Zitiervorschlag: Justus Van Effen [Joseph Addison, Richard Steele] (Hrsg.): "Discours LXXXIII.", in: Le Mentor moderne, Vol.2\083 (1723), S. 276-283, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4292 [aufgerufen am: ].


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Discours LXXXIII.

Zitat/Motto► Hoc vos precipue, Niveæ, decet ; hoc ubi vidi
Oscula fere humero, qua patet usque libet.

C’est vous, Beautez blondes, c’est vous, qui avez sur tout bonne grace à vous découvrir la gorge, & les épaules ; quand je les vois dans cet état, je brule d’envie de les couvrir toutes entieres de mes baisers. ◀Zitat/Motto

Ebene 2► Il y a une certaine partie de l’ajustement d’une femme, lequel on appelle un tour de gorge ; Ce n’est qu’une petite bande de Mousseline, qui attachée au haut du corps de jupe serpente autour de la gorge & des Epaules, dont elle couvre de cette maniere une grande partie : j’ai trouvé à propos d’en faire cette description, parce qu’il y a [277] grande apparence, que sans cela on oublieroit bientôt ce que c’etoit autrefois qu’un tour de gorge : Nos Dames l’ont exilé de la mode ; Elles ont mis bas cette feuille de figuier, afin d’exposer a nos yeux ; dans sa nudité primitive, cette touchante enfleure que leur pudeur deroboit autrefois a nos regards. C’est a elles a savoir quel est le but de cette conduite.

Peut-être ne me serois-je par <sic> apperceu de cette nouvelle décoration, si l’autre jour, étant allé voir Mylady Lizard, je n’avois fixé les yeux sur le visage d’une aimable Dame, qui est de ses visites ordinaires ; du visage de cette cette <sic> Belle, mes yeux descendirent par hazard jusques a sa Gorge, ou je decouvris des beautez, que je n’avois jamais aperceues auparavant, & je ne say pas ou mes yeux ne seroient pas allez en suivant toujours la meme route, si je ne les avois pas rappellez au plutot. La Dame ne put pas s’empecher de rougir, en remarquant qu’elle avoit placé sa Gorge dans un jour trop beau, meme pour un homme de mon âge, & de mon Charactere ; & moy je fus tenté plus d’une fois de couvrir [278] de ma main un objet si propre a donner de la tentation.

Quand nous jettons les yeux sur les portraits de nos ayeules contemporaines de la Reine Elizabeth, Nous les voyons couvertes de leurs habits, jusqu’aux poignets, & jusqu’au menton ; échantillons, qu’elles nous donnoient de leur beauté. Dans le siecle suivant leur Posterité femelle trouva a propos de donner un peu plus d’air a leurs charmes. Ces belles commencerent par retrousser leurs manches jusques au coude, & l’unique soin de nous donner de nouvelles lumieres sur leurs appas les fit braver la delicatesse de leur sexe, en exposant leurs bras aux injures de l’air. Elles furent recompensées de cette fermeté Heroique, de beaux bras decouverts saisirent mainte proye, qui leur auroit échappé, si leur blancheur & leur embonpoint étoient demeurez invisibles.

Environ le meme temps les Dames s’etant apperçues que la gorge proprement ainsi dite etoit une partie tres modeste du corps humain, trouverent bon de delivrer la leur, du joug, sous lequel elle avoit longtemps gemi. C’etoit un cercle monstrueux de toile em-[279]pesée, ou la simplicité de leurs Meres l’avoit emprisonnée pendant plusieurs siecles. Dans la suite des temps, a mesure que les siecles se sont polis, les habits ont baissé, & quand nous parlons a present d’une belle gorge, nous renfermons dans ce terme un bon nombre de parties voisines ; Le tour de gorge mis a l’écart a encore considerablement étendu le sens de cette expression, & la gorge d’une femme bien mise comprend du moins la moitié de son corps depuis la teste jusqu’a la ceinture.

Puisque la gorge de nos Dames s’aggrandit ainsi de jour, en jour, & qu’elle a la mine de n’en pas rester la encore, je souhaiterois qu’elles voulussent bien nous dire une fois pour toutes, jusqu’ou elles ont intention de l’etendre, & si elles ont déja determiné son non plus ultra.

Ce n’est pas la proprement mon affaire, ce qu’elles appellent leur gorge n’est pour moy qu’un buste d’albatre, & je puis considerer un sein de nêge avec un cœur de glace ; mais les Belles devroient savoir que tous les hommes ne sont pas des Mentors. Tous les spectateurs de ces beaux objets ne sont [280] pas suffisamment fortifiez par les ans & par la Philosophie pour résister à des charmes si séducteurs. Les yeux d’un jeune-homme sont vifs & penetrants, vrais furets, son imagination fait en peu de tems, bien du chemin, & ses passions sont d’ordinaire très-mal disciplinées. Ces veritez incontestables me font trembler pour une femme de qualité, qui s’expose sans façon aux regards effrontez du plus vil Petit-maitre, dont l’insolence ne réside pas dans ses yeux seuls ; Comment peut-elle s’imaginer, que son rang la mettra a l’abri d’une insulte, quand elle s’efforce elle-même a irriter des desirs, qui doivent mener la le plus naturellement du monde.

J’ai deja remarqué qu’aussitôt que le beau-sexe s’est debarassé du tour de gorge, toute la race des Petits-maitres a donné une nouvelle détermination au mouvemens de ses yeux, qui laissent la les visages des Dames, pour se fixer impudemment sur leur sein ; j’en rougis souvent pour elles ; si elles vouloient bien m’en croire, elle romproient le cours à cette familiarité des yeux mâles avec leur gorge ; elle réprendroient la petite bande de mousseline, qu’elles [281] ont quittée sans réflexion, & elles tacheroient d’imiter l’innocence de notre Mere Eve, plutôt que sa nudité.

Ce qui me surprend, & me mortifie le plus dans cette affaire, c’est que les introductrices principales de cette nouvelle mode, sont des femmes mariées ; il m’est impossible de deviner quel peut être leur dessein ; on n’étale plus les marchandises, qui sont deja vendues, & l’on ôte le piege, dez que l’oizeau est pris.

Cette particularité me rappelle dans l’esprit une des Loix de Lycurgue ; comme ce grand Legislateur savoit que la richesse, & la force d’un Etat consistoit dans le nombre des sujets, il ne négligea rien, pour porter les hommes au mariage ; dans cette vue, il prescrivit aux jeunes filles de Sparte un certain habilement degagé, qui par quelques ouvertures découvroit aux spectateurs la beauté de certaines parties du corps ; le sage Philosophe voulut que cette tentation inspirât aux jeunes-gens un desir ardent de posseder, ce qu’ils admiroient, & qu’ils ne pouvoient s’approprier que par le moyen de l’Hymenée.

Mais dès que ces belles avoient trouvé un Epoux, il ne leur étoit plus per-[282]mis de faire autant de Tantales de ceux qui les regardoient, & elles étoient obligées de fermer leurs habits avec tout le soin imaginable ; La beauté de leur corps étoit parvenue à son but, & par conséquent elle n’avoit plus rien à démêler avec la curiosité du public. Metatextualität► Je finirai ce discours sur le tour de gorge par une réflexion morale, que je ne cesserai jamais d’imprimer dans l’esprit des Dames, qui me font la grace de me lire ; ◀Metatextualität rien ne prête plus de charmes à la beauté des Dames, qu’une modestie aizée & naturelle. C’est une maxime établie par Ovide même, ce grand maitre dans l’art d’aimer, & de se rendre aimable ; il observe que Venus ne plait jamais tant que quand elle paroit de profil aux yeux de ses admirateurs. Il est probable, que ce qui lui a fait venir cette pensée, est la statue de cette Déesse, qu’on appelle à présent la Venus des Médicis, qui est précisement dans cette attitude, & qui couvre sa gorge d’une de ses mains. C’est-là à mon avis une des grandes marques de l’habileté du peintre : une jeune fille tire plus d’appas de son air modeste, que de la flœur de sa jeunesse même ; La modestie fait la dignité des femmes mariées, & elle [283] rehabilite en quelque sorte la veuve dans tous les droits de la virginité. ◀Ebene 2 ◀Ebene 1