Le Mentor moderne: Discours LXXVII.
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Discours LXXVII.
Zitat/Motto
Est animus lucis contemptor.
L’ame peut se passer de la lumiere du jour.
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Metatextualität
Les Letrres <sic> suivantes
sont curieuses & instructives, & c’est tout ce que
je donnerai aujourd’hui à mon Lecteur.
I. Lettre.
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Brief/Leserbrief
« Monsieur, Le papier que je
vous envoye contient un passage fidellement traduit d’un
auteur ancien ; si vous avez envie de vous en servir
laissez à deviner à vos Lecteurs, s’il étoit de la
Religion Chrêtienne, ou Payenne.
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Zitat/Motto
Dans l’état, où je me
trouve, mes chers amis, je ne saurois m’empêcher
de vous communiquer mes pensées sur la mort ; plus
j’en approche, plus je la contemple de près, &
mieux je crois en comprendre la nature ; je suis
convaincu que nos Peres, ces illustres
personnages, pour lesquels j’ai senti tant d’amour
& de veneration, ne cessent pas de vivre, quoi
qu’ils ayent passé par ce que nous appellons le
trepas ; certainement ils vivent, mais c’est d’une
vie, qui seule est digne de ce nom. En effet quand
nous sommes emprisonnez dans des corps, nous ne
saurions nous considerer raisonnablement, sinon,
comme des galeriens attachez à la chaine ; Dans
cet état, notre ame, qui est quelque chose de
divin & qui tire son origine du ciel me semble
deshonorée & avilie par son
union avec la matiere ; Elle est exilée de sa
véritable patrie. Je ne conçois qu’une seule
raison, qui puisse avoir porté l’Auteur de la
nature à attacher nos ames à des corps : c’est
afin que le grand ouvrage de l’univers puisse
avoir des spectateurs capables d’en admirer
l’ordre surprenant, & de s’efforcer à en
imiter la noble regularité dans toute leur
conduite. Quand je prête attention à l’activité
infinie de nos esprits, aux traces, que les choses
passées laissent dans notre memoire, & à la
penetration par laquelle nous perçons jusques dans
l’avenir ; quand je reflechis sur tant de nobles
découvertes, & sur les grands progrès que nous
avons faits dans les arts & dans les sciences
il m’est impossible de me persuader, qu’un Etre
qui possede la source de tant de choses
excellentes soit produit, pour être anéanti. Je
crois encore sentir distinctement, que mon ame est
une substance simple, qui ne sauroit être
confondue avec quelque chose d’une nature
differente, & j’en conclus ; qu’elle est
indivisible & imperissable. Gardez-vous bien
par consequent de vous mettre dans l’esprit, mes
chers amis, que lorsque je vous serai enlevé, je
n’existerai plus, & que n’étant plus avec vous
je ne serai nulle-part ;
souvenez-vous que pendant que nous avons vecu
ensemble vous n’avez pas vu mon ame, & que
cependant vous avez été surs que j’en avois une,
dont mon corps empruntoit son mouvement &
toute son activité. Pourquoi donc vous imagineriez
vous que cette ame separée du corps n’aura plus
d’existance, parce que vous n’en verrez plus les
actions ? qu’elle ne seroit pas notre extravagance
de rendre, comme nous faisons, des honneurs &
des hommages aux grands hommes après leur mort,
s’ils étoient entierement anéantis, & si leur
ame ne survivoit pas à la matiere, qui l’a
enveloppée. Pour moi, je ne saurois jamais
concevoir, que l’ame ne vit que pendant qu’elle
est liée au corps, & qu’elle perit dès qu’elle
l’abandonne, je ne comprends pas qu’elle cesse de
sentir & de penser, lorsqu’elle est dégagée de
cette enveloppe qui sans elle n’a ni raison, ni
sentiment. Il est naturel, au contraire, de se
persuader que séparée de la matiere, &
jouissant de toute la simplicité, & de toute
la pureté de sa nature, elle doive avoir plus de
lumieres & plus de sagesse, que lorsqu’elle
est obscurcie par le corps, qui l’enveloppe comme
un épais nuage. Lorsque le corps meurt, il nous
est facile de découvrir ce que déviennent toutes
ses differentes parties ; mais nous
ne voyons point l’ame, ni lorsqu’elle est unie au
corps, ni lorsqu’elle en est dégagée, & par
consequent son invisibilité après le trépas n’est
rien moins qu’une preuve de son anéantissement.
Remarquez encore avec moi, que rien ne ressemble
plus à la mort, que le sommeil, & que c’est
dans le sommeil, que l’ame fait voir
principalement qu’elle a quelque chose de divin
dans sa nature ; c’est alors que les liers qui
l’attachent au corps se relachent pour un tems ;
de quelle maniere ce qu’elle a de celeste ne
brillera-t-il donc pas, lorsque ces liens seront
entierement brisez ? »
II Lettre.
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Brief/Leserbrief
« Monsieur. Puisque vous avez
bien voulu inserer quelques pieces Théologiques dans cet
ouvrage excellent qui tout les jours nous instruit,
& nous amuse j’ose vous prier instamment de faire un
pareil usage des réflexions suivantes ; il y a de
l’apparences, qu’elles auront les graces de la nouveauté
pour le Lecteur Anglois, & si elles sont fondées, on
en pourra tirer un grand nombre de
consequences tres importantes. Tout homme qui a lu les
Evangelistes avec quelque attention doit avoir observé
necessairement, que notre Sauveur n’a jamais negligé
l’occasion de se servir de tout son zele pour attaquer
l’orgueilleuse Hypocrysie des Pharizéens ; ses discours
n’ont jamais plus de vehemence, que lorsqu’ils roulent
sur ce sujet. Cette découverte publique de leurs crimes
cachez faite par un homme, qui perçoit a travers de tous
les voiles brillants sous lesquels ils couvroient la
noirceur de leurs ames, leur inspira une telle rage,
qu’ils se joignerent tous a le persecuter, avec toute
l’opiniatreté possible, jusqu’a forcer Pilate, en
quelque sorte, a le faire mourir. La force & le
repetition frequendes censures en question a repandu
parmi nous l’air le plus odieux sur le nom de
Pharizéen ; nous n’entendons par la qu’un homme qui met
un prix execssif <sic> à l’exterieur & à la
ceremonie de la Religion, sans songer a s’animer de ces
sentimens, qui le porteroient à la pratique sincere
& generale des devoirs essentiels ;
pratique, qui bien loin de deriver d’un attachement a la
vaine gloire, & a un sordide interêt ne sauroient
avoir pour source que l’habitude d’une solide vertu.
C’étoit la véritablement le Charactere des Pharizéens ;
tous les quatre Evangelistes nous le font voir avec une
evidence egale. Mais ils nous sont depeints par des
couleurs moins noires dans l’ouvrage d’un de ces saints
hommes, savoir saint Luc. C’est pour ainsi dire une
seconde partie de son Evangile, & elle nous est
connue sous le titre d’Actes des Apotres. C’est la qu’il
entre dans un detail exact de ce que les Apotres ont
fait & soufert a Jerusalem en executant les ordres
qu’ils avoient reçus de leur divin maitre, comme aussi
de la conduite de St. Paul, depuis sa vocation à
l’Apostolat jusqu’à son départ pour Rome. Ce qu’il y a
de remarquable, c’est que dans toute cette histoire si
exactement circonstanciée nous ne voyons pas que les
Pharizéens ayent jamais traversé les progrez de
l’Evangile ; nous y decouvrons au contraire, que dans
plusieurs occasions ils ont soutenu
les Docteurs du Christianisme naissant. Dans ce temps
là, les zelez, les furieux persecuteurs des Disciples de
J: Christ, étoient les Sadducéens, qu’on peut appeller
avec justice les Esprits-forts du Peuple Juif. Ils
n’admettoient ni résurrection ni anges, ni esprits ; En
un mot, ils étoient Deistes, si non Athées ; ils se
conformoient exterieurement à la forme de gouvernement
établie dans l’Eglise & dans l’Etat ; ils
prétendoient attachez comme les autres à la Religion de
leurs Peres, ne faire qu’une Secte à part, & parce
que le Dogme de la Resurrection n’est pas établi dans
les livres de Moise d’une maniere directe &
literale, ils soutenoient que c’étoit dans ces livres
seuls, qu’il falloit chercher tout l’essentiel de la
révelation divine. Il ne faut pas s’étonner par
conséquent de ce que ces gens-là redoutassent les
progrez du Christianisme fondé principalement sur la
Résurrection de notre Sauveur, & sur son Ascension
dans le Ciel. De là les efforts continuels, qu’ils
firent, pour étouffer cette sainte Réligion dans sa
naissance. Lorsque St. Pierre, & St.
Jean eurent gueri un aveugle à la porte du temple
appellée la belle, & qu’ils se furent attiré par la
<sic> l’admiration de tout le peuple, c’étoient
les Prêtres & les Sadducéens qui les firent mettre
en prison, & qui ne les relacherent, qu’après avoir
taché de les effrayer par des censures & par des
menaces. Peu de tems après les Prêtres furent
terriblement alarmez par la mort d’Ananias & de
Saphira, & par un grand nombre d’autres miracles,
qui suivirent cette preuve effrayante du Pouvoir dont J.
Christ avoit armé ses Apôtres. Ils commencerent à
trembler pour le culte Levitique qui seul leur
fournissoit les moyens de vivre délicieusement, &
soutenus par toute la Secte des Sadducéens ils
emprisonnerent les Apôtres de nouveau, dans le dessein
de les examiner le jour après devant le grand conseil.
C’est là que les Prêtres & les Sadducéens
proposerent de traiter ces prétendus coupables avec la
derniere rigœur ; mais leurs résolutions furieuses
furent traversées par Gamaliel Pharizéen distingué,
& Precepteur de St. Paul. C’étoit un homme d’une
grande authorité parmi le peuple, &
dont on voit encore plusieurs décisions conservées dans
le corps des traditions Juives appellé le Talmud. Il
leur dit, qu’il n’étoit pas impossible que les Apôtres
ne fussent animez par l’esprit de Dieu, & qu’en ce
cas s’opposer à eux c’étoit vouloir combatre Dieu
lui-même. Ce Docteur de la Loi étoit si consideré chez
les gens de sa Secte, qu’il est très probable que dans
cette occasion importante tous les Pharizéens opinerent,
pour ainsi dire, par sa bouche. La mort du premier
Martyr St. Etienne arriva peu de tems après, & l’on
ne voit point que les Pharizéens y ayent contribué ; il
est vrai-semblable que ses persécuteurs furent les mêmes
gens qui avoient mis en prison St. Pierre, & St.
Jean. Il est vrai qu’un jeune-homme de la secte
contraire poussa la chaleur de son zele jusqu’a garder
les habillemens des bourreaux de ce saint homme ; ce
jeune-homme, qui porta sa ferveur mal entendue à cet
excez, étoit le grand St. Paul, qui fut dans la suite
honoré d’une vocation particuliere, & qui converti
immediatement par J. Christ lui-même
devint l’Apotre des Gentils. Excepté ce grand homme
arraché a ses erreurs d’une maniere si glorieuse, nous
ne trouvons dans tous les Actes des Apotres aucun
Pharizéen qui dans les premiers temps de l’Eglise se
soit opposé aux progrez de notre sainte Religion. A
peine St. Paul converti fut il venu a Jerusalem, que les
Sadducéens lui marquerent une haine implacable &
qu’ils firent une conjuration contre sa vie ; un des
moyens, dont il se servit pour se sauver de leur rage,
ce fut de se déclarer Pharizéen dans toutes les
occasions ; dans le Chap. 22 il dit au peuple qu’il
avoit été élevé aux pieds de Gamaliel, dans la Loy de
ses Perers, de la maniere la plus rigoureuse, & dans
le chapitre suivant il s’avoue devant le grand Conseil,
Pharizeen & fils de Pharizeen, & il asseure
qu’il étoit accusé a cause du dogme de la resurrection
des morts, dogme favori de cette Secte. Par là il
s’attira la bienveillance & le secours des
Pharizéens ; Il est vrai qu’il ne les porta point a
reconnoitre notre Sauveur pour le Messie, mais du moins
ils furent assez favorables a sa Doctrine,
pour déclarer que peutestre un Ange ou un esprit lui
avoit parlé, & qu’en ce cas s’opposer a lui c’étoit
s’opposer a Dieu lui-meme ; c’étoit la <sic>
l’argument dont Gamaliel s’étoit servi auparavant dans
le Sanhedrin. Ils semblent avoir été frappés de la
fermeté, avec laquelle les Apotres soutenoient la
resurrection de Jesus Christ, comme aussi des miracles
qui appuïoient cette fermeté & dont ils étoient tous
les jours témoins oculaires. Plusieurs d’entreux furent
assez dociles pour se convertir sans le secours de
quelque miracle particulier fait en leur faveur, &
les autres plus obstinez se tinrent neantmoins
<sic> en repos sans mettre obstacle à l’avancement
de la Doctrine de J: Christ. Voila la maniere dont se
conduisirent les Pharisiens dans cette importante
conjoncture. Pour les Sadducéens, nous ne voyons pas
dans tous les Actes des Apotres qu’un seul d’entre eux
daigna ouvrir les yeux a la lumiere de l’Evangile. Il
semble meme que les premiers disciples de
Jesus-Christ les ayent regardez comme des Heretiques
desesperez, & nous ne voyons pas qu’aucun miracle
ait été fait pour rappeller quelque’un d’entre eux de
ses funestes égarements. Il n’en étoit pas ainsi des
Pharizéens, & nous en voyons un sur-tout conduit au
chemin du salut par un miracle des plus remarquables ;
ce qui met une difference sensible entre ces deux
Sectes ; aussi Saint Paul, après sa conversion, s’est
toûjours fait une gloire du Pharizéisme dans lequel il
avoit été élevé ; c’est ce qu’il a fait voir en parlant
à tout le peuple de Jerusalem, & en plaidant sa
cause devant le grand Conseil & devant le Roy
Agrippa ; on voit encore la même chose dans son Epître
aux Philippiens. De tous ces faits on peut conclure avec
fondement, à ce qui me paroît, que les censures dont
Jesus-Christ a accablé les Pharizéens n’ont pas porté
proprement sur l’essentiel de leur Doctrine, qui estoit
réellement pure & sainte ; Elles n’eurent pour objet
que leur Hypocrysie, leur Avarice, la Tyrannie qu’ils
exerçoient sur le peuple, l’Orgueil, qu’ils fondoient sur leur zele outré pour les
ceremonies de la Loy, & le poids qu’ils adjoûtoient
à ce joug par leurs traditions vetilleuses. En voilà
bien assez sur cette matiere, je n’y joindray que
quelques réflexions, qui y ont du rapport ; L’Atheisme
me paroît infiniment plus pernicieux pour la Societé
humaine, que la Religion sous quelque figure terrible
qu’elle puisse paroître, pourvû que ceux qui en font
profession, en soient veritablement persuadez. Mais un
esprit fort qui admet à peine une Divinité, & qui
rejette absolument la revelation est un monstre tout
autrement formidable. Tant qu’il sera luy-même soûmis au
pouvoir d’autrui, il parlera d’une maniere pathetique du
droit naturel & des prérogatives communes à tous les
membres de la societé, mais dés qu’il se verroit armé du
pouvoir souverain, il changeroit sans doute de langage,
& de conduite ; aucun de ses principes ne mettroit
des bornes à ses projets tyranniques. D’ailleurs fondez
sur les remarques que nous avons faites touchant les
Sadducéens, nous n’avons gueres lieu d’esperer la conversion de nos incredules modernes.
Quelle apparence, qu’un Dieu souverainement juste
veuille accorder à des impies, qui se sont fait un jeu
de l’attaquer directement, une grace suffisante, pour
les tirer de leurs abominables erreurs ! Si ces idées
sont justes, comme j’ose le croire, c’est le veritable
temps de les rendre publiques, vous en estes prié,
Monsieur, par Vôtre tres-humble, &c. »