Zitiervorschlag: Laurent Angliviel de la Beaumelle (Hrsg.): "Amusement LI.", in: La Spectatrice danoise, Vol.1\051 (1749), S. 436-440, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4232 [aufgerufen am: ].


Ebene 1►

Amusement LI.

Zitat/Motto► On commence par ètre Dupe ;
On finit par ètre Fripon. ◀Zitat/Motto

Ebene 2► Ebene 3► Brief/Leserbrief► Madame la Spectatrice !

« Je suis un jeune homme de Famille, que le Jeu vient de ruiner pour six mois. Ebene 4► Allgemeine Erzählung► Malheureusement pour moi, je fûs hier dans un Brelan, où je perdis huit cent Ducats, sans compter ma [437] Montre, un Diamant & ma Tabatiére : & ce que vous aurés peine à croire d’un Gentilhomme, peu s’en est fallu, que je n’aїe mis mon Epée sur un As. Je fus assés heureux, pour que mon Cocher, après s’être ennivré, dormît toute la nuit d’un profond sommeil ; car, s’il fut venu à trois heures, suivant mes ordres, j’aurois certainement perdu & Carosse & Chevaux.

Ce matin, à mon retour chés moi, j’ai fait un tapage de Diable : je suis pourtant naturellement doux. Ma bile s’est calmée peu à peu ; & le sommeil s’est emparé de mes sens. Mais mon imagination, pleine de Parolis, m’a retracé les idées du Jeu. J’ai rêvé que je joüois ; c’est dire que je perdois. Plut au ciel que je ne perdisse qu’en songe ! Cette nouvelle scène de malheur m’a fort agité ; je me suis réveillé en sursaut ; j’ai appellé mes Valèts, les ai grondé, & ai bu du Thé. J’ai repris insensiblement mes esprits. L’étude, me suis je dit, calmera ma mauvaise humeur ; mais point dutout <sic> ; à peine ai-je eu ouvert un Livre, qu’il m’est tombé des mains. J’ai voulu écrire un billet-doux à une femme, qui me veut du bien. Mais l’ennui m’a dit par le canal du bâillement son interprète ; que je devois le faire court. A la premiére Ligne, j’ai sué : à la seconde, des expressions les plus vives j’ai passé aux plus froides : à la troisiéme, j’ai juré assés rondement. J’ai fini par mettre le tout en mille piéces. Je me suis avisé de m’en demander le Pourquoi ? Mais je ne me suis répondu, qu’en m’écriant : Parbleu ! perdre en un instant huit-cent Ducats, moi qui n’en perdis jamais au Pharaon audelà de Dix !

Cette perte m’est d’autant plus sensible, que j’avois déjà fait mes petits arragemens pour six mois. J’en destinois quatre cent â mes besoins ; cent à l’achat de quelques Livres ; cinquante à la Fillette ; cent à un habit sur lequel j’avois consulté nos Petits-Maîtres les plus connoisseurs, nos petites-Maitresses les plus expertes dans la science de la parure, les plus [438] entenduёs en bonne mine, les plus avides de jolis hommes ; & le réste à mes fantaisies & à mes amis. Voilà mon plan dérangé. Je suis reduit à recourir à un Usurier ; à renoncer pour un tems à la Grїsette ; à me passer d’un habit duquel j’attendois plus d’une conquète ; à fuir les piquinis dispendieux ; à mener, six mois durant, la vie d’un homme isolé, moi qui aime la dissipation. Avoüés-le, Madame ! tout cela est bien dur ; ou je ne m’y connais pas. ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 4

A quoi bon tout ce détail, allés-vous dire ? A vous intéresser à mon malheur, à vous engager par un récit fidelle à donner au Public quelques morçeaux sur le Jeu ; car apparemment vous en avés dans votre Porte Feuille. Je suis surpris que vous n’aiés pas encore traité cette Matiere. Elle offre un vaste champ à vos réfléxions. Donnés sans quartier sur tous ces joüeurs, qui mettent entre les mains du hazard le plus clair de leur bien. Je saurai bon gré au guignon, qui m’a fait perdre mon argent, si je vous donne occasion de traiter ce sujèt de maniére à retirer du précipice du Pharaon quelques-uns de mes Compatriotes &c. » ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3

Cette Lettre n’est point un jeu de mon imagination : elle m’a été réellement envoiée. Si mon correspondant dit vrai, il est à plaindre ; quand on n’est pas Joüeur de profession, on tire de ses pertes au moins cet avantage, qu’on est dans la suite beaucoup plus sur ses gardes ; &, à la Bassette, cette précaution est essentielle ; La plupart des Banquiers ont beaucoup d’esprit aux doigts : aussi cette phrase : me prénés-vous pour un Ponte ? est elle-passée en Proverbe.

On se jette dans le Jeu en aveugle : car, si on raisonnoit, on seroit plus retenu. Mais je ne joüe qu’à des Jeux de commerce : soit ; mais ne joüés-vous pas gros jeu ? Ma gorge commençoit à peine à se former, qu’on joüoit, autant qu’il peut m’en souvenir, aux Marcs Lubs. En ce tems là, c’étoit fort gros jeu.

[439] Aujourd’hui, que le Pais est plus riche, à la vérité, mais, dit-on, moins pécunieux, on joüe aux Ducats la fiche. Vous traités cela de bagatelle, parceque vous vous abstenés de l’engloutissant Pharaon ; mais calculés ; vous trouverés que ce jeu, tout jeu de commerce qu’il est, est une Pluîe douce, qui revient à peu près à un orage. Le compte est aisé à faire.

Vous étes quatre, qui joüés au moins quatre cent parties de Quadrille par année. Mettés un Ducat seulement pour les cartes de chaque partie. Voilà quatre cent Ducats qui sortent clair & net de la bourse de vous quatre. Si l’accessoire est dispendieux, que doit ètre le principal ? Il est vrai que ce Principal dépend du hazard ; que vous pouvés gagner comme perdre ; mais il n’est pas moins vrai, que pour que l’un de vous quatre gagne un Ducat, tous frais faits, il faut que l’un de vous perde absolument deux cens & une Fiche, deux cens & un Ducats ; & ne s’en perd-il pas davantage ? Les frais seuls des Cartes n’absorbent-ils pas à la longue les gains qui peuvent se faire ? Cet Or, que vous maniés avec tant de plaisir, que vous voiés vous échapper avec tant de regrets & rentrer avec transport, tombe enfin partie dans la bourse du Cartier, partie dans celle des Domestiques.

La licence du Jeu produit de terribles inconvéniens. Vous aimés l’Argent ; pourquoi donc l’aventurés-vous ? pour gagner ; mais tournés la médaille ; si le malheur vous en veut ?

Exemplum► Une Bourgeoise retranche à sa Famille un quarteron de Beurre pour aller une fois aux Spectacles ; elle prend cette dépense sur les Boiaux de ses domestiques ; tandis-que la Femme de qualité hazarde au jeu la fortune de ses enfans. ◀Exemplum Cet usage auroit grand besoin de réforme.

De toutes les Passions, celle du Jeu est la plus à charge à une Famille. Exemplum► Qu’une <sic> homme soit un débauché ; l’âge le corrige ; qu’il soit joüeur ; il ne peut ètre guéri que par l’impuissance de joüer. Lui & les siens vont tôt ou tard à l’Hopital. ◀Exemplum

Exemplum► Quels reproches n’a-pas à se faire un Pére, à qui son Fils ainé demande le bien qu’il devoit hériter de ses Ancètres, ses Cadets leur légitime, ses Filles leur dot ? Qu’on se repent alors d’avoir passé les Nuits autour d’un Tapis verd ! ◀Exemplum

[440] Ce Tapis verd a des attraits infinis pour la Jeunesse. Voiés la s’assembler en foule autour d’une Table ; Voiés cette inquietude peinte dans les yeux de tous les Pontes ; ces agitations aussi vives mais plus secrettes qui tiennent en haleine le Banquier ; le noir chagrin qui dévore celui-ci ; les sermens affreux dont celui-là brave le Ciel ; l’ardeur avec laquelle celui-ci demande son argent ; l’adresse avec laquelle celui-là fait un paroli frauduleux ; la fureur qui s’empare de l’un qui court après ses pertes ; l’air de désintéressement simulé avec lequel l’autre risque une somme immense sur une Carte qui a perdu trois fois ; les paroles obscénes qui succédent à un silence d’une Minute. Vous croiés ètre en enfer vous ètes dans un lieu de plaisir. Ces furieux, ces désespérés ces brutaux, sont, hors du Pharaon, les plus polis, les plus retenus, les meilleurs gens du monde. Mais il faut leur passer chaque jour quelques heures d’égarement. Car, pour un galant homme, il n’y a point de salut, hors du Pharaon.

Ebene 3► Allgemeine Erzählung► « Quoi ? me disoit le Lapon ; (car c’en étoit un quel’homme à qui je tenois ce discours) Parmi vous le bon sens n’est pas éclipsé par ses accès de folie journaliere ? non, lui répondis-je, nous avons l’Art d’unir les qualités qui paroissent les plus incompatibles.

Mais du moins, me dit il, vous devés avoir beaucoup de ce métal jaune que vous répandés avec tant de profusion. Nous en avons fort peu, repris-je ; & le peu que nous avons, nous aimons à le dépenser, & c’est la mode de le dépenser à ce jeu-la. J’entens, dit-il, en branlant le <sic> tète ; mais sans doute que vous ne depensés ici que votre superflu : Vous n’y ètes pas, lui repartis-je : La plupart de ces Joüeurs ajoutent ce qu’ils ont pour leurs plaisirs ce qu’ils devroient emploier à leurs besoins les plus pressans. Vous ètes donc bien généreux, bien détachés des richesses, repliqua-t’il ; ce sont des contes que tout ce qu’on nous dit de votre avarice. Rien de plus vrai, que ces contes-là ; & tous ces Joüeurs ne sont aprésent <sic> si prodigues, que parcequ’ils sont extrèmement avares. »

Mon homme ne pouvoit ajuster toutes ces idées contradictoires, je ne pûs le tirer de l’embarras ou ces vérités paradoxes le jettoient. J’en abandonnai la solution à ses réfléxions sur nos usages & notre caractère ; & je me promis bien d’insérer cette conversation dans une de mes Feüilles. ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 3 ◀Ebene 2 ◀Ebene 1