Il faut ouvrir l’ame à de plus grandes & de plus nobles vues.
En me promenant un de ces jours tout seul dans
Je fus interrompu dans cette agréable méditation par la vue d’une mouche, qui se promenoit sur un des piliers de ce vaste édifice. Je l’enchainai d’abord à la comparaison où je travaillois, & j’en fis un Esprit-fort. En effet, il faut avoir une vue d’une étendue assez considérable, peur <sic> embrasser dans le même instant toutes les parties différentes d’un batiment spacieux, afin de juger sainement du dessein & de la symetrie de tout l’ouvrage ; mais, la vue de cette mouche devoit être bornée à la moitié d’une seule pierre du Pilier : bien loin de découvrir l’usage de tout ce qui compose le temple, & la liaison de ses differentes parties, elle ne pouvoit apperçevoir, selon toutes les apparences, que certaines inégalitez sur la surface de cette Colonne, & ces inégali-
Cette même mouche me donna occasion d’éxaminer la nature de cette disposition de l’ame, qu’on appelle étendue d’esprit, & les moyens naturels de parvenir à cette qualité, qui est d’une nécessité absolue, pour former un jugement sain de tout objet composé.
Il est évident d’abord que la Philosophie est très propre à ouvrir, & à éten-
Si toutes les branches de la Philosophie sont propres à étendre les vûës de l’Esprit, il faut avouer pourtant qu’il n’y en a point, qui puisse reculer plus efficacement les bornes de nôtre raison, que l’Astronomie. C’est dans cette Science qu’on prouve par de très-bonnes raisons, que notre terre ne fait pas la centiéme partie du Globe du Soleil, & que la distance entre nous & les étoiles fixes est si prodigieuse, qu’un boulet de Canon continuant toûjours dans la rapidité de son mouvement n’y parviendroit pas dans cent cinquante mille années. Une espace si immense absorbe l’imagination : l’entendement humain s’y perd ; l’idée imparfaite d’une pareille distance fait évanouïr devant elle les Provinces, les Royaumes, les
Ce que la Religion Chrétienne a encore de supérieur à l’Astronomie, c’est qu’elle étend non seulement l’esprit, mais qu’elle l’étend vers des objets nobles, sublimes, dignes de l’excellence de sa nature A mesure que la terre, & les plaisirs passagers de la vie se retrecissent devant elle, elle ouvre à nôtre esprit la perspective immense du monde intellectuel : elle déploye à nos yeux surpris les attributs de la Divinité, les charmes de la Vertu, la dignité de nôtre nature, & la Majesté de nôtre ame immortelle. Uni à la Religion, nôtre esprit a la force de se proportionner à la grandeur de toutes sortes d’objets ; il se sent baissé & avili par le commerce où il est obligé d’entrer avec des sujets petits & peu durables. Il s’élargit, il s’étend, lorsqu’il fixe son
La grandeur des objets est purement rélative, non seulement par rapport à l’étendue, mais encore à l’égard de la dignité, & de la durée. L’Astronomie ouvre l’esprit, & rectifie nos idées touchant la grandeur des corps ; mais, le Christianisme nous donne une étendue d’esprit generale. Le Philosophe étend les vues de son ame par rapport à tout ce que ce monde contient. Le Chrétien va plus loin : il porte l’ame au delà de la sphere des lumieres naturelles.
Jusqu’à quel point le Monarque le plus puissant de la terre doit-il paroitre petit aux yeux d’une raison qui embrasse les rangs differents des intelligences pures subordonnées les uns aux autres, dans des dégrez presqu’infinis de perfection, & de gloire ? Jusqu’à quel point les plaisirs des sens doivent-ils être bas au tribunal d’un Esprit, qui forme le projet d’imiter la Divinité, & de se rendre en quelque sorte un même Etre avec elle ?
C’est là l’occupation véritable du
Qu’un homme agisse par un motif de raison, ou de passion, il est certain que ses actions sont nobles ou basses à proportion des objets, qu’il a en vue. La raison a beau annoblir ses démarches : si elle n’est éclairée par les lumiéres d’une Religion toute divine, elle lui donnera plutôt une justesse d’esprit peu utile, qu’une grande & sublime élévation d’ame. Tous ceux, que la Religion ne guide pas, quelque beau que puisse être leur génie, ne s’attachent qu’à cette Terre méprisable, & ne s’occupent qu’à rectifier l’usage qu’il faut faire de cette vie mortelle. La petitesse de leur fin ne sauroit les porter qu’a des actions qui repondent a la bassesse des objets ; mais, une raison illuminée par la véritable piété, est élar-
Dans toute la foiblesse des Esprits-forts il n’y a rien qui me donne plus d’indignation, que l’insolence qu’ils ont de tourner les Chrétiens en ridicule comme petits esprits, & de s’arroger les titres pompeux de Génies superieurs, & d’Esprits étendus. Que tout homme impartial juge qui a les sentimens les plus nobles, & les vues les plus grandes, le Chrétien, ou l’homme qui a renoncé à tout commerce avec la Réligion. Celui-ci limite ses idées dans un petit nombre de sensations qui procedent de la matiere, & qui s’y terminent. Celui-là anticipe sur ces délices, qui rassasieront entiérement les désirs infinis de l’ame, quand elle sera portée au plus haut dégré de perfection, dont par sa nature elle est susceptible. L’Esprit fort ne porte pas ses vues plus loin, que ne s’étend l’espace du petit nombre de jours, que nous passons sur cette terre. L’homme pieux égale ses projets, & ses espérances, à l’éternité même. L’un trouve dans les Elémens l’origine de ses facultez intellectuelles. L’autre