Discours LVI. Justus Van Effen [Joseph Addison, Richard Steele] Moralische Wochenschriften Klaus-Dieter Ertler Herausgeber Hannah Bakanitsch Mitarbeiter Lilith Burger Mitarbeiter Elisabeth Hobisch Herausgeber Mario Müller Mitarbeiter Veronika Mussner Mitarbeiter Sarah Lang Gerlinde Schneider Martina Scholger Johannes Stigler Gunter Vasold Datenmodellierung Applikationsentwicklung Institut für Romanistik, Universität Graz Zentrum für Informationsmodellierung, Universität Graz Graz 23.04.2018 o:mws.6687 Justus Van Effen : Le Mentor moderne ou Discours sur les mœurs du siècle ; traduit de l'Anglois du Guardian de Mrs Addisson, Steele, et autres Auteurs du Spectateur. La Haye : Frères Vaillant et N. Prévost, Tome II, 1-13 Le Mentor moderne 2 056 1723 Frankreich Ebene 1 Ebene 2 Ebene 3 Ebene 4 Ebene 5 Ebene 6 Allgemeine Erzählung Selbstportrait Fremdportrait Dialog Allegorisches Erzählen Traumerzählung Fabelerzählung Satirisches Erzählen Exemplarisches Erzählen Utopische Erzählung Metatextualität Zitat/Motto Leserbrief Graz, Austria French Leidenschaft Passione Passion Pasión Passion Liebe Amore Love Amor Amour United Kingdom London London -0.12574,51.50853 France 2.0,46.0

Discours LVI.

Inspicere tanquam in speculum in vitas omnium jubeo, atque ex aliis sumere exemplum sibi.

Je lui ordonne de se regarder dans la conduite des autres comme dans un miroir, & de profiter plutôt de leurs sottises, que des siennes.

Je ne donnerai aujourd’hui au Lecteur qu’une Lettre de mon bon ami le Chevalier Lizard, avec ma réponse ; & je me flatte que la lecture n’en sera pas inutile aux jeunes Cavaliers, qui ont de grands biens, & aux Demoiselles dont le mérite n’est pas soutenu par des Richesses. Il est d’une nécessité absolue, que dans la force de la jeunesse nous établissions un petit nombre de maximes, pour régler sur elles toute notre conduite future ; c’est l’unique moyen, sinon de nous maintenir dans la route de la raison & de l’innocence, de prévenir au moins certains desastres terribles qu’une vie pleine de desordres peut nous attirer. Les soins rongeans, qui accompagnent une passion comme celle, dont je tache, dans ma réponse, de garentir notre Chevalier, ne sont que trop connus de tous ceux qui se livrent au plaisir, sans réserve. Je suis persuadé même, que dans certains momens, où les occupations de la volupté leur laissent assez de loisir pour mettre en parallele leurs satisfactions & leurs chagrins, ils doivent trouver leur vie, non seulement un songe, mais encore un og <sic> einquiet <sic> & afreux.

Lettre a l’Auteur.

« Vous êtes bien surpris apparemment, Monsieur, de ce que dans plusieurs Lettres, que je vous ai écrites depuis peu, je n’ai pas dit un mot touchant la belle, dont vous êtes devenu amoureux pour moi à l’opera, & à qui vous avez fait les yeux doux par procuration. Vous la croyez un très bon parti pour votre très-humble serviteur ; mais malheureusement, le gout pour le mariage s’affoiblit de plus en plus dans mon ame. Je ne vois autour de moi que des gens mariez, qui paroissent indifférens les uns aux autres, ou qui semblent se faire une étude de se rendre mutuellement misérables ; & je crois agir prudemment en mettant à profit de si tristes éxemples. Vous me direz peut être, que je n’ai rien à craindre de semblable, avec la Demoiselle que vous me destinez ; & je m’en fierois bien à votre discernement : mais, j’ai appris que la vieille Dame est sur le point de disposer de sa fille en faveur d’un autre. Pour vos autres jeunes beautez, dont je puis connoitre les Caracteres, je n’en sache pas une seule, qui ne soit déjà prévenue de quelque inclination pour un autre, ou qui ne se soit jettée dans des plaisirs & dans des amusemens qu’elle préfere à la tendresse de l’homme du monde le plus aimable. Cette derniere espece de femmes est la plus commune à l’heure qu’il est, parmi les gens d’une certaine distinction. Elles prendront le prémier qui s’offrira, pourvû qu’elles soient contentes de son bien, & de sa qualité. Est-ce dans le dessein de se lier à lui, par les nœuds de la tendresse conjugale ? Point du tout ; elles n’y pensent pas seulement : ce n’est que pour disposer de son bien à leur fantaisie, & pour le changer en bijoux, & en équipages. Un tel mari n’est plus que l’homme d’affaires de sa femme : il n’a que le nom d’être le propriétaire de ses richesses ; mais c’est la Maitresse, qu’il s’est donnée, qui en a la réalité. A mon avis, une femelle de ce Caractere n’est pas plus propre à être mere de famille, qu’un ambitieux est capable d’être bon ami. Ils sont accoutumez l’un & l’autre à sacrifier tous les plaisirs naturels ; & le véritable bonheur de la vie, à des chimeres, à des apparences, & à un bonheur d’ostentation. Leurs cœurs ne sont pas faits pour un véritable attachement ; &, comme les ambitieux forment leurs projets de grandeur, sans y faire entrer seulement l’idée de ceux qu’ils fréquentent, une femme de cette humeur vit & couche avec son mari, sans avoir pour lui la moindre amitié. Ecoutez, mon cher Mentor : une autrefois, avant que de devenir le procureur de mes affaires de cœur, tachez de voir notre Maitresse à une maison de campagne. Vous verrez là sans peine, si elle nous convient ou non ; si elle ne se plait point à de belles vues, si elle n’aime point des ruisseaux, des bois, & des prairies ; franchement, ce n’est pas notre fait : elle a planté là la nature pour jamais, & ce ne sera toute sa vie qu’une folle abimée sans ressource dans la vanité.

J’ai été toujours curieux d’éxaminer l’air de ces femmes de Londres, qui viennent pour la prémiere fois à la terre de leurs Epoux campagnards. Vous ne sauriez croire avec quelle arrogance elles regardent tout ce qui les environne, & avec quelle petite mine dédaigneuse elles reçoivent les complimens des honnêtes-gens du voisinage. On voit dans leurs yeux, qu’il leur manque quelque freluquet, pour se moquer avec lui de nos manieres. Mais, ces belles Dames ne doivent pas tant s’en faire accroire. Nous les trouvons encore plus ridicules, que nous le leur paroissons : leurs airs penchez, leur démarche dé-hanchée, & leurs reverences en arriere choquent autant notre gout pour le naturel, qu’elles sont choquées elles mêmes de la voix forte, & des grands pas de nos Chasseuses. Je n’en dirai pas davantage : je vous prie seulement de ne point songer à me marier sans nouvel ordre. Je suis,

Monsieur, &c.

Henri Lizard. »

Il y a dans cette Lettre quelques Réflexions assez bonnes, sur le choix peu judicieux que font plusieurs gentils-hommes Campagnards, en se mariant : mais, je ne sai ; je trouve dans le stile quelque chose de libertin, qui ne me plait pas. Je suis fort inquiet là-dessus, & j’ai trouvé à propos de parler à cœur ouvert au Chevalier, sur les soupçons qu’il me donne. Voici ma Réponse.

« Monsieur,

J’ai lu & relu votre Lettre, & je vous dirai naturellement, que je croi y avoir découvert certaines choses, qui prouvent, qu’en matiere de tendresse vous avez renoncé à cette noble probité, dont j’avois attendu pour vous des jours parfaitement heureux & tranquilles. Je croi voir que le changement de votre cœur, par rapport au mariage, ne procede point d’un principe de prudence & de circonspection, mais d’une aversion generale pour le mariage même. Vous séparez de cet état tous les plaisirs, & toutes les satisfactions, dont il est susceptible, & vous donnez toute votre attention aux inconveniens, qui peuvent naitre d’une union mal assortie. Vous n’avez pas le dessein de me tromper par de pareils sophismes. Je vous connois ; ce n’est pas là votre caractere ; vous me parlez de bonne foi : mais, vous êtes votre propre dupe ; & il faut de nécessité, que de pareils discours dans un homme de votre âge, & de votre tempéramment aient leur source dans quelque passion, qui l’aveugle. Je ne vous parlerai pas à présent d’un motif de vertu très essentiel, qui doit porter un honnête homme à se marier ; je veux dire, la crainte de tomber dans la débauche : j’aime mieux venir au fait, & vous exposer mes soupçons, dont la probabilité m’effraye. En les supposant bien fondez, je vous dirai en ami, que vous allez vous jetter dans un cahos de chagrins & de desordres, dont vous ne vous tirerez jamais, tant que les sentimens de l’honneur, & d’une compassion genereuse, ne seront pas absolument amortis dans votre cœur.

Ne faites pas le fin avec moi, mon cher Chevalier, je me suis apperçu depuis long-tems que vous n’êtes pas insensible à la beauté d’une Demoiselle de votre voisinage. Mais, permettez-moi de vous avertir, avec toute la franchise d’un fidelle ami, qu’entrer dans un commerce criminel avec une personne de mérite, qui jusques là a conservé son innocence, c’est se rendre coupable de l’extravagance du monde la plus fertile, en malheurs, & en inquiétudes inévitables. En se frayant le chemin du cœur d’une telle Maitresse, on se sert du langage le plus persuasif, on fait parade d’une tendresse désintéressée, on cache tout ce qu’on peut avoir de mauvaises qualitez, on se transforme en ange de Lumiere ; mais, à quel dessein ? c’est uniquement, pour souiller son ame, & pour la couvrir d’une honte éternelle ; ce qui n’est autre chose, que joüer le rolle du Demon.

Peutêtre que la mode, les desirs fougueux de la jeunesse, & les faveurs de la fortune, vous feront considérer cette censure, comme un effet de la morosité d’un vieillard, devant lequel les plaisirs s’enfuient depuis longtems ; mais, quand vous ne me connoitriez pas trop, pour prendre mes leçons pour des marques de mauvaise humeur, vous devriez bien pour l’amour de vous-même éxaminer plutôt la nature de ce que je dis, que la source dont je puis le tirer. Croyez-moi, Chevalier, si vous réüssissez dans le projet que je crains bien que vous ne formiez, vous êtes perdu sans ressource. Une personne, qui vous sacrifiera sa beauté, son honneur, sa vertu, imposera, à un cœur naturellement généreux comme le vôtre, une obligation si forte, que toute votre vie s’écoulera dans l’état le plus génant, qui est celui d’une irrésolution perpétuelle. Vous prendrez sans cesse la résolution de l’abandonner, sans avoir ja-mais la force d’éxécuter ce dessein ; &, si vous le faites enfin par un effort que vous accuserez vous-même de lâcheté, vous vous unirez à une autre femme, à qui jamais peut-être vous ne pourrez donner votre cœur : il sera toujours rappellé vers votre maitresse abandonnée, par le souvenir de tout ce qu’elle aura fait pour vous ; & ce souvenir cruel & cher en même temps répandra de l’amertume sur tous les instants de votre vie.

Il n’y a point d’homme au monde plus essentiellement malheureux, que l’Epoux d’une femme de mérite, tendrement aimé de sa moitié, sans pouvoir rendre son cœur sensible à ses caresses les plus sinceres. Ce qui fait le bonheur d’un autre Epoux fait le plus cruel tourment de celui-ci. Il a donné une fois pour toutes à un amour criminel, toute l’ardeur, & toute la constance de l’amour conjugal ; & il lui est impossible de sentir seulement pour sa femme cette espece de tendresse qu’on accorde d’ordinaire à une personne chez laquelle on ne cherche qu’une volupté brutale.

Trop heureux encore, mon cher Chevalier, si, après avoir poussé un projet comme celui dont je vous soupçonne, vous ne trouvez dans la suite le mariage où vous pourrez entrer avec quelque autre, que simplement insipide & plein d’ennui. Trop heureux, si ce n’est pas pour vous une source intarissable de misere. Si par hazard vous vous unissiez à une femme, qui se fît un plaisir de faire enrager vos domestiques, de vous insulter vous-même, & de porter le murmure & la mauvaise humeur jusqu’à votre table & dans votre lit, ne seriés vous pas doublement malheureux ? Vous même vous aideriez votre furie domestique à vous rendre misérable. A chacun de ses outrages, une reflexion triste se réveilleroit dans le fond de votre âme, & vous accuseroit d’avoir mérité vos malheurs, par votre lache conduite avec une personne digne de toute votre estime.

Le cœur est assez indocile de lui-même, & il y a assez de peine à le soumettre au devoir, sans qu’il soit agité par une passion impérieuse. Jusqu’à quel point par conséquent doit être infortuné l’homme, qui, outre le vif penchant qu’il a naturellement pour le beau sexe, a fixé une passion impétueuse sur une personne toute aimable, qui n’est coupable d’aucune faute, dont il ne soit lui-meme non seulement complice, mais encore auteur ?

Quand un jeune homme est assez imprudent pour se livrer à un commerce honteux avec des femmes qui se sont familiarisées avec la prostitution, le dégout seul est capable de le tirer de ses égarements : Leurs Caresses mercenaires destituées des charmes de la sincérité, leurs inquietudes feintes, la grossiéreté de leurs flatteries, en un mot leurs manieres & leurs sentimens approfondis, suffisent pour les rendre odieuses à un homme un peu sensé. Ce sont des Enchanteresses, qui travaillent à défaire leurs propres enchantements, semblables à la Lance d’Achille, qui guérissoit ceux, qu’elle avoit blessez. Mais, dans le cas dont il s’agit ici, quand on abandonne une femme de mérite, après l’avoir précipitée dans un abîme de malheurs, en s’arrachant à elle on s’arrache à ce qu’on a dans l’ame de plus beau & de plus noble. Epargnez-vous une si triste nécessité, s’il en est temps encore. Quittez la campagne : ce séjour de l’innocence est devenu dangereux à votre vertu. Préferez aux charmes de Belise les préceptes d’un ami solide de votre maison ; d’un ami, qui s’intéresse tendrement dans tout ce qui vous regarde, & qui veut vous faire éviter un écœuil, sur lequel on peut faire naufrage, avec le meilleur naturel, & avec un fond d’excellentes qualitez. Je suis &c. »

Discours LVI. Inspicere tanquam in speculum in vitas omnium jubeo, atque ex aliis sumere exemplum sibi. Je lui ordonne de se regarder dans la conduite des autres comme dans un miroir, & de profiter plutôt de leurs sottises, que des siennes. Je ne donnerai aujourd’hui au Lecteur qu’une Lettre de mon bon ami le Chevalier Lizard, avec ma réponse ; & je me flatte que la lecture n’en sera pas inutile aux jeunes Cavaliers, qui ont de grands biens, & aux Demoiselles dont le mérite n’est pas soutenu par des Richesses. Il est d’une nécessité absolue, que dans la force de la jeunesse nous établissions un petit nombre de maximes, pour régler sur elles toute notre conduite future ; c’est l’unique moyen, sinon de nous maintenir dans la route de la raison & de l’innocence, de prévenir au moins certains desastres terribles qu’une vie pleine de desordres peut nous attirer. Les soins rongeans, qui accompagnent une passion comme celle, dont je tache, dans ma réponse, de garentir notre Chevalier, ne sont que trop connus de tous ceux qui se livrent au plaisir, sans réserve. Je suis persuadé même, que dans certains momens, où les occupations de la volupté leur laissent assez de loisir pour mettre en parallele leurs satisfactions & leurs chagrins, ils doivent trouver leur vie, non seulement un songe, mais encore un og <sic> einquiet <sic> & afreux. Lettre a l’Auteur. « Vous êtes bien surpris apparemment, Monsieur, de ce que dans plusieurs Lettres, que je vous ai écrites depuis peu, je n’ai pas dit un mot touchant la belle, dont vous êtes devenu amoureux pour moi à l’opera, & à qui vous avez fait les yeux doux par procuration. Vous la croyez un très bon parti pour votre très-humble serviteur ; mais malheureusement, le gout pour le mariage s’affoiblit de plus en plus dans mon ame. Je ne vois autour de moi que des gens mariez, qui paroissent indifférens les uns aux autres, ou qui semblent se faire une étude de se rendre mutuellement misérables ; & je crois agir prudemment en mettant à profit de si tristes éxemples. Vous me direz peut être, que je n’ai rien à craindre de semblable, avec la Demoiselle que vous me destinez ; & je m’en fierois bien à votre discernement : mais, j’ai appris que la vieille Dame est sur le point de disposer de sa fille en faveur d’un autre. Pour vos autres jeunes beautez, dont je puis connoitre les Caracteres, je n’en sache pas une seule, qui ne soit déjà prévenue de quelque inclination pour un autre, ou qui ne se soit jettée dans des plaisirs & dans des amusemens qu’elle préfere à la tendresse de l’homme du monde le plus aimable. Cette derniere espece de femmes est la plus commune à l’heure qu’il est, parmi les gens d’une certaine distinction. Elles prendront le prémier qui s’offrira, pourvû qu’elles soient contentes de son bien, & de sa qualité. Est-ce dans le dessein de se lier à lui, par les nœuds de la tendresse conjugale ? Point du tout ; elles n’y pensent pas seulement : ce n’est que pour disposer de son bien à leur fantaisie, & pour le changer en bijoux, & en équipages. Un tel mari n’est plus que l’homme d’affaires de sa femme : il n’a que le nom d’être le propriétaire de ses richesses ; mais c’est la Maitresse, qu’il s’est donnée, qui en a la réalité. A mon avis, une femelle de ce Caractere n’est pas plus propre à être mere de famille, qu’un ambitieux est capable d’être bon ami. Ils sont accoutumez l’un & l’autre à sacrifier tous les plaisirs naturels ; & le véritable bonheur de la vie, à des chimeres, à des apparences, & à un bonheur d’ostentation. Leurs cœurs ne sont pas faits pour un véritable attachement ; &, comme les ambitieux forment leurs projets de grandeur, sans y faire entrer seulement l’idée de ceux qu’ils fréquentent, une femme de cette humeur vit & couche avec son mari, sans avoir pour lui la moindre amitié. Ecoutez, mon cher Mentor : une autrefois, avant que de devenir le procureur de mes affaires de cœur, tachez de voir notre Maitresse à une maison de campagne. Vous verrez là sans peine, si elle nous convient ou non ; si elle ne se plait point à de belles vues, si elle n’aime point des ruisseaux, des bois, & des prairies ; franchement, ce n’est pas notre fait : elle a planté là la nature pour jamais, & ce ne sera toute sa vie qu’une folle abimée sans ressource dans la vanité. J’ai été toujours curieux d’éxaminer l’air de ces femmes de Londres, qui viennent pour la prémiere fois à la terre de leurs Epoux campagnards. Vous ne sauriez croire avec quelle arrogance elles regardent tout ce qui les environne, & avec quelle petite mine dédaigneuse elles reçoivent les complimens des honnêtes-gens du voisinage. On voit dans leurs yeux, qu’il leur manque quelque freluquet, pour se moquer avec lui de nos manieres. Mais, ces belles Dames ne doivent pas tant s’en faire accroire. Nous les trouvons encore plus ridicules, que nous le leur paroissons : leurs airs penchez, leur démarche dé-hanchée, & leurs reverences en arriere choquent autant notre gout pour le naturel, qu’elles sont choquées elles mêmes de la voix forte, & des grands pas de nos Chasseuses. Je n’en dirai pas davantage : je vous prie seulement de ne point songer à me marier sans nouvel ordre. Je suis, Monsieur, &c. Henri Lizard. » Il y a dans cette Lettre quelques Réflexions assez bonnes, sur le choix peu judicieux que font plusieurs gentils-hommes Campagnards, en se mariant : mais, je ne sai ; je trouve dans le stile quelque chose de libertin, qui ne me plait pas. Je suis fort inquiet là-dessus, & j’ai trouvé à propos de parler à cœur ouvert au Chevalier, sur les soupçons qu’il me donne. Voici ma Réponse. « Monsieur, J’ai lu & relu votre Lettre, & je vous dirai naturellement, que je croi y avoir découvert certaines choses, qui prouvent, qu’en matiere de tendresse vous avez renoncé à cette noble probité, dont j’avois attendu pour vous des jours parfaitement heureux & tranquilles. Je croi voir que le changement de votre cœur, par rapport au mariage, ne procede point d’un principe de prudence & de circonspection, mais d’une aversion generale pour le mariage même. Vous séparez de cet état tous les plaisirs, & toutes les satisfactions, dont il est susceptible, & vous donnez toute votre attention aux inconveniens, qui peuvent naitre d’une union mal assortie. Vous n’avez pas le dessein de me tromper par de pareils sophismes. Je vous connois ; ce n’est pas là votre caractere ; vous me parlez de bonne foi : mais, vous êtes votre propre dupe ; & il faut de nécessité, que de pareils discours dans un homme de votre âge, & de votre tempéramment aient leur source dans quelque passion, qui l’aveugle. Je ne vous parlerai pas à présent d’un motif de vertu très essentiel, qui doit porter un honnête homme à se marier ; je veux dire, la crainte de tomber dans la débauche : j’aime mieux venir au fait, & vous exposer mes soupçons, dont la probabilité m’effraye. En les supposant bien fondez, je vous dirai en ami, que vous allez vous jetter dans un cahos de chagrins & de desordres, dont vous ne vous tirerez jamais, tant que les sentimens de l’honneur, & d’une compassion genereuse, ne seront pas absolument amortis dans votre cœur. Ne faites pas le fin avec moi, mon cher Chevalier, je me suis apperçu depuis long-tems que vous n’êtes pas insensible à la beauté d’une Demoiselle de votre voisinage. Mais, permettez-moi de vous avertir, avec toute la franchise d’un fidelle ami, qu’entrer dans un commerce criminel avec une personne de mérite, qui jusques là a conservé son innocence, c’est se rendre coupable de l’extravagance du monde la plus fertile, en malheurs, & en inquiétudes inévitables. En se frayant le chemin du cœur d’une telle Maitresse, on se sert du langage le plus persuasif, on fait parade d’une tendresse désintéressée, on cache tout ce qu’on peut avoir de mauvaises qualitez, on se transforme en ange de Lumiere ; mais, à quel dessein ? c’est uniquement, pour souiller son ame, & pour la couvrir d’une honte éternelle ; ce qui n’est autre chose, que joüer le rolle du Demon. Peutêtre que la mode, les desirs fougueux de la jeunesse, & les faveurs de la fortune, vous feront considérer cette censure, comme un effet de la morosité d’un vieillard, devant lequel les plaisirs s’enfuient depuis longtems ; mais, quand vous ne me connoitriez pas trop, pour prendre mes leçons pour des marques de mauvaise humeur, vous devriez bien pour l’amour de vous-même éxaminer plutôt la nature de ce que je dis, que la source dont je puis le tirer. Croyez-moi, Chevalier, si vous réüssissez dans le projet que je crains bien que vous ne formiez, vous êtes perdu sans ressource. Une personne, qui vous sacrifiera sa beauté, son honneur, sa vertu, imposera, à un cœur naturellement généreux comme le vôtre, une obligation si forte, que toute votre vie s’écoulera dans l’état le plus génant, qui est celui d’une irrésolution perpétuelle. Vous prendrez sans cesse la résolution de l’abandonner, sans avoir ja-mais la force d’éxécuter ce dessein ; &, si vous le faites enfin par un effort que vous accuserez vous-même de lâcheté, vous vous unirez à une autre femme, à qui jamais peut-être vous ne pourrez donner votre cœur : il sera toujours rappellé vers votre maitresse abandonnée, par le souvenir de tout ce qu’elle aura fait pour vous ; & ce souvenir cruel & cher en même temps répandra de l’amertume sur tous les instants de votre vie. Il n’y a point d’homme au monde plus essentiellement malheureux, que l’Epoux d’une femme de mérite, tendrement aimé de sa moitié, sans pouvoir rendre son cœur sensible à ses caresses les plus sinceres. Ce qui fait le bonheur d’un autre Epoux fait le plus cruel tourment de celui-ci. Il a donné une fois pour toutes à un amour criminel, toute l’ardeur, & toute la constance de l’amour conjugal ; & il lui est impossible de sentir seulement pour sa femme cette espece de tendresse qu’on accorde d’ordinaire à une personne chez laquelle on ne cherche qu’une volupté brutale. Trop heureux encore, mon cher Chevalier, si, après avoir poussé un projet comme celui dont je vous soupçonne, vous ne trouvez dans la suite le mariage où vous pourrez entrer avec quelque autre, que simplement insipide & plein d’ennui. Trop heureux, si ce n’est pas pour vous une source intarissable de misere. Si par hazard vous vous unissiez à une femme, qui se fît un plaisir de faire enrager vos domestiques, de vous insulter vous-même, & de porter le murmure & la mauvaise humeur jusqu’à votre table & dans votre lit, ne seriés vous pas doublement malheureux ? Vous même vous aideriez votre furie domestique à vous rendre misérable. A chacun de ses outrages, une reflexion triste se réveilleroit dans le fond de votre âme, & vous accuseroit d’avoir mérité vos malheurs, par votre lache conduite avec une personne digne de toute votre estime. Le cœur est assez indocile de lui-même, & il y a assez de peine à le soumettre au devoir, sans qu’il soit agité par une passion impérieuse. Jusqu’à quel point par conséquent doit être infortuné l’homme, qui, outre le vif penchant qu’il a naturellement pour le beau sexe, a fixé une passion impétueuse sur une personne toute aimable, qui n’est coupable d’aucune faute, dont il ne soit lui-meme non seulement complice, mais encore auteur ? Quand un jeune homme est assez imprudent pour se livrer à un commerce honteux avec des femmes qui se sont familiarisées avec la prostitution, le dégout seul est capable de le tirer de ses égarements : Leurs Caresses mercenaires destituées des charmes de la sincérité, leurs inquietudes feintes, la grossiéreté de leurs flatteries, en un mot leurs manieres & leurs sentimens approfondis, suffisent pour les rendre odieuses à un homme un peu sensé. Ce sont des Enchanteresses, qui travaillent à défaire leurs propres enchantements, semblables à la Lance d’Achille, qui guérissoit ceux, qu’elle avoit blessez. Mais, dans le cas dont il s’agit ici, quand on abandonne une femme de mérite, après l’avoir précipitée dans un abîme de malheurs, en s’arrachant à elle on s’arrache à ce qu’on a dans l’ame de plus beau & de plus noble. Epargnez-vous une si triste nécessité, s’il en est temps encore. Quittez la campagne : ce séjour de l’innocence est devenu dangereux à votre vertu. Préferez aux charmes de Belise les préceptes d’un ami solide de votre maison ; d’un ami, qui s’intéresse tendrement dans tout ce qui vous regarde, & qui veut vous faire éviter un écœuil, sur lequel on peut faire naufrage, avec le meilleur naturel, & avec un fond d’excellentes qualitez. Je suis &c. »