Le Spectateur français ou Journal des Mœurs: No II.
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Traduites d’une Lettre Espagnole de D. Hermand Lopez de Zopito, à D. Augustin del Ponte, Inquisiteur.
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Level 3
Letter/Letter to the editor
Discours
sur les Francs-Maçons.Level 2
Citation/Motto
Discours
ou
Réflexions Critiques,
Sur l’Ode intitulée le Jubilé, par M. Gilbert.
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Metatextuality
Citation/Motto
Metatextuality
Citation/Motto
Level 3
Sur nos Autels détruits marcher impunément :
Ses soldats, du Très-Haut, vainqueurs imaginaires,
Par ces blasphêmes téméraires
Annonçoient aux mortels leur gloire d’un moment. Il fait ensuite parler les impies, conformément à leurs systêmes. « Nous t’avons sans retour convaincu d’imposture, O Christ ! toi qui disois : « Ma loi solide & pure
Doit survivre au Soleil, allumé par mes mains :
Le Soleil luit encore & dément ta parole ;
Mais où règne ta loi frivole,
Fantôme, autrefois Dieu des crédules humains ?
Les Peuples ne vont plus, aveuglés par tes Mages,
Suspendre leurs présens autour de tes images,
Tributaires craintifs d’un bois mangé des vers.
L’enfant même se rit de la mère insensée
Qui vient dans sa jeune pensée,
Graver un Dieu menteur banni de l’Univers.
Tombez, Temples déserts désormais inutiles !
L’oiseau seul de la nuit, ou des Prêtres serviles,
Fréquentent de vos murs la sombre & vaste horreur.
Embrasez- (I)7vous, Autels ! rentrent dans la poussière,
Avec leur idole grossière,
Tous ces Tyrans sacrés qui trafiquent l’erreur. » 8
Ainsi parloit hier un Peuple de faux sages.
Si le Roi des Soleils, sensible à leurs outrages
Eût dit dans sa pensée : ingrats, vous périrez ;
Le tonnerre vengeur, éveillé de soi-même, 9
Devinant son ordre suprême,
Les auroit parmi nous choisis & dévorés.
Mais tu l’as commandé, la foudre est assoupie.
Grand Dieu, tu veux confondre & non perdre l’impie.
Fais triompher ma loi, renais, tems précieux :
O tems où de la grâce ouvrant la source immense,
Durant deux saisons de clémence,
Mon Eglise élargit l’étroit sentier des Cieux ! »
La Loi du Tout-Puissant fleurit dans nos Cités ;
Elle charme vos fils, elle enchaîne vos femmes,
Elle vit même dans vos ames,
Dont l’orgueil déicide (I)10étouffoit ses clartés.
Ouvrez les yeux, pleurez vos triomphes stériles.
O Babilone impure ! ô Reine de nos Villes,
Long-tems d’un peuple athée exécrable séjour !
Dis-nous, n’es-tu donc plus cette Cité hautaine,
Où l’impiété souveraine
Avoit placé son trône & rassemblé sa cour. Ne vous semble-t il pas entendre le Jubilé crier à l’Auteur : Eh ! mon ami, me voici pour réparer tous ces désordres : pleure, prie, gémis sur ces aveugles ; à tes prières Dieu leur accordera la lumière, & tes imprécations ne feroient que l’irriter encore contr’eux, si, dans ces deux saisons de clémence, il pouvoit être ému par tes imprécations. Le Poëte l’écoute enfin ; mais au lieu de prier, au lieu d’offrir à Dieu l’image de nos misères, il décrit les processions. Ce n’estpas <sic> que cesdescriptions <sic> ne soient faites de main de maître : vous allez y trouver des vers sublimes, & quelquefois le langage du génie. Car, quoique je prétende que l’Auteur n’a point traité son sujet, son Ode a de très-grandes beautés, & elle seroit en général un excellent Ouvrage, si, au lieu de l’intituler le Jubilé, il lui eût donné le titre d’Ode contre les impies à l’occasion du Jubilé. Son sujet ne comportoit qu’un Hymne, & jusqu’à présent nous n’avons vu qu’une satyre.
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Conversation.
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Dialogue
Le Chevalier d’Ervieux.
Le droit d’ennuyer ! Je m’inscris avec tout l’Univers contre ce droit abusif. J’aimerois mille fois mieux l’entendre dire du mal d’autrui, que du bien de soi-même. Eperville Oh ! je l’aurois deviné. C’est donc un grand plaisir pour vous ?Le Ch. d’Ervieux.
Pour moi, pour vous, pour tout le monde. On amuse du moins ; mais la vanité d’un fat qui se loue, est révoltante. Eperville Vous verrez que ce n’est pas par vanité qu’on médit.Le Ch. d’Ervieux.
Du moins n’y vois-je pas cette vanité de l’égoïste qui m’humilie, qui voudroit m’anéantir. Eperville Ecoutez, Chevalier, je suis bien éloigné de vouloir excuser le défaut de ceux qui parlent d’eux-mêmes. Ils peuvent du moins être de bonne foi ; mais le médisant ne l’est jamais ; son dessein est toujours de m’en imposer.Le Ch. d’Ervieux.
Voilà ce que vous auriez bien de la peine à me faire entendre. Quoi ! quand je raconte naïvement que Dornal a fait une mauvaise querelle à Remicour, & qu’il l’a très-mal soutenue, je cherche à vous en imposer ? Est-ce que j’invente, cette aventure n’est-elle pas publique ? Où est la mauvaise foi ? Eperville Vous ne m’entendez pas. Lequel du médisant ou de l’égoïste croyez-vous le plus vain ?Le Ch. d’Ervieux.
Belle demande ; c’est l’égoïste, sans doute. Eperville Je ne saurois à qui donner la préférence ; mais je crois, moi, que la médisance n’est qu’un égoïsme plus adroit, & qui tombe moins à plomb ; une vanité mieux enveloppée. Pourquoi dites-vous du mal d’autrui ?Le Ch. d’Ervieux.
Pour égayer, pour soutenir la conversation, qui sans cela périroit mille fois en une heure ; & puis c’est que tout le monde l’aime.Eperville
Votre premier motif est sans doute de plaire, j’en conviens ; mais votre but, en disant du mal d’autrui, est de faire croire à ceux qui vous écoutent, que vous êtes exempt des défauts que vous reprochez aux autres. Une femme qui médit d’une autre femme, se garde bien de parler des défauts qui lui sont communs avec elle, à moins, ce qui n’arrive que trop souvent, que l’amour propre de la première, ne l’empêche de convenir avec elle-même, qu’elle a à se reprocher le vice qu’elle condamne.Le Ch. d’Ervieux.
Vous êtes dans l’erreur. Vous l’avez entendu : Dorise qui sort d’ici, la coquette Dorise, ne nous a entretenus tout aujourd’hui que de la coquetterie de la petite Sainte-Hermine. Eperville Le ton dont elle en a parlé ne m’a point échappé. N’avez-vous pas remarqué avec quelle adresse elle a commencé par se mettre à l’écart ?Le Ch. d’Ervieux.
Non. Sa manière de médire m’a paru d’une franchise naïve, simple. Elle ne s’est point épargnée elle-même. Eperville C’est précisément le sublime de l’art. Je sais, disoit-elle, qu’il vaudroit peut-être mieux n’avoir aucune espèce de coquetterie ; j’en ai sans doute ma part, & j’en suis fâchée : j’ai su du moins m’étudier à la rendre supportable ; mais Mad. de Sainte-Hermine l’a portée à l’excès. On pardonne à une jeune & jolie femme d’aimer un peu la parure ; on l’exige même : il faut plaire ; c’est un devoir, une nécessité. Si Mad. de Sainte-Hermine se bornoit à se mettre un peu mieux que ne le sont des femmes moins belles ; si elle se contentoit d’une décence élégante, d’un goût un peu recherché, on n’auroit pas le plus petit mot à lui dire. Mais inventer des modes nouvelles, leur donner son nom, exiger qu’on les adopte ; ruiner son mari pour plaire à sept ou huit étourdis qui ne la quittent point ; profiter de son ascendant pour les engager à un jeu où elle gagne toujours. Avoir à tous les spectacles une Loge pour ses femmes ; cacher sous un masque trompeur, le desir & les moyens de faire de nouvelles conquêtes ; vous conviendrez que ce n’est plus coquetterie ; on ne sait quel nom donner à cela. Toutes les femmes, belles ou laides, sont coquettes : ce défaut tient à notre constitution ; mais ce défaut trop général pour un être un, n’empêche point une femme d’être honnête, bonne épouse, bonne mère, véritable amie : je doute fort qu’on puisse trouver ces qualités dans Mad. de Sainte Hermine. Voilà, reprit d’Eperville, ce que distoit Orphise. Ne pouvant se dissimuler qu’elle est coquette, elle a commencé par excuser la coquetterie, par en faire une nécessité à son sexe ; ensuite pour rendre ce vice odieux dans Mad. de Ste-Hermine, elle en a blâmé l’excès ; mais croyez qu’il n’eût point été question de coquetterie, si elle eût pu lui trouver d’autres défauts. D’Ervieux alloit répondre, la conversation s’animoit, elle prenoit même un ton sensé ; mais la Comtesse qui prétend n’être ni égoïste, ni médisante, se mit de la partie ; elle contredit l’un & l’autre, soutint le pour & le contre, à tort & à travers. Le Chevalier prétendoit qu’il n’y avoit point de milieu entre mal parler des autres, & dire du bien de soi. Eperville lui disoit que dans ce cas il donneroit toujours la préférence à celui qui parleroit de soi, parce que du moins il ne nuisoit à personne. Appelez-vous, s’écrioit le Chevalier, ne nuire à personne, que d’ennuyer tout le monde ? Mais voilà qui est singulier, reprenoit d’Eperville, qu’il faille absolument ou médire, ou parler de soi ! Nous ne faisons pourtant ici ni l’un ni l’autre, & la conversation n’en est pas plus languissante. Le Chevalier fut atterré de cet argument. La Comtesse ne savoit trop que dire ; au fond, interrompit-elle que faisons nous ? Eperville crut la mettre dans son parti, en lui répondant qu’il n’y avoit rien de plus agréable, qu’une discussion qui venoit à propos, sur un point de morale ; que chacun y mettoit du sien ; que la dispute échauffoit les esprits, que chacun, selon son caractère, traitoit la chose sérieusement ou gaiment ; que la différence d’opinions jetoit dans la conversation une variété amusante. Oui, mais à la fin de tout cela, reprit la Marquise, que résulte-t-il de ces disputes & de cette différence d’opinion ? Ce qu’il en résulte, répondit le Chevalier, qu’on a disserté les heures entières sans être convenu de rien & sans avoir rien appris. Ce mot disserté, étonna la Comtesse, & après l’avoir répété deux ou trois fois entre ses dents : parlez-vous tout de bon ? demanda-t-elle au Chevalier. Seroit-il vrai qu’on eût fait chez moi une dissertation ? Oui, Madame, j’en suis fâché, répondit le Chevalier, mais c’est le mot.1* La Secte des Hernuttes a été établie par le Comte Zinzendorf ; c’est un assemblage monstrueux de folies & de superstitions pitoyables.
2* L’Ouvrage d’où j’ai tiré quelques-unes de ces réflexions, est intitulé : The Spirit of Massoney, l’Esprit de la Franc-Maçonnerie, par M. G. Hutchinson, Maître de la Loge de Bernavald-Castle, sous le titre de la Concorde, imprimé à Londres, chez Wilkes, sous les auspices du Lord Reite, Grand Maître de la Loge, & de plusieurs Princes Maçons.
3* Voici le détail qu’en donne M. Court de Gebelin, dans son Histoire du Calendrier. Au commencement de chaque siècle, & vers le solstice d’été, les Romains célébroient les Jeux séculaires. « On annonçoit ces Jeux par des Hérauts qu’on envoyoit dans toutes les Provinces, & qui invitoient les Peuples à la célébration d’une Fête, qu’ils n’avoient jamais vue, & qu’ils ne reverroient jamais . . . Quelque temps avant la Fête, on l’annonçoit également au Peuple assemblé au Capitole, où le Souverain Pontife le haranguoit & l’exhortoit à se préparer, par la pureté du corps & de l’esprit, à une solemnité aussi respectable . . . . . . Cette Fête duroit trois jours & trois nuits. Le premier jour, dans le champ de Mars ; le second jour, au Capitole ; le troisième jour, au Mont Palatin ; & l’on chantoit chaque jour des Hymnes différentes, relatives au sujet du jour. Ce chant étoit accompagné de Musique & de Danse . . . . La veille de la Fête, les Consuls, ensuite les Empereurs & les Quindecemvirs, Gardiens des Livres Sybillins, faisoient distribuer au Peuple les choses nécessaires aux expiations propitiatoires, comme des torches, des parfums, du soufre, du bitume. Chaque citoyen étoit obligé de faire ces expiations. . . . Les Consuls ou l’Empereur & les Quindecemvirs, se mettoient ensuite à la tête d’une Procession, composée du Sénat & du Peuple, en habits blancs, des palmes à la main & des couronnes de fleurs sur la tête : on y voyoit aussi tous les Colléges & toutes les Communautés Religieuses. On chantoit pendant le chemin des vers faits exprès pour la circonstance, & l’on adoroit, en passant dans les Temples & les carrefours, les statues des Dieux, exposées sur des lits de parade. »
4(I) Horace s’adresse d’abord aux deux divinités, & les prie d’exaucer les prières des Romains ; il implore ensuite Apollon : Alme * sol surru nitido diemqui Promis, & celas, aliusque & idem Nasceris, possis nihil Urbe Roma Visere majus. * Nous n’avons point de synonyme en François pour exprimer le sens du mot almus, qui dit plus que bon, & qui renferme l’idée de mère ou de père nourricier ; almus ou alma se joint au mot pater ou mater ; l’un suppose toujours l’autre en latin ; mais en François bon père est moins expressif.
5(I) Jam fides, & pax & honor, pudorque Priscus, & neglecta redire virtus Audet, apparetque beata pleno Copia cornu.
6(I) On a critiqué avec raison, de forfaits surchargée. Voici une autre critique qu’on auroit dû faire. L’impiété est-elle personnifiée ou ne l’est-elle pas ? Si elle l’est, il ne falloit pas dire en sagesse érigée ; car on ne diroit pas d’une personne, qu’elle est érigée en vice ou en vertu. J’ai vu Minerve érigée en folie, n’auroit pas plus de sens, que se je disois, j’ai vu Pindare érigé en enthousiasme ; si elle n’est point personnifiée, il ne falloit pas lui donner des soldats, & la faire marcher sur nos Autels détruits.
7Embrasez-vous, Autels, me paroît inconséquent : l’impie peut abattre les Temples, faire tomber dans la poussière les Tyrans sacrés, embraser les Autels. Mais par quel prodige, lui, qui ne connoît point des prodiges, veut-il que les Temples s’embrasent eux-mêmes ?
8Trafiquer l’erreur, n’est pas François. On dit trafiquer de l’erreur ; faire un trafic un commerce de l’erreur.
9Le tonnerre vainqueur éveillé de soi-même, est une belle pensée ; mais elle pouvoit être mieux exprimée, & offrir l’image de la foudre toujours prête à obéir à la moindre volonté de Dieu. D’ailleurs, il ne falloit pas revenir sur cette idée dans la strophe suivante. La foudre est assoupie, affoiblit la première idée. Mon Eglise élargit l’étroit sentier des Cieux, est dur & prosaïque.
10(I) Déicide ne peut guères être employé qu’en parlant des Juifs qui mirent à mort le Messie : par rapport à l’athée, c’est un mot impropre. L’Athée ne tue point Dieu, en niant son existence.
11(I) Sur les pas de la Croix qui marche devant elle. Le second hémistiche est un pléonasme du premier. On ne peut être sur les pas que de celui qui marche devant.
12(2) Ces deux strophes sont de la plus grande beauté. Les trois derniers vers de la seconde, & sur-tout, (I) Un corps dont le tombeau possède la moitié, sont très-beaux ; je suis fâché que ce vers soit annoncé dans la strophe précédente, par ces guerriers mutilés & par restes d’hommes, expression qui n’est ni noble, ni sonore. Ces petits traits précurseurs avant le grand trait, l’affoiblissent, & sentent les douleurs de l’enfantement.
13(I) Aggrandissez-vous, Temples, est dur & froid. Torrens des airs, peut être pris pour les vents, que dans leur impétuosité on peut appeler des torrens d’air, ou pour des pluies abondantes, comme l’Auteur a voulu le dire.