La Spectatrice danoise: Amusement XLIX.
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Amusement XLIX.
Gresset
Zitat/Motto
La parole des Rois est l’oracle du monde.
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Brief/Leserbrief
Madame la Spectatrice ! Faites
moi, je vous prie, raison de quelque griefs, qui j’ai
contre un de vos Auteurs. Il a parlé dans sa Xe. Lettre
assez indécemment des François
Réformez. Permettez-moi de le réfuter dans une de vos
Feüilles. Les fautes des Ecrivains de nom sont
contagieuses. M. H - - - est trop ami du vrai, pour
s’offenser d’une critique modérée. Il convient, que « la
conduite, que tint la France, lors de la Révocation de
l’Edit de Nantes, est contraire à l’esprit du
Christianisme & à l’Humanité ; mais il est plus
difficile sur cette question, savoir : si cette
Révocation étoit contraire à la saine politique & au
bien de la France. « Lorsqu’on fait réflexion, dit il, à
l’état où cette Nation se trouvoit sous le régne d’Henri
IV. & sous une partie de celui de Loüis XIII, on est
obligé de convenir, quil <sic> étoit tout
extraordinaire & de nature à ne pouvoir subsister
lon-tems. » Avant ces deux Rois, la France étoit dans un
pitoїable état. 50 ans de persécution, 35. de guerre, le
massacre de la St. Barthelemi l’avoient mise à deux
doigts de sa perte. Mais dès-que l’Edit de Nantes eut
retabli la Paix, la France changea, pour ainsi dire, en
vingt quatre heures. Henri IV. lui même éprouva ses bons
effets. En 1610, qui fût l’année de sa mort, il se vît
en état de faire la guerre à l’Espagne. Ses troupes
étoient bien disciplinées & nombreuses, ses Généraux
expérimentez, ses Arcénaux bien pourvûs ; & ce qui
étoit plus extraordinaire, jamais il n’y avoit eû tant
d’argent comptant, ni tant de ressources pour plusieurs
années. Si le Couteau de Ravaillac n’eût anéanti ses
projèts, il est vraisemblable, qu’il auroit abaisse pour
toûjours cette orgüeilleuse Monarchie. Sous Loüis XIII.
la France fût le plus florissant Roїaume de la
Chrétienté, mais voїons, comment M. de H - - - prouve,
qu’il ne pouvoit subsister lon-tems. 1° ni le tiers ni le quart des
François n’étoit point Réformé. Les Religionnaires ne
faisoient au plus que le Quint du Roïaume. 2° Ils ne
disposoient point d’un certain nombre de villes. Henri
IV. les leur avoit données pour leur sureté, & non
en propriété. Elles n’étoient que comme des ôtages de la
fidélité du Prince à tenir ses engagemens, ôtages
nécessaires, vû la parole roїale tant de vois violée,
ôtages, qui devoient être rendus, après que les
Catholiques se seroient humanisez, car le terme étoit
fixé. Les Huguenots ne se sont jamais attribué le droit
d’en disposer, que lorsque Loüis XIII après avoir porté
atteinte à leurs Libertés leur déclara la Guerre ; &
en ce cas, en disposer, c’étoit non seulement suivre
l’intention de l’Auteur de l’Edit, mais encore agir
conformément au Droit Naturel, qui nous arme pour une
juste défense. 3° les Garnisons des Places de Sureté
n’étoient pas assez nombreuses, pour être étonnantes,
& elles étoient soudoiées par la Cour. 4° La chose
n’avoit rien d’étonnant, parce qu’en ce tems là, il y
avoit en France comme en Allemagne, assez de villes
Libres, comme la Rochelle, Nimes, Montauban, &c. 5°
Les Assemblées Générales des Réformés ne fûrent jamais
indépendantes du Gouvernement. Car la Cour y avoit
pourvû ; elle prescrivoit les matiéres qu’on devoit y
traiter ; elle y envoioit un Député, sans la
participation du quel rien ne se concluoit ; elle seule
pouvoit en permettre la Convocation. Peut on dire, que
des Synodes authorisez par les loix de l’Etat sont
indépendans de l’Etat ? c’est comme si l’on disoit, que
les 4. Provinces de France, qui joüissent encore du beau
pivilége de régler leurs affaires & leurs impôts
dans leurs Etats, sont indépendantes de la Couronne. 6°
Ils n’avoient point le droit de faire des Alliances avec
des Nations étrangéres, & ils ne les firent, que
lorsque les brêches qu’on fit aux Edits
les eûrent absous du Serment de fidélité. Il n’y a rien
là d’étonnant à voir. Il l’est beaucoup plus de voir un
Prêtre (*1) ambitieux persécuter des sujèts,
à qui son Maitre devoit sa Couronne, & les réduire à
ces tristes extrémitez. 7° Il seroit aisé de montrer
dans l’Histoire des éxemples d’une pareille liberté. Les
Romains ne laissoient ils pas diverses franchises plus
considérables aux Républiques, aux Roїaumes, qu’ils
avoient subjuguez ? Les Ecossois n’ont ils pas dans la
grande Bretagne de plus grands Priviléges, que les
Religionaires n’avoient dans leur Patrie ? 8° Quand tout
cela seroit aussi vrai, qu’il est faux, qu’y auroit il
d’étonnant, si cela étoit légitime & permis ? &
s’il ne l’étoit pas, la Révocation n’en seroit pas plus
justifiée ; on ne pourroit qu’en conclure la nécessité
de supprimer toutes ces monstrüeuses usurpations, &
la réduction des Priviléges des Réformez aux véritables
limites fixées par l’Edit. Poursuivons. Que des
fautes dans une seule-periode ! 1° Si Henri le Grand
avoit accordé aux Réligionaires les priviléges, dont M.
H - - - s’imagine, qu’ils ont joüi, il auroit fait une
sottise impardonnable, également contraire à sa gloire
& au bien de son Roiaume. 2° Il est évidemment faux,
que les Guerres Civiles ne pûssent être appaisées par un
autre moïen. Car les Réformés, contents d’une honnête
liberté de conscience, telle qu’on doit l’accorder à un
corps nombreux, ne demandoient point un Edit, qui les
rendît Souverains. Henri IV. qu’ils reconnurent Roi sans
conditions les connoissoit trop bien pour ignorer qu’une
ample permission de chanter les Pseaumes
suffisoit pour les réduire à une obéissance inviolable.
Quand Catherine de Médicis étoit forcée de leur donner
la Paix : eh bien ! disoit elle : ils auront tout leur
saoul de Prêches. Qu’on accorde à mes Fréres, disoit le
Prince de la Trimoüille, la sureté de leurs Conscience
& de leurs vies ; on pourra me pendre ensuite à la
porte du Parlement, & personne ne branlera. 3° Si
Henri IV. est loüable, comme le prétend Mr. H - - -
d’avoir fait ce monstrueux établissement prétendu, son
Succésseur est blamable de l’avoir détruit. Pourquoi ?
parceque les mêmes raisons d’appaiser ou de prévenir les
Guerres Civiles, subsitoient, outre l’obligation
indispensable dans laquelle est un Fils de maintenir la
volonté de son Pere, quand ils en est l’héritier. 4° La
nécessité des tems ne força point Henri le Grand à
donner l’Edit de Nantes. C’est se joüer du Lecteur, que
de dire, qu’il l’accorda à cette nécessité ; c’est
avancer le paradoxe le plus insoutenable, c’est copier
les écrivains gagez de la Cour pour justifier les
Missions Dragonnes ; c’est donner un démenti à Henri IV.
même. On n’a qu’à lire la préface de l’Edit, pour y
découvrir du premier coup d’œeil <sic>, que le
Législateur l’accorde de plein gré à de bons sujèts, à
des sujèts auxquels il doit son Throne, à des Sujèts
qu’il chérit au point d’étendre leurs priviléges aussi
loin qu’il le peut, sans déroger à sons <sic>
autorité, à des Sujèts qu’il traite non en Politique,
mais en Pére qui veut assurer la liberté de ses Enfans.
Que M. H - - - relise l’histoire de ce Prince, il verra
que son premier soin fût de donner un Etat fixe aux
Réformez, qui joüissoient déjà des Edits insuffisans de
Pacification ; que c’étoit l’affaire qu’il avoit le plus
à cœur ; qu’il regardoit les places de sureté qu’il leur
donnoit, comme infiniment mieux entre leurs mains
qu’entre les mains des Gouverneurs Catholiques, auxquels
il n’avoit pas lieu de se fier. Les Mémoires de Sully en
font foi. Et puis, qui ne sait, que la conversion
d’Henri IV. fût l’ouvrage de la Politique
& non de la Persuasion, & qu’il disoit, qu’une
Couronne valoit bien une Messe ? Est il croїable après
cela, qu’il n’accorda qu’à la nécessité & au malheur
des tems un Edit, qui favorisoit ceux de ses sujèts, qui
l’avoient le mieux servi ; dont il connoissoit la
Religion, qu’il suivoit peut être encore de cœur ; car
on sait, que la Transsubstantion étoit l’une des 3.
choses, qu’il ne pouvoit croire. A ces réfléxions je
pourrois en ajouter bien d’autres ; mais elles sont
inutiles. La chose est plus claire que le jour. Vous voїez, que M. de H - - - bâtit en ceci sur
un fondement peu solide : voilà ce que c’est que de
partir d’un faux principe ; on n’arrive qu’à de
mauvaises conséquences. Aulieu de chercher dans la
chaîne naturelle des Evénemens les causes de la
formidable puissance de notre Nation sous Loüis XIV. il
la trouve dans la Révocation de l’Edit de Nantes. Il
avance, que le Roїaume fut lontems dans une situation où
il n’a jamais eté. Il dit que la France n’avoit qu’un
bras, aulieu de dire qu’elle en avoit deux, & que la
Révocation lui en fit perdre un. Il assure positivement,
que le Ministère devoit veiller sur les Reformés comme
sur les Ennemis de l’Etat, sans ajouter, que les
Reformez étoient sans cesse inquiétez ; sans faire
réflexion, qu’il nous flêtrit d’un coup de plume, &
que cette accusation mal énoncee tend à nous faire
regarder comme des sujèts Séditieux, comme des gens
indignes de la protection, que le Dannemarc,
l’Angleterre, la Hollande &c. nous ont accordée
généreusement après nos malheurs ; sans dire que les
Rois de France n’ont point eû de plus fidelles sujèts
que nous, tant qu’il nous ont laissé chanter les Psaumes, sans parler du glorieux témoignage,
que Loüis XIV. lui même rendit à l’Electeur de
Brandebourg de notre fidelité vainement tentée pendant
les troubles de la Minorité ; sans remonter à la source
de la défiance, que le Gouvernement a eû lieu, je
l’avoüe, de concevoir, source qui fait notre apologie.
Car je défie qui que ce soit de me prouver, que nous
aions été désobéїssans, tant qu’on nous a laissez
tranquilles. Les Huguenots ont montré de la hauteur,
quand on a commencé à tirer l’épée contr’eux. Ils ont
pris les armes, quand les injustices qu’on leur faisoit,
les ont mis dans la crüelle nécessité de les prendre.
Ils ont cessé d’être fidelles, quand la Cour a cessé de
les traiter comme sujèts. Ils ont regardé le Roi comme
leur Ennemi, quand il a voulu l’être, quand il a cessé
d’être leur Protecteur & leur Pére. Je conviens,
qu’une pareille prise d’armes seroit criminelle en
Dannemarc, parceque le Roi étant légitimement Souverain
Despotique, peut faire ce qu’il juge à propos ; mais il
n’en va pas de même en France, où le Roi n’est point
absolu de droit, & ne l’est de fait que depuis
Richelieu. Enfin, il est faux, & M. H - - -, me
permettra de le lui dire, que la France n’aît fait
qu’une pauvre figure en Europe avant la Révocation. Il
est certain qu’on doit placer 30. années en deça
l’époque de l’élevation prodigieuse de la France. Loüis
XIV avant l’an 1685 avoit seul tenu tête contre toute
l’Europe ; preuve démonstrative, que l’Edit de Nantes,
qui subsistoit encore, ne nuisoit point à la grandeur de
la Nation. Je pourrois même dire, que la malheureuse
guerre de la Succession d’Espagne doit être attribuée à
la Suppression de nos Priviléges. Il est naturel, qu’un
Million de fuїards soit une perte dont un Roїaume se
ressente. M. de H - - - dit ensuite, que le chef d’œuvre
du Cardinal de Richelieu fût la restriction de l’Edit de
Nantes, & que tout Réformé impartial
est obligé de convenir de la nécessité de le
restraindre. Je me pique, moi, d’être fort impartial ;
& cependant je ne puis convenir de cette
nécessité-là. Si le Gouvernement de France, eût été,
comme il le dit, un Gouvernement à deux têtes, j’en
conviendrois ; mais, tel qu’il étoit par l’Edit, c’est
ce dont je ne tomberai jamais d’accord. Dailleurs, il se
trompe dans son calcul. Il attribuё la formidable
puissance de la France à une restriction imaginaire de
l’Edit de Nantes. Cet Edit ne fut point restreint ;
aucontraire il fut confirmé par l’Edit de Nîmes. A la
vérité, les plus forts donnérent la loi aux plus
foibles ; & le Cardinal, sans toucher au fonds de
l’Edit, expliqua quelques articles à sa mode. Mais
est-ce là un chef d’œuvre ? C’étoit bien la peine en
véritè d’allumer une Guerre civile, pour confirmer après
bien du carnage un Edit, qu’on ne fit qu’ébrécher !
Cette brêche peut elle avoir contribué à l’élévation
d’un Roїaume déjà florissant ? Et puis, quand la
conduite de Richelieu seroit un chef d’œuvre de
Politique, ce ne pourroit être un chef d’œuvre que dans
l’esprit de ceux, qui croient qu’il est permis &
juste de ne pas tenir la foi aux Hérétiques ; de ceux
qui croient que le pouvoir de tout Roi n’a d’autres
bornes que sa volonté ; de ceux qui sont dans les
principes de Machiavel, le Docteur du crime, & le
Précepteur des Tyrans, comme le dit le Roi de Prusse,
dans son Anti Machiavel, livre, où Mr. H - - - pourra
apprendre d’un grand Prince les vrais principes de la
Politique.
J’ai déjà fait voir la fausseté de cette
assertion, & dès-là, toute la foiblesse de cette
réponse. J’ajouterai, qu’un Prince n’est point en droit
de manquer à ses engagemens, ni d’embarquer une partie
de ses sujèts ou dans une Guerre civile ou dans
l’oppression. Pourquoi un chef d’œuvre ne
seroit il pas loüable ? Et je dis, moi, que dans les
Principes de Machiavel, & suivant le systême, que M.
de H - - - s’est fait du Gouvernement de France, non
seulement la restriction, mais même l’nique Révocation
de l’Edit de Nantes est digne des plus grands éloges. M.
H * *. paroissoit vouloir dire au commencement de sa
Lettre le Pour & le Contre de cette Révocation ;
mais il ne fait que glisser là-dessus. Je dirai donc
ici, que, quand même l’Edit de Nantes n’auroit pas été
aussi Irrévocable, qu’il l’étoit ; Loüis XIV. n’auroit
pas eû droit de le révoquer, parcequ’il étoit lié par sa
déclaration volontaire de 1643. à le maintenir. Mais,
dit on, il est bon qu’il n’y aît qu’une religion dans un
Roîaume. Jé n’éxaminerai pas, si cette maxime est
vraїe ; mais je soutiens, que quand il y en a deux
d’établies, l’interêt public demande qu’on les laisse
subsister. La Tolérance est un moїen sur de prévenir les
troubles, comme l’Intolerance est le moïen de les
fomenter. Mais, dans le choix, ne vaut il pas mieux se
déterminer à veiller sur les séditieux, que de perdre
des millions de Sujèts. Qu’a gagné Loüis XIV ? Rien. Il
a ruiné ses plus belles Provinces ; il a enrichi ses
ennemis de ses pertes. Il n’a pû extirper l’Hérésie, ni
par le fer ni par le feu. Il y a encore en France plus
de 3. millions de Huguenots. Heureux les Princes, qui
les recevront dans leurs Etats ! Plus heureux leur Roi,
s’il ouvre les yeux sur leurs miséres, & s’il leur
accorde une Tolérance, que la Religion
demande, que la Politique approuve, que tous les bons
François attendent ! Amen.
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« Que peut il y avoir de plus étonnant,
dit il, que de voir le tiers ou le quart des Sujèts
disposer d’un certain nombre de villes, de
forteresses, de gens de guerre ; avoir leurs propres
Etats, ou Assemblées Générales, indépendantes du
Gouvernement ; faire des Allîances
avec des Nations étrangéres, qui pouvoient être
ennemies du Roїaume, & autres choses semblables,
dont on ne sçauroit trouver d’éxemple dans
l’Histoire. »
Ebene 4
« On ne peut pas blâmer
Henri IV, qui fit un pareil Edit, parceque les
longues Guerres Civiles ne pouvoient pas s’appaiser
par un autre moien ; on ne peut pas non plus blâmer
son Successeur, qui travailla à abolir un
établissement monstrueux, auquel la nécessité des
tems avoit forcé de consentir. »
Ebene 4
« La France, ajoute mon
Auteur, ne fit avec toute sa puissance qu’une pauvre
figure en Europe, tant que le Roїaume fût dans nne
<sic> pareille situation. Elle n’avoit, pour
ainsi dire, qu’un bras, & le Gouvernement
n’étoit pas moins obligé d’avoir l’œuil sur ses
propres sujèts, que sur les ennemis du dehors. »
Ebene 4
« Les Reformez
se plaignent de la violation du serment de la part
Loüis XIII. & de Loüis XIV. Les Catholiques
répondent à cela, que la même nécessité, qui
contraignît Henri IV. de fonder au milieu du Roїaume
un Etat indépendant força son successeur à renverser
ce monstrueux établissement, dont on avoit vû de
tristes effets. »
Ebene 4
« A juger
sans partialité, l’entreprise du Cardinal de
Richelieu, n’est pas loüable, mais elle peut
s’excuser. »
1(*) Le Cardinal de Richelieu.