Zitiervorschlag: Laurent Angliviel de la Beaumelle (Hrsg.): "Amusement LVIII.", in: La Spectatrice danoise, Vol.1\058 (1749), S. 485-488, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4239 [aufgerufen am: ].


Ebene 1►

Amusement LVIII.

Zitat/Motto► Nos jours sont un tissu de momens malheureux ;
On n’en peut excepter que ceux,
Où nous ignorons qui nous sommes ;
Le <sic> crainte & la douleur naissent avec les hommes,
Et ne finissent qu’avec eux. ◀Zitat/Motto

Ebene 2► Esclave de ses caprices, tirannisé par ses passions, dévoré par mille impatiens desirs, joüet d’une fortune aveugle, ennuieux à soi-mème, incommode à ses semblables, l’Homme est-il né pour ètre malheureux ? Cette soif de félicité qu’aucun bien ne sauroit étancher est-elle source de ses misères ? Est-il infortuné précisément parcequ’il souhaite vivement d’ètre heureux ? Ce penchant que la Nature lui a donné, ces desirs toujours renaissants & toujours nécessaires, ce cœur ambitieux sans cesse porté vers de nouveaux objèts, cette imagination toujours féconde en plaisirs nouveaux, en esperances nouvelles, cet amour invincibles pour le repos qu’il cherche partout, & qu’il cherche toujours envain ; ce parfait contentement d’esprit, qui est le centre où tous ses vœux aboutissent, & l’écueil où se brisent tous ses efforts, tout cela n’est-il que chimérique ? Le Ciel lui auroit-il fait ces funestes présens pour aggraver ses peines ?

Non : l’Etre Suprème a voulu jetter par là dans son cœur les semences de la véritable félicité, en lui faisant éprouver, qu’il n’est point de bonheur ici bas ; élever son Ame à des objets plus digne d’elle que ne le sont tous les biens de cette vie ; la former à la vertu par la vue d’un sort plus fortuné & la détacher du monde par l’espoir d’une véritable félicité.

Sans cet espoir consolant, quel est l’homme sensé qui consentiroit à vivre c. à d. à trainer ses tristes jours dans les chagrins & les ennuis, à ètre asservi aux événemens, à adorer les hauteurs d’un homme en place, à ètre martirisé par ces propres passions & souvent immolé à celles d’autrui, à ne pouvoir pratiquer la vertu sans persecution ni se livrer au vice & au crime sans re-[486]mords, à ètre le temoin & souvent la victime des travers de l’esprit & des égaremens du cœur humain, à souffrir les dedains, les affronts, si l’on est dans la poussiére ; à ne voir que de vils esclaves sous ses ordres, si l’on est élevé, à bénir la main d’un Supérieur redoutable, à ne trouver que soucis dans le sein mème de la mediocrité & de la retraite, qu’on regarde comme les aziles du bonheur ? Un promt anénatissement ne seroit-il pas préférable à une vie si infortunée ? Sans l’attente d’une meilleur destinée sans la persuasion de l’Immortalité de l’Ame & des récompenses à venir, qui pourroit en supporter les cruels & inévitables dèsagrémens ?

Metatextualität► Le Roi de Prusse en a fait une description en beaux vers, je doute qu’elle ait été imprimée. Qu’il me soit permis d’en embellir mon ouvrage. Les vers des Rois sont toujours admirés : ceux du Roi de Prusse sont toujours admirables. ◀Metatextualität

Epitre

Du Roi de Prusse a M. de Voltaire.

Ebene 3► Enfin, quittant de Mars les sanguinaires champs,

Je revole vers mon azile ;
Où pesant au poids d’or les précieux momens,
Que la Parque avare me file,
J’occuperai d’un soin utile
La course passagere & rapide du tems.

J’ai vû le néant de ce monde,

La soif de l’intérèt, la rage des grandeurs,
Et l’ambition qui se fonde
Sur un frivole amas d’erreurs,
J’ai vu le ridicule & mème les noirceurs,
Dont l’Ame des Humains, hélas ! est trop féconde :
[487] J’ai vû la louche illusion,
Et la paresseuse habitude,
Et l’orgueilleuse opinion
Et la perfide ingratitude.
J’ai vû Sçavans & Beaux-Esprits,
Cherchans le Vrai dans leurs écrits ;
Mais qu’arrètoient toujours dans leur frïvole étude
Les Colomnes d’Hercule, où la fiére Raison
Baisse humblement le pavillon.

J’ai vu dessus son Char triompher la Victoire ;

Mon cœur idolâtra dans ses premiers transports
Le Fantôme éclantant de la superbe gloire ;
Et la Gloire à mes yeux étala ses thrésors.

J’ai vû la cohuë importune

D’un Peuple yvre de nouveautés,
Assaillir de tous les côtés
Ce Temple de Protée où régnent la Fortune,
La mode, les faveurs & les diversités,
Que le souffle leger du volage Zéphire
Sçait édifier & détruire.

J’ai considéré le torrent,

Du destin des Mortels & de l’Evénement,
Dont le cours orageux traine avec soi notre Etre
Des portes de la Vie aux portes du Néant ;
Et nous donne assés à connaitre
Que le Monde est un Charlatan
Qui n’est point ce qu’il veut paraitre.

J’ai vu par la faulx <sic> du trépas

Mes plus tendres Amis moissonnés dans mes bras :
O ciel ! faut-il que ta lumière
Eclaire encore ma paupière,
Lorsque mon cœur me quitte & vole sur leurs pas ?
[488] Ce cœur leur sert de Mausolée,
Et dans mon Ame désolée
Leurs noms sont immortels ainsi que mes regrèts ;
Je renonce aux parfums de Flore,
Aux Roses qu’elle fait éclore,
Pour leurs Mirtes & leurs Ciprès.

Mais quoi ? dans ce moment de douleur & de peine,

Où paroit à mes yeux dans toute sa clarté
La redoutable Vérité ;
Quel pouvoir inconnu malgré moi me ramène
Au Dédale du Monde & de la vanité ?
Que de nouveaux liens ! Quoi ? l’Ame est Souveraine,
Cette Ame, que la moindre chaine
Insensiblement entraine
A l’Autel de la Volupté ?
Hélas ! Notre Raison facilement s’allie
Aux écarts insensés de notre frénésie,
Et l’Univers est en effet
Le Théatre de la Folie
D’Acteurs, tous dignes du sifflèt.
Ainsi, la Carpe à peine échappe
Des piéges de l’adroit Pècheur,
Que, retombant en son erreur,
Le mème hameçon la rattrape.

Ce changement perpétuel,

Voltaire, où notre esprit se plie,
Sa facile inconstance & sa superficie,
Ce passage surnaturel
De la sombre mélancolie
Au plaisir le plus vif & le plus sensuel,
Du songe imposteur de la vie
Est l’unique bonheur réel. ◀Ebene 3 ◀Ebene 2 ◀Ebene 1