Discours LXXVIII. Justus Van Effen [Joseph Addison, Richard Steele] Moralische Wochenschriften Klaus-Dieter Ertler Herausgeber Hannah Bakanitsch Mitarbeiter Lilith Burger Mitarbeiter Elisabeth Hobisch Herausgeber Mario Müller Mitarbeiter Veronika Mussner Mitarbeiter Sarah Lang Gerlinde Schneider Martina Scholger Johannes Stigler Gunter Vasold Datenmodellierung Applikationsentwicklung Institut für Romanistik, Universität Graz Zentrum für Informationsmodellierung, Universität Graz Graz 24.04.2018 o:mws.6711 Justus Van Effen : Le Mentor moderne ou Discours sur les mœurs du siècle ; traduit de l'Anglois du Guardian de Mrs Addisson, Steele, et autres Auteurs du Spectateur. La Haye : Frères Vaillant et N. Prévost, Tome II, 234-246 Le Mentor moderne 2 078 1723 Frankreich Ebene 1 Ebene 2 Ebene 3 Ebene 4 Ebene 5 Ebene 6 Allgemeine Erzählung Selbstportrait Fremdportrait Dialog Allegorisches Erzählen Traumerzählung Fabelerzählung Satirisches Erzählen Exemplarisches Erzählen Utopische Erzählung Metatextualität Zitat/Motto Leserbrief Graz, Austria French Erziehung und Bildung Educazione e Formazione Education and Formation Educación y Formación Éducation et formation France 2.0,46.0

Discours LXXVIII.

Ingenium sibi quod vacuas desumsit Athenas,Et studiis annos septem dedit, insenuitqueLibris & curis, statua taciturnius exitPlerumque, & risu populum quatit.

Un Sçavant qui a passé toute sa jeunesse dans les Universitez, & qui a vieilli dans la poussiere du Cabinet, a, dans les rues, l’air d’une statuë qui se promene, & son air plat donne à rire à toute la Populace.

Puisque les avantages que nous pouvons attendre dans le monde dépendent sur tout de nôtre éducation, il ne sera pas inutile d’examiner s’il n’est pas possible de donner à cette baze de nôtre fortune plus de profondeur & plus de solidité.

Le premier inconvenient de l’Education, c’est que dans nôtre enfance elle est d’ordinaire uniquement conduite par des personnes, qui nous aiment jusqu’à la foiblesse, & qui ont une idée excessive de nôtre genie, & de nos talents ; faut-il s’étonner s’ils se trompent dans les mesures qu’ils prennent ? surtout quand on songe que pour bien é-lever des Enfants, il faut une grande etendue d’habileté, qui manque a la pluspart des Peres & des Meres, quoiqu’il n’y en ait presque point, qui ne se croyent aussi qualifiez pour former le Charactere d’un enfant ; que pour le faire venir au monde. Malheureusement ceux qui soufrent le plus d’une education mal dirigée, ce sont les Enfants memes, qui ne s’apperçoivent d’ordinaire des égarements dans lesquels on les a conduits, que lorsqu’il est presqu’impossible d’en revenir.

Les Universitez qui devroient fournir naturellement des remedes surs a des maux si dangereux, ne font que les augmenter & les rendre presque incurables. Je ne parlerai que de celles de notre Patrie, & je ferai quelques remarques sur ce qu’il y a de défectueux dans la maniere, dont on y dirige la jeunesse.

Le premier inconvenient que j’y découvre, c’est qu’on ramasse sous la conduite d’un même gouverneur un bon nombre de jeunes gens differens en age, en naissance, en genie, en caractere, & qu’on leur donne constamment les mêmes instructions. Portons nos réflexions sur un Enfant délicat à peine ar-raché du sein de sa Mere, & accoutumé à suivre tous les desirs déreglez de son cœur, tous les caprices impertinens de son imagination. Devroit-il être gouverné de la même maniere qu’un garnement de dix-neuf ans, que le fouet a conduit de classe en classe, endurci dans les reprimandes & dans le chatiment, & qui sous la discipline la plus rude & la plus farrouche a déja achevé ses dix campagnes de Litérature.

Le Lecteur dira sans doute qu’il n’est pas raisonnable d’attendre du maigre salaire qu’on donne à ces sortes de gouverneurs, une attention exacte & suivie sur le different tour d’esprit, & sur les differentes vues de chaque éleve. J’en conviens, & l’on ne sauroit songer sans la plus grande indignation au prix, dont on prétend acheter tous les avantages qu’un jeune homme peut tirer des leçons d’un homme savant & éclairé ; si l’on vouloit bien étendre un peu cette récompense, non seulement on animeroit les soins de ces maitres, mais on encourageroit d’habiles gens à se rendre propres à cette profession penible, en rendant leurs lumieres & leurs connoissances plus generales. Jusqu’ici on est bien éloigné d’entrer dans une consideration si naturelle ; chacun de nos jeunes gens les plus distinguez ne donne à son Gouverneur academique que la moitié des gages de son laquais, ce qui devroit faire rougir de honte toute la Nation ; quel fruit ne faut-il pas attendre d’une dépense si prodigieuse ; elle seroit bien mal employée en vérité si l’on n’en étoit dedommagé par les idées les plus justes & les plus nobles de la morale, par une connoissance bien digerée de l’Histoire, par un gout fin en matiere de Bel-esprit, en un mot par tout ce qui peut rendre l’homme grand & heureux. Parlons serieusement sur une matiere si mortifiante ; c’est une chose monstrueuse que des Personnes qui joignent une grande fortune à une illustre naissance soient plus inquiets sur la maniere de dresser un chien, ou un cheval favoris, que sur l’Education d’un fils qui doit hériter de leurs titres, & de leurs biens.

Le second inconvenient de l’Education Accademique c’est la veneration pédantesque qu’on y nourrit dans les ames pour le Grec, & pour le Latin ; c’est par là qu’on force également toute la jeunesse à s’exercer sur ces Langues mortes, qu’elle aye des talens ou non pour y faire des progrès. Qu’arrive-t’il ? Les jeunes gens qui n’ont ni gout ni inclination pour cette étude sterile en elle-même, s’adressent aux écoliers, qui brillent dans leur college, & ils achetent d’eux tous les mots Grecs & Latins dont ils ont besoin pour satisfaire leurs maitres inflexibles sur cet article. Mais voici un autre défaut encore plus terrible qu’on remarque dans l’Education que notre jeunesse reçoit aux Universitez. Toute l’attention y roule sur ce qu’on appelle profonde érudition, & l’on y neglige avec un mepris general tous les petits talens, qui doivent entrer dans le caractere d’un homme bien élevé. Cependant il y a peu de ces genies qui ont assez de force pour parvenir à une habileté extraordinaire, & dans le cours de la vie, il y a peu d’occasions, où l’on ait besoin de ce genie transcendant étendu & enrichi des connoissances les plus rares. Par consequent les ames communes, qui font le grand nombre, sont interessées à se fournir de certaines perfections subalternes, qui sont à la portée generalement de tout le monde, & qui peuvent être avantageuses dans presque toutes les circonstances de la vie.

D’ailleurs les Personnes, dont nous avons sur-tout besoin pour faire fortune, sont des gens dont la fortune est deja faite, ce sont des Grands, & l’on remarque que ces Grands ont reçu en general une éducation plus superficielle que ceux qui sont d’un rang inferieur. Le savoir vivre & les belles manieres font le plus souvent tout leur merite, & il est naturel qu’ils considerent, & qu’ils protegent dans les autres les qualitez par lesquelles ils brillent eux-mêmes. Produire à leurs yeux le portrait de leur propre caractere, c’est employer sur eux une flatterie aussi innocente qu’irrésistible. Cependant certains fils cheris de nos doctes Meres les Universitez, quoi qu’ils soient surs de ne pouvoir se pousser dans le monde, qu’en s’insinuant dans l’esprit des grands Seigneurs regardent avec dedain ces petitesses nécessaires, & lorsqu’il s’agit de parler à leurs Protecteurs l’embarras de leur figure se répand sur leurs discours mêmes, & en cache jusqu’au sens commun.

C’est ainsi que par la seule inattention pour certains agrémens, un homme né pauvre se sert d’une methode sure pour le rester toute sa vie.

J’espere que les savants me pardonneront ce que je n’avance ici que pour leur rendre service, & nullement pour les offenser. Je songe seulement à les avertir de ne point négliger certaines qualitez faciles à acquerir, & capables de devancer dans la recherche de la réputation, & de la fortune, le merite le plus solide, les connoissances les plus excellentes.

Si la jeunesse des Universitez devoit être avancée dans le monde à proportion de leur savoir ; si la richesse étoit assurée aux gens intelligens & la faveur aux personnes habiles, certainement il faudroit mépriser toute application qui n’a pas pour but un merite réel. Mais nous devons être examinez par la multitude ignorante & peu sensée ; pour quoi ne pas avoir une complaisance innocente pour son gout peu judicieux ; si elle prefere un brillant exterieur aux plus grandes qualitez du cœur & de l’esprit, nous n’en sommes pas responsables ; la sottise & l’infamie en est sur son compte. Plus un homme sait s’approprier de talens de differens ordres, & plus il est en état de satisfaire toutes sortes de personnes, & c’est indubitablement dans cette vue, que l’auteur d’un livre Italien intitulé le Courtizan, veut qu’un homme qui se destine à la Cour, sache luter, voltiger, en un mot tous les exercices du corps, quelque bas, qu’il paroissent. C’est très bien raisonner ; un jeun-homme, qui a l’intention de se rendre agréable aux yeux de tout le monde, ne sauroit mieux faire que de se procurer tous les agrémens imaginaires & réels qui ont de l’a <sic> relation avec tous les gouts differens.

Ces Maximes sont inconnues aux jeunes gens de nos Universitez ; au lieu d’employer leur loisir à des amusemens qui les mettroient en état de brusquer la fortune ; ils s’en servent pour se voir les uns les autres dans certaines maisons, où ils boivent, pour oublier leur pauvreté & pour perdre le souvenir de leurs miseres. Des personnes dont l’Education est si imparfaite peuvent passer chez eux-mêmes & chez leurs semblables pour modestes dans leur conduite, parce qu’ils ne briguent point la gloire d’être familiers avec des gens de distinction ; mais il est aisé de faire voir que cette modestie prétendue n’a pour source qu’une souveraine ignorance du savoir vivre, & qu’elle a l’air d’un veritable orgœuil ; n’est-il pas constant qu’un homme qui se sentant incapable de paroitre devant ses superieurs, sans les rebuter par des airs ridicules, se condamne a ne les pas approcher, est exterieurement dans la même situation qu’un Philosophe bouru, qui meprise les personnes du prémier rang. Je dis plus ; cette timidité trop bien fondée devient peu à peu un orgœuil véritable. On cherche des raisons, pour rectifier le principe de cette conduite, qu’un manque de politesse rend necessaire.

On tache de l’attribuer à une noble fierté fondée sur un merite sur de soi-même, & l’on s’accoutume à repandre un air de bassesse sur le procedé de ceux qui font remper leur savoir devant la fortune des ignorans. Il est évident neanmoins, que de raisonner ainsi c’est être dupe volontaire de l’amour propre, qui ne manque jamais de Sophismes pour changer la honte en gloire. Un savant qui fait sans crime la cour à un grand Seigneur ne se prête qu’à l’ordre établi dans la societé ; ce n’est point à une personne ; c’est à une espece de nécessité, qu’il se soumet, & qu’il rend hommage. Diogene interrogé par un railleur pourquoi les Philosophes couroient aprez les gens riches, & non pas les gens riches aprez les Philosophes répondit a mon avis avec autant d’esprit que de bon sens ; c’est que les premiers connoissent leurs besoins, & que les derniers ignorent les leurs.

Il seroit certainement tres difficile de prouver, qu’un homme de Cabinet ne doit point etre, ce qu’on appelle un galant-homme, & cependant les Savants le sont aussi peu, que si la chose étoit demontrée avec la derniere evidence ; de là vient qu’ils n’ont pas le moindre commerce avec les gens de distinction, que lorsque ceux ci ont un besoin absolu de leurs lumieres ; Mais le savant a t il fait ce qu’on avoit exigé de lui, l’homme de qualité le paye, & les voila quittes & dans le même éloignement qu’avant que l’ouvrage fut commandé ; Le payement vient d’effacer toute obligation ; mais l’habile homme, qui en rendant service daigne etre aimable, oblige, quoiqu’il soit payé ; ceux qui le payent de son travail restent toujours redevables a l’agrément de ses manieres, qu’ils récompensent avec plaisir de leur protection, & de leurs bienfaits.

Le Charactere d’un Damoiseau est celui que les Citoyens de la république des Lettres aiment le plus a tourner en ridicule ; cependant quand nous voyons ensemble dans une assemblée le fat lettré & sans éducation, & le fat Idiot bien élevé nous voyons le plus souvent que les traits railleurs passent a côté de celui-ci pour tomber en foule sur l’autre. Il n’y a rien là de surprenant ; plus de gens sont capables de juger de nos manieres, que de notre conversation, & par consequent une figure platte & des airs gauches frappent & choquent plus generalement que de l’ignorance, des idées fausses, & des termes impropres. Si le savant daignoit avoir de la politesse & du savoir vivre, les Damoiseaux, les diseurs de rien, & les ignorants présomtueux, seroient fort mal a leur aize ; Ils tireroient peu de secours de leurs turlupinades & de leurs manieres bruiantes, contre des gens qui fonderoient une noble confiance sur leur double merite fruit de leur bon sens, & de leur heureux naturel ; De leur heureux naturel, dis-je, car c’est etre naturellement farouche, que de ne se pas plier aux manieres, de ceux qui sont avec nous les membres d’une meme societé ; ce bon sens & ce bon naturel se prestant des forces mutuelles, dans un homme habile & sociable, le rendroient le charme des compagnies ; Il se feroit aimer en n’attaquant jamais personne ; il se feroit respecter en se defendant à propos. Quelque profession qu’on veuille embrasser ; soit qu’on se destine aux affaires, soit qu’on se destine aux plaisirs, il est indubitable qu’il faut de l’éducation pour executer agréablement l’un & l’autre ces projets. Je le repete ; ce sont notre air & nos manieres, qui dans les circonstances les plus communes de la vie previennent les gens contre nous, ou en notre faveur ; le grand savoir, le genie extraordinaire, n’ont que tres peu d’occasions de briller. Il est deraisonnable par consequent de se donner tout entier a des choses dont peu de gens sont capables de juger, & de negliger absolument ce qui est a la portée des esprits les plus communs.

A propos des Savants, voici la lettre d’une espece d’Animal amphibie, qui joint a un savoir fort problematique une politesse de sa propre façon.

«  Monsieur,

Je suis grand literateur ; je porte une Perruque du dernier blond & j’ai une grande quantité de livres tres curieusement reliez, & dorez : j’excelle a parler comme on ne parle point, & toutes mes Phrazes ont un air de singularité, qui me plait infiniment ; je rends visite aux gens de la premiere grandeur, & pour vous donner une idée totale de mon merite, j’ai un joli cabinet de coquilles. Cependant toutes ces rares qualitez ne me defendent pas des insultes d’un de mes compagnons en savoir, qui me neglige de la maniere la plus criante. Croiriez vous, Monsieur, que des gens d’une candeur averée m’ont asseuré, qu’il a eu la présomtion de passer par devant ma porte sans me venir rendre ses devoirs ; il me semble que ce n’est pas là une conduite convenable au respect que nous nous devons mutuellement nous autres Matadors des belles lettres, & je vous conjure d’être de mon sentiment. Je suis &c. »

Discours LXXVIII. Ingenium sibi quod vacuas desumsit Athenas,Et studiis annos septem dedit, insenuitqueLibris & curis, statua taciturnius exitPlerumque, & risu populum quatit. Un Sçavant qui a passé toute sa jeunesse dans les Universitez, & qui a vieilli dans la poussiere du Cabinet, a, dans les rues, l’air d’une statuë qui se promene, & son air plat donne à rire à toute la Populace. Puisque les avantages que nous pouvons attendre dans le monde dépendent sur tout de nôtre éducation, il ne sera pas inutile d’examiner s’il n’est pas possible de donner à cette baze de nôtre fortune plus de profondeur & plus de solidité. Le premier inconvenient de l’Education, c’est que dans nôtre enfance elle est d’ordinaire uniquement conduite par des personnes, qui nous aiment jusqu’à la foiblesse, & qui ont une idée excessive de nôtre genie, & de nos talents ; faut-il s’étonner s’ils se trompent dans les mesures qu’ils prennent ? surtout quand on songe que pour bien é-lever des Enfants, il faut une grande etendue d’habileté, qui manque a la pluspart des Peres & des Meres, quoiqu’il n’y en ait presque point, qui ne se croyent aussi qualifiez pour former le Charactere d’un enfant ; que pour le faire venir au monde. Malheureusement ceux qui soufrent le plus d’une education mal dirigée, ce sont les Enfants memes, qui ne s’apperçoivent d’ordinaire des égarements dans lesquels on les a conduits, que lorsqu’il est presqu’impossible d’en revenir. Les Universitez qui devroient fournir naturellement des remedes surs a des maux si dangereux, ne font que les augmenter & les rendre presque incurables. Je ne parlerai que de celles de notre Patrie, & je ferai quelques remarques sur ce qu’il y a de défectueux dans la maniere, dont on y dirige la jeunesse. Le premier inconvenient que j’y découvre, c’est qu’on ramasse sous la conduite d’un même gouverneur un bon nombre de jeunes gens differens en age, en naissance, en genie, en caractere, & qu’on leur donne constamment les mêmes instructions. Portons nos réflexions sur un Enfant délicat à peine ar-raché du sein de sa Mere, & accoutumé à suivre tous les desirs déreglez de son cœur, tous les caprices impertinens de son imagination. Devroit-il être gouverné de la même maniere qu’un garnement de dix-neuf ans, que le fouet a conduit de classe en classe, endurci dans les reprimandes & dans le chatiment, & qui sous la discipline la plus rude & la plus farrouche a déja achevé ses dix campagnes de Litérature. Le Lecteur dira sans doute qu’il n’est pas raisonnable d’attendre du maigre salaire qu’on donne à ces sortes de gouverneurs, une attention exacte & suivie sur le different tour d’esprit, & sur les differentes vues de chaque éleve. J’en conviens, & l’on ne sauroit songer sans la plus grande indignation au prix, dont on prétend acheter tous les avantages qu’un jeune homme peut tirer des leçons d’un homme savant & éclairé ; si l’on vouloit bien étendre un peu cette récompense, non seulement on animeroit les soins de ces maitres, mais on encourageroit d’habiles gens à se rendre propres à cette profession penible, en rendant leurs lumieres & leurs connoissances plus generales. Jusqu’ici on est bien éloigné d’entrer dans une consideration si naturelle ; chacun de nos jeunes gens les plus distinguez ne donne à son Gouverneur academique que la moitié des gages de son laquais, ce qui devroit faire rougir de honte toute la Nation ; quel fruit ne faut-il pas attendre d’une dépense si prodigieuse ; elle seroit bien mal employée en vérité si l’on n’en étoit dedommagé par les idées les plus justes & les plus nobles de la morale, par une connoissance bien digerée de l’Histoire, par un gout fin en matiere de Bel-esprit, en un mot par tout ce qui peut rendre l’homme grand & heureux. Parlons serieusement sur une matiere si mortifiante ; c’est une chose monstrueuse que des Personnes qui joignent une grande fortune à une illustre naissance soient plus inquiets sur la maniere de dresser un chien, ou un cheval favoris, que sur l’Education d’un fils qui doit hériter de leurs titres, & de leurs biens. Le second inconvenient de l’Education Accademique c’est la veneration pédantesque qu’on y nourrit dans les ames pour le Grec, & pour le Latin ; c’est par là qu’on force également toute la jeunesse à s’exercer sur ces Langues mortes, qu’elle aye des talens ou non pour y faire des progrès. Qu’arrive-t’il ? Les jeunes gens qui n’ont ni gout ni inclination pour cette étude sterile en elle-même, s’adressent aux écoliers, qui brillent dans leur college, & ils achetent d’eux tous les mots Grecs & Latins dont ils ont besoin pour satisfaire leurs maitres inflexibles sur cet article. Mais voici un autre défaut encore plus terrible qu’on remarque dans l’Education que notre jeunesse reçoit aux Universitez. Toute l’attention y roule sur ce qu’on appelle profonde érudition, & l’on y neglige avec un mepris general tous les petits talens, qui doivent entrer dans le caractere d’un homme bien élevé. Cependant il y a peu de ces genies qui ont assez de force pour parvenir à une habileté extraordinaire, & dans le cours de la vie, il y a peu d’occasions, où l’on ait besoin de ce genie transcendant étendu & enrichi des connoissances les plus rares. Par consequent les ames communes, qui font le grand nombre, sont interessées à se fournir de certaines perfections subalternes, qui sont à la portée generalement de tout le monde, & qui peuvent être avantageuses dans presque toutes les circonstances de la vie. D’ailleurs les Personnes, dont nous avons sur-tout besoin pour faire fortune, sont des gens dont la fortune est deja faite, ce sont des Grands, & l’on remarque que ces Grands ont reçu en general une éducation plus superficielle que ceux qui sont d’un rang inferieur. Le savoir vivre & les belles manieres font le plus souvent tout leur merite, & il est naturel qu’ils considerent, & qu’ils protegent dans les autres les qualitez par lesquelles ils brillent eux-mêmes. Produire à leurs yeux le portrait de leur propre caractere, c’est employer sur eux une flatterie aussi innocente qu’irrésistible. Cependant certains fils cheris de nos doctes Meres les Universitez, quoi qu’ils soient surs de ne pouvoir se pousser dans le monde, qu’en s’insinuant dans l’esprit des grands Seigneurs regardent avec dedain ces petitesses nécessaires, & lorsqu’il s’agit de parler à leurs Protecteurs l’embarras de leur figure se répand sur leurs discours mêmes, & en cache jusqu’au sens commun. C’est ainsi que par la seule inattention pour certains agrémens, un homme né pauvre se sert d’une methode sure pour le rester toute sa vie. J’espere que les savants me pardonneront ce que je n’avance ici que pour leur rendre service, & nullement pour les offenser. Je songe seulement à les avertir de ne point négliger certaines qualitez faciles à acquerir, & capables de devancer dans la recherche de la réputation, & de la fortune, le merite le plus solide, les connoissances les plus excellentes. Si la jeunesse des Universitez devoit être avancée dans le monde à proportion de leur savoir ; si la richesse étoit assurée aux gens intelligens & la faveur aux personnes habiles, certainement il faudroit mépriser toute application qui n’a pas pour but un merite réel. Mais nous devons être examinez par la multitude ignorante & peu sensée ; pour quoi ne pas avoir une complaisance innocente pour son gout peu judicieux ; si elle prefere un brillant exterieur aux plus grandes qualitez du cœur & de l’esprit, nous n’en sommes pas responsables ; la sottise & l’infamie en est sur son compte. Plus un homme sait s’approprier de talens de differens ordres, & plus il est en état de satisfaire toutes sortes de personnes, & c’est indubitablement dans cette vue, que l’auteur d’un livre Italien intitulé le Courtizan, veut qu’un homme qui se destine à la Cour, sache luter, voltiger, en un mot tous les exercices du corps, quelque bas, qu’il paroissent. C’est très bien raisonner ; un jeun-homme, qui a l’intention de se rendre agréable aux yeux de tout le monde, ne sauroit mieux faire que de se procurer tous les agrémens imaginaires & réels qui ont de l’a <sic> relation avec tous les gouts differens. Ces Maximes sont inconnues aux jeunes gens de nos Universitez ; au lieu d’employer leur loisir à des amusemens qui les mettroient en état de brusquer la fortune ; ils s’en servent pour se voir les uns les autres dans certaines maisons, où ils boivent, pour oublier leur pauvreté & pour perdre le souvenir de leurs miseres. Des personnes dont l’Education est si imparfaite peuvent passer chez eux-mêmes & chez leurs semblables pour modestes dans leur conduite, parce qu’ils ne briguent point la gloire d’être familiers avec des gens de distinction ; mais il est aisé de faire voir que cette modestie prétendue n’a pour source qu’une souveraine ignorance du savoir vivre, & qu’elle a l’air d’un veritable orgœuil ; n’est-il pas constant qu’un homme qui se sentant incapable de paroitre devant ses superieurs, sans les rebuter par des airs ridicules, se condamne a ne les pas approcher, est exterieurement dans la même situation qu’un Philosophe bouru, qui meprise les personnes du prémier rang. Je dis plus ; cette timidité trop bien fondée devient peu à peu un orgœuil véritable. On cherche des raisons, pour rectifier le principe de cette conduite, qu’un manque de politesse rend necessaire. On tache de l’attribuer à une noble fierté fondée sur un merite sur de soi-même, & l’on s’accoutume à repandre un air de bassesse sur le procedé de ceux qui font remper leur savoir devant la fortune des ignorans. Il est évident neanmoins, que de raisonner ainsi c’est être dupe volontaire de l’amour propre, qui ne manque jamais de Sophismes pour changer la honte en gloire. Un savant qui fait sans crime la cour à un grand Seigneur ne se prête qu’à l’ordre établi dans la societé ; ce n’est point à une personne ; c’est à une espece de nécessité, qu’il se soumet, & qu’il rend hommage. Diogene interrogé par un railleur pourquoi les Philosophes couroient aprez les gens riches, & non pas les gens riches aprez les Philosophes répondit a mon avis avec autant d’esprit que de bon sens ; c’est que les premiers connoissent leurs besoins, & que les derniers ignorent les leurs. Il seroit certainement tres difficile de prouver, qu’un homme de Cabinet ne doit point etre, ce qu’on appelle un galant-homme, & cependant les Savants le sont aussi peu, que si la chose étoit demontrée avec la derniere evidence ; de là vient qu’ils n’ont pas le moindre commerce avec les gens de distinction, que lorsque ceux ci ont un besoin absolu de leurs lumieres ; Mais le savant a t il fait ce qu’on avoit exigé de lui, l’homme de qualité le paye, & les voila quittes & dans le même éloignement qu’avant que l’ouvrage fut commandé ; Le payement vient d’effacer toute obligation ; mais l’habile homme, qui en rendant service daigne etre aimable, oblige, quoiqu’il soit payé ; ceux qui le payent de son travail restent toujours redevables a l’agrément de ses manieres, qu’ils récompensent avec plaisir de leur protection, & de leurs bienfaits. Le Charactere d’un Damoiseau est celui que les Citoyens de la république des Lettres aiment le plus a tourner en ridicule ; cependant quand nous voyons ensemble dans une assemblée le fat lettré & sans éducation, & le fat Idiot bien élevé nous voyons le plus souvent que les traits railleurs passent a côté de celui-ci pour tomber en foule sur l’autre. Il n’y a rien là de surprenant ; plus de gens sont capables de juger de nos manieres, que de notre conversation, & par consequent une figure platte & des airs gauches frappent & choquent plus generalement que de l’ignorance, des idées fausses, & des termes impropres. Si le savant daignoit avoir de la politesse & du savoir vivre, les Damoiseaux, les diseurs de rien, & les ignorants présomtueux, seroient fort mal a leur aize ; Ils tireroient peu de secours de leurs turlupinades & de leurs manieres bruiantes, contre des gens qui fonderoient une noble confiance sur leur double merite fruit de leur bon sens, & de leur heureux naturel ; De leur heureux naturel, dis-je, car c’est etre naturellement farouche, que de ne se pas plier aux manieres, de ceux qui sont avec nous les membres d’une meme societé ; ce bon sens & ce bon naturel se prestant des forces mutuelles, dans un homme habile & sociable, le rendroient le charme des compagnies ; Il se feroit aimer en n’attaquant jamais personne ; il se feroit respecter en se defendant à propos. Quelque profession qu’on veuille embrasser ; soit qu’on se destine aux affaires, soit qu’on se destine aux plaisirs, il est indubitable qu’il faut de l’éducation pour executer agréablement l’un & l’autre ces projets. Je le repete ; ce sont notre air & nos manieres, qui dans les circonstances les plus communes de la vie previennent les gens contre nous, ou en notre faveur ; le grand savoir, le genie extraordinaire, n’ont que tres peu d’occasions de briller. Il est deraisonnable par consequent de se donner tout entier a des choses dont peu de gens sont capables de juger, & de negliger absolument ce qui est a la portée des esprits les plus communs. A propos des Savants, voici la lettre d’une espece d’Animal amphibie, qui joint a un savoir fort problematique une politesse de sa propre façon. «  Monsieur, Je suis grand literateur ; je porte une Perruque du dernier blond & j’ai une grande quantité de livres tres curieusement reliez, & dorez : j’excelle a parler comme on ne parle point, & toutes mes Phrazes ont un air de singularité, qui me plait infiniment ; je rends visite aux gens de la premiere grandeur, & pour vous donner une idée totale de mon merite, j’ai un joli cabinet de coquilles. Cependant toutes ces rares qualitez ne me defendent pas des insultes d’un de mes compagnons en savoir, qui me neglige de la maniere la plus criante. Croiriez vous, Monsieur, que des gens d’une candeur averée m’ont asseuré, qu’il a eu la présomtion de passer par devant ma porte sans me venir rendre ses devoirs ; il me semble que ce n’est pas là une conduite convenable au respect que nous nous devons mutuellement nous autres Matadors des belles lettres, & je vous conjure d’être de mon sentiment. Je suis &c. »