Citazione bibliografica: Laurent Angliviel de la Beaumelle (Ed.): "Amusement LVI.", in: La Spectatrice danoise, Vol.1\056 (1749), pp. 465-481, edito in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Ed.): Gli "Spectators" nel contesto internazionale. Edizione digitale, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4237 [consultato il: ].


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Amusement LVI.

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Reflexions sur l’incredulité.

I.

Il n’y eut jamais de guerre plus intéressante, que celle que les Deistes ont déclaré depuis un siécle aux Chrétiens. Il ne s’agit pas de quelques arpens de Terre, de quelques prétensions ambitieuses, de quelque intéret temporel. Il s’agit du bonheur de l’homme, de son souverain bien, de l’immortalité de son Ame, de la Providence de l’Etre qui l’a créé. Il s’agit de savoir, si la Religion n’est qu’une Fable, si Jesus-Christ est un Imposteur ou un Envoîé de Dieu, si les motifs de crédibilité, qui engagérent les Paїans à renoncer à leurs idoles sont bien fondés, ou si, par un aveuglement inconcevable, les Peuples les plus éclairés se sont jettés sans conviction dans une nouvelle Secte, publiée par des hommes de la lie du Peuple, & destituée de preuves. Il s’agit d’éxaminer, si les Disciples de Christ sont des imposteurs ou des fanatiques ; si les Livres qui portent leur nom sont leur ouvrage ; si les faits qui y sont articulés sont vrais, en un mot, s’ils sont ou s’ils ne sont pas de faux témoins. Il s’agit de savoir, si les Chrétiens sont dans l’erreur ou dans la vérité, & s’ils doivent renoncer à la Religion Révelée pour s’en tenir uniquement à la Naturelle. Je le répète, jamais guerre ne fut plus intéressante : & il faut avoüer, que la Religion ne fut jamais attaquée avec plus de violence ni defenduё avec plus de force.

Les deux partis ont eu de grands succès : le Deisme, qui n’a livré de combats, que pour secoüer le joug de la vertu, a subjugué un Peuple d’esprits forts déjà à demi vaincu par le vice. Le Christianisme a remporté un nombre infini de victoires, & auroit étouffé ce Monstre dès sa naissance, si les égaremens du cœur humain ne lui eussent preté de nouvelles forces & fourni de nouvelles ressources. Il n’a point, à la vérité, gagné de nouveaux Sujèts ; mais il s’est attaché ceux qu’il avoit déjà, & les a convaincu, que sous ses étendars, ils étoient toujours sûrs de triompher.

[466] J’ose dire (s’il m’est permis de suivre cette figure) que les Généraux des deux Armées ont été égaux en habileté & en génie. Hobbes, Bayle, Collins, Tindal, Mylord Shaftsbury, Wolston peuvent entrer en paralléle avec Grotius, Abbadie, Paschal, Ditton, Turettin, Huet.

Mais l’union n’a point régné parmi les Chefs. Les premiers étoient manifestement divisés. L’un appelloit à son secours des Troupes battuёs depuis mille ans : mais il les armoit de maniére à les rendre formidables. Il alloit rarement à la rencontre de l’Ennemi, mais le trouvoit-il sur ses pas ? Il ne l’épargnoit point. Il savoit l’art de masquer ses batteries, de cacher sa marche, de faire une bonne retraite : il attaquoit souvent le Camp qu’il paroissoit défendre, & se méfiant sans doute de ces avantages & de a <sic> justice de sa cause, il épuisoit les efforts de son esprit pour rendre la victoire incertaine, & couvrir du Pirrhonisme ses défaites. L’autre vouloit renverser également la Religion & la Société. Celui-ci se contentoit d’en venir à quelques escarmouches ; celui la ne respectoit rien, ne combattoit qu’avec des Armes inégales, & s’applaudissoit souvent d’avoir vaincu, avant que d’avoir vû l’Ennemi.

Les seconds n’étoient guéres plus d’accord entr’eux. Huet commença par la Démonstration, & finît par le Pyrrhonisme. Le Clerc se jetta dans l’Origenisme à corps perdu, pour repousser Bayle : semblable à ces Gouverneurs de Place, qui abandonnent le chemin couvert, pour conserver la principale forteresse. Pascal, en admettant le dogme contradictoire de la Transsubstantiation, & en soutenant qu’il est renfermé dans l’Ecriture, de truisoit <sic> évidemment d’une main ce qu’il bâtissoit de l’autre : car, comme dit le Pére le Courrayer, Livello 3► si Vous admettés une fois, que les Livres Sacrés enseignent des choses contraires aux lumiéres de la Raison, dès-là vous en renversés la Divinité : Car c’est faire dire à Dieu oüi & non. ◀Livello 3

[467] Quoique presque tous les défenseurs du Christianisme aîent fait quelque faute, cela n’empèche pas, que leurs ouvrages ne soient excellens. En général, la vérité y est mise dans un jour capable de fraper les yeux le moins ouverts à la lumiere. Les Déїstes n’ont jamais osé entreprendre de les réfuter pié-à pié, malgré le défi public qu’on leur en a fait tant de fois.

II.

La licence des Presses de Hollande & d’Angleterre a enfanté plusieurs ouvrages contre le Christianisme. Ces Livres sont lus avec avidité. Il en court dans cette Ville un, qui s’est vendu si cher, que quelques personnes ont mieux aimé le copier de leur propre main, qu’en donner un vintaine d’Ecus. Sur le prix, je jugeai qu’il devoit ètre & fort long & fort curieux. Quelle fut la surprise, quand je vîs que ce n’étoit qu’une brochure de 130 Pages, farcie de pitoiables sophismes, de conjectures hazardés, de traits d’esprit superficiels, de lieux communs ? Le titre me promettoit toute autre chose, m’annonçait un Examen de la Religion, dont on cherchoit l’éclaircissement de bonnefoi. Je trouvai cet ouvrage & si mal écrit & si mal pensé, que je ne m’étonnai plus, qu’aucun Théologien n’eut daigne y répondre.

Cependant, je crois, qu’il seroit bon de le réfuter ; parcequ’il est assés propre à faire des Prosélites à l’incrédulité. Quoique plein de défauts grossiers, il y a de l’enjoument, des saillies, des railleries & beaucoup de ces impiétés marquées, qui sont les délices de nos Esprits-forts. Quelquefois l’Auteur fait mine de raisonner ; & quoiqu’il raisonne sans principes, cependant, il peut séduire, parceque cette Logique est fort du goût de certaines gens, qui se soucient moins du vrai que de l’apparence du vrai, & dont l’esprit est toujours plus affecté d’un raisonnement Sophistique que d’une preuve solide.

Cette brochure est attribuée à M. de St. Evremond : mais le Lecteur ne s’y sera point mépris : on n’y trouve ni l’esprit ni [468] le stile de ce fameux Deїste : mais on y reconnoit les Phrazes Provençales, les Plagiats, la superficielle érudition d’un homme de qualité, qui a lontems ennuié le Public, en copiant Montaigne, Bayle &c. & en se copiant lui-méme, & dont les mœurs jurent avec le ton de Philosophe, qu’il veut contrefaire de tems en tems.

Son Livre a tous les caractéres d’un vrai Libelle diffamatoire. Nulle expression ménagee : Mille traits, qui ne tendent qu’à rendre la religion odieuse, & à faire regarder ses partisans comme des fourbes sans honneur : Blasphemes horribles, débités avec un sang-froid étonnant. Enfin, s’il avoit paru en Turquie, certainement il auroit été brulé par la main du Bourreau, & l’auteur auroit couru risque d’ètre empâlé. C’est quelque chose de bien deplorable de voir parmi les Turcs mèmes plus de respect pour J. C. que parmi quelques Chrétiens. Les Mahometans ne souffriroient pas de pareils outrages.

III.

On ne sçauroit croire, combien l’esprit de singularité influё sur les jugemens & sur les actions des hommes. La plupart des Incrédules ne le sont que par vanité. Ils veulent se distinguer, se tirer de la foule, passer pour des génies supérieurs. Cela est si vrai, qu’ils se font gloire de leurs sentimens, qu’ils les publient & les répandent. S’ils n’étoient travaillés de la maladie de se faire un nom parmi un certain ordre de personnes, s’obstineroient-à <sic> ils à faire des Proselytes ? car enfin, ils sont eux mèmes persuadés, que l’Incrédulité ne mène à rien ; que la Religion, mème en la supposant une chimère, est une chimère consolante, une heureuse illusion ; qu’en la regardant comme ouvrage de quelques Législateurs, elle est le chef-d’œuvre de la Politique ; qu’elle est plus propre qu’aucune institution humaine à encourager les hommes à la vertu, à régler leurs passions, à les éloigner du vice, à rendre la Société florissante, & à établir [469] l’union & la fraternité parmi les membres de ce corps ; que sa Morale est pure, conforme à la Raison, digne de Dieu & de l’Homme.

IV.

Les Déїstes doivent-ils ètre tolérés ? La plupart des Théologiens, enflammés & rongés du zéle de la Maison de Dieu, voudroient établir pour eux une Inquisition. Ce seroit pourtant dommage de bruler tant de personnes, qui, Incrédules dans leur Jeunesse, deviendront bons Chrétiens dans un âge plus mur !

Mais, dit-on, ce sont des Opiniâtres, dignes du dernier supplice. Ce sont - - - Alte-là : comment savés-vous qu’ils ne sont pas de bonne-foi dans leur Incrédulité ? Qui vous a dit qu’ils sont assés fous, pour hazader, uniquement par opiniâtreté, leur salut éternel ? Ne disent-ils pas à leur tour, que Vous ne croiés à l’Evangile que par préjugé ? ne soutiennent-ils pas, que Vous ètes attaché à la Religion par entètement ? Les preuves, qui établissent la véracité des Auteurs Sacrés, Vous paraissent invincibles : Peut-ètre qu’elles leur paroissent foibles ; peut-ètre devés-vous attribuer à la foiblesse de leur Raison ce que Vous attribués à leur opiniâtreté. Dans cette incertitude, pourquoi n’en pas laisser le jugement au Scrutateur des cœurs auquel il appartient ?

Les Deїstes, ajoutent les Intolérans, sont tous vicieux. En les brûlant, le Prince ne fera qu’un Acte de justice. – Il est vrai, que les Deїstes, à parler en général, n’ont renoncé à la religion, qu’après avoir renoncé à la vertu ; mais, dans ce grand nombre, n’en trouve-t’on pas quelques-uns qui vivent moralement bien ; qui ont, à la vérité, des défauts, mais non pas de vices ? N’en voit-on pas, qui le sont par speculation, & par une suite de mauvais raisonnemens ? Leur aveuglement est déplorable ; mais on ne fut jamais digne de punition, pour ètre devenu aveugle. Est-ce entant que Deїstes, est-ce entant que Vicieux, que vous voulés qu’on les chatie ? Dans le premier cas, vous les punirés parcequ’ils ne sont pas en conformité de creance [470] avec vous, parce qu’ils sont abusés par leur prevention, parcequ’ils sont mauvais Logiciens. Mais cette sentence est injuste, à moins que vous ne demontriés, qu’un sophisme, en fait de Religion, est criminel, & qu’un sophisme, en matiére de Philosophie, ne l’est pas. Dans le second cas, Vous envoiés au feu presque tous les Chrétiens ; car sur mille, il y en a bien 999 qui vivent en Athées ; qui agissent aussi mal qu’ils croient bien ; dont la conduite est aussi deréglée que la foi est éclairée. Les Deїstes violent-ils les lois de l’Etat ? qu’on les punisse ; mais qu’on les punisse comme mauvais Citoїens & non comme Deїstes.

Quoi ? dira-t’on, un Prince souffrira dans ses Etats des Sujèts ennemis de J. C. ? Le Glaive ne lui a-t’il pas été confié pour la défense de la Foi ? Ne doit-il pas avancer le Régne de Dieu ? A cela je répons, qu’un Prince, mème un Prince Despotique, n’a aucun droit sur la conscience de ses Sujets, laquelle ne relève & ne peut relever que de Dieu seul. Ce n’est pas pour defendre la vérité, qu’il est Roi ; c’est pour faire fleurir la vertu. L’Epée ne lui a pas été donnée pour s’en servir contre les ennemis de Dieu ; mais bien contre les ennemis de l’Etat : il doit avancer le régne de J. C. Mais s’ensuit-il, qu’il doive persécuter les Incrédules ? Tout Chrétien est obligé à la premiere de ces choses : s’ensuit-il qu’il ait droit de faire la seconde ? Le bonheur public est le but de tout Gouvernement ; le Prince ne doit se servir de la Religion, qu’autant que la Religion bien pratiquée fait des citoiens vertueux, & que la vertu produit le bonheur public. Le zèle pour le Christianisme ne doit entrer dans ses actions qu’autant que les lois dictées par ce zèle peuvent rendre son Roîaume florissant. Ce n’est point limiter sa puissance, que de dire, qu’il n’a droit de punir d’autres Errans, que les Théologiens Persécuteurs. Encore ne doit-il pas sévir contre ceux ci parceque l’abominable Dogme de l’intolérance est contraire à l’Evangile & à la [471] Raison ; mais seulement, parcequ’il est contraire au repos & au bonheur de la Société. Cette distinction est essentielle.

Les Deїstes seront des Prosélites, si on ne les persécute pas - - - Qu’on leur défende de Dogmatiser. C’est de ce côté-là qu’ils sont nuisibles à la Société civile. Ceux, qui s’erigent en Convertisseurs, ceux qui écrivent en faveur de l’Incrédulité sont dignes du dernier supplice. Leurs discours & leurs livres feront à coup sûr de mauvais Citoiens. Ainsi les Esprits forts, plus dignes de pitié que de haine quand ils renferment en eux mèmes leurs erreurs, sont plus dignes de haine que de pitié quand ils les publient. «  Détruisés la Religion, dit un Paїen, Vous detruires en mème tems la bonne foi, le plus fort lien de la Societé. » Un Athée, qui ne grossit point le parti de l’Atheîsme, est à planidre ; mais un Athée, qui veut enlever aux hommes la consolante persuasion de l’existance & de la Providence d’un Dieu Rémunerateur, ne mérite pas plus de quartier qu’un Empoisonneur ou qu’un Incendiaire.

V.

Les Prètres sont les adversaires les plus redoutables qu’aît le Deїsme. Ils déclament sans cesse contre l’Incrédulité. Vous en voiés, qui portent si souvent cette matiere en chaire, que vous diriés, que leur Paroisse est toute Deїste. Sans éxaminer, s’ils n’édifiroient pas plus leur Troupeau, en leur expliquant quelque point de Morale, je dirai, qu’ils feroient mieux de couper le mal dans sa racine, en instruisant bien la Jeunesse confiée à leurs soins. Car, pour ne le point farder, les progrès, qu’a fait l’irréligion depuis un Siecle, proviennent de la mauvaise méthode des Catechistes. Les causes occultes ont été bannies de la Philosophie : Mais la foï aveugle n’a pas été bannie de la Religion, mème parmi quelques Protestans. Tous les vieux Cathéchismes en sont une preuve. A chaque Page, petitions de principe ; Nul raisonnement solide : Pas le moindre mot des élémens de la [472] Religion Naturelle ; Passages de la Bible entassés sans jugement & sans explication. Les enfans sont traités comme de vrais Perroquets. Qu’on leur demande la preuve de l’éxistence d’un Dieu ; ils vous alléguent un versèt de l’Ecriture Sainte. Qu’on leur demande les preuves de la Divinité de l’Ecriture ; ils vous alléguent un Passage de St. Paul, qui dit que l’Ecriture est divinement inspirée. Qu’on leur demande, comment-ils savent, que St. Paul dit vrai ; ils vous répondent, que leur Catéchisme le leur assure, & que leur Pédagogue leur a dit que ce Livret ne contenoit rien que de véritable. C’est ainsi que, dans les Communions les plus pures, on fait sucer aux enfans le poison de la foi implicite. On les accoutume à croire sans preuves, & à étre animés de zèle pour la Religion de leurs Péres, qu’ils ne connoissent pas, sans considérer, qu’il vaut peut ètre mieux ètre dans l’erreur par principe, que dans la vérité par préjugé : & que celui-là est meilleur Chrétien qui erre après avoir fait tous ses efforts pour connoitre le vrai, que celui que le hazard a conduit dans le bon chemin.

Cette methode est extrèmement favorable au Déisme. Il est naturel, qu’un enfant auquel on aura prouvé la Divinité de l’Ecriture & de la Résurrection par l’Ecriture mème, s’imagine, en avançant en âge, qu’on s’est moqué de lui. Il ne l’est peut ètre pas moins, qu’il croïe, que le Christianisme n’a pas des preuves plus solides, puisque s’il en avoit, son Cathéchiste, qu’il a vu si zélé pour la Religion, lui en auroit fait part. Dès-là, connoissant la foiblesse de tous les raisonnemens dont on lui a chargé la mémoire, il prendra le parti de ne rien croire. Dans l’ordre, il devroit procéder à un nouvel éxamen. Mais cette conduite suppose un grand jugement. & qui ne sait, que ce n’est point là la qualité de la Jeunesse ? C’est bien à vingt & huit ans, qu’on apprend son Catéchisme !

On me dira peut-ètre, qu’un Enfant n’est pas capable d’entrer dans un raisonnement, de comprendre un discours suivi, [473] de plier son esprit à l’attention que demande l’enchainement des preuves & la liaison des conséquences avec leurs principes. Leur Ame se ressent, à la vérité, de la foiblesse de leur corps : mais, s’ensuit-il, qu’elle est incapable de raisonner ? Nullement ; Puisqu’elle est capable de penser. Vous ètes surpris qu’un enfant n’ait pas du jugement, & vous ne cultivés que sa mémoire ? Aulieu de l’habituer à réfléchir, à tirer des idées de son propre fonds, vous l’habitués à jetter ses idées dans le moule de celles d’autrui, à se faire, s’il m’est pas permis d’user le terme, une raison machinale, à ne juger que par ses sens. Vous laissés son esprit en friche, sans considérer qu’après la science des mœurs, il n’en est point de plus avantageuse pour l’Homme, de plus digne de lui, d’un usage plus général, de plus utile à la Société, de plus nécessaire à la conduite de la vie que la sçience du raisonnement. Dites à un Enfant, qu’il ne doit embrasser la vérité qu’autant qu’elle lui paroitra vérité ; qu’il ne doit admettre une opinion, qu’autant qu’elle lui est prouvée, que la Religion tire toute sa force des lumières de la Raison, qui en démontrent la Divinité. Il verra, tout Enfant qu’il est, que vous lui parlés bon sens. Ensuite, déduisés lui méthodiquement les preuves, sur lesquelles est apuiée l’éxistence de Dieu, sur lesquelles est bati l’édifice de Religion. Bornés vous à lui enseigner les dogmes capitaux qui sont à sa portée. Ne passés à une nouvelle leçon qu’après qu’il saura parfaitement la premiére. Conduisés-le de l’aisé au difficile, proportionés aux dégré de conception qu’il a le degré de foi qu’il doit avoir. Et à coup sur, vous en ferés peu à peu un Chrétien éclairé, un Chrétien que tous les sophismes des Deistes ne pourront séduire.

VI.

Sur cent Chrétiens, il n’en est peut-ètre pas dix, qui croient en Jesus-Christ, si par croire, vous entendés ètre persuadé, ètre convaincu après un múr éxamen. Cependant, la plupart [474] de ces Cent auront une foi très vive ; demandés leur ou la vie ou l’apostasie ; Ils courront au Martyre. Pur enthousiasme ; car quelque véritable que soit la Religion Chrétienne, elle ne l’est que par rapport à ceux, qui en sont convaincus ; & certainement, il y a de la déraison à mourir pour des verités qu’on ne croit pas ; car, encor un coup, ce n’est pas croire, que de croire sans preuves. Sans preuves, point de certitude : sans certitude point de conviction ; sans conviction, point de Religion ; & sans Religion point de Martyre.

A parler en général, le Religion des Femmes n’est qu’entètement. Qu’il est difficile d’en trouver une, dont la Foi soit éclairée ! Je dirois volontiers aux Dévotes : Vous parlés sans cesse de crainte de Dieu ; & vous ne le connoissés pas ; vous ne savés s’il éxiste, que, parcequ’on vous a dit qu’il éxistoit. Vous parlés sans cesse de la Bible ; & vous n’avés d’autres preuves de la vérité de la Bible, que le témoignage de vos parens, que la créance de votre paîs. Vous parlés sans cesse des mérites de la mort de Jesus-Christ ; & vous ignorés s’il a été au monde ; vous ne croїés qu’il est mort, qu’il est ressuscité, que parceque ces faits sont attestés par des Auteurs que vous regardés comme divins, quoique vous n’aiés pas seulement éxaminé s’ils sont vrais. Pensés-vous, que Dieu vous tienne compte d’une voi aveugle, d’une foi qui doit sa naissance & son accroissement à des préjugés heureux, si vous voulés, mais pourtant préjugés ? Pouvés-vous ètre Chrétiennes, si vous n’ètes par raisonnables ?

VII.

« On demande, dit l’Auteur des Pensées Philosophiques, s’il y a de vrais Athées ; je demande, moi, s’il y a de vrais Chrétiens ? – N’est-ce pas vetiller, que de faire une pareille question ? Oui, sans doute, il y a de vrais Chrétiens, c’est à dire, des personnes qui joignent à une foi éclairée une vie éxemplaire, qui sans cesse occupés à réprimer leurs passions, & à [475] connoitre le vrai, tâchent d’arriver à la perfection. S’ils n’atteignent pas ce degré, c’est peut être la faute de la Nature humaine. Dailleurs, la Religion ne l’éxige pas : elle ne demande à l’homme que des efforts sincéres, que de bonnes vuёs, qu’un cœur pur.

VIII.

Il n’est point d’argument, pour si absurde qu’il soit, que le Deiste ne produise pour décrire la Religion. Livello 3► Le désordre des Pasteurs, dit l’auteur de l’Examen de la Religion, leur ambition, « leur molesse, leur lubricité est une preûve parlante de la fausseté de la religion, parce qu’il est certain qu’ils doivent en ètre mieux instruits que les autres hommes. Or s’ils en étoient bien persuadés, ils la pratiqueroient : ils ne la pratiquent pas ; donc elle n’a pas des preuves qui persuadent. » ◀Livello 3

Voilà, Messieurs les Esprits-forts ! la Logique de votre goût. Est-il possible que vous prisiés tant un ouvrage si mal raisonné ? Si les Prètres étoient bien persuadés de la Religion, ils la pratiqueroient : Ils ne la pratiquent pas ; Soit : Mais aulieu d’en conclure qu’ils n’en sont pas persuadés, vous en conclués, qu’elle n’a pas des preuves qui persuadent. Un Indien verroit d’un coup d’œil, que cette conséquence cloche. Où est la bonne-foi, dont vous vous piqués ? Car enfin, il est bien difficile de croire, que vous regardiés ce raisonnement comme solide. Mettons à part cet argument, pour grossir la liste des Fourberies Laїques : Ne le considérons que dans la matiére ; réduisons le à sa forme naturelle, & voïons, s’il est concluant. «  Toute opinion est fausse, dès-que ceux qui la soutiennent n’en suivent pas les maximes : Les Prètres Chrétiens ne suivent point les maximes du Christianisme ; donc leur opinion est fausse. » N’est ce pas, au naturel, ce que vous voulés dire ? Mais 1° raisonner ainsi, c’est convenir que la Religion Chrétienne est, sinon vraїe, au moins excellente, au moins d’accord avec la saine Morale, au moins fondée sur les principes éternels & invariables du Bon, puisqu’on [476] ne peut s’en écarter, sans tomber, de votre aveu, dans les désordre. Cela posé, vous vous refutés vous-mèmes ; vous vous déclarés ennemis de la Societé civile, à moins que vous ne lui annonciés une Religion plus pure & plus propre à réprimer la fougue des passions, à rétablir la vertu, à ramener l’Ordre. 2° C’est mal connoitre l’homme, que de croire, qu’il agit toujours suivant ses principes. Rien de plus commun, que voir des gens qui raisonnent sensêment, mème au gré des Incredules, & qui en mème tems, vivent fort mal, mème selon eux, c’est beaucoup dire. Pourquoi confondre la Spéculation & la Pratique ? Le devoir du Chrétien se divise en deux parties, & consiste â bien croire & à bien vivre. Quoi de plus aisé à concevoir qu’un homme dont l’esprit est assés juste pour se convaincre de la vérité de quelques faits, & le cœur assés gâté pour résister aux effets que cette conviction peut produire ? 3° Il est faux en partie, que les Prètres Chrétiens ne suivent point les maximes du Christianisme : il en est, qui prèchent bien & qui vivent encore mieux. Mais quand mème il ne se trouveroit pas un seul Ministre de l’Evangile, dont la conduite fût irréprochable, la Religion n’en seroit pas moins vraїe. Elle ne dépend point des démarches de ceux qui l’annoncent, de leurs vices ou de leurs vertus. Elle se soutient par elle même. Comme elle ne doit sa naissance qu’a Dieu seul, elle n’emprunte pas des hommes sa grandeur. Le vrai est essentiellement indépendant & de leurs actions & des jugemens qu’ils forment. Le Christianisme n’est pas renfermé dans les discours des Pasteurs, ni dans leurs décisions. Les Livres des Prophètes & des Apôtres en sont seuls dépositaires. 4° On peut retorquer l’argument contre es Iucrédules <sic>. Vous n’ètes pas si mauvais que vous le paroissez peut-on dire à quelques-uns d’eux. Vous nous en imposés quand vous nous dites que Vous ne croiés point l’Immortalité de l’Ame : Si vous étiés persuadés que tout finit avec la vie, vous donneriés [477] vous la peine de pratiquer quelques vertus morales ? Si vous étiés convaincus, que la providence de Dieu n’est inventée que pour effraїer des femmes faibles & des enfans imbécilles, votre conscience ne seroit-elle pas fermée aux remords ? Quand on ne croit pas un Dieu prévoîant, peut-on craїndre un Dieu vengeur ? Ce Naturalisme que vous professés hautement, peut-on dire à quelques autres, ce Naturalisme n’est pas plus l’objèt de votre foi que l’Evangile ; car, vous n’en suivés pas les maximes, Tous les principes de la Religion Naturelle concourent à vous faire de la vertu un devoir indispensable : Vous n’étes pas vertueux : donc vous n’ètes pas Naturalistes ?

IX.

Livello 3► « Les Livres de l’Ecriture, dit l’Auteur (*1 ) de l’Examen de la religion, ont été non seulement composés par des hommes en divers tems ; mais ces particuliers ne se sont jamais vantés pendant leur vie, que le St. Esprit les eût inspirés & leur eût dictés ce qu’ils s’avisoient d’écrire. » ◀Livello 3

Est-ce par mauvaise foi, est-ce par ignorance qu’il contredit un fait si notoire ? Quoi ? dans un siécle, où la Bible est entre les mains de tous les Chrétiens, on a le front d’avancer que ceux qui l’on écrite ne se donnent nulle part pour Inspirés ? St. Pauli, parlant au nom du Collège Apostolique ne dit-il pas aux Corinthiens ? Livello 3► « nous proposons les choses qui nous ont été données de Dieu dans les paroles que le St. Esprit nous enseigne. » ◀Livello 3 Exemplum► Moise ne dit-il pas en mille & mille endroits qu’il tient de Dieu les oracles qu’il annonce à son Peuple, de ce Dieu qui lui dît « je serai avec ta bouche & avec la bouche d’Aaron ; & je vous enseignerai ce que vous aurés à faire ? » ◀Exemplum

X.

Livello 3► « C’est, dit le mème Auteur, le caprice des hommes qui [478] a consacré les livres de l’Ecriture. La disette des Livres, le besoin d’autorité, enfin un motif humain les a divinisés. » ◀Livello 3

D’ou à-t’il tiré cette anectode? S’il avoit consulté (*2 ) Eusebe & (+3 ) Photius, il auroit vû que le Canon du Nouveau Testament fut dressé par St. Jean mème & que suivant l’Histoire Ecclésiastique, St. Matthieu écrivit huit ans, St. Marc dix ans, St. Luc quinze, St. Jean trente deux ans après l’Ascension de J. C.

Les disputes qui s’élèverent dans l’Eglise sur la canonicité de trois ou quatre livres prouvent, que les premiers Chrétiens procédèrent dans cette affaire importante avec beaucoup de lenteur & de circonspection, & qu’on les divinisa sur des preuves peremtoires, & non, comme le dit notre Auteur, à cause de a disette des livres.

XI.

Mais, dit-on, les Evangélistes étoient Disciples de J. C. – Qu’importe ? Si cela suffit pour décréditer leur Histoire, quelle histoire sera authentique ? Tite Live & César seront regardés comme des Romanistes. Le premier rendoit témoignage à l’agrandissement d’une Société dont il étoit membre ; le second narre ses propres exploits : Le Scepticisme vient à la suite de cette objection : peut-ètre César fut-il tué par Vercingentorix : peut-ètre fut-il obligé de lever le siége d’Alais : peut-ètre Scipion fut-il vaincu par Annibal. Adieu, toute la certitude historique, si ces sortes de raisonnemens sont justes.

Les Evangelistes étoient Diciples de J. C. cela est vrai : mais leur manque-t’il aucun des caractères essentiels à la qualité d’Historiens véridiques ? parcourés avec attention leurs écrits : Si vous y trouvés l’ombre de dissimulation, de déguisement, d’imposture ; nous vous donnons gain de cause.

[479] XII.

Livello 3► « Les Philosophes Paîens, disent les Incrédules, nous ont enseigné une Morale aussi pure pour le moins que celle de J.C. » ◀Livello 3

C’est bien dans ce siécle-ci qu’il faut vanter la Morale des Paiens ! Les Philosophes semoient dans leurs écrits quelques préceptes de Morale; mais ce n’étoient que des lambeaux de la Religion Naturelle, dout <sic> on ne pouvoit faire un habit entier qu’en les cousant ensemble. Jaimerois <sic> autant qu’on comparât aux cantiques de David les Hymnes d’Orphée & de Callimaque.

Livello 3► « Mais qu’avons-nous à faire de la Bible, puisque les lunières <sic> de la Raison nous découvrent suffisamment la Morale qui y est enseignée ? » ◀Livello 3

Il est vrai, que la Révélation auroit été inutile aux hommes, s’ils avoient scû conserver à leur Raison toute sa force, toute sa droiture & toute sa pureté ; mais cette Raison fut tellement corrumpüe, que les plus Sages mèmes d’entre les Païens ne pûrent en découvrir tous les défauts. Nous ne sommes pas Juges Compétens des forces de la Raison humaine, nous qui, dès l’enfance éclairés du flambeau de l’Evangile, nous sommes familiarisés, pour ainsi dire avec des idées saines. Transportons nous dans les Siécles ténébreux du Paganisme : nous y voions tous les Peuples plongés dans un fatal oubli de leurs devoirs ; quelques Sages, à la vérité se distinguent par des sentimens plus raisonnables, mais aucun d’eux ne peut venir à bout de réformer je ne dis pas une Province : mais une seule Ville. Dailleurs, ils sont divisés entr’eux dans les points les plus essentiels : ils n’ont d’autre clarté que le crépuscule de la lumiére. Les uns font consister le souverain bien dans le Plaisir ; les autres dans je ne sai quelle insensibilité orgüeilleuse & dénaturée ; aucun dans la connoissance, le culte & l’amour du vrai Dieu. Leur Morale est imparfaite, leurs principes incertains, leur but indigne de l’excellence de la nature humaine.

[480] Tournons aprésent les yeux sur la Morale Chrétienne. Douze hommes sans éducation, sans naissance, sans lettres en composent un sistème, dont les parties sont étroitement enchainées ; ils ouvrent à toutes les Nations l’accès au thrône de la Grace ; ils leur découvrent un Médiateur, & leur apprennent les moiens de se réconcilier avec leur Créateur ; ils imaginent des peines & des récompenses après cette vie, conformes à la droite raison, dignes de la Majeste de Dieu & de ses perfections. Ne reconnoit-on pas là visiblement le doigt de Dieu ? Les Apotres étoient aussi peu capables de créer le plan de Morale qu’ils nous ont laissé, que de créer un Monde nouveau.

XIII.

Que le Christianisme ne soit appuié sur aucunes preuves ; que tout ce qu’il y a de plus éclairé dans le monde prenne une chimère pour la vérité ; qu’il soit faux que J.C. & ses Apotres aient prouvé leur Mission par des miracles, que des Prophétes aient annoncé à l’Univers un Rédemteur, que ce Redemteur ait été crucifié, soit ressuscité ; que la Religion ne soit qu’une Fable : toujours le Christianisme est-il infiniment respectable. Invalidés ses preuves de vérité par des raisonnemens subtils ; tournés en ridicule ses partisans par des raîlleries ingénieuses ; je n’opposerai à toutes vos impiétés que ces paroles ; Le Christianisme a banni l’Idolatrie. Homme aveugle ! peux tu ne pas respecter une Religion qui a enseigné à tous les hommes à connoitre & aimer leur Créateur ?

Compare à l’Univers Chretien l’Univers Idolatre ; & di-moi, si la Société hnmaine <sic> n’a pas dee <sic> obligations infinies à cette Religion que tu voudrois décrier <sic>. Sans elle, les hommes adoreroient encor des animaux : sans elle, l’éxistence de Dieu, demontrée à un petit nombre de Sages seroit pour tous les Peuples un Mistère profond : sans elle, l’origine du monde te seroit aussi inconnuë que les proportions de son admirable architecture ; sans elle, la Science des Mœurs, [481] science si digne de l’homme, ne lui seroit pas prouvée par des principes certains : sans elle, distingué de la brute par la Raison, l’homme n’en seroit que plus à plaindre & plus conpable <sic> à cause de l’abus étrange qu’il en feroit. Considère toutes ces choses, & ose blasphemer.

Metatestualità► Je finirai cette Feüille par une Anecdote, bien propre à frapper un Deïste qui le seroit de bonne foi. ◀Metatestualità Le Sr. de Serres, Officier dans le Régiment des Gardes Françoises, ensuite Lieutenant dans la Compagnie Franche du Chevalier de Vial au Service des Etats Généraux, est auteur de l’Examen de la Religion. Sur le point d’aller rendre compte de ses Actions à Dieu, déchiré de remords, pénétré de l’énormité de son crime, il en a fait lui mème l’aveu par une Retractation dans les formes remise entre les mains d’un Pasteur de l’Eglise de Mastricht. Je viens de voir cette Piéce dans la seconde Partie du Tome 41. de la Bibliothèque Raisonnée. ◀Livello 2 ◀Livello 1

1(* ) Chap. III. N. 2. 3. 5.

2(*) Hist. Eccles. L. III. c. 18

3(+) Photii Bibiot, Cod. 254. P. 1404