Le Mentor moderne: Discours LXVII.
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Nivel 1
Discours LVII. <sic>
Cita/Lema
Nimirum insanus paucis
videatur, eo quod Maxima pars hominum morbo jactatur eodem.
Hor. Celui qui ne songe qu’à ses propres interéts
paroit extravagant a peu de personnes, parce que la masse
generale des hommes est malade de la même maladie.
Cita/Lema
Nimirum insanus paucis
videatur, eo quod Maxima pars hominum morbo jactatur eodem.
Hor.
Nivel 2
Il y a dans l’esprit humain un desir
inquiet d’être heureux ce desir est le grand principe de toutes
nos actions, il nous est aussi essentiel, que l’Etre même, &
il est inséparable de toute. <sic> Créature qui pense,
& qui sent. Les brutes mêmes en sont animez, à proportion de
la vivacité de leur imagination, & de leurs sentiments. Mais
comme nôtre esprit est annobli par des facultez
plus étendues que celles qu’on découvre dans les Bêtes, l’homme
digne de ce nom n’est pas content de songer a ses propres
avantages ; il se confond avec tous les êtres qui lui
ressemblent, & il ne se trouve parfaitement heureux, s’il ne
voit chez son prochain la même felicité qu’il brigue pour son
propre individu. Il travaille avec une ardeur presque égale au
bonheur du genre humain, & a son propre bonheur. Tout homme
proportionnant ses vues à la dose de cette generosité, qu’il
sent dans son ame, donne à sa tendresse pour son prochain des
bornes plus ou moins étroites. A peine y a t’il un <sic>
seule créature humaine dont l’ame soit assez resserrée, pour
concentrer tous ses desseins dans l’amour propre & pour ne
les pas étendre en quelque maniere aux autres hommes ; le cœur
le moins genereux a toujours quelque peu de tendresse de reste
pour sa famille & pour ses amis ; donnons à une ame quelques
degrez de grandeur & de noblesse de plus, elle embrassera
les interêts de toute la societé dans laquelle elle vit ; &
si nous supposons un homme, qui par une force de raison, &
par une etendue d’esprit & de cœur superieures repond a toutes les vues du Créateur, il enveloppera tout
le genre humain dans la tendresse qu’il a pour lui-même. Il ne
bornera point ses desseins generaux dans la race presente, mais
il les repandra sur toutes les différentes successions de
generations futures. Une genérosité, si utile au genre humain,
est bien éloignée d’être inutile à ceux qui la possedent ; ils
en tirent les avantages les plus considérables. C’est une source
abondante, & continuelle de satisfactions sublimes,
inaccessibles à tous ceux, qui ont des sentiments plus bas &
plus avilis par un amour propre grossier. La félicité de toute
l’Espece a la liaison la plus étroite avec la félicité
particuliere d’une ame raisonnable ; à mesure que nos actions
contribuent au bien general des hommes, nous devons passer pour
nos propres bienfaiteurs & pour les bienfaiteurs du
genre-humain. Nous avons établi comme une maxime
incontestable que c’est le devoir de chaque particulier d’avoir
pour but de ses actions la felicité du prochain, & que le
degré d’étendue qu’on donne à ce but fait le degré de la vertu
considerée, comme rélative à la Societé. J’en conclus, que c’est
une prérogative excellente, que la liberté de faire des actions
avantageuses au Genre-humain, jointe à la connoissance de
certaines véritez capables de plaire à l’esprit ou de diriger
toutes nos facultez vers leurs véritables fins ; mais
s’enfuit-il qu’un honnête-homme doive préferer la liberté de
faire des meurtres à l’utile contrainte des Loix Divines &
humaines ? En inferera-t’on qu’un homme sensé aimera mieux la
connoissance d’une vérité triste & affligeante, qu’une
agréable erreur, propre à consoler & à réjouir son ame sans
l’exposer au moindre inconvenient ? En vérité, quiconque a le
sens commun, croira avoir peu d’obligation à un homme, qui lui
aura laissé la liberté de suivre les desseins furieux, que peuvent inspirer la frenesie, ou la fievre chaude ;
quelle reconnoissance peut exiger de nous une personne, qui se
hâte de nous donner de mauvaises nouvelles, & qui par là
nous plonge dans des afflictions qu’une heureuse ignorance
auroit reculées ? Cependant ne voilà-t’il pas un tableau exact
de la conduite de ces prétendus Patrons de la vérité & de la
Liberté ? de quels monstres ces Chevaliers errants
entreprennent-ils de délivrer la terre ; c’est du joug que la
Réligion impose à nos ames, de l’attente d’un jugement à venir,
des frayeurs d’une conscience troublée ; & de quelle maniere
veulent-ils nous affranchir de toutes ces contraintes, est-ce en
réformant l’homme & en bannissant le vice de son cœur ?
non ; c’est en l’encourageant à lâcher la bride à toutes ses
passions. Voyons encore de quelle nature sont les véritez
importantes, dont ils veulent convaincre le genre-humain. Ils
font tous leurs efforts pour nous mettre dans l’esprit, qu’une
Providence sage & juste est une chimere, que l’Ame est
corporelle, que la Réligion est une ruse politique, mise en
usage par des genies superieurs, pour asservir l’esprit humain à la vertu, & par là à l’ambition des
inventeurs d’un Piege si subtil ; que les bonnes nouvelles que
nous donne l’Evangile d’une immortalité bien-heureuse sont
autant de fables & d’impostures ; enfin que c’est un orgœuil
mal fondé de nous croire faits à l’image de Dieu, & que nous
devons nous persuader modestement, que notre nature est de
niveau avec celle des Bêtes, qui perissent. Mais je vous prie,
quel avantage, quel plaisir ces belles Notions peuvent-elles
procurer au Genre-humain ? est-il utile à la societé que les
gens de bien perdent de vue les récompenses de la vertu ? Le
genre-humain verra-t’il son bonheur general affermi quand les
méchants seront confirmez dans leurs desordres, par la
persuasion, qu’ils ne leur attireront aucun supplice dans une
vie future ? Je veux bien supposer pour un moment que ces
Messieurs sont les Protecteurs de la liberté, & de la
vérité, mais c’est d’une Liberté, & d’une vérité, qui
doivent les faire considerer comme les ennemis de la Paix, &
de la felicité publique. Ce qu’il y a de bien plus terrible
encore dans leur conduite c’est que la supposition que je viens
de faire est fausse, & qu’en les examinant
d’une maniere aussi attentive qu’impartiale, on trouve qu’au
lieu de songer à affermir sur le trône la Liberté & la
vérité ils introduisent dans le monde la servitude &
l’erreur. Nous sommes composés de deux par ties <sic> ; la
premiere, qui est la plus vile consiste dans les sens & dans
les Passions, que nous avons en commun avec les Brutes ; la
seconde est la raison, qui constitue proprement l’homme, &
qui forme tout ce que nous avons de grand & de noble. La
partie la plus basse & la plus vile est presque toûjours la
plus forte ; elle remporte d’ordinaire la Victoire sur la
Raison, qui engagé dans une lutte continuelle avec cette ennemie
opiniâtre, si elle n’étoit pas animée par la Religion, se
verroit bientôt entierement soumise aux tirans les plus cruels ;
par la l’homme deviendroit pour jamais le triste esclave de ses
sens & de ses passions, & tomberoit dans la servitude la
plus honteuse & la plus accablante. C’est un malheur
inévitable pour tous ceux, qui cherchent à s’affranchir, en
détruisant l’empire de la Réligion. Ils ne réussissent pas mieux
dans leur autre dessein, qui consiste à travailler
à l’avancement de la vérité ; prêtons quelque attention aux
Maximes qu’ils nous débitent ; ne sont-ce pas autant
d’absurditez pitoyables, qu’en dépit des lumieres naturelles,
& de la révelation ils veulent établir, sur de froides
railleries, sur des Sophismes grossiers, & sur des Notions
si mal digerées, qu’on soupçonneroit ces Messieurs de prendre le
titre d’Esprits-forts, comme les Hypocrytes usurpent le nom de
devots, pour pallier l’impieté la plus horrible. Je finirai ce
Discours par un Parallele exact entre les trois classes
d’hommes, qui s’égarent faute d’étendue d’esprit, je veux dire
entre les Litérateurs, les Avares, & les Esprits-forts. Un
Literateur se livre tout entier à l’amour de l’Erudition ;
lorsqu’il se l’est acquise, son discernement en est-il plus
exact, son imagination plus riche, & plus vive, ses manieres
plus douces & plus polies ? A-t’on remarqué qu’un Avare,
après s’être chargé d’un superflu ridicule, mange, boit, ou dort
avec plus de tranquillité & de satisfaction ? Son esprit
est-il plus tranquille, goute-t’il les douceurs de la vie d’une
maniere plus pure & plus vive, que ses voisins ? L’Esprit-fort pretend avoir le droit de penser librement, il
l’a, personne ne le lui dispute ; mais quel usage en fait-il ;
Brille-t’il par quelque importante découverte dans les arts
& dans les sciences ? lui doit-on quelque invention
nouvelle, qui puisse contribuer à la félicité publique ; voit-on
dans ses écrits des desseins plus profonds, une methode plus
claire, un raisonnement plus fort, & plus correct, que dans
les ouvrages d’autres habiles gens ? En vérité ces sortes
d’hommes ont précisement le même genie, & ils ne font que
s’en servir differemment ; au lieu que les Literateurs & les
avares ne sont que des gens ridicules & méprisables, les
Esprits-forts sont ridicules, méprisables, & souverainement
pernicieux pour la societé civile.
Metatextualidad
Dans une de mes
dernieres feuilles volantes j’ai observé, que les gens, qui
ont peu d’étendue d’esprit, sont sujets à déplacer leurs
vues, & à les attacher aux moyens, au lieu de les
étendre vers la fin naturelle de ces moyens ; j’ai taché de
faire sentir toute l’extravagance d’une
pareille conduite, par laquelle ne recherchant que la
possession d’objets indifferens en eux-même, on se prive de
la felicité réelle, ou l’usage raisonnable de ces objets
pouvoit nous faire arriver. J’ai consideré ces Maximes avec
rélation aux Literateurs & aux Avares ; je m’aquiterai
aujourd’hui de ma promesse en les appliquant aux Esprits
forts. La Liberté, & la vérité sont les deux seules fins
ou ces Messieurs font profession de tendre, ainsi pour leur
faire sentir methodiquement leur extravagance, je ferai tous
mes efforts pour leur prouver en premier lieu ; que la
Liberté, & la verité ne sont pas des biens réels par eux
mêmes, & qu’elles ne les deviennent que lorsqu’on les
destine à leur véritable fin. Je ferai voir ensuite que
cette Liberté, & cette vérité, que nos Esprits-forts
tachent avec tant d’ardeur d’établir parmi nous tendent à
détruire une des fins principales de nos actions, savoir la
félicité du genre-humain ; d’où il s’enfuit que cette Secte
bien loin de meriter notre tendresse & notre estime, se
rend digne de l’éxécration de tous les gens de bien. Enfin
je me fais fort de démontrer, que sous
prétexte de s’interesser pour la Liberté, & pour la
vérité, elle introduit réellement dans le monde l’erreur,
& l’Esclavage.