pas obligé de la suivre dans les airs ? Avec quel petit air coquet ne trottoit-elle pas quelquefois à côté de lui, en faisant semblant de ne pas prendre garde seulement aux petites contorsions qu’il donnoit à son corps, pour rendre hommage à cette Belle ! Cet agréable spectacle rajeunissoit mon imagination, & me rapelloit le souvenir de la belle, mais capricieuse Araminte ; j’ai souhaité souvent de savoir le langage des Oiseaux, en entendant ce pauvre Mâle pousser un ramage perçant & douloureux, quand sa Compagne avoit la dureté de le quiter ; je suis sûr que dans ce tems-là il lui faisoit les mêmes reproches impertinemment tendres, dont j’ai souvent accablé mon inflexible Maîtresse.

Je puisois encore une grande satisfaction dans l’examen d’une nichée de jeunes Oiseaux conduits par un Pere secourable, & par une Mere indulgente & officieuse. C’étoit des Pinçons ; je voyois le Mâle étendre & éplucher ses aîles, nettoyer ses plumes, & s'ajuster depuis les pieds jusqu’à la tête ; après s’être accommodé de cette maniére avec toute la propreté possible, il allongeoit, il secoüoit son petit col, qui par cela même sembloit revêtir des couleurs plus vives, & plus brillantes ; il se rengorgeoit, & il se donnoit des airs, qui marquoient, qu’il étoit content de sa figure. Il tiroit ensuite de son gosier des tons aussi variez qu’agréables, & insinuans ; tout en chantant il se mettoit à voler autour du nid de cent différentes maniéres, comme pour inviter sa femme & ses enfans à venir prendre l'air avec lui. Rien n’étoit plus amusant que de voir le vol tremblant, & peu sûr de ces petits animaux, qui faisoient leur premiére entrée dans le Monde emplumé ; rien de plus attendrissant que de prêter attention aux soins que leur donnoient le mâle & la femelle. Soins qui caractérisoient les différens Sexes de l’un & de l’autre. Je ne pouvois arracher mes yeux d’un objet si intéressant, qui me faisoit souhaiter, que des Epoux d’un ordre supérieur fussent attachez les uns aux autres par une ten-dresse mutuelle de la même force, & qu’ils pourvûssent de la même maniére aux besoins de ceux qui leur doivent la vie.

Je finirai mon babil sur le Printems, que j’apelle d’ordinaire la jeunesse & la santé de l'Année, par quelques Vers que j’emprunte d’un Poëme manuscrit sur la Chasse. L’Auteur y conseille de donner aux Lévriers la liberté de faire l’amour au Printems ; & de ce précepte il tire occasion, à la maniére des Anciens, de s’étendre sur les éloges de cette Saison. Cette digression donne encore lieu à des digressions subalternes ; mais elles s'enchassent les unes dans les autres d’une maniére si naturelle & si aisée, que je suis sûr que tout ce morceau fera plaisir au Lecteur.

Permettez, qu'au Printems vos fougueux Lévriers A leurs brûlans desirs se livrent tout entiers ;Tout s’abandonne alors au plaisir qui l’entraîne,Tout sent d'un tendre amour l’aimable & douce peine ;Flore alors, que chassa l’Aquilon en courroux,Vient humer dans nos Champs un air pur, un air doux. Son sein fécond ouvert aux souffles de SephireRépand un vif émail sur son aimable empire ;Dans l’air subtilisé Venus verse ses feux, Respirer, c’est aimer, qui vit est amoureux. Ecoutons ; mille Oiseaux sous un naissant feuillage De leurs tendres Concerts égayent ce Bocage.Ce son gai, qui se mêle à leurs tons languissantsProuve que c’est l’Amour, qui leur dicte leurs chants.Ce doux poison se glisse au cœur de la TygresseSa cruelle fureur se perd dans sa tendresse ;Les yeux du fier Lion brûlent de ses désirsEt ses rugissemens deviennent ses soûpirs.L’Amour portant ses feux jusqu'aux humides PlainesSaisit les vastes corps des stupides Baleines,Et lourdement badins on voit ces animauxSauter, bondir, pour plaire aux causes de leurs maux. Le voici, ce Printems ; Tout rit dans la Nature Vien <sic>, Philis, viens jouïr de l’aimable verdure ;Orne encore à mes yeux nos Prez, & nos Forêts.Rend plus vives ces Fleurs, ces ombrages plus frais.Qu’ici, pour ton Lycas, tes faveurs innocentesVersent sur chaque instant des délices touchantes ; Qu’ici de belles nuits succédant aux beaux joursNous surprennent perdus dans nos tendres amours.Ravissante Saison ! Tels les jours se suivirent,Quand nos premiers Parens d’un doux lien s’unirent,Lors qu’encore innocent le Pere des HumainsAux Animaux divers fixa des noms certains ;Alors sur un Côteau le Lion peu sauvageEntroit avec l’Agneau dans un doux badinage,Le Tygre avec le Cerf paissoit tranquillementEt le Lièvre du Chien aprochoit hardiment ;Mais dès que tu saisis, foible & credule Mere,Un fruit sécond en maux de ta main téméraire,Le bonheur disparut, la Paix s’enfuit aux Cieux ;Du besoin indiscret. Enfans pernicieuxEt l’Envie & la Haine envahissant la TerreTraînerent à leur suite une éternelle Guerre.Un Animal qui craint, se fait craindre à son tour,Le sanguinaire Loup suit la clarté du jour,Des Dogues furieux redoutant le courageDans la nuit au Bercail il sait sentir sa rage ;Le timide Lapin sous terre se tapït,Et par sa propre peur le Liévre se trahit ; L'Homme, l’Homme, autrefois leur Maître pacifique,Court exercer sur eux un pouvoir tyrannique.Dans cent ruses la Faim l’aprend à réussir.La Chasse change en Art, & cet Art en plaisir.Nimrod fut le premier qui porta son audaceA lancer un Lion, à le suivre à la traceIl fût le terrasser d'un bras victorieux,Et vêtit sa dépouille, ornement glorieux.L’Ours aux crins hérissez, le Leopard terrible,Résistérent en vain à sa force invincible ;Heureux ! si son courage à ces meurtres bornéAu meurtre des Humains ne l’eût pas entraîné.Trop heureux les Mortels ! Si les vainqueurs des BêtesN’eussent pas jusqu’à l’Homme étendu leurs ConquêtesGrands Dieux, que de leur gloire un éclat séducteur,Ne m'en rende jamais coupable Imitateur ;Non ; je ne cherche point sur les pas de BelloneL'Abominable Honneur, qu’un crime illustre donne ;Le Trône chancellant a pour moi peu d'attraits ;Voudrois-je y parvenir par de nobles forfaits ?Je mets tout mon honneur, je limite ma joye,A trouver dans les Bois une abondante proye.Je veux par l’exercice affermir ma santé,Et vivre vertueux, ni grand, ni redouté.

Discours CV. Nunc formosissimus Annus. Virg. C’est à présent la plus belle Saison de l’Année. Les gens de mon âge sont plus touchez d’un beau tems, que de tout autre plaisir ; en vain empruntons-nous de la bouteille des esprits auxiliaires, & une chaleur artificielle ; la gayeté passagere qu’elle nous fournit ne sauroit tenir contre un Ciel couvert de nuages ; il semble que nous nous courbions sous un air épais ; il fait languir toutes nos facultez, & il communique à notre ame tout ce qu’il a de triste & de sombre ; au lieu qu'un beau Soleil, & un Ciel serain nous remplit des sensations les plus voluptueuses. Dans mes accès d’Hypocondre je souhaite quelquefois de pouvoir me métamorphoser en marmotte ; hélas, quand je songe à un de ces animaux tout concentré en lui-même pendant l’Hiver, enséveli dans un tranquille sommeil, & renfermant dans les limites de sa fouru-re, tout ce qui lui est nécessaire pour être heureux, je ne puis que lui porter envie, & je troquerois ma qualité de Philosophe, contre son repos. Si l'art de voler étoit jamais porté à sa perfection, je m’en servirois pour accompagner le Soleil en qualité de Satellite, & pour suivre le Printems par tous les Signes du Zodiac. Mon cœur tressaillit toûjours de joye au retour de cette agréable Saison ; qu’y a-t-il de plus merveilleux, & de plus digne de nos réfléxions, que ce changement universel qu'elle produit dans la Nature. Quel charme de voir la Terre couverte de neige, & garottée, pour ainsi dire, par le froid, se défaire insensiblement de ces liens, & revenir de sa longue léthargie ; quel spectacle touchant, quand elle commence à pousser les Plantes, & les Fleurs, que peu à peu elle se couvre d’un tapis verd orné de mille couleurs différentes, & qu’elle exhale des odeurs délicieuses, qui, par nos organes frapez voluptueusement, répandent la joye dans notre ame ! Attentif à toutes ces beautez du Printems, je me fais une Loi d’en perdre aussi peu qu’il m’est possible, & d’en mettre tous les momens à profit. Je me leve avec le Soleil, je me promene par les Campagnes, je me perds dans un Bois, & parvenu à cette pointe de lassitude, qui fait du repos une espéce de volupté, je me couche sur l’herbe, sur le bord fleuri de quelque ruisseau. Le dernier mois de Mai j’ai passé quelques jours à la Terre d’un Gentilhomme de mes Amis, où tous les matins je régalois mes yeux, & mon imagination de la plus charmante vûë, qu’il est possible de contempler. Pour en jouïr, je me plaçois d’ordinaire devant un vieux Château, situé sur une petite colline ; je voyois devant moi couler une Riviére passablement grande, qui bouchée à quelque distance de là par un monceau de grosses pierres, sort de son lit, & se glisse dans un épais Bocage. Je la suivois de l’œil dans tous ces Méandres, & je voyois par-ci par-là le cristal de ses Eaux briller à travers la verdure. Après l'avoir accompagné par une étenduë d'une demi lieuë, mes yeux étoient conduits entre deux rangées de collines verdoyantes, jusqu'à une haute Montagne, qui borne toute cette ravissante Perspective. Le Lecteur me pardonnera j’espére de me laisser mener, par l’idée du Prin-tems, à celle d’un beau Païsage, c’est sur-tout dans cette aimable Saison, que les belles vûës s’offrent à l’imagination dans un jour avantageux ; mais si c’est alors que la Campagne charme les yeux, l’oreille n’y perd rien ; elle y trouve aussi dequoi s'amuser de la maniére la plus délicieuse. Les Oiseaux ranimez par une douce chaleur, ravissent notre ame par une musique, dont l’agrément sauvage fait, sur un goût ami de la Nature, des efforts plus touchans, que les compositions les plus profondes de la savante Italie. Une vigueur nouvelle se glisse dans leurs veines, & les porte à la propagation de leur espéce. Les mâles pleins de desirs amoureux, les expriment <sic> par le ramage le plus tendre & le plus doux. Ils font sortir de leurs gosiers flexibles, des cadences plus fortes & mieux soûtenuës, que celles dont ils égayent les Bois dans toute autre Saison. C’est un divertissement, qui n’est rien moins qu’indigne d’un Etre raisonnable de suivre ces aimables créatúres <sic> dans leurs tendres intrigues, de les voir s’attacher à l’objet de leur passion, d’examiner le tissu curieux de leurs nids, & de prêter attention aux soins qu’elles ont de leurs petites familles. Je fis connoissance à la Campagne dont je viens de parler, avec un Hochequeue & avec sa Maîtresse, c’étoit un plaisir très-vif pour moi de remarquer tous les petits soins qu’il étoit obligé d'employer journellement, avant que de la porter à le rendre heureux ; par quels détours n’étoit-il pas obligé de la suivre dans les airs ? Avec quel petit air coquet ne trottoit-elle pas quelquefois à côté de lui, en faisant semblant de ne pas prendre garde seulement aux petites contorsions qu’il donnoit à son corps, pour rendre hommage à cette Belle ! Cet agréable spectacle rajeunissoit mon imagination, & me rapelloit le souvenir de la belle, mais capricieuse Araminte ; j’ai souhaité souvent de savoir le langage des Oiseaux, en entendant ce pauvre Mâle pousser un ramage perçant & douloureux, quand sa Compagne avoit la dureté de le quiter ; je suis sûr que dans ce tems-là il lui faisoit les mêmes reproches impertinemment tendres, dont j’ai souvent accablé mon inflexible Maîtresse. Je puisois encore une grande satisfaction dans l’examen d’une nichée de jeunes Oiseaux conduits par un Pere secourable, & par une Mere indulgente & officieuse. C’étoit des Pinçons ; je voyois le Mâle étendre & éplucher ses aîles, nettoyer ses plumes, & s'ajuster depuis les pieds jusqu’à la tête ; après s’être accommodé de cette maniére avec toute la propreté possible, il allongeoit, il secoüoit son petit col, qui par cela même sembloit revêtir des couleurs plus vives, & plus brillantes ; il se rengorgeoit, & il se donnoit des airs, qui marquoient, qu’il étoit content de sa figure. Il tiroit ensuite de son gosier des tons aussi variez qu’agréables, & insinuans ; tout en chantant il se mettoit à voler autour du nid de cent différentes maniéres, comme pour inviter sa femme & ses enfans à venir prendre l'air avec lui. Rien n’étoit plus amusant que de voir le vol tremblant, & peu sûr de ces petits animaux, qui faisoient leur premiére entrée dans le Monde emplumé ; rien de plus attendrissant que de prêter attention aux soins que leur donnoient le mâle & la femelle. Soins qui caractérisoient les différens Sexes de l’un & de l’autre. Je ne pouvois arracher mes yeux d’un objet si intéressant, qui me faisoit souhaiter, que des Epoux d’un ordre supérieur fussent attachez les uns aux autres par une ten-dresse mutuelle de la même force, & qu’ils pourvûssent de la même maniére aux besoins de ceux qui leur doivent la vie. Je finirai mon babil sur le Printems, que j’apelle d’ordinaire la jeunesse & la santé de l'Année, par quelques Vers que j’emprunte d’un Poëme manuscrit sur la Chasse. L’Auteur y conseille de donner aux Lévriers la liberté de faire l’amour au Printems ; & de ce précepte il tire occasion, à la maniére des Anciens, de s’étendre sur les éloges de cette Saison. Cette digression donne encore lieu à des digressions subalternes ; mais elles s'enchassent les unes dans les autres d’une maniére si naturelle & si aisée, que je suis sûr que tout ce morceau fera plaisir au Lecteur. Permettez, qu'au Printems vos fougueux Lévriers A leurs brûlans desirs se livrent tout entiers ;Tout s’abandonne alors au plaisir qui l’entraîne,Tout sent d'un tendre amour l’aimable & douce peine ;Flore alors, que chassa l’Aquilon en courroux,Vient humer dans nos Champs un air pur, un air doux. Son sein fécond ouvert aux souffles de SephireRépand un vif émail sur son aimable empire ;Dans l’air subtilisé Venus verse ses feux, Respirer, c’est aimer, qui vit est amoureux. Ecoutons ; mille Oiseaux sous un naissant feuillage De leurs tendres Concerts égayent ce Bocage.Ce son gai, qui se mêle à leurs tons languissantsProuve que c’est l’Amour, qui leur dicte leurs chants.Ce doux poison se glisse au cœur de la TygresseSa cruelle fureur se perd dans sa tendresse ;Les yeux du fier Lion brûlent de ses désirsEt ses rugissemens deviennent ses soûpirs.L’Amour portant ses feux jusqu'aux humides PlainesSaisit les vastes corps des stupides Baleines,Et lourdement badins on voit ces animauxSauter, bondir, pour plaire aux causes de leurs maux. Le voici, ce Printems ; Tout rit dans la Nature Vien <sic>, Philis, viens jouïr de l’aimable verdure ;Orne encore à mes yeux nos Prez, & nos Forêts.Rend plus vives ces Fleurs, ces ombrages plus frais.Qu’ici, pour ton Lycas, tes faveurs innocentesVersent sur chaque instant des délices touchantes ; Qu’ici de belles nuits succédant aux beaux joursNous surprennent perdus dans nos tendres amours.Ravissante Saison ! Tels les jours se suivirent,Quand nos premiers Parens d’un doux lien s’unirent,Lors qu’encore innocent le Pere des HumainsAux Animaux divers fixa des noms certains ;Alors sur un Côteau le Lion peu sauvageEntroit avec l’Agneau dans un doux badinage,Le Tygre avec le Cerf paissoit tranquillementEt le Lièvre du Chien aprochoit hardiment ;Mais dès que tu saisis, foible & credule Mere,Un fruit sécond en maux de ta main téméraire,Le bonheur disparut, la Paix s’enfuit aux Cieux ;Du besoin indiscret. Enfans pernicieuxEt l’Envie & la Haine envahissant la TerreTraînerent à leur suite une éternelle Guerre.Un Animal qui craint, se fait craindre à son tour,Le sanguinaire Loup suit la clarté du jour,Des Dogues furieux redoutant le courageDans la nuit au Bercail il sait sentir sa rage ;Le timide Lapin sous terre se tapït,Et par sa propre peur le Liévre se trahit ; L'Homme, l’Homme, autrefois leur Maître pacifique,Court exercer sur eux un pouvoir tyrannique.Dans cent ruses la Faim l’aprend à réussir.La Chasse change en Art, & cet Art en plaisir.Nimrod fut le premier qui porta son audaceA lancer un Lion, à le suivre à la traceIl fût le terrasser d'un bras victorieux,Et vêtit sa dépouille, ornement glorieux.L’Ours aux crins hérissez, le Leopard terrible,Résistérent en vain à sa force invincible ;Heureux ! si son courage à ces meurtres bornéAu meurtre des Humains ne l’eût pas entraîné.Trop heureux les Mortels ! Si les vainqueurs des BêtesN’eussent pas jusqu’à l’Homme étendu leurs ConquêtesGrands Dieux, que de leur gloire un éclat séducteur,Ne m'en rende jamais coupable Imitateur ;Non ; je ne cherche point sur les pas de BelloneL'Abominable Honneur, qu’un crime illustre donne ;Le Trône chancellant a pour moi peu d'attraits ;Voudrois-je y parvenir par de nobles forfaits ?Je mets tout mon honneur, je limite ma joye,A trouver dans les Bois une abondante proye.Je veux par l’exercice affermir ma santé,Et vivre vertueux, ni grand, ni redouté.