Le Mentor moderne: Discours LXXXV.
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Nível 1
Discours LXXXV.
Citação/Lema
Natos ad flumina
primum.
Deferimus, fævoque gelu duramus & undis.
Deferimus, fævoque gelu duramus & undis.
Virg.
Nous portons d’abord nos Enfans nouveaux-nez aux rivieres & nous les endurcissons en les plongeant dans l’eau la plus froide.Nível 2
Je me fais une occupation continuelle
de chercher dans mon esprit quelque chose qui puisse contribuer
au bonheur de mes chers Compatriotes. Comme la saison, où nous
sommes les a mis la plûpart en habits d’Eté j’ai porté mes
pensées sur un sujet qui concerne tous ceux, qui ne sont pas
insensibles au chaud & au froid ; sujet par conséquent d’une
utilité très generale. Il n’y a rien dans toute la nature de
plus inconstant, que le Climat de la Grande Bretagne, si vous en
excepté l’humeur des habitans ; souvent dans un même jour nous
faisons la revûë de toutes les saisons de l’année ; j’ai tremblé
de froid dans les jours Caniculaires, & au milieu de Janvier
j’ai été obligé de quitter ma camisole : il m’est arrivé de me coucher en Aout, & de me lever en
Decembre ; plusieurs fois l’Eté m’a trouvé en drap de Berry ;
& l’Hyver en Camelot. Je me souviens d’un plaisant corps
connu sous le nom de faiseur de Postures, qui du temps de
Charles second faisoit enrager tous les tailleurs de la ville.
Souvent il faisoit venir un de ces Messieurs, pour lui commander
un habit, & il se plaisoit a paroitre devant lui avec une
énorme Elevation sur une de ses épaules ; Lorsqu’on lui
apportoit l’habit en question la coline étoit changée de place,
& brilloit dans toute son étendue sur l’épaule opposée ; Le
Tailleur ne manquoit point de croire de bonne foi, qu’il s’étoit
trompé, de demander pardon de sa méprise, & de courir au
plus vite chez lui pour reparer sa faute ; mais quand il vouloit
essaïer ce malheureux habit pour la seconde fois, il trouvoit a
notre homme les Epaules aussi plattes qu’il étoit possible,
& une taille faite a peindre, excepté une petite bosse au
beau milieu du dos ; En un mot, cette humeur ambulante faisoit
perdre l’esprit à tous ceux qui se méloient d’habiller une
figure si sujette aux plus bizarres changemens.
Que mon Lecteur en fasse l’application s’il lui plait, à un
tailleur assez hardi pour entreprendre de faire un habit propre
à une des saisons de notre climat Anglois. Cette inconstance de
notre air m’a fait faire les réflexions suivantes. Il seroit bon
de faire ensorte, que notre corps ne fût pas trop tendre pour
notre Climat, & de l’endurcir assez pour pouvoir soutenir un
degré de froid plus grand, que celui que nous pouvons avoir à
craindre dans le tems le plus rude. L’experience fait voir que
la coutume peut donner au corps humain une trempe capable de
resister au plus grand froid, aussi-bien qu’au plus grand chaud,
& generalement à toutes les differentes constitutions de
l’air. Les habitans de la nouvelle Zemble vont tout nus sans se
plaindre du froid, qui leur est familier, & les Armées des
peuples Septentrionaux restent en Campagne pendant tout l’Hiver.
Les plus délicates d’entre nos Dames Angloises exposent à l’air,
en tout tems, leurs bras, & leur gorge, ce que nos hommes,
faute d’y être accoutumez, ne sauroient faire sans attraper
quelque rhume. Pour quoi par une coutume pareille
tout le corps ne pourroit-il pas parvenir au même degré de
dureté. Un Schythe, à qui on demandoit comment il étoit
possible, que ses compatriottes allassent nus dans un Païs si
excessivement froid, répondit : c’est que tout notre corps est
visage ; il avoit raison, & le fameux Mr. Lock conseille aux
Peres & aux Meres de faire laver tous les matins les pieds
de leurs enfans avec de l’eau froide ; conseil qui prolongeroit
la vie d’un grand nombre de personnes, si on vouloit bien le
suivre. Je suis très persuadé que des bains froids seroient
quelque chose d’excellent si l’on s’en servoit dans la premiere
jeunesse ; que fait-on si
cette fiction Poetique prise au rabais ne signifie pas, qu’elle
avoit endurci le corps de son fils en le plongeant
dans de l’eau froide ; quoi qu’il en soit, nous employons pour
conserver notre santé, une methode bien éloignée de celle-là ;
nous travaillons continuellement à nous délicater par de grands
feux, & par des habits bien chauds ; l’air dans nos
appartemens à d’ordinaire deux ou trois dégrez de chaleur de
plus, que l’air que l’on respire dans la rue ; & c’est-là la
source inépuisable de fluxions, & de Rhumatismes.
Exemplo
c’est par là qu’on
rendroit son corps à l’épreuve des injures de l’air, &
que tous les hommes deviendroient des especes d’Achilles. La
fable nous dit que ce Heros encor Enfant fut plongé par sa
Mere dans le Styx, & que par cette immersion il devint
invulnerable par tout le corps, excepté le talon, par où
Thetis l’avoit tenu, dans le tems qu’elle procuroit cet
avantage au reste de ses membres ;
Retrato alheio
Crassus est un vieux Lethargique
malade de Profession depuis vingt-ans. Pendant tout ce temps
la il n’a êté habillé que de Frise de la même couleur, &
de la même piece ; Il s’imagine qu’il trouveroit sa mort
dans toute autre étoffe, & quoique son avarice lui
conseille de porter ses habits, jusqu’a ce qu’ils montrent
la corde, il n’oze pas le faire de peur de s’enrhumer : il
ne sauroit non plus vivre sans son habit de frise, que sans
sa peau ; on pourroit même l’appeller sa peau exterieure.
Autorretrato
Quelle difference entre ce pauvre
vieillard, & moy ; C’est la marque distinctive de toute
notre famille, d’être dur & robuste, & de defier la
glace, le froid, & tout ce que l’air
engendre de pernicieux pour les autres corps humains. Mon
Grand Pere a vecu jusqu’a l’age de cent ans, sans avoir
jamais toussé, & nous savons par une tradition
domestique, que mon Bisayeul agé de quatre vingts ans
marchoit dans les rues nu tête, & la poitrine
decouverte ; Pour moi, j’ai été, dans mon enfance, saucé
tant de fois dans l’eau froide depuis la tête jusqu’aux
pieds, que je mets le mauvais temps a pis faire, & que
je puis passer pour le plus dur de toute notre famille ; je
me considere comme une piece d’acier de la meilleure trempe,
& je puis dire avec le scythe, dont j’ai parlé, que tout
mon corps est visage.