Et studiis annos septem dedit, insenuitque
Libris & curis, statua taciturnius exit
Plerumque, & risu populum quatit.
Un Sçavant qui a passé toute sa jeunesse dans les Universitez, & qui a vieilli dans la poussiere du Cabinet, a, dans les rues, l’air d’une statuë qui se promene, & son air plat donne à rire à toute la Populace.
Puisque les avantages que nous pouvons attendre dans le monde dépendent sur tout de nôtre éducation, il ne sera pas inutile d’examiner s’il n’est pas possible de donner à cette baze de nôtre fortune plus de profondeur & plus de solidité.
Le premier inconvenient de l’Education, c’est que dans nôtre enfance elle est d’ordinaire uniquement conduite par des personnes, qui nous aiment jusqu’à la foiblesse, & qui ont une idée excessive de nôtre genie, & de nos talents ; faut-il s’étonner s’ils se trompent dans les mesures qu’ils prennent ? surtout quand on songe que pour bien é-
Les Universitez qui devroient fournir naturellement des remedes surs a des maux si dangereux, ne font que les augmenter & les rendre presque incurables. Je ne parlerai que de celles de notre Patrie, & je ferai quelques remarques sur ce qu’il y a de défectueux dans la maniere, dont on y dirige la jeunesse.
Le premier inconvenient que j’y découvre, c’est qu’on ramasse sous la conduite d’un même gouverneur un bon nombre de jeunes gens differens en age, en naissance, en genie, en caractere, & qu’on leur donne constamment les mêmes instructions. Portons nos réflexions sur un Enfant délicat à peine ar-
Le Lecteur dira sans doute qu’il n’est pas raisonnable d’attendre du maigre salaire qu’on donne à ces sortes de gouverneurs, une attention exacte & suivie sur le different tour d’esprit, & sur les differentes vues de chaque éleve. J’en conviens, & l’on ne sauroit songer sans la plus grande indignation au prix, dont on prétend acheter tous les avantages qu’un jeune homme peut tirer des leçons d’un homme savant & éclairé ; si l’on vouloit bien étendre un peu cette récompense, non seulement on animeroit les soins de ces maitres, mais on encourageroit d’habiles gens à se rendre propres à cette profession penible, en rendant leurs lumieres & leurs connoissances plus generales. Jusqu’ici on est bien éloigné d’entrer dans une Gouverneur academique que la moitié des gages de son laquais, ce qui devroit faire rougir de honte toute la Nation ; quel fruit ne faut-il pas attendre d’une dépense si prodigieuse ; elle seroit bien mal employée en vérité si l’on n’en étoit dedommagé par les idées les plus justes & les plus nobles de la morale, par une connoissance bien digerée de l’Histoire, par un gout fin en matiere de Bel-esprit, en un mot par tout ce qui peut rendre l’homme grand & heureux. Parlons serieusement sur une matiere si mortifiante ; c’est une chose monstrueuse que des Personnes qui joignent une grande fortune à une illustre naissance soient plus inquiets sur la maniere de dresser un chien, ou un cheval favoris, que sur l’Education d’un fils qui doit hériter de leurs titres, & de leurs biens.
Le second inconvenient de l’Education Accademique c’est la veneration pédantesque qu’on y nourrit dans les ames pour le Grec, & pour le Latin ; c’est par là qu’on force également toute la jeunesse à s’exercer sur ces Langues mortes, qu’elle aye des talens ou non
C’est ainsi que par la seule inattention pour certains agrémens, un homme né pauvre se sert d’une methode sure pour le rester toute sa vie.
Si la jeunesse des Universitez devoit être avancée dans le monde à proportion de leur savoir ; si la richesse étoit assurée aux gens intelligens & la faveur aux personnes habiles, certainement il faudroit mépriser toute application qui n’a pas pour but un merite réel. Mais nous devons être examinez par la multitude ignorante & peu sensée ; pour quoi ne pas avoir une complaisance innocente pour son gout peu judicieux ; si elle prefere un brillant exterieur aux plus grandes qualitez du cœur & de l’esprit, nous n’en sommes pas responsables ; la sottise & l’infamie en est sur son compte. Plus un homme sait s’approprier de talens de differens ordres, & plus il est en état de satisfaire toutes sortes de personnes, & c’est indubitablement dans cette vue, que l’auteur
Ces Maximes sont inconnues aux jeunes gens de nos Universitez ; au lieu d’employer leur loisir à des amusemens qui les mettroient en état de brusquer la fortune ; ils s’en servent pour se voir les uns les autres dans certaines maisons, où ils boivent, pour oublier leur pauvreté & pour perdre le souvenir de leurs miseres. Des personnes dont l’Education est si imparfaite peuvent passer chez eux-mêmes & chez leurs semblables pour modestes dans leur conduite, parce qu’ils ne briguent point la gloire d’être familiers avec des gens de distinction ; mais il est aisé de faire voir que cette modestie prétendue n’a pour source qu’une souveraine ignorance du savoir vivre, & qu’elle a l’air d’un veritable orgœuil ;
On tache de l’attribuer à une noble fierté fondée sur un merite sur de soi-même, & l’on s’accoutume à repandre un air de bassesse sur le procedé de ceux qui font remper leur savoir devant la fortune des ignorans. Il est évident neanmoins, que de raisonner ainsi c’est être dupe volontaire de l’amour propre, qui ne manque jamais de Sophismes pour changer la honte en gloire. Un savant qui fait sans crime la cour à un grand Seigneur ne se prête qu’à l’ordre établi dans la societé ; ce n’est point à une personne ; c’est à une espece de nécessité, qu’il se soumet, & qu’il rend hommage. c’est que les premiers connoissent leurs besoins, & que les derniers ignorent les leurs.
Il seroit certainement tres difficile de prouver, qu’un homme de Cabinet ne doit point etre, ce qu’on appelle un galant-homme, & cependant les Savants le sont aussi peu, que si la chose étoit demontrée avec la derniere evidence ; de là vient qu’ils n’ont pas le moindre commerce avec les gens de distinction, que lorsque ceux ci ont un besoin absolu de leurs lumieres ; Mais le savant a t il fait ce qu’on avoit exigé de lui, l’homme de qualité le paye, & les voila quittes & dans le même éloignement qu’avant que l’ouvrage fut commandé ; Le payement vient d’effacer toute obligation ; mais l’habile homme, qui en rendant service daigne etre aimable, oblige, quoiqu’il soit payé ; ceux qui le payent de son travail restent toujours redevables a l’agrément de ses manieres, qu’ils récompensent avec plaisir de leur protection, & de leurs bienfaits.
Le Charactere d’un Damoiseau est fat lettré & sans éducation, & le fat Idiot bien élevé nous voyons le plus souvent que les traits railleurs passent a côté de celui-ci pour tomber en foule sur l’autre. Il n’y a rien là de surprenant ; plus de gens sont capables de juger de nos manieres, que de notre conversation, & par consequent une figure platte & des airs gauches frappent & choquent plus generalement que de l’ignorance, des idées fausses, & des termes impropres. Si le savant daignoit avoir de la politesse & du savoir vivre, les Damoiseaux, les diseurs de rien, & les ignorants présomtueux, seroient fort mal a leur aize ; Ils tireroient peu de secours de leurs turlupinades & de leurs manieres bruiantes, contre des gens qui fonderoient une noble confiance sur leur double merite fruit de leur bon sens, & de leur heureux naturel ; De leur heureux naturel, dis-je, car c’est etre naturellement farouche, que de ne se pas plier aux manieres, de ceux qui sont avec nous les membres d’une meme societé ; ce bon sens & ce bon
A propos des Savants, voici la lettre d’une espece d’Animal amphibie, qui joint a un savoir fort problematique une politesse de sa propre façon.
Monsieur,
Je suis grand literateur ; je porte une Perruque du dernier blond & j’ai une grande quantité de livres tres curieusement reliez, & dorez : j’excelle a parler comme on ne parle point, & toutes mes Phrazes ont un air de singularité, qui me plait infiniment ; je rends visite aux gens de la premiere grandeur, & pour vous donner une idée totale de mon merite, j’ai un joli cabinet de coquilles. Cependant toutes ces rares qualitez ne me defendent pas des insultes d’un de mes compagnons en savoir, qui me neglige de la maniere la plus criante. Croiriez vous, Monsieur, que des gens d’une candeur averée m’ont asseuré, qu’il a eu la présomtion de passer par devant ma porte sans me venir rendre ses devoirs ; il me semble que ce n’est pas là une conduite convenable au respect que nous nous devons mutuellement nous autres Matadors des belles lettres, & je vous conjure d’être de mon sentiment.