Discours LXXXVIII. Justus Van Effen [Joseph Addison, Richard Steele] Moralische Wochenschriften Klaus-Dieter Ertler Herausgeber Hannah Bakanitsch Mitarbeiter Lilith Burger Mitarbeiter Elisabeth Hobisch Herausgeber Mario Müller Mitarbeiter Veronika Mussner Mitarbeiter Sarah Lang Gerlinde Schneider Martina Scholger Johannes Stigler Gunter Vasold Datenmodellierung Applikationsentwicklung Institut für Romanistik, Universität Graz Zentrum für Informationsmodellierung, Universität Graz Graz 27.04.2018 o:mws.6720 Justus Van Effen : Le Mentor moderne ou Discours sur les mœurs du siècle ; traduit de l'Anglois du Guardian de Mrs Addisson, Steele, et autres Auteurs du Spectateur. La Haye : Frères Vaillant et N. Prévost, Tome II, 314-320 Le Mentor moderne 2 088 1723 Frankreich Ebene 1 Ebene 2 Ebene 3 Ebene 4 Ebene 5 Ebene 6 Allgemeine Erzählung Selbstportrait Fremdportrait Dialog Allegorisches Erzählen Traumerzählung Fabelerzählung Satirisches Erzählen Exemplarisches Erzählen Utopische Erzählung Metatextualität Zitat/Motto Leserbrief Graz, Austria French Liebe Amore Love Amor Amour Leidenschaft Passione Passion Pasión Passion France 2.0,46.0

Discours LXXXVIII.

Quod latet arcana, non enerrabile, fibra.

Pers.

Il est impossible de penetrer dans les cachettes du cœur humain.

Dans le temps, que je cherchois dequoy régaler aujourd’hui mes Lecteurs, j’ai receu la Lettre suivante, qui me paroit un regal plus agréable, que tout ce que j’aurois pas leur donner ; C’est tout ce qu’ils auront pour a présent, & je les prie de se jetter dessus sans façon.

« Monsieur.

Vos deux Parents & Predecesseurs d’immortelle mémoire étoient fort fameux pour leurs songes, & pour leurs visions ; peu semblables a cet égard a Homere, & a tous les autres autheurs, jamais ils ne plaisoient d’avantage, que lorsqu’ils sommeilloient.

Comme on pretend que ce talent se transmet d’ordinaire avec le sang de Pe-re en fils, & qu’il devient commun a toute une famille, nous avons lieu d’esperer que vous deviendrez un jour un songeur de songes, aussi bien que les autres grands-hommes de votre race ; en attendant que cette faculté se développe chez vous, vous voulez bien que je vous fasse present d’un Rêve, qui pourra bercer vos Lecteurs jusqu’à ce que vous trouverez a propos de communiquer vous-même au public vos découvertes nocturnes.

Vous saurez, Monsieur, que j’ai passé toute la soirée d’hier a ruminer sur la critique de Momus touchant la structure du corps humain, ou il auroit voulu qu’une fenetre fut placée au milieu de la poitrine. Le sens moral de cette fable n’est pas difficile a demêler ; elle signifie, que le cœur de l’homme est tellement rempli d’artifices, de ruses, de fourberies, & de trahisons, qu’il est presque impossible d’un deviner les veritables sentimens, par les apparences exterieures & même par les discours. J’inferai d’abord de cette vérité incontestable, que ce seroit un grand bonheur pour les deux sexes, s’il y avoit une fénêtre dans la poitrine des Amants & des Maitresses : quelle Epar-gne de protestations & de parjures, d’un coté ; quelle doze de dissimulation & d’Hypocrisie, devenue hors d’œuvre, de l’autre ! Ce seroit une grande felicité pour moy en particulier, moy qui me suis engagé dans une passion très violente pour Aurelie, qui est la personne de tout son sexe dont le cœur soit le plus impenetrable : je donne a tout l’univers a en demêler les veritables sentimens, & a deviner si c’est moy ou quelque autre, qui y occupe la premiere place.

Pendant que je me livrois à mille pensées confuses sur un sujet si embarassant, je fus saisi tout d’un coup du sommeil, & je me mis a rêver que ma charmante Aurelie étoit couchée à côté de moy. Je commençai d’abord a parcourir d’un œuil avide toutes ses beautez ; mais en considerant sa poitrine je vis a m’a grande surprise qu’elle étoit aussi parfaitement transparente, que le plus beau christal, & que rien n’étoit plus facile, que de découvrir tout ce qui s’y passoit. Ce que j’y aperçus du premier coup d’œuil consistoit en eventails en Etoffes, en rubans, en dentelles, & en autres babioles, tellement entassées les unes sur les autres, que tout le cœur avoit l’air d’un magazin de galanteries. Tout cet étalage disparut bientôt après, & fit place a une autre décoration. C’étoit une longue suite de carrosses a six chevaux, suivis d’un grand nombre de Laquais avec de riches livrées, & pendant plus d’une demi-heure je vis une représentation très-naturelle du cours, quand il est le plus rempli de beau-monde.

Ce spectacle s’etant evanoui, comme les precedents ; je vis tout le cœur rempli d’une main pleine de cartes parmi lesquelles je reconnus distinctement les trois Matadors. Un moment aprez j’y apperçus une succession rapide de plusieurs Scenes differentes ; Une sale de Comedie, une Eglise, un appartement de la Cour, un jeu de Marionnettes, furent autant d’apparitions soudaines qui firent a la fin place a une paire de souliers de la plus nouvelle mode, qui chausserent le cœur durant plus d’une grosse heure ; ils furent chassés par un bichon, qui fut succedé par un petit cochon de Guinée, par un chat, & par un singe ; & moi-meme a ma grande satisfaction je fus assez heureux pour faire l’arriere-garde de tous ces dignes favoris de la belle. Quel ravissement de joye pour moy de me voir pendant quelques moments l’unique & fortuné possesseur de tout le terrein !

Mais pendant que je contemplois la petite image de mon individu charmée de sa bienheureuse situation, le cœur poussa un profond soupir qui fit déloger au plus vîte cette petite figure fanfaronne ; Dans l’instant je vis la place prise, par un maroufle mal tourné & de mauvais air, qui portoit sous chaque bras un grand sac d’argent ; Il est vray que cet Adonis n’y fit pas un fort long sejour, & qu’il fut bientôt supplanté par un animal aussi desagreable que lui, & dont tout le merite consistoit a porter dans la main une baguette blanche. Ces trois dernieres figures me répresentoient avec vivacité les combats, qui se donnent dans le cœur de ma chere Aurelie entre l’ambition, l’avarice, & l’amour ; car je vis distinctement que nos trois images se chassoient tour a tour, & qu’elles se disputoient ce poste pendant assez long-temps. Mais a la fin j’apperçus avec une joye inexprimable que j’etois demeuré le maitre du champ de bataille ; j’étois tellement transporté de cet heureux succez, que je me jettois avec une tendre fureur sur cet aimable piece de christal pour lui temoigner ma reconnoissance par mille, & mille baisers ; mais quelle mortification ! ce mouvement extraordinaire dans mon sang & dans mes esprits m’eveilla tout d’un coup, & je vis ma maitresse metamorphosée en Oreiller. Helas ! ce n’est pas la premiere fois depuis que j’aime, que Morphée me joue des tours si cruels. Dites moi, venerable Mentor, vous, qui par une prérogative de votre famille vous devez connoitre à ces songes, si vous croyez, que dans le cœur d’Aurelie, j’occupe la même place, que celle dont je me suis vu le possesseur dans son cœur chimerique ; a vous dire la verité, je suis furieusement agité par l’esperance & par la crainte ; c’est pourtant la premiere de ces passions qui a eu le dessus dans mon ame jusqu’a onze heures du matin, quand j’ai entendu une malheureuse vieille soutenir a ses voisins, que les songes doivent toujours etre interpretez a rebours ; je vous avoue, que quand elle auroit tort, je n’aimerois guerre cette poitrine de christal ; la froideur & la dureté de cette matiere sont deux qualitez, qui me paroissent d’assez mauvaise augure pour mon amour. D’ailleurs je crains fort, que si j’avois dormi encore quelque moment, ce vilain Monsieur avec ses sacs d’argent n’eut fait sa seconde entrée ; si vous pouviez m’informer des veritables sentiments de la belle, ce seroit une magnifique preuve de votre habileté, car j’ose vous asseurer, qu’elle auroit bien de la peine a y reussir elle-même. Tout ce qu’elle dit, tout ce qu’elle fait, autant d’Enigmes ; Mais ce qu’il y a de certain, c’est que je suis de cet aimable Probleme, & du Venerable Mentor

Le tres humble &. »

Discours LXXXVIII. Quod latet arcana, non enerrabile, fibra. Pers. Il est impossible de penetrer dans les cachettes du cœur humain. Dans le temps, que je cherchois dequoy régaler aujourd’hui mes Lecteurs, j’ai receu la Lettre suivante, qui me paroit un regal plus agréable, que tout ce que j’aurois pas leur donner ; C’est tout ce qu’ils auront pour a présent, & je les prie de se jetter dessus sans façon. « Monsieur. Vos deux Parents & Predecesseurs d’immortelle mémoire étoient fort fameux pour leurs songes, & pour leurs visions ; peu semblables a cet égard a Homere, & a tous les autres autheurs, jamais ils ne plaisoient d’avantage, que lorsqu’ils sommeilloient. Comme on pretend que ce talent se transmet d’ordinaire avec le sang de Pe-re en fils, & qu’il devient commun a toute une famille, nous avons lieu d’esperer que vous deviendrez un jour un songeur de songes, aussi bien que les autres grands-hommes de votre race ; en attendant que cette faculté se développe chez vous, vous voulez bien que je vous fasse present d’un Rêve, qui pourra bercer vos Lecteurs jusqu’à ce que vous trouverez a propos de communiquer vous-même au public vos découvertes nocturnes. Vous saurez, Monsieur, que j’ai passé toute la soirée d’hier a ruminer sur la critique de Momus touchant la structure du corps humain, ou il auroit voulu qu’une fenetre fut placée au milieu de la poitrine. Le sens moral de cette fable n’est pas difficile a demêler ; elle signifie, que le cœur de l’homme est tellement rempli d’artifices, de ruses, de fourberies, & de trahisons, qu’il est presque impossible d’un deviner les veritables sentimens, par les apparences exterieures & même par les discours. J’inferai d’abord de cette vérité incontestable, que ce seroit un grand bonheur pour les deux sexes, s’il y avoit une fénêtre dans la poitrine des Amants & des Maitresses : quelle Epar-gne de protestations & de parjures, d’un coté ; quelle doze de dissimulation & d’Hypocrisie, devenue hors d’œuvre, de l’autre ! Ce seroit une grande felicité pour moy en particulier, moy qui me suis engagé dans une passion très violente pour Aurelie, qui est la personne de tout son sexe dont le cœur soit le plus impenetrable : je donne a tout l’univers a en demêler les veritables sentimens, & a deviner si c’est moy ou quelque autre, qui y occupe la premiere place. Pendant que je me livrois à mille pensées confuses sur un sujet si embarassant, je fus saisi tout d’un coup du sommeil, & je me mis a rêver que ma charmante Aurelie étoit couchée à côté de moy. Je commençai d’abord a parcourir d’un œuil avide toutes ses beautez ; mais en considerant sa poitrine je vis a m’a grande surprise qu’elle étoit aussi parfaitement transparente, que le plus beau christal, & que rien n’étoit plus facile, que de découvrir tout ce qui s’y passoit. Ce que j’y aperçus du premier coup d’œuil consistoit en eventails en Etoffes, en rubans, en dentelles, & en autres babioles, tellement entassées les unes sur les autres, que tout le cœur avoit l’air d’un magazin de galanteries. Tout cet étalage disparut bientôt après, & fit place a une autre décoration. C’étoit une longue suite de carrosses a six chevaux, suivis d’un grand nombre de Laquais avec de riches livrées, & pendant plus d’une demi-heure je vis une représentation très-naturelle du cours, quand il est le plus rempli de beau-monde. Ce spectacle s’etant evanoui, comme les precedents ; je vis tout le cœur rempli d’une main pleine de cartes parmi lesquelles je reconnus distinctement les trois Matadors. Un moment aprez j’y apperçus une succession rapide de plusieurs Scenes differentes ; Une sale de Comedie, une Eglise, un appartement de la Cour, un jeu de Marionnettes, furent autant d’apparitions soudaines qui firent a la fin place a une paire de souliers de la plus nouvelle mode, qui chausserent le cœur durant plus d’une grosse heure ; ils furent chassés par un bichon, qui fut succedé par un petit cochon de Guinée, par un chat, & par un singe ; & moi-meme a ma grande satisfaction je fus assez heureux pour faire l’arriere-garde de tous ces dignes favoris de la belle. Quel ravissement de joye pour moy de me voir pendant quelques moments l’unique & fortuné possesseur de tout le terrein ! Mais pendant que je contemplois la petite image de mon individu charmée de sa bienheureuse situation, le cœur poussa un profond soupir qui fit déloger au plus vîte cette petite figure fanfaronne ; Dans l’instant je vis la place prise, par un maroufle mal tourné & de mauvais air, qui portoit sous chaque bras un grand sac d’argent ; Il est vray que cet Adonis n’y fit pas un fort long sejour, & qu’il fut bientôt supplanté par un animal aussi desagreable que lui, & dont tout le merite consistoit a porter dans la main une baguette blanche. Ces trois dernieres figures me répresentoient avec vivacité les combats, qui se donnent dans le cœur de ma chere Aurelie entre l’ambition, l’avarice, & l’amour ; car je vis distinctement que nos trois images se chassoient tour a tour, & qu’elles se disputoient ce poste pendant assez long-temps. Mais a la fin j’apperçus avec une joye inexprimable que j’etois demeuré le maitre du champ de bataille ; j’étois tellement transporté de cet heureux succez, que je me jettois avec une tendre fureur sur cet aimable piece de christal pour lui temoigner ma reconnoissance par mille, & mille baisers ; mais quelle mortification ! ce mouvement extraordinaire dans mon sang & dans mes esprits m’eveilla tout d’un coup, & je vis ma maitresse metamorphosée en Oreiller. Helas ! ce n’est pas la premiere fois depuis que j’aime, que Morphée me joue des tours si cruels. Dites moi, venerable Mentor, vous, qui par une prérogative de votre famille vous devez connoitre à ces songes, si vous croyez, que dans le cœur d’Aurelie, j’occupe la même place, que celle dont je me suis vu le possesseur dans son cœur chimerique ; a vous dire la verité, je suis furieusement agité par l’esperance & par la crainte ; c’est pourtant la premiere de ces passions qui a eu le dessus dans mon ame jusqu’a onze heures du matin, quand j’ai entendu une malheureuse vieille soutenir a ses voisins, que les songes doivent toujours etre interpretez a rebours ; je vous avoue, que quand elle auroit tort, je n’aimerois guerre cette poitrine de christal ; la froideur & la dureté de cette matiere sont deux qualitez, qui me paroissent d’assez mauvaise augure pour mon amour. D’ailleurs je crains fort, que si j’avois dormi encore quelque moment, ce vilain Monsieur avec ses sacs d’argent n’eut fait sa seconde entrée ; si vous pouviez m’informer des veritables sentiments de la belle, ce seroit une magnifique preuve de votre habileté, car j’ose vous asseurer, qu’elle auroit bien de la peine a y reussir elle-même. Tout ce qu’elle dit, tout ce qu’elle fait, autant d’Enigmes ; Mais ce qu’il y a de certain, c’est que je suis de cet aimable Probleme, & du Venerable Mentor Le tres humble &. »