Je lui ordonne de se regarder dans la conduite des autres comme dans un miroir, & de profiter plutôt de leurs sottises, que des siennes.
Je ne donnerai aujourd’hui au Lecteur qu’une Lettre de mon bon ami le Chevalier
Vous êtes bien surpris apparemment, Monsieur, de ce que dans plusieurs Lettres, que je vous ai écrites depuis peu, je n’ai pas dit un mot touchant la belle, dont vous êtes devenu amoureux pour moi à l’opera, & à qui vous avez fait les yeux doux par procuration. Vous nom d’être le propriétaire de ses richesses ; mais c’est la Maitresse, qu’il s’est donnée, qui en a la réalité. A mon avis, une femelle de ce Caractere n’est pas plus propre à être mere de famille, qu’un ambitieux est capable d’être bon ami. Ils sont accoutumez l’un & l’autre à sacrifier tous les plaisirs naturels ; & le véritable bonheur de la vie, à des chimeres, à des apparences, & à un bonheur d’ostentation. Leurs cœurs ne sont pas faits pour un véritable attachement ; &, comme les ambitieux forment leurs projets de grandeur, sans y faire entrer seulement l’idée de ceux qu’ils fréquentent, une femme de cette humeur vit & couche avec son mari, sans avoir pour lui la moindre amitié. mon cher Mentor : une autrefois, avant que de devenir le procureur de mes affaires de cœur, tachez de voir notre Maitresse à une maison de campagne. Vous verrez là sans peine, si elle nous convient ou non ; si elle ne se plait point à de belles vues, si elle n’aime point des ruisseaux, des bois, & des prairies ; franchement, ce n’est pas notre fait : elle a planté là la nature pour jamais, & ce ne sera toute sa vie qu’une folle abimée sans ressource dans la vanité.
J’ai été toujours curieux d’éxaminer l’air de ces femmes de freluquet, pour se moquer avec lui de nos manieres. Mais, ces belles Dames ne doivent pas tant s’en faire accroire. Nous les trouvons encore plus ridicules, que nous le leur paroissons : leurs airs penchez, leur démarche dé-Chasseuses. Je n’en dirai pas davantage : je vous prie seulement de ne point songer à me marier sans nouvel ordre. Je suis,
Monsieur, &c.
Il y a dans cette Lettre quelques Réflexions assez bonnes, sur le choix peu judicieux que font plusieurs gentils-hommes Campagnards, en se mariant : mais, je ne sai ; je trouve dans le stile quelque chose de libertin, qui ne me plait pas. Je suis fort inquiet là-dessus, & j’ai trouvé à propos de parler à cœur ouvert au Chevalier, sur les soupçons qu’il me donne. Voici ma Réponse.
Monsieur,
J’ai lu & relu votre Lettre, & je vous dirai naturellement, que je croi y avoir découvert certaines choses, qui prouvent, qu’en matiere
Ne faites pas le fin avec moi, mon cher Chevalier, je me suis apperçu depuis long-tems que vous n’êtes pas insensible à la beauté d’une Demoiselle de votre voisinage. Mais, permettez-moi de vous avertir, avec toute la franchise d’un fidelle ami, qu’entrer dans un commerce criminel avec une personne de mérite, qui jusques là a conservé son innocence, c’est se rendre coupable de l’extravagance du monde la plus fertile, en malheurs, & en inquiétudes inévitables. En se frayant le chemin du cœur d’une telle Maitresse, on se sert du langage le plus persuasif, on fait parade d’une tendresse désintéressée, on cache tout ce qu’on peut avoir de mauvaises qualitez, on se transforme en ange de Lumiere ; mais, à quel dessein ? c’est uniquement, pour Demon.
Peutêtre que la mode, les desirs fougueux de la jeunesse, & les faveurs de la fortune, vous feront considérer cette censure, comme un effet de la morosité d’un vieillard, devant lequel les plaisirs s’enfuient depuis longtems ; mais, quand vous ne me connoitriez pas trop, pour prendre mes leçons pour des marques de mauvaise humeur, vous devriez bien pour l’amour de vous-même éxaminer plutôt la nature de ce que je dis, que la source dont je puis le tirer. Croyez-moi, Chevalier, si vous réüssissez dans le projet que je crains bien que vous ne formiez, vous êtes perdu sans ressource. Une personne, qui vous sacrifiera sa beauté, son honneur, sa vertu, imposera, à un cœur naturellement généreux comme le vôtre, une obligation si forte, que toute votre vie s’écoulera dans l’état le plus génant, qui est celui d’une irrésolution perpétuelle. Vous prendrez sans cesse la résolution de l’abandonner, sans avoir ja-
Il n’y a point d’homme au monde plus essentiellement malheureux, que l’Epoux d’une femme de mérite, tendrement aimé de sa moitié, sans pouvoir rendre son cœur sensible à ses caresses les plus sinceres. Ce qui fait le bonheur d’un autre Epoux fait le plus cruel tourment de celui-ci. Il a donné une fois pour toutes à un amour criminel, toute l’ardeur, & toute la constance de l’amour conjugal ; & il lui est impossible de sentir seulement pour sa femme cette espece de tendresse qu’on accorde d’ordinaire à une personne chez laquelle on ne cherche qu’une volupté brutale.
Le cœur est assez indocile de lui-même, & il y a assez de peine à le soumettre au devoir, sans qu’il soit agité par une passion impérieuse. Jusqu’à quel point par conséquent
Quand un jeune homme est assez imprudent pour se livrer à un commerce honteux avec des femmes qui se sont familiarisées avec la prostitution, le dégout seul est capable de le tirer de ses égarements : Leurs Caresses mercenaires destituées des charmes de la sincérité, leurs inquietudes feintes, la grossiéreté de leurs flatteries, en un mot leurs manieres & leurs sentimens approfondis, suffisent pour les rendre odieuses à un homme un peu sensé. Ce sont des Enchanteresses, qui travaillent à défaire leurs propres enchantements, semblables à la Lance d’