Le Mentor moderne: Discours LXXXIII.
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Ebene 1
Discours LXXXIII.
Zitat/Motto
Hoc vos precipue, Niveæ, decet ;
hoc ubi vidi
Oscula fere humero, qua patet usque libet. C’est vous, Beautez blondes, c’est vous, qui avez sur tout bonne grace à vous découvrir la gorge, & les épaules ; quand je les vois dans cet état, je brule d’envie de les couvrir toutes entieres de mes baisers.
Oscula fere humero, qua patet usque libet. C’est vous, Beautez blondes, c’est vous, qui avez sur tout bonne grace à vous découvrir la gorge, & les épaules ; quand je les vois dans cet état, je brule d’envie de les couvrir toutes entieres de mes baisers.
Ebene 2
Il y a une certaine partie de
l’ajustement d’une femme, lequel on appelle un tour de gorge ;
Ce n’est qu’une petite bande de Mousseline, qui attachée au haut
du corps de jupe serpente autour de la gorge & des Epaules,
dont elle couvre de cette maniere une grande partie : j’ai
trouvé à propos d’en faire cette description, parce qu’il y a
grande apparence, que sans cela on oublieroit
bientôt ce que c’etoit autrefois qu’un tour de gorge : Nos Dames
l’ont exilé de la mode ; Elles ont mis bas cette feuille de
figuier, afin d’exposer a nos yeux ; dans sa nudité primitive,
cette touchante enfleure que leur pudeur deroboit autrefois a
nos regards. C’est a elles a savoir quel est le but de cette
conduite. Peut-être ne me serois-je par <sic> apperceu de
cette nouvelle décoration, si l’autre jour, étant allé voir
Mylady Lizard, je n’avois fixé les yeux sur le visage d’une
aimable Dame, qui est de ses visites ordinaires ; du visage de
cette cette <sic> Belle, mes yeux descendirent par hazard
jusques a sa Gorge, ou je decouvris des beautez, que je n’avois
jamais aperceues auparavant, & je ne say pas ou mes yeux ne
seroient pas allez en suivant toujours la meme route, si je ne
les avois pas rappellez au plutot. La Dame ne put pas s’empecher
de rougir, en remarquant qu’elle avoit placé sa Gorge dans un
jour trop beau, meme pour un homme de mon âge, & de mon
Charactere ; & moy je fus tenté plus d’une fois de couvrir
de ma main un objet si propre a donner de la
tentation. Quand nous jettons les yeux sur les portraits de nos
ayeules contemporaines de la Reine Elizabeth, Nous les voyons
couvertes de leurs habits, jusqu’aux poignets, & jusqu’au
menton ; échantillons, qu’elles nous donnoient de leur beauté.
Dans le siecle suivant leur Posterité femelle trouva a propos de
donner un peu plus d’air a leurs charmes. Ces belles
commencerent par retrousser leurs manches jusques au coude,
& l’unique soin de nous donner de nouvelles lumieres sur
leurs appas les fit braver la delicatesse de leur sexe, en
exposant leurs bras aux injures de l’air. Elles furent
recompensées de cette fermeté Heroique, de beaux bras decouverts
saisirent mainte proye, qui leur auroit échappé, si leur
blancheur & leur embonpoint étoient demeurez invisibles.
Environ le meme temps les Dames s’etant apperçues que la gorge
proprement ainsi dite etoit une partie tres modeste du corps
humain, trouverent bon de delivrer la leur, du joug, sous lequel
elle avoit longtemps gemi. C’etoit un cercle monstrueux de toile
empesée, ou la simplicité de leurs Meres
l’avoit emprisonnée pendant plusieurs siecles. Dans la suite des
temps, a mesure que les siecles se sont polis, les habits ont
baissé, & quand nous parlons a present d’une belle gorge,
nous renfermons dans ce terme un bon nombre de parties
voisines ; Le tour de gorge mis a l’écart a encore
considerablement étendu le sens de cette expression, & la
gorge d’une femme bien mise comprend du moins la moitié de son
corps depuis la teste jusqu’a la ceinture. Puisque la gorge de
nos Dames s’aggrandit ainsi de jour, en jour, & qu’elle a la
mine de n’en pas rester la encore, je souhaiterois qu’elles
voulussent bien nous dire une fois pour toutes, jusqu’ou elles
ont intention de l’etendre, & si elles ont déja determiné
son non plus ultra. Ce n’est pas la proprement mon affaire, ce
qu’elles appellent leur gorge n’est pour moy qu’un buste
d’albatre, & je puis considerer un sein de nêge avec un cœur
de glace ; mais les Belles devroient savoir que tous les hommes
ne sont pas des Mentors. Tous les spectateurs de ces beaux
objets ne sont pas suffisamment fortifiez par les
ans & par la Philosophie pour résister à des charmes si
séducteurs. Les yeux d’un jeune-homme sont vifs &
penetrants, vrais furets, son imagination fait en peu de tems,
bien du chemin, & ses passions sont d’ordinaire très-mal
disciplinées. Ces veritez incontestables me font trembler pour
une femme de qualité, qui s’expose sans façon aux regards
effrontez du plus vil Petit-maitre, dont l’insolence ne réside
pas dans ses yeux seuls ; Comment peut-elle s’imaginer, que son
rang la mettra a l’abri d’une insulte, quand elle s’efforce
elle-même a irriter des desirs, qui doivent mener la le plus
naturellement du monde. J’ai deja remarqué qu’aussitôt que le
beau-sexe s’est debarassé du tour de gorge, toute la race des
Petits-maitres a donné une nouvelle détermination au mouvemens
de ses yeux, qui laissent la les visages des Dames, pour se
fixer impudemment sur leur sein ; j’en rougis souvent pour
elles ; si elles vouloient bien m’en croire, elle romproient le
cours à cette familiarité des yeux mâles avec leur gorge ; elle
réprendroient la petite bande de mousseline, qu’elles ont quittée sans réflexion, & elles
tacheroient d’imiter l’innocence de notre Mere Eve, plutôt que
sa nudité. Ce qui me surprend, & me mortifie le plus dans
cette affaire, c’est que les introductrices principales de cette
nouvelle mode, sont des femmes mariées ; il m’est impossible de
deviner quel peut être leur dessein ; on n’étale plus les
marchandises, qui sont deja vendues, & l’on ôte le piege,
dez que l’oizeau est pris. Cette particularité me rappelle dans
l’esprit une des Loix de Lycurgue ; comme ce grand Legislateur
savoit que la richesse, & la force d’un Etat consistoit dans
le nombre des sujets, il ne négligea rien, pour porter les
hommes au mariage ; dans cette vue, il prescrivit aux jeunes
filles de Sparte un certain habilement degagé, qui par quelques
ouvertures découvroit aux spectateurs la beauté de certaines
parties du corps ; le sage Philosophe voulut que cette tentation
inspirât aux jeunes-gens un desir ardent de posseder, ce qu’ils
admiroient, & qu’ils ne pouvoient s’approprier que par le
moyen de l’Hymenée. Mais dès que ces belles avoient trouvé un
Epoux, il ne leur étoit plus permis de faire
autant de Tantales de ceux qui les regardoient, & elles
étoient obligées de fermer leurs habits avec tout le soin
imaginable ; La beauté de leur corps étoit parvenue à son but,
& par conséquent elle n’avoit plus rien à démêler avec la
curiosité du public. rien ne prête plus
de charmes à la beauté des Dames, qu’une modestie aizée &
naturelle. C’est une maxime établie par Ovide même, ce grand
maitre dans l’art d’aimer, & de se rendre aimable ; il
observe que Venus ne plait jamais tant que quand elle paroit de
profil aux yeux de ses admirateurs. Il est probable, que ce qui
lui a fait venir cette pensée, est la statue de cette Déesse,
qu’on appelle à présent la Venus des Médicis, qui est
précisement dans cette attitude, & qui couvre sa gorge d’une
de ses mains. C’est-là à mon avis une des grandes marques de
l’habileté du peintre : une jeune fille tire plus d’appas de son
air modeste, que de la flœur de sa jeunesse même ; La modestie
fait la dignité des femmes mariées, & elle
rehabilite en quelque sorte la veuve dans tous les droits de la
virginité.
Metatextualität
Je finirai ce
discours sur le tour de gorge par une réflexion morale, que
je ne cesserai jamais d’imprimer dans l’esprit des Dames,
qui me font la grace de me lire ;