Le Mentor moderne: Discours LXXVIII.
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Discours LXXVIII.
Zitat/Motto
Ingenium sibi quod vacuas desumsit
Athenas,
Et studiis annos septem dedit, insenuitque
Libris & curis, statua taciturnius exit
Plerumque, & risu populum quatit. Un Sçavant qui a passé toute sa jeunesse dans les Universitez, & qui a vieilli dans la poussiere du Cabinet, a, dans les rues, l’air d’une statuë qui se promene, & son air plat donne à rire à toute la Populace.
Et studiis annos septem dedit, insenuitque
Libris & curis, statua taciturnius exit
Plerumque, & risu populum quatit. Un Sçavant qui a passé toute sa jeunesse dans les Universitez, & qui a vieilli dans la poussiere du Cabinet, a, dans les rues, l’air d’une statuë qui se promene, & son air plat donne à rire à toute la Populace.
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Puisque les avantages que nous pouvons
attendre dans le monde dépendent sur tout de nôtre éducation, il
ne sera pas inutile d’examiner s’il n’est pas possible de donner
à cette baze de nôtre fortune plus de profondeur & plus de
solidité. Le premier inconvenient de l’Education, c’est que dans
nôtre enfance elle est d’ordinaire uniquement conduite par des
personnes, qui nous aiment jusqu’à la foiblesse, & qui ont
une idée excessive de nôtre genie, & de nos talents ;
faut-il s’étonner s’ils se trompent dans les mesures qu’ils
prennent ? surtout quand on songe que pour bien élever des Enfants, il faut une grande etendue d’habileté, qui
manque a la pluspart des Peres & des Meres, quoiqu’il n’y en
ait presque point, qui ne se croyent aussi qualifiez pour former
le Charactere d’un enfant ; que pour le faire venir au monde.
Malheureusement ceux qui soufrent le plus d’une education mal
dirigée, ce sont les Enfants memes, qui ne s’apperçoivent
d’ordinaire des égarements dans lesquels on les a conduits, que
lorsqu’il est presqu’impossible d’en revenir. Les Universitez
qui devroient fournir naturellement des remedes surs a des maux
si dangereux, ne font que les augmenter & les rendre presque
incurables. Je ne parlerai que de celles de notre Patrie, &
je ferai quelques remarques sur ce qu’il y a de défectueux dans
la maniere, dont on y dirige la jeunesse. Le premier
inconvenient que j’y découvre, c’est qu’on ramasse sous la
conduite d’un même gouverneur un bon nombre de jeunes gens
differens en age, en naissance, en genie, en caractere, &
qu’on leur donne constamment les mêmes instructions. Portons nos
réflexions sur un Enfant délicat à peine arraché
du sein de sa Mere, & accoutumé à suivre tous les desirs
déreglez de son cœur, tous les caprices impertinens de son
imagination. Devroit-il être gouverné de la même maniere qu’un
garnement de dix-neuf ans, que le fouet a conduit de classe en
classe, endurci dans les reprimandes & dans le chatiment,
& qui sous la discipline la plus rude & la plus
farrouche a déja achevé ses dix campagnes de Litérature. Le
Lecteur dira sans doute qu’il n’est pas raisonnable d’attendre
du maigre salaire qu’on donne à ces sortes de gouverneurs, une
attention exacte & suivie sur le different tour d’esprit,
& sur les differentes vues de chaque éleve. J’en conviens,
& l’on ne sauroit songer sans la plus grande indignation au
prix, dont on prétend acheter tous les avantages qu’un jeune
homme peut tirer des leçons d’un homme savant & éclairé ; si
l’on vouloit bien étendre un peu cette récompense, non seulement
on animeroit les soins de ces maitres, mais on encourageroit
d’habiles gens à se rendre propres à cette profession penible,
en rendant leurs lumieres & leurs connoissances plus
generales. Jusqu’ici on est bien éloigné d’entrer dans une consideration si naturelle ; chacun de nos jeunes
gens les plus distinguez ne donne à son Gouverneur academique
que la moitié des gages de son laquais, ce qui devroit faire
rougir de honte toute la Nation ; quel fruit ne faut-il pas
attendre d’une dépense si prodigieuse ; elle seroit bien mal
employée en vérité si l’on n’en étoit dedommagé par les idées
les plus justes & les plus nobles de la morale, par une
connoissance bien digerée de l’Histoire, par un gout fin en
matiere de Bel-esprit, en un mot par tout ce qui peut rendre
l’homme grand & heureux. Parlons serieusement sur une
matiere si mortifiante ; c’est une chose monstrueuse que des
Personnes qui joignent une grande fortune à une illustre
naissance soient plus inquiets sur la maniere de dresser un
chien, ou un cheval favoris, que sur l’Education d’un fils qui
doit hériter de leurs titres, & de leurs biens. Le second
inconvenient de l’Education Accademique c’est la veneration
pédantesque qu’on y nourrit dans les ames pour le Grec, &
pour le Latin ; c’est par là qu’on force également toute la
jeunesse à s’exercer sur ces Langues mortes, qu’elle aye des
talens ou non pour y faire des progrès.
Qu’arrive-t’il ? Les jeunes gens qui n’ont ni gout ni
inclination pour cette étude sterile en elle-même, s’adressent
aux écoliers, qui brillent dans leur college, & ils achetent
d’eux tous les mots Grecs & Latins dont ils ont besoin pour
satisfaire leurs maitres inflexibles sur cet article. Mais voici
un autre défaut encore plus terrible qu’on remarque dans
l’Education que notre jeunesse reçoit aux Universitez. Toute
l’attention y roule sur ce qu’on appelle profonde érudition,
& l’on y neglige avec un mepris general tous les petits
talens, qui doivent entrer dans le caractere d’un homme bien
élevé. Cependant il y a peu de ces genies qui ont assez de force
pour parvenir à une habileté extraordinaire, & dans le cours
de la vie, il y a peu d’occasions, où l’on ait besoin de ce
genie transcendant étendu & enrichi des connoissances les
plus rares. Par consequent les ames communes, qui font le grand
nombre, sont interessées à se fournir de certaines perfections
subalternes, qui sont à la portée generalement de tout le monde,
& qui peuvent être avantageuses dans presque toutes les
circonstances de la vie. D’ailleurs les Personnes,
dont nous avons sur-tout besoin pour faire fortune, sont des
gens dont la fortune est deja faite, ce sont des Grands, &
l’on remarque que ces Grands ont reçu en general une éducation
plus superficielle que ceux qui sont d’un rang inferieur. Le
savoir vivre & les belles manieres font le plus souvent tout
leur merite, & il est naturel qu’ils considerent, &
qu’ils protegent dans les autres les qualitez par lesquelles ils
brillent eux-mêmes. Produire à leurs yeux le portrait de leur
propre caractere, c’est employer sur eux une flatterie aussi
innocente qu’irrésistible. Cependant certains fils cheris de nos
doctes Meres les Universitez, quoi qu’ils soient surs de ne
pouvoir se pousser dans le monde, qu’en s’insinuant dans
l’esprit des grands Seigneurs regardent avec dedain ces
petitesses nécessaires, & lorsqu’il s’agit de parler à leurs
Protecteurs l’embarras de leur figure se répand sur leurs
discours mêmes, & en cache jusqu’au sens commun. C’est ainsi
que par la seule inattention pour certains agrémens, un homme né
pauvre se sert d’une methode sure pour le rester toute sa vie.
J’espere que les savants me pardonneront ce
que je n’avance ici que pour leur rendre service, &
nullement pour les offenser. Je songe seulement à les avertir de
ne point négliger certaines qualitez faciles à acquerir, &
capables de devancer dans la recherche de la réputation, &
de la fortune, le merite le plus solide, les connoissances les
plus excellentes. Si la jeunesse des Universitez devoit être
avancée dans le monde à proportion de leur savoir ; si la
richesse étoit assurée aux gens intelligens & la faveur aux
personnes habiles, certainement il faudroit mépriser toute
application qui n’a pas pour but un merite réel. Mais nous
devons être examinez par la multitude ignorante & peu
sensée ; pour quoi ne pas avoir une complaisance innocente pour
son gout peu judicieux ; si elle prefere un brillant exterieur
aux plus grandes qualitez du cœur & de l’esprit, nous n’en
sommes pas responsables ; la sottise & l’infamie en est sur
son compte. Plus un homme sait s’approprier de talens de
differens ordres, & plus il est en état de satisfaire toutes
sortes de personnes, & c’est indubitablement dans cette vue,
que l’auteur d’un livre Italien intitulé le
Courtizan, veut qu’un homme qui se destine à la Cour, sache
luter, voltiger, en un mot tous les exercices du corps, quelque
bas, qu’il paroissent. C’est très bien raisonner ; un
jeun-homme, qui a l’intention de se rendre agréable aux yeux de
tout le monde, ne sauroit mieux faire que de se procurer tous
les agrémens imaginaires & réels qui ont de l’a <sic>
relation avec tous les gouts differens. Ces Maximes sont
inconnues aux jeunes gens de nos Universitez ; au lieu
d’employer leur loisir à des amusemens qui les mettroient en
état de brusquer la fortune ; ils s’en servent pour se voir les
uns les autres dans certaines maisons, où ils boivent, pour
oublier leur pauvreté & pour perdre le souvenir de leurs
miseres. Des personnes dont l’Education est si imparfaite
peuvent passer chez eux-mêmes & chez leurs semblables pour
modestes dans leur conduite, parce qu’ils ne briguent point la
gloire d’être familiers avec des gens de distinction ; mais il
est aisé de faire voir que cette modestie prétendue n’a pour
source qu’une souveraine ignorance du savoir vivre, &
qu’elle a l’air d’un veritable orgœuil ; n’est-il
pas constant qu’un homme qui se sentant incapable de paroitre
devant ses superieurs, sans les rebuter par des airs ridicules,
se condamne a ne les pas approcher, est exterieurement dans la
même situation qu’un Philosophe bouru, qui meprise les personnes
du prémier rang. Je dis plus ; cette timidité trop bien fondée
devient peu à peu un orgœuil véritable. On cherche des raisons,
pour rectifier le principe de cette conduite, qu’un manque de
politesse rend necessaire. On tache de l’attribuer à une noble
fierté fondée sur un merite sur de soi-même, & l’on
s’accoutume à repandre un air de bassesse sur le procedé de ceux
qui font remper leur savoir devant la fortune des ignorans. Il
est évident neanmoins, que de raisonner ainsi c’est être dupe
volontaire de l’amour propre, qui ne manque jamais de Sophismes
pour changer la honte en gloire. Un savant qui fait sans crime
la cour à un grand Seigneur ne se prête qu’à l’ordre établi dans
la societé ; ce n’est point à une personne ; c’est à une espece
de nécessité, qu’il se soumet, & qu’il rend hommage. Diogene
interrogé par un railleur pourquoi les Philosophes
couroient aprez les gens riches, & non pas les gens riches
aprez les Philosophes répondit a mon avis avec autant d’esprit
que de bon sens ; c’est que les premiers connoissent leurs
besoins, & que les derniers ignorent les leurs. Il seroit
certainement tres difficile de prouver, qu’un homme de Cabinet
ne doit point etre, ce qu’on appelle un galant-homme, &
cependant les Savants le sont aussi peu, que si la chose étoit
demontrée avec la derniere evidence ; de là vient qu’ils n’ont
pas le moindre commerce avec les gens de distinction, que
lorsque ceux ci ont un besoin absolu de leurs lumieres ; Mais le
savant a t il fait ce qu’on avoit exigé de lui, l’homme de
qualité le paye, & les voila quittes & dans le même
éloignement qu’avant que l’ouvrage fut commandé ; Le payement
vient d’effacer toute obligation ; mais l’habile homme, qui en
rendant service daigne etre aimable, oblige, quoiqu’il soit
payé ; ceux qui le payent de son travail restent toujours
redevables a l’agrément de ses manieres, qu’ils récompensent
avec plaisir de leur protection, & de leurs bienfaits. Le
Charactere d’un Damoiseau est celui que les
Citoyens de la république des Lettres aiment le plus a tourner
en ridicule ; cependant quand nous voyons ensemble dans une
assemblée le fat lettré & sans éducation, & le fat Idiot
bien élevé nous voyons le plus souvent que les traits railleurs
passent a côté de celui-ci pour tomber en foule sur l’autre. Il
n’y a rien là de surprenant ; plus de gens sont capables de
juger de nos manieres, que de notre conversation, & par
consequent une figure platte & des airs gauches frappent
& choquent plus generalement que de l’ignorance, des idées
fausses, & des termes impropres. Si le savant daignoit avoir
de la politesse & du savoir vivre, les Damoiseaux, les
diseurs de rien, & les ignorants présomtueux, seroient fort
mal a leur aize ; Ils tireroient peu de secours de leurs
turlupinades & de leurs manieres bruiantes, contre des gens
qui fonderoient une noble confiance sur leur double merite fruit
de leur bon sens, & de leur heureux naturel ; De leur
heureux naturel, dis-je, car c’est etre naturellement farouche,
que de ne se pas plier aux manieres, de ceux qui sont avec nous
les membres d’une meme societé ; ce bon sens & ce bon naturel se prestant des forces mutuelles, dans un
homme habile & sociable, le rendroient le charme des
compagnies ; Il se feroit aimer en n’attaquant jamais personne ;
il se feroit respecter en se defendant à propos. Quelque
profession qu’on veuille embrasser ; soit qu’on se destine aux
affaires, soit qu’on se destine aux plaisirs, il est indubitable
qu’il faut de l’éducation pour executer agréablement l’un &
l’autre ces projets. Je le repete ; ce sont notre air & nos
manieres, qui dans les circonstances les plus communes de la vie
previennent les gens contre nous, ou en notre faveur ; le grand
savoir, le genie extraordinaire, n’ont que tres peu d’occasions
de briller. Il est deraisonnable par consequent de se donner
tout entier a des choses dont peu de gens sont capables de
juger, & de negliger absolument ce qui est a la portée des
esprits les plus communs. A propos des Savants, voici la lettre
d’une espece d’Animal amphibie, qui joint a un savoir fort
problematique une politesse de sa propre façon.
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Brief/Leserbrief
« Monsieur, Je suis
&c. »
Fremdportrait
Je suis grand literateur ;
je porte une Perruque du dernier blond & j’ai
une grande quantité de livres tres curieusement
reliez, & dorez : j’excelle a parler comme on ne
parle point, & toutes mes Phrazes ont un air de
singularité, qui me plait infiniment ; je rends
visite aux gens de la premiere grandeur, & pour
vous donner une idée totale de mon merite, j’ai un
joli cabinet de coquilles. Cependant toutes ces
rares qualitez ne me defendent pas des insultes d’un
de mes compagnons en savoir, qui me neglige de la
maniere la plus criante. Croiriez vous, Monsieur,
que des gens d’une candeur averée m’ont asseuré,
qu’il a eu la présomtion de passer par devant ma
porte sans me venir rendre ses devoirs ; il me
semble que ce n’est pas là une conduite convenable
au respect que nous nous devons mutuellement nous
autres Matadors des belles lettres, & je vous
conjure d’être de mon sentiment.