Sugestão de citação: Laurent Angliviel de la Beaumelle (Ed.): "Amusement LIV.", em: La Spectatrice danoise, Vol.1\054 (1749), S. 457-462, etidado em: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Ed.): Os "Spectators" no contexto internacional. Edição Digital, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4235 [consultado em: ].


Nível 1►

Amusement. LIV.

Nível 2► Metatextualidade► J’écris pour les Dames. En faveur de celles qui préférent le plaisir de la Lecture aux plaisirs de la Table & du Quadrille, je vais transcrire ici une Lettre, qu’un homme d’esprit & de gout écrivit à une de mes Amies, qui l’avoit consulté sur le choix des Livres qui devoient entrer dans une petite Bibliothèque qu’elle vouloit former pour son usage. ◀Metatextualidade

Nível 3► Carta/Carta ao editor► « A votre âge, Madame ! se faire de la Lecture une affaire sérieuse ! Ce gout me paroitroit extraordinaire, si je ne sçavois, combien vous méprisés la plupart des bagatelles, dont bien des Femmes font leur occupation. Votre raison, cultivée dès l’enfance, a déjà, dans le printems de vos jours, atteint son point de maturité ; & vous voulés la perfectionner encor. Dans ce Siécle, où les Muses sont presque généralement abandonnées, elles vont bien s’ennorgüeillir de trouver en Vous, Madame, un Appui, une Eleve, & une Rivale. Rarement une jeune béauté aime mieux s’instruire avec elles que folâtrer avec les Graces. Votre gout décidé depuis lon-tems fait l’éloge de votre esprit. Mais permettés moi de vous dire, que Vous vous addressés mal, en me chargeant du soin de former votre Bibliotèque. La connoissance que j’ai des Livres est extrèmement bornée ; & puis, comment voulés-vous, que je hazarde mes idées, quand je vois que Vous vous méfiés des votres ? Vous m’apprenés à ètre modeste : pourquoi me defendre de profiter de cette leçon ? Pourquoi reprimez vous par un ordre absolu la résistance que vous avés prévû que je ferois ? je vais donc vous obéir ; si je n’ai pas le mérite du discernement, j’aurai du moins celui de la docilité. Je soumets le tout à vos lumiéres. Je me bornerai presque aux Auteurs François, parceque je sai que la Langue Françoise est celle que Vous [458] aimés le plus. D’ailleurs, cette Nation a produit plus de bons Livres que Vous n’en pourriés lire en cent ans. Pour les Allemands & les Danois, il suffit à peu de chose près d’en sçavoir les Titres ; *1 il vaut mieux ne les lire que dans les Journaux.

Les Livres de Religion & de piété ont un droit incontestable à la premiére Tablette. J’y placerois donc la Bible, de la dernière Edition de Bâle : & j’y joindrois le Nouveau Testament de Berlin, ouvrage, qui, au Jugement des connoisseurs, vaut son pesant d’or. Le Traité de la Religion Chrétienne par Abbadie, les Principes de la Foi par L’Abbé du Guet, la Religion prouvée par les faits par l’Abbé de Houteville, les Lettres Pastorales de l’Evèque de Londres, les Traités de la Religion Naturelle & de la Religion Chrétienne par Turretin traduits par M. Vernet suffisent à qui veut sincérement se convaincre de la Divinité & de la pureté du Christianisme. Il ne faut pas oublier les Pensées de Pascal, non plus que la réfutation que feu M. de la Chapelle a fait de la critique que Voltaire y avoit opposé. Ajoutés à cela les sermons de Tillotson, de Beausobre, de Saurin, de Werenfels, de Cheminais & de Massillon, & vous aurés à peu près tout ce qu’il vous faut pour fortifier votre foi & pour nourrir votre piété.

La morale mérite d’occuper la seconde Tablette. Les Essais de Nicole, les Leçons de la Sagesse, le Recueil des Poësies Morales & Chrétiennes, les Caractéres & Mœurs de ce Siécle par la Bruiere, les Maximes du Duc de la Rochefoucault, [459] les pensées de Cicéron par l’Abbé d’Olivet, & les Pensées de Sénèque, qui s’impriment actueilement <sic> à Paris, sous les yeux du mème Abbé & traduites par l’Auteur d’un ouvrage Hebdomadaire qui paroit depuis quelques mois en cette ville ; le Specateur Anglois, le Mentor Moderne, la Bibliothèque des Dames par Stéele, les Oeuvres de l’Abbé de Villiers vous offriront avec une agréable variété tout ce qui peut fortifier le penchant que vous avés pour la vertu. Ces Livres sont pour la Plupart excellens, & reconnus pour tels. Les Essais de Montagne sont & instructifs & amusans ; mais, à mon avis, ce charmant Auteur ne doit ètre lu qu’après s’ètre précautionné contre le Pirrhonisme. Le Droit Naturel est la baze de la saine Morale. Une Femme qui liroit Grotius ou Puffendorf risqueroit fort de s’y ennuier, ou de passer pour Savante : & dans une Femme, savoir & pédanterie sont, je ne sai pourquoi, synonymes ; je ne vous conseillerai donc point de donner place dans votre Bibliothèque à ces deux illustres Auteurs ; mais vous trouverés dans le petit Traité de Droit Naturel que M. Burlamaqui vient de donner au Public dequoi vous consoler de leur absence. Je ne dis rien du Télémaque de Fénélon, parceque je sai que c’est votre livre favori. Que n’est-il le vade mécum des Rois ?

Ne destines-vous pas à l’Histoire la troisiéme Tablette ? A votre place, j’en éloignerois la plupart des Ecrivains anciens, quoique nous les aïons traduits en François. Mais je vous demande grace pour la Cyropédie de Xénophon, pour le Quinte-Curce de Vaugelas & les Annales de Tacite. Rollin, Vertot & Crevier vous suffiront pour l’Histoire Ancienne & pour l’Histoire Romaine, bien entendu que vous y joindrés le Discours sur l’Histoire Universelle par Bossuet, & les Considerations sur les causes de la grandeur & de la décandence [460] de l’Empire Romain par Montesquieou. Ajoutés à cela l’Histoire des Empereurs par Laurent Echard, l’Histoire de Dannemarc par M. Loûis Holberg, L’Abrégé de l’Histoire de France par Mezerai, la nouvelle Histoire de l’Empire par le P. Barre, les Revolutions de Suède par l’Abbé de Vertot, les Révolutions d’Espagne par le P. d’Orleans, les Revolutions de Pologne par l’Abbé des Fontaines, l’Histoire d’Angleterre par Rapin, l’Histoire des Juifs par Basnage, l’Histoire des Provinces-Unis par le mème, celle de Venise par Nani & par Amelot de la Houssaïe, celle des Turcs par Ricault, celle de Portugal par le Quien, celle de Moscovie par Meyberg, celle de Naples par Giannone, celle des Guerres civiles de France par de Thou, celle de Loüis XI. par Duclos, de Loüis XIV. par la Hode, de Charles XII. par Norberg, de Pierre le Grand par Rousset : & vous serés parfaitement au fait de l’Histoire Moderne. Quant aux autres Etats, l’Introduction à l’Histoire par Puffendorf peut suffire.

Honnètement vous ne sauriés refuser à la Filosofie la quatriéme Tablette. L’Art de penser par Mrs. de Port-Roial, les Entretiens du P. Régnault sur la Logique, la Filosofie du bon sens par le Marquis d’Argens sont ce que nous avons de plus à la portée du Séxe pour ce qui regarde la science du raisonnement. Je ne Vous indiquerai aucun Livre de Metaphisique, parce qu’à mon gré une jolie Femme n’en doit savoir d’autre que celle des sentimens ; mais en recompense, je vous demanderai votre attention pour la Pluralité des Mondes de Fontenelle, qu’on vient de traduire en Danois & de dédier à Mlle. de Rosencrantz ; pour les Entretiens de P. Régnault sur la Phisique, le Newtonianisme des Dames par Algarotti & le Spectacle de la Nature par L’Abbé Pluche.

Il me semble de voir les Poëtes me demander la Cin-[461]quiéme Tablette, avec cet air de suffisance qui leur est naturel : eh bien ! accordons le leur : aussi bien ce sont gens qu’il est dangereux d’aigrir. C’en est assés qu’une Dame ait traduit Homère, Plaute, Terence, Horace, pour oser vous conseiller de faire connoissance avec ces Messieurs-là. Vous lirés avec plaisir Virgile dans la traduction de L’Abbé Des-Fontaines. Le Paradis Perdu de Milton, la Jérusalem délivrée du Tasse, la Luziade de Camoëns, la Henriade de Voltaire sont les meilleurs Poëmes épiques Modernes. Pour vous délasser du Merveilleux qui y régne, achetés les Théatres de P. Corneille, de Racine, de Crébillon, de Wicherley, de Dryden, de Congrève, du Marquis Maffei. Pour les Comédies bornés-vous à Moliére, à Régnard, à des Touches, & à quelques Piéces soit anciennes soit nouvelles qui ont mérité le suffrage des Connoisseurs. Les Pastorales de Fontenelle, les Eglogues de Racan & de Ségrais, les Oeuvres de Madame Deshouliéres, les Poësies de la Comtesse de la Suze, les Oeuvres de Voltaire, de Rousseau, de Gresset, de Racine Fils, de Roi, de Boileau, de la Motte, de l’Abbé de Bernis, de Nadal, de Campistron, de Pavillon, de La Fontaine, de l’Abbé Testu, de Pope, de Prior, de Rochester, feront un assés joli assortiment de Poëtes.

Je voudrois que la Sixiéme Tablette fut occupée par Fléchier, Bussy, Sevigné, Pline traduit par Saci, la Marquise de Lambert, les Provincales de Pascal, les Essais de l’Abbé Trublet, l’Histoire de l’Academie par Pellisson & continuée, par l’Abbé d’Olivet, les ouvrages de l’Abbé de St. Pierre, de Muralt, de Montesquieou, de Mlle. Scudery, de Balzac, de Voiture, & autres bons auteurs soit amusans, soit sérieux, soit agréables, soit instructifs. Il en est un bon nombre, qu’il ne s’offrent pas à présent à ma M´moire.

La 7me. Tablette c. à d. la dernière est duë aux Ro-[462]mans. Vous pourrés choisir ceux qui vous plairont parmi ceux de Mme. de Gomès, de le Sage, de Marivaux, de Duclos, de Prévot d’Exil, de Crébillon le Fils, &c. si ce plan est défectueux, il est aisé de le rectifier. Vous suppléres aisément ce qui y manque. Je suis &c. » ◀Carta/Carta ao editor ◀Nível 3 ◀Nível 2 ◀Nível 1

1* L’Auteur de cette Lettre me permettra de n‘ètre pas de son avis. Je suis trop bonne Patriote, pour ne pas soutenir jusqu’à la dernière goutte de mon Encre, qu’en fait de bons Livres, nous ne le cédons à aucune Nation.