Amusement LX. Laurent Angliviel de la Beaumelle Moralische Wochenschriften Klaus-Dieter Ertler Herausgeber Hannah Bakanitsch Mitarbeiter Karin Heiling Mitarbeiter Elisabeth Hobisch Herausgeber Anna Karnel Mitarbeiter Sarah Lang Gerlinde Schneider Martina Scholger Johannes Stigler Gunter Vasold Datenmodellierung Applikationsentwicklung Institut für Romanistik, Universität Graz Zentrum für Informationsmodellierung, Universität Graz Graz 25.09.2018 o:mws.6671 La Beaumelle, Laurent Angliviel de: La Spectatrice danoise, ou l'Aspasie moderne, ouvrage hebdomadaire. Tome I. Copenhague: s.i. 1749, 492-502 La Spectatrice danoise 1 060 1749 Dänemark Ebene 1 Ebene 2 Ebene 3 Ebene 4 Ebene 5 Ebene 6 Allgemeine Erzählung Selbstportrait Fremdportrait Dialog Allegorisches Erzählen Traumerzählung Fabelerzählung Satirisches Erzählen Exemplarisches Erzählen Utopische Erzählung Metatextualität Zitat/Motto Leserbrief Graz, Austria French Menschenbild Immagine dell'Umanità Idea of Man Imagen de los Hombres Image de l’humanité Imagem humana Autopoetische Reflexion Riflessione Autopoetica Autopoetical Reflection Reflexión Autopoética Réflexion autopoétique Reflexão Autopoética Denmark 10.0,56.0 Italy 12.83333,42.83333 Europe 9.14062,48.69096 United Kingdom England England -0.70312,52.16045 France 2.0,46.0 Netherlands 5.75,52.25 Germany Hamburg Hamburg 9.99302,53.55073

Amusement LX.

Est il plus difficile de conserver une grande Réputation, que de l’acquérir ?

L’Homme fût de tout tems avide d’une grande Réputation. L’amour-propre, qui est le grand mobile de toutes ses actions, le porte à l’amour de la gloire. Cet amour ne finit qu’avec sa vie. Il n’y renonce que pour des besoins plus pressans, ou par l’impuissance de l’acquérir. Incapables de nous suffire à nous-mêmes, nous suppléons à ce défaut en gagnant l’estime d’autrui. Plus les autres nous estiment, plus nous nous estimons nous-mêmes. Souvent, méprisables à nos propres yeux, nous nous ennorgüeillissons de la haute opinion qu’on a de nous, quoique nous ne l’aions pas méritée. La Réputation nous tient lieu de tout. Elle nous fraie le chemin de la fortune, ou elle nous mèt en état de nous passer de ses faveurs, en nous conciliant ce qu’il y a de plus flatteur, l’accüeil, les préférances, les respects, l’admiration.

Mais ce précieux avantage est-il plus difficile à acquérir qu’à conserver, à conserver qu’à acquérir ? C’est un problême fort intréressant, & qui feroit le sujèt d’une Dissertation très curieuse. Je me bornerai à quelques réfléxions pour l’affirmative de la I proposition.

I.

Le vrai mérite peut seul former une grande Réputation. Un objèt frappant a seul droit de fixer l’attention du Public. Les belles actions, les vertus éclatantes, les beaux ouvrages peuvent seuls attacher ses regards. Les exploits téméraires, les fausses vertus, les ouvrages brillans sans solidité peuvent bien l’ébloüir : mais le charme disparoit bientot ; & ce juge incorruptible les rend à leur roture naturelle. On ne l’intéresse qu’autant qu’on sort de cette médiocrité, partage obscur du commun des hommes, partage même des grands hommes, quand ils n’agissent point par effort. Combien est-il plus difficile de l’étonner ? Cependant ce n’est qu’en l’étonnant qu’on parvient à une brillante Réputation.

Si la Nature a deplacé l’homme de mérite, si on est né dans l’obscurité, il faut corriger les défauts de la naissance, percer le nuage dont on est couvert, faire rougir le destin de sa meprise, devenir l’artisan de sa fortune, triompher du Préjugé, raccourcir par un mérite solide les espaces qui éloignent de ceux que la Providence a favorisez. Si on est né dans l’éclat, il faut soutenir la gloire de son origine, surpasser ses Ancêtres, avec lesquels on ne manque jamais de comparer ceux qui entrent dans le monde, se faire remarquer parmi ceux, qui avec cet avantage partagent l’attention publique, enlever tous les suffrages ou du moins en dérober aune <sic> partie ; il faut se faire jour à travers une foule de rivaux ardens, presque toûjours jaloux, souvent illustres, é clypser <sic> les uns, egaler du moins les autres.

Le dégré de mérite que le Public éxige d’un jeune homme qui veut se faire une belle réputation est rélatif au dégré d’admiration qu’il a accordé à ceux qui se la sont déjà faite. Un Général qui auroit excellé il y a cent ans ne sera aujourd’hui qu’un Officier médiocre. Un Peintre admirable dans ce païs-ci ne seroit qu’un barboüilleur en Italie. Un Poëte, qui sous Frideric III. auroit été applaudi ne sera qu’un pitoïable Rimailleur aprèsent <sic> que nous avons un peu plus de goût. Qu’il est difficile de se distinguer aujourd’hui en quelque genre que ce soit ! Le point de perfection où notre siécle a presque atteint a rendu le Public d’une délicatesse extrême. Les arts & les sciences ont été cultivées par des hommes, dont le Génie a enfanté des chefs-d’œuvre. Plus de terres à défricher. Peu de nouveautés a produire. Le Militaire & le Philosophe sont peut etre les seuls, qui puissent trouver dans leur art de nouvelles ressources. Et encor est-il bien mal-aisé d’égaler un Eugène, un Marlboroug, un Turenne, un Condé. Quels efforts n’a-t-il pas fallu au Comte de Saxe pour aller de pair avec ces grands noms ? Quel est le Philosophe de nos jours qui puisse entrer en parallèle avec Des-Cartes & Newton ? Raphaël, le Corrège, Mignard &c. ont rendu la Réputation de grand Peintre fort difficile à acquérir. Le Lyrique aura t’il jamais un autre Quinault ? La Comédie & la Tragédie regretteront toujours Molière, Corneille & Racine. Il n’est point de genre dans lequel nous n’aïons apresent <sic> un Auteur, parfait autant que l’homme peut l’être. Pour se signaler, que d’heureuses circonstances à réunir ! Libèralité de la Nature, éducation qui ait cultivé ces dons, efforts, qui les mettent en œuvre, fortune qui favorise ces efforts, occasions qui mettent en tout leur jour ces faveurs de la fortune, & ce concours combien est-il rare ?

Les grands Ministres d’Etat sont aujourd’hui d’une rareté extrême. On ne voit plus de Greiffenfelds, des Richelieux, des Oxerstierns, des Ximenès, des Mazarin. M. le Baron de H - - - croit que cela vient de ce que les Princes gouvernent plus aujourd’hui par eux-mêmes qu’autrefois ; mais outre que ce fait n’est pas bien certain, nous ne voïons pas que les Princes soient aujourd’hui plus habiles Politiques. Ne pourroit on pas avec plus de vérité en chercher & en trouver la cause dans la difficulté d’égaler ces grans-hommes, qui ont mis les choses sur un tel pié, qu’ils se sont, pour ainsi dire, emparez de la portion de la gloire destinée à leurs Successeurs, auxquels ils n’ont presque rien laissé à faire ? En effet, ils ne peuvent aujourdhui que glaner après leurs Dévanciers. Il est peu d’utiles projèts, qui n’aient été ou imaginez ou éxécutez. L’équilibre de l’Europe, systême admirable de la façon du Cardinal de Richelieux, est l’ame des délibérations les plus importantes de tous les Conseils d’Etat : C’est la régle unique. Il y a du danger à s’en écarter : il n’y a point de gloire à ne s’en écarter pas. La Politique de l’Europe est un art dans lequel on ne peut plus faire des découvertes, de sorte qu’il faudroit un mérite supérieur pour égaler aujourd’hui les Ministres d’Etat que j’ai nommez ; & quelqu’un qui sçauroit aprésent <sic> se faire une aussi grande réputation que la leur mèriteroit sans contredit de plus grands éloges, parceque cette égalité de réputation prouveroit une supériorité de Génie & d’Habileté.

Quelque difficile que soit l’acquisition d’une haute réputation, il est des Paîs où elle est à certains égards plus aisée, surtout quand on veut modestement renfermer sa gloire dans les bornes de sa Patrie. Nous pouvons, par éxemple, nous rendre illustres plus facilement que ne le peut un François, un Anglois, parceque les routes de l’Héroïsme, les chemins de la perfection ne sont pas battus en Dannemark comme en France & en Angleterre. Les grands Génies trouveront ici une ample moisson à faire. Nous n’avons encore eû, ni un Vauban, ni un Turenne, ni un Adisson, ni un Boileau, ni un Poussin, ni un Congrève, ni un Locke, ni un Bourdaloue. Nous avons eu peu de grands Philosophes depuis Ticho-brahe, encore ne lui avons-nous point permis de mourir parmi nous. Il n’est donc point de pais plus propre à se distinguer que le notre. A quoi en voulez-vous venir, dira quelqu’un que cette tirade aura mis de mauvaise humeur, & qui, prenant pour amour de la Patrie son obstination dans ses préjugez, regardera comme un crime ces mortificantes vérités ? A quoi en voulez vous venir ? A prouver par des faits constans, qu’il nous est aisé d’acquérir une grande Réputation, & en même tems, que cette facilité n’ôteroit rien à notre gloire, qui seroit suffisamment traversée par les obstacles que l’ignorance, le faux goût lui opposeroient de concert avec l’Envie laquelle nous a joüé deux mauvais tours, dont la France profite. Löwendahl & Vinslou ne méritent ils pas nos regrèts ? Je ne sai, mais je sçai bien qu’ils ont mérité les suffrages des François.

III. <sic>

Après avoir envisagé les difficultés du côté de celui qui aspire à une grande Réputation, ou qui l’a acquise, envisageons les du côté du public de l’opinion duquel elle dépend.

Ce concours de suffrages, qui fait une belle Réputation, est une espèce d’hommage unanime, que les hommes rendent au mérite éminent aux dépens de leur amour propre. Cet hommage doit être obtenu de ceux mêmes, qui déjà en possession de celui du public, ou brulants du desir de le gagner, croïent perdre tout ce qu’acquiert celui qui parvient à le partager, sans songer, que la Gloire est comme un grand arbre dont le tronc suffit à la nourriture de tous les Rameaux qu’il porte ou qu’on y entre.

Leur orgueil ne doit donc l’accorder, que lorsqu’il y auroit encore plus de honte à le refuser ; que lorsque l’Evidence le rend inévitable non seulement à la raison, mais à la passion même. C’est un aveu tacite d’egalité, qu’il faut arracher à l’ambition. C’est un tribut d’admiration qu’il faut lever sur ceux qui sont déjà accoutumez à en lever un sur l’estime du Public. C’est un nouveau droit, qu’il faut se faire incontestablement à des biens auxquels on n’avoit point de part. C’est une conquéte dont on ne peut joüir paisiblement sans avoir livré bien des rudes combats. L’on est, il est vrai, favorisé par la Nouveauté ; mais aussi l’on est extrêmement découragé par mille obstacles qui se présentent. Turenne faisoit passer ses malheurs pour des fautes ; & les fautes d’autrui pour des malheurs. Que les Turennes sont rares !

Il y a pourtant de Rivaux généreux, qui éclairez sur la belle gloire, mettent le comble à celle qu’ils ont acquise en favorisant les progrès d’une Réputation, qui fait ombrage à la leur. Mais le plus grand nombre est de ces Lâches, qui dans Emule ne voient qu’un Ennemie, qui s’aiment trop eux mêmes pour ne pas haïr ceux qui les égalent.

Couverts du voile du secret, les efforts de celui qui travaille à se faire un grand nom échappent à l’œil malin qui pourroit les déconcerter. Ils ne s’annoncent que par le succès qui les couronne. Alors ce Peuple de Rivaux blessé de l’éclat d’une réputation naissante est prêt à tout entreprendre pour la ternir : Par quelle fatale destinée ce vice ignoble est il le vice des plus belles ames, des cœurs les plus nobles ? L’homme est-il toûjours méprisable par quelque endroit ?

Cependant ces Rivaux jaloux n’oseront d’abord lutter contre le torrent. Attaquer de sont <sic> l’objèt de l’admiration publique au sein de son triomphe, ce seroit se décréditer soi-même, sans lui nuire, ce seroit se montrer indigne des éloges qu’on a recûs, ce seroit se perdre d’honneur. Une haine plus éclairée, une envie plns <sic> adroite porte des coups plus ménagez & parlà plus dangereux. On applaudit au premier succès afin de pouvoir sans soupçon de partialité siffler le second. A la faveur d’un éloge forcé on glisse un trait malin, On fait avec adresse envisager une belle actïon sons <sic> le point de vuë le moins favorable. On se prévaut de sa qualité de connoisseur & d’homme du métier, pour décider désavantageusement. On mèt en parallèle un jeune peintre avec un Titien, un jeune Poëte avec un Rousseau, un jeune Orateur avec un Bourdaloüe &c. afin d’affoiblir par la comparaison l’éclat d’un mérite qui ne fait que d’éclorre, afin d’arrêter la maturité du fruit. On cherche des défauts dans un ouvrage. On dit, qu’il n’est pas parfait pour faire entendre qu’il est médiocre, qu’il n’y a rien de bien nouveau pour faire entendre que l’Auteur n’a pas un esprit original, qu’il est brillant pour faire entendre qu’il n’est pas solide. L’envieux est un Protée qui sait prendre mille formes différentes. Et malheureusement le Public est quelquefois la Dupe, & le mérite naissant la victime de ces jugemens artificieux. La Phédre de Racine, c. à d. le chef d’œuvre du Théâtre, fût sifflée pendant huit réprésentations, tandis-que la cabale faisoit triompher celle de Pradon, c. à d. la plus mauvaise piéce qui aît encore paru. Cet éxemple & mille autres semblables sont bien propres à décourager un jeune homme, auquel son mérite même peut être nuisible.

Mais si le Public n’est point persuadé par les décisions partiales des Connoisseurs jaloux, ils font joüer d’autres ressorts. Ils noircissent celui qui pourroit un jour les surpasser, qui déjà les égale. Ils se liguent contre lui. Ils s’unissent contre sa gloire. Ils le tournent en ridicule. Railleries, sâtyres, brocards, critiques, calomnies, tont <sic> est emploïé. C’est beaucoup, quand ils ne le persécutent pas. Les Coriolans sont éxilez, les l’Hopitals accusez d’Athéïsme, les Marlborougs disgraciés. Il ne tint pas à l’envie que le grand Arnaud ne s’éclypsât lui-même par une honteuse retractation : il ne tint point à Bossuet, que l’illustre Auteur du Télémaque, l’immortel Fénélon ne se fletrit lui-mème en conseillant ou en approuvant le Mariage de Loüis XIV avec la Maintenon. Il ne tint pas à Jurieu, que Bayle, qui avoit commencé à se faire connoitre par ses pensées diverses sur les Comètes, loin de soutenir sa réputation par de nouveaux ouvrages, ne mourùt de faim en Hollande. Enfin, il n’est aucun talent, qui soit à l’abri des traits envenimez de la jalousie ; & il n’est point de moïens injustes que la jalousie ne soit capable de mettre en œuvre pour détruire une Réputation qui commence à se former. Mais ce qui rend cette Réputation très difficile à acquérir, c’est que le Public est souvent trompé par les artifices que les Envieux mettent en œuvre.

Lettre de l’Espion de la Spectatrice.

J’ai été ce matin chés Lisimon : le pauvre homme maudissoit le Jeu & en mème tems conjuroit un Usurier de lui fournir les moïens d’y revoler avec plus d’ardeur, sans doute pour en revenir ce soir avec plus de chagrin. L’Usurier lui a compté mille Ducats : sur le champ, il en a envoïé à un Brelandier cinq cens, qu’il avoit perdus sur sa parole. Un moment après, son Tailleur lui a porté un vieux compte de quelques Ecus : il a refusé tout net de le paier. Une Actrice est venuë lui offrir d’un air engageant des billéts de bénéfice : il en a pris ppnr <sic> dix Ducats. Quelques minutes après, une pauvre Femme lui a demandé un Schilling ; il ne lui a donné qu’un : Dieu Vous bénisse !

Après avoir fait ma Cour à Monsieur, j’ai été dans l’Appartement de Madame. Heureusement pour ma curiosité, je n’ai trouvé aucun Laquais dans l’Antichambre. J’allois gratter à la porte, lorsque j’ai entendu quelques mots sortir d’une voix de fausset. Je me suis arrété : j’ai preté l’oreille. Voici que j’ai oüi : « Que ces Boucles ne soient pas si grossses : cela me vieillit de dix ans. Madame Monbré ! je vous prie, qu’elles badinent. Trop réguliéres, on les prendroit pour un Tour. Ce Ruban m’alloit avant-hier : en voici un qui mettra dans mes regards du tendre & du coquet. Donnés moi mon sein : ce bouquet, comment le trouvés-vous ? Le Courier ne vous a-t’il point porté quelque nouvelle mode de Hambourg ? Ce Panier, oh ! de grace attaché les plus haut : qu’il soit précisément de niveau avec mes épaules ; encore ; j’ai les coudes trop libres : encore, un peu plus haut. Ma Cocarde est elle assés grande ? je ne sai ; mais je tourne bien aisément la tète ; & il est de mode d’avoir le coû emprisonné. Oüais ! mes talons ne sont pas assés hauts on me prendra pour une Naine ; mais j’en marcherai mieux sur la pointe des piés. Ah ! je n’y pensois pas ; j’oubliois des Mouches : celle-là n’est-elle pas bien placée ? Ne me donne t’elle pas l’air mutine ? là, sans flatterie. Ce souris ne me va point mal. Ce coup d’œeil <sic> n’a-t’il pas quelque chose d’imposant ? celui-ci n’est-il pas gracieux ? Adieu, Madame Monbré. Aumoins <sic> n’oubliés pas de m’apporter demain ce Traité sur l’elégance de la Parure, que vous m’avés promis. »

Au Public.

Cher Public ! Il est tems de Vous dire quelque douceurs ; je vous ai assés grondé. Faisons la paix. Recevés mes adieux & mes remercimens. L’accüeil que vous avés fait à mes Feüilles ne m’a pas donné une idée fort avantageuse de votre gout & de votre jugement ; mais elle m’en a donné une fort de haute <sic> votre indulgence & de votre bonté. Ces qualités-là vous assurent l’estime de tous les Etrangers & vous répondent de la reconnoissance de tous les Auteurs, qui travailleront à votre instruction ou à vos plaisirs.

Je ne sai, si je continûrai mon travail ; j’ai mille Raisons pour & contre. Cependant, tout bien pesé, je crois que je laisserai là mon entreprise. Si non, car une Femme ne peut répondre de rien, je suivrai une tout autre route que celle que j’ai suivi jusqu’ici.

Je veillerai éxactèment sur ma Plume, quand ce ne seroit que pour me réconcilier avec les Courtisans, les Dévotes, les Coquettes & les Titrés. Je laisserai aux La Bruyeres, aus <sic> Adissons, aux Steeles, aux Effens la gloire d’avoir été chacun en son tems Seul Contre Tous ; & n’ambitionnerai que celle de vous plaire en me pliant à votre façon de penser.

Oui, cher Public, je me ferai une loi de vos décisions, une raison de vos préjugés, une sagesse de vos travers ; un devoir d’applaudir à tous vos goûts, de respecter vos défauts, de loüer vos égaremens ; un honneur d’encenser vos caprices, & d’adorer vos foiblesses.

Une Morale forte, nerveuse, caractérisante vous déplait : Eh bien ! en votre faveur je donnerai dans les fadeurs du Panégirique : & je composerai à votre usage un Traité de Morale flatteuse. Les Grands seront pour moi comme pour vous des demi-Dieux. Je réhabiliterai l’Exlaquaisisme, dont je commence à connoitre le mérite. Les Avares, les Joüeurs, les Sots, les Ridicules seront mes Héros ; & peut-ètre trouverai-je, à l’aide de mon Chimiste Almunabik, quelque biais pour donner au crime les couleurs de la vertu. Est-il, cher Public ! quelque chose d’impossible à qui s’intéresse vivement à vos plaisirs ?

Vous n’aimés point les Portraits, j’y trouve un remède : il n’y a qu’à n’en point faire. Il est vrai que les Portraits sont essentiels à un Ouvrage de ce genre ci ; que tous mes Prédecesseurs se sont attachés à peindre d’après nature ; qu’ils doivent à cette méthode presque tout leur merite & leurs succès ; mais bon ! je saurai me passer de ce secours, & enlever vos judicieux suffrages sans recourir à la Satire la moins indirecte.

Messieurs les Malins ! qui ne lisés mes Feüilles que pour m’imputer vos médisances, que pour faire des applications personelles des traits les plus vagues ; Vous serés bien attrapés ; vous ne trouverés pas même ici votre portrait.

Voiés, cher Public ! combien j’aime la Paix, puisque je me propose de l’acheter à ce prix-là. Voiés combien je chéris votre estime, puisque, pour avoir l’honneur de vous plaire, je me résous à endormir tous les etrangers qui me liront. Adieu. Adieu, jusqu’au Revoir.

Fin de Seconde Partie.

Amusement LX. Est il plus difficile de conserver une grande Réputation, que de l’acquérir ? L’Homme fût de tout tems avide d’une grande Réputation. L’amour-propre, qui est le grand mobile de toutes ses actions, le porte à l’amour de la gloire. Cet amour ne finit qu’avec sa vie. Il n’y renonce que pour des besoins plus pressans, ou par l’impuissance de l’acquérir. Incapables de nous suffire à nous-mêmes, nous suppléons à ce défaut en gagnant l’estime d’autrui. Plus les autres nous estiment, plus nous nous estimons nous-mêmes. Souvent, méprisables à nos propres yeux, nous nous ennorgüeillissons de la haute opinion qu’on a de nous, quoique nous ne l’aions pas méritée. La Réputation nous tient lieu de tout. Elle nous fraie le chemin de la fortune, ou elle nous mèt en état de nous passer de ses faveurs, en nous conciliant ce qu’il y a de plus flatteur, l’accüeil, les préférances, les respects, l’admiration. Mais ce précieux avantage est-il plus difficile à acquérir qu’à conserver, à conserver qu’à acquérir ? C’est un problême fort intréressant, & qui feroit le sujèt d’une Dissertation très curieuse. Je me bornerai à quelques réfléxions pour l’affirmative de la I proposition. I. Le vrai mérite peut seul former une grande Réputation. Un objèt frappant a seul droit de fixer l’attention du Public. Les belles actions, les vertus éclatantes, les beaux ouvrages peuvent seuls attacher ses regards. Les exploits téméraires, les fausses vertus, les ouvrages brillans sans solidité peuvent bien l’ébloüir : mais le charme disparoit bientot ; & ce juge incorruptible les rend à leur roture naturelle. On ne l’intéresse qu’autant qu’on sort de cette médiocrité, partage obscur du commun des hommes, partage même des grands hommes, quand ils n’agissent point par effort. Combien est-il plus difficile de l’étonner ? Cependant ce n’est qu’en l’étonnant qu’on parvient à une brillante Réputation. Si la Nature a deplacé l’homme de mérite, si on est né dans l’obscurité, il faut corriger les défauts de la naissance, percer le nuage dont on est couvert, faire rougir le destin de sa meprise, devenir l’artisan de sa fortune, triompher du Préjugé, raccourcir par un mérite solide les espaces qui éloignent de ceux que la Providence a favorisez. Si on est né dans l’éclat, il faut soutenir la gloire de son origine, surpasser ses Ancêtres, avec lesquels on ne manque jamais de comparer ceux qui entrent dans le monde, se faire remarquer parmi ceux, qui avec cet avantage partagent l’attention publique, enlever tous les suffrages ou du moins en dérober aune <sic> partie ; il faut se faire jour à travers une foule de rivaux ardens, presque toûjours jaloux, souvent illustres, é clypser <sic> les uns, egaler du moins les autres. Le dégré de mérite que le Public éxige d’un jeune homme qui veut se faire une belle réputation est rélatif au dégré d’admiration qu’il a accordé à ceux qui se la sont déjà faite. Un Général qui auroit excellé il y a cent ans ne sera aujourd’hui qu’un Officier médiocre. Un Peintre admirable dans ce païs-ci ne seroit qu’un barboüilleur en Italie. Un Poëte, qui sous Frideric III. auroit été applaudi ne sera qu’un pitoïable Rimailleur aprèsent <sic> que nous avons un peu plus de goût. Qu’il est difficile de se distinguer aujourd’hui en quelque genre que ce soit ! Le point de perfection où notre siécle a presque atteint a rendu le Public d’une délicatesse extrême. Les arts & les sciences ont été cultivées par des hommes, dont le Génie a enfanté des chefs-d’œuvre. Plus de terres à défricher. Peu de nouveautés a produire. Le Militaire & le Philosophe sont peut etre les seuls, qui puissent trouver dans leur art de nouvelles ressources. Et encor est-il bien mal-aisé d’égaler un Eugène, un Marlboroug, un Turenne, un Condé. Quels efforts n’a-t-il pas fallu au Comte de Saxe pour aller de pair avec ces grands noms ? Quel est le Philosophe de nos jours qui puisse entrer en parallèle avec Des-Cartes & Newton ? Raphaël, le Corrège, Mignard &c. ont rendu la Réputation de grand Peintre fort difficile à acquérir. Le Lyrique aura t’il jamais un autre Quinault ? La Comédie & la Tragédie regretteront toujours Molière, Corneille & Racine. Il n’est point de genre dans lequel nous n’aïons apresent <sic> un Auteur, parfait autant que l’homme peut l’être. Pour se signaler, que d’heureuses circonstances à réunir ! Libèralité de la Nature, éducation qui ait cultivé ces dons, efforts, qui les mettent en œuvre, fortune qui favorise ces efforts, occasions qui mettent en tout leur jour ces faveurs de la fortune, & ce concours combien est-il rare ? Les grands Ministres d’Etat sont aujourd’hui d’une rareté extrême. On ne voit plus de Greiffenfelds, des Richelieux, des Oxerstierns, des Ximenès, des Mazarin. M. le Baron de H - - - croit que cela vient de ce que les Princes gouvernent plus aujourd’hui par eux-mêmes qu’autrefois ; mais outre que ce fait n’est pas bien certain, nous ne voïons pas que les Princes soient aujourd’hui plus habiles Politiques. Ne pourroit on pas avec plus de vérité en chercher & en trouver la cause dans la difficulté d’égaler ces grans-hommes, qui ont mis les choses sur un tel pié, qu’ils se sont, pour ainsi dire, emparez de la portion de la gloire destinée à leurs Successeurs, auxquels ils n’ont presque rien laissé à faire ? En effet, ils ne peuvent aujourdhui que glaner après leurs Dévanciers. Il est peu d’utiles projèts, qui n’aient été ou imaginez ou éxécutez. L’équilibre de l’Europe, systême admirable de la façon du Cardinal de Richelieux, est l’ame des délibérations les plus importantes de tous les Conseils d’Etat : C’est la régle unique. Il y a du danger à s’en écarter : il n’y a point de gloire à ne s’en écarter pas. La Politique de l’Europe est un art dans lequel on ne peut plus faire des découvertes, de sorte qu’il faudroit un mérite supérieur pour égaler aujourd’hui les Ministres d’Etat que j’ai nommez ; & quelqu’un qui sçauroit aprésent <sic> se faire une aussi grande réputation que la leur mèriteroit sans contredit de plus grands éloges, parceque cette égalité de réputation prouveroit une supériorité de Génie & d’Habileté. Quelque difficile que soit l’acquisition d’une haute réputation, il est des Paîs où elle est à certains égards plus aisée, surtout quand on veut modestement renfermer sa gloire dans les bornes de sa Patrie. Nous pouvons, par éxemple, nous rendre illustres plus facilement que ne le peut un François, un Anglois, parceque les routes de l’Héroïsme, les chemins de la perfection ne sont pas battus en Dannemark comme en France & en Angleterre. Les grands Génies trouveront ici une ample moisson à faire. Nous n’avons encore eû, ni un Vauban, ni un Turenne, ni un Adisson, ni un Boileau, ni un Poussin, ni un Congrève, ni un Locke, ni un Bourdaloue. Nous avons eu peu de grands Philosophes depuis Ticho-brahe, encore ne lui avons-nous point permis de mourir parmi nous. Il n’est donc point de pais plus propre à se distinguer que le notre. A quoi en voulez-vous venir, dira quelqu’un que cette tirade aura mis de mauvaise humeur, & qui, prenant pour amour de la Patrie son obstination dans ses préjugez, regardera comme un crime ces mortificantes vérités ? A quoi en voulez vous venir ? A prouver par des faits constans, qu’il nous est aisé d’acquérir une grande Réputation, & en même tems, que cette facilité n’ôteroit rien à notre gloire, qui seroit suffisamment traversée par les obstacles que l’ignorance, le faux goût lui opposeroient de concert avec l’Envie laquelle nous a joüé deux mauvais tours, dont la France profite. Löwendahl & Vinslou ne méritent ils pas nos regrèts ? Je ne sai, mais je sçai bien qu’ils ont mérité les suffrages des François. III. <sic> Après avoir envisagé les difficultés du côté de celui qui aspire à une grande Réputation, ou qui l’a acquise, envisageons les du côté du public de l’opinion duquel elle dépend. Ce concours de suffrages, qui fait une belle Réputation, est une espèce d’hommage unanime, que les hommes rendent au mérite éminent aux dépens de leur amour propre. Cet hommage doit être obtenu de ceux mêmes, qui déjà en possession de celui du public, ou brulants du desir de le gagner, croïent perdre tout ce qu’acquiert celui qui parvient à le partager, sans songer, que la Gloire est comme un grand arbre dont le tronc suffit à la nourriture de tous les Rameaux qu’il porte ou qu’on y entre. Leur orgueil ne doit donc l’accorder, que lorsqu’il y auroit encore plus de honte à le refuser ; que lorsque l’Evidence le rend inévitable non seulement à la raison, mais à la passion même. C’est un aveu tacite d’egalité, qu’il faut arracher à l’ambition. C’est un tribut d’admiration qu’il faut lever sur ceux qui sont déjà accoutumez à en lever un sur l’estime du Public. C’est un nouveau droit, qu’il faut se faire incontestablement à des biens auxquels on n’avoit point de part. C’est une conquéte dont on ne peut joüir paisiblement sans avoir livré bien des rudes combats. L’on est, il est vrai, favorisé par la Nouveauté ; mais aussi l’on est extrêmement découragé par mille obstacles qui se présentent. Turenne faisoit passer ses malheurs pour des fautes ; & les fautes d’autrui pour des malheurs. Que les Turennes sont rares ! Il y a pourtant de Rivaux généreux, qui éclairez sur la belle gloire, mettent le comble à celle qu’ils ont acquise en favorisant les progrès d’une Réputation, qui fait ombrage à la leur. Mais le plus grand nombre est de ces Lâches, qui dans Emule ne voient qu’un Ennemie, qui s’aiment trop eux mêmes pour ne pas haïr ceux qui les égalent. Couverts du voile du secret, les efforts de celui qui travaille à se faire un grand nom échappent à l’œil malin qui pourroit les déconcerter. Ils ne s’annoncent que par le succès qui les couronne. Alors ce Peuple de Rivaux blessé de l’éclat d’une réputation naissante est prêt à tout entreprendre pour la ternir : Par quelle fatale destinée ce vice ignoble est il le vice des plus belles ames, des cœurs les plus nobles ? L’homme est-il toûjours méprisable par quelque endroit ? Cependant ces Rivaux jaloux n’oseront d’abord lutter contre le torrent. Attaquer de sont <sic> l’objèt de l’admiration publique au sein de son triomphe, ce seroit se décréditer soi-même, sans lui nuire, ce seroit se montrer indigne des éloges qu’on a recûs, ce seroit se perdre d’honneur. Une haine plus éclairée, une envie plns <sic> adroite porte des coups plus ménagez & parlà plus dangereux. On applaudit au premier succès afin de pouvoir sans soupçon de partialité siffler le second. A la faveur d’un éloge forcé on glisse un trait malin, On fait avec adresse envisager une belle actïon sons <sic> le point de vuë le moins favorable. On se prévaut de sa qualité de connoisseur & d’homme du métier, pour décider désavantageusement. On mèt en parallèle un jeune peintre avec un Titien, un jeune Poëte avec un Rousseau, un jeune Orateur avec un Bourdaloüe &c. afin d’affoiblir par la comparaison l’éclat d’un mérite qui ne fait que d’éclorre, afin d’arrêter la maturité du fruit. On cherche des défauts dans un ouvrage. On dit, qu’il n’est pas parfait pour faire entendre qu’il est médiocre, qu’il n’y a rien de bien nouveau pour faire entendre que l’Auteur n’a pas un esprit original, qu’il est brillant pour faire entendre qu’il n’est pas solide. L’envieux est un Protée qui sait prendre mille formes différentes. Et malheureusement le Public est quelquefois la Dupe, & le mérite naissant la victime de ces jugemens artificieux. La Phédre de Racine, c. à d. le chef d’œuvre du Théâtre, fût sifflée pendant huit réprésentations, tandis-que la cabale faisoit triompher celle de Pradon, c. à d. la plus mauvaise piéce qui aît encore paru. Cet éxemple & mille autres semblables sont bien propres à décourager un jeune homme, auquel son mérite même peut être nuisible. Mais si le Public n’est point persuadé par les décisions partiales des Connoisseurs jaloux, ils font joüer d’autres ressorts. Ils noircissent celui qui pourroit un jour les surpasser, qui déjà les égale. Ils se liguent contre lui. Ils s’unissent contre sa gloire. Ils le tournent en ridicule. Railleries, sâtyres, brocards, critiques, calomnies, tont <sic> est emploïé. C’est beaucoup, quand ils ne le persécutent pas. Les Coriolans sont éxilez, les l’Hopitals accusez d’Athéïsme, les Marlborougs disgraciés. Il ne tint pas à l’envie que le grand Arnaud ne s’éclypsât lui-même par une honteuse retractation : il ne tint point à Bossuet, que l’illustre Auteur du Télémaque, l’immortel Fénélon ne se fletrit lui-mème en conseillant ou en approuvant le Mariage de Loüis XIV avec la Maintenon. Il ne tint pas à Jurieu, que Bayle, qui avoit commencé à se faire connoitre par ses pensées diverses sur les Comètes, loin de soutenir sa réputation par de nouveaux ouvrages, ne mourùt de faim en Hollande. Enfin, il n’est aucun talent, qui soit à l’abri des traits envenimez de la jalousie ; & il n’est point de moïens injustes que la jalousie ne soit capable de mettre en œuvre pour détruire une Réputation qui commence à se former. Mais ce qui rend cette Réputation très difficile à acquérir, c’est que le Public est souvent trompé par les artifices que les Envieux mettent en œuvre. Lettre de l’Espion de la Spectatrice. J’ai été ce matin chés Lisimon : le pauvre homme maudissoit le Jeu & en mème tems conjuroit un Usurier de lui fournir les moïens d’y revoler avec plus d’ardeur, sans doute pour en revenir ce soir avec plus de chagrin. L’Usurier lui a compté mille Ducats : sur le champ, il en a envoïé à un Brelandier cinq cens, qu’il avoit perdus sur sa parole. Un moment après, son Tailleur lui a porté un vieux compte de quelques Ecus : il a refusé tout net de le paier. Une Actrice est venuë lui offrir d’un air engageant des billéts de bénéfice : il en a pris ppnr <sic> dix Ducats. Quelques minutes après, une pauvre Femme lui a demandé un Schilling ; il ne lui a donné qu’un : Dieu Vous bénisse ! Après avoir fait ma Cour à Monsieur, j’ai été dans l’Appartement de Madame. Heureusement pour ma curiosité, je n’ai trouvé aucun Laquais dans l’Antichambre. J’allois gratter à la porte, lorsque j’ai entendu quelques mots sortir d’une voix de fausset. Je me suis arrété : j’ai preté l’oreille. Voici que j’ai oüi : « Que ces Boucles ne soient pas si grossses : cela me vieillit de dix ans. Madame Monbré ! je vous prie, qu’elles badinent. Trop réguliéres, on les prendroit pour un Tour. Ce Ruban m’alloit avant-hier : en voici un qui mettra dans mes regards du tendre & du coquet. Donnés moi mon sein : ce bouquet, comment le trouvés-vous ? Le Courier ne vous a-t’il point porté quelque nouvelle mode de Hambourg ? Ce Panier, oh ! de grace attaché les plus haut : qu’il soit précisément de niveau avec mes épaules ; encore ; j’ai les coudes trop libres : encore, un peu plus haut. Ma Cocarde est elle assés grande ? je ne sai ; mais je tourne bien aisément la tète ; & il est de mode d’avoir le coû emprisonné. Oüais ! mes talons ne sont pas assés hauts on me prendra pour une Naine ; mais j’en marcherai mieux sur la pointe des piés. Ah ! je n’y pensois pas ; j’oubliois des Mouches : celle-là n’est-elle pas bien placée ? Ne me donne t’elle pas l’air mutine ? là, sans flatterie. Ce souris ne me va point mal. Ce coup d’œeil <sic> n’a-t’il pas quelque chose d’imposant ? celui-ci n’est-il pas gracieux ? Adieu, Madame Monbré. Aumoins <sic> n’oubliés pas de m’apporter demain ce Traité sur l’elégance de la Parure, que vous m’avés promis. » Au Public. Cher Public ! Il est tems de Vous dire quelque douceurs ; je vous ai assés grondé. Faisons la paix. Recevés mes adieux & mes remercimens. L’accüeil que vous avés fait à mes Feüilles ne m’a pas donné une idée fort avantageuse de votre gout & de votre jugement ; mais elle m’en a donné une fort de haute <sic> votre indulgence & de votre bonté. Ces qualités-là vous assurent l’estime de tous les Etrangers & vous répondent de la reconnoissance de tous les Auteurs, qui travailleront à votre instruction ou à vos plaisirs. Je ne sai, si je continûrai mon travail ; j’ai mille Raisons pour & contre. Cependant, tout bien pesé, je crois que je laisserai là mon entreprise. Si non, car une Femme ne peut répondre de rien, je suivrai une tout autre route que celle que j’ai suivi jusqu’ici. Je veillerai éxactèment sur ma Plume, quand ce ne seroit que pour me réconcilier avec les Courtisans, les Dévotes, les Coquettes & les Titrés. Je laisserai aux La Bruyeres, aus <sic> Adissons, aux Steeles, aux Effens la gloire d’avoir été chacun en son tems Seul Contre Tous ; & n’ambitionnerai que celle de vous plaire en me pliant à votre façon de penser. Oui, cher Public, je me ferai une loi de vos décisions, une raison de vos préjugés, une sagesse de vos travers ; un devoir d’applaudir à tous vos goûts, de respecter vos défauts, de loüer vos égaremens ; un honneur d’encenser vos caprices, & d’adorer vos foiblesses. Une Morale forte, nerveuse, caractérisante vous déplait : Eh bien ! en votre faveur je donnerai dans les fadeurs du Panégirique : & je composerai à votre usage un Traité de Morale flatteuse. Les Grands seront pour moi comme pour vous des demi-Dieux. Je réhabiliterai l’Exlaquaisisme, dont je commence à connoitre le mérite. Les Avares, les Joüeurs, les Sots, les Ridicules seront mes Héros ; & peut-ètre trouverai-je, à l’aide de mon Chimiste Almunabik, quelque biais pour donner au crime les couleurs de la vertu. Est-il, cher Public ! quelque chose d’impossible à qui s’intéresse vivement à vos plaisirs ? Vous n’aimés point les Portraits, j’y trouve un remède : il n’y a qu’à n’en point faire. Il est vrai que les Portraits sont essentiels à un Ouvrage de ce genre ci ; que tous mes Prédecesseurs se sont attachés à peindre d’après nature ; qu’ils doivent à cette méthode presque tout leur merite & leurs succès ; mais bon ! je saurai me passer de ce secours, & enlever vos judicieux suffrages sans recourir à la Satire la moins indirecte. Messieurs les Malins ! qui ne lisés mes Feüilles que pour m’imputer vos médisances, que pour faire des applications personelles des traits les plus vagues ; Vous serés bien attrapés ; vous ne trouverés pas même ici votre portrait. Voiés, cher Public ! combien j’aime la Paix, puisque je me propose de l’acheter à ce prix-là. Voiés combien je chéris votre estime, puisque, pour avoir l’honneur de vous plaire, je me résous à endormir tous les etrangers qui me liront. Adieu. Adieu, jusqu’au Revoir. Fin de Seconde Partie.