Zitiervorschlag: Laurent Angliviel de la Beaumelle (Hrsg.): "Amusement XLVIII.", in: La Spectatrice danoise, Vol.1\048 (1749), S. 414-418, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4229 [aufgerufen am: ].


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Amusement XLVIII.

Zitat/Motto► Les Rois font nos vertus: ce qu’ils sont nous le sommes. ◀Zitat/Motto

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I.

Les hommes sont naturellement Singes. Le penchant, qu’ils ont à l’imitation se répand sur la vertu mème. Aussi leur vertu est-elle ordinairement fausse. Elle a toujours la teinture du principe auquel elle doit sa naissance. Ils s’en applaudissent comme d’une perfection ; mais s’ils remonteoint <sic> à la source, ils en connoitroient le vuide & le néant.

La plupart de ce qu’on appelle vertueux doivent leurs qualités à un défaut réel. Le point d’honneur fait toute leur probité. Droits par respect humain, intègres parceque l’intégrité est souvent nécessaire pour parvenir, modestes parceque l’orgueil est détesté, humbles par vanité, courageux, parceque les lâches sont méprisés, ils ont une ame pliante, qui prend toutes sortes de formes. Ils ne sont pas, si vous voulez, hipocrites, ils croient bonnement ètre vertueux, parcequ’ils ne s’éxaminent point eux-mèmes, & qu’ils prennent pour vertu une certaine habitude [415] au bien, à laquelle ils se sont faits dès leur jeunesse par honte du crime, par crainte du mêpris, par la force de l’éxemple, par l’attrait d’une belle réputation. Que sai je ? Tant de motifs, étrangers à la vertu influent sur les vertus humaines ; ce qui devroit nous attacher nos devoirs y entre pour si peu, qu’on peut dire avec vérité, qu’il n’y a presque dans le monde que des fantômes de vertu.

II.

Malgré ce défaut, les actions vertueuses, qui partent de principes vicieux, sont infiniment avantageuses à la Société civile. L’amour de la gloire, passion désavoüée par la vertu, produit de bons effets ; elle forme des Héros en tout genre : elle enseigne à mourir pour la Patrie, à s’illustrer, à se faire un nom fameux. L’avarice est contraire à la raison ; cependant, c’est elle, qui équipe des vaisseaux pour fendre les Mers ; qui foüille dans les entrailles de la Terre pour en tirer les trésors que la Nature y a cachés ; qui, formant l’homme à la patience, lui fait entreprendre les choses les plus difficiles ; en un mot, elle est l’ame dn <sic> Commerce. Le point d’honneur naît certainement de la petitesse de l’ame orgueilleuse. Cependant combien de braves ne fait il pas ? de combien de prodiges de valeur ne lui avons-nous pas obligation ? Là où il regne avec le plus d’empire, il forme à l’Art militaire une noblesse invincible. La crainte du qu’en dira-t’on est une foiblesse ; la pruderie est un défaut. Néanmoins de millions de maris ne doivent ils pas à cette crainte la sagesse chagrine de leurs Femmes ?

III.

Cela posé, cette raison, fut-elle la seule, suffiroit pour obliger les Princes à ètre vertueux ou du moins à le paroitre.

Quelle influence n’a pas leur éxemple sur la conduite de leurs Sujets ? La vie dú Roi est comme la régle de la vie des Particuliers. Les Courtisans copient le Monarque, & les Bourgeois copient les Courtisans. La vertu des uns dépend de la vertu [416] des autres ; & la vertu des Courtisans dépend de la vertu du Prince. Que le Souverain se pique de droiture, de piété, de bravoure ; ces qualités se répandront sur les Citoiens. Qu’il soit débauché, impie, avare ; ces vices se communiqueront de proche en proche.

Les hommes sont tellement ébloüis de l’éclat des grandeurs, qu’ils se conforment aveuglément à tout ce qui vient de leurs Supérieurs. Il leur semble que cette conformité les rapproche du haut rang qu’ils envient, & qu’en imitant les grands, ils s’elevent jusqu’à eux. Il en est des vertus & des vices comme des modes. Le Peuple emprunte de la Cour les uns & les autres ; & la Cour les emprunte du Souverain. Exemplum► Sous Charles II. Roi d’Angleterre, toute la Nation donna dans le libertinage. ◀Exemplum Exemplum► Sur la fin du Regne de Loüis XIV. toute la Cour fut dévote ; ◀Exemplum Exemplum► sous la Régnence de M. d’Orléans toute la Cour donna dans le Système & dans le Mississipi. ◀Exemplum Le Peuple est un Pâte, à laquelle le Prince donne la forme qu’il lui plait.

IV.

Nous devrions toûjours tenir notre ame dans un équilibre, qui ne pût ètre détruit que par le poids de la vertu. Mais, où est l’homme, qui ne se laisse point entrainer aux éxemples séduisans de ceux qui lui sont supérieurs en dignité ? Notre foiblesse est d’intelligence avec notre amour propre, & toujours au profit de nos passions.

Il ne faut donc point ètre surpris, si tous les hommes s’astreignent à une imitation servile des vertus & des vices des Princes. Cette imitation est commode, utile, jamais nuisible. On se contente de modéler sa conscience sur la conscience publique ; on partage les éloges que l’adulation donne à la façon de penser & d’agir du Prince. On laisse à l’écart les principes sévères de la morale. Si l’on rentre en soi-mème, on n’y voit rien de plus vicieux que dans les autres. On ne sort point de cet état ; souvent le préjugé vient à la suite ; & avec cet empire qu’il a sur notre raison, nous fait prendre le mal pour le bien & le bien pour le mal.

[417] Ebene 3► Allgemeine Erzählung► Un Gentilhomme voiageoit dans un roiaume, où presque tous les Etrangers de condition ont coutume d’aller acheter bien chèrement non le gout pour les Lettres & les Arts, non la bonté & les sentimens du cœur, mais ce qu’on appelle les belles maniéres. Il fit un assés long séjour dans la Capitale, qu’il apprit en partie à connoitre à ses dépens. S’il y apprit autre chose, c’est ce que je ne sai pas. Un de ses Amis voulut lui faire voir la Cour avant son départ : «  Je l’ai vuё, dit le voiageur, sans y avoir été. J’ai vu la Ville, & cela me suffit. Que verrois-je à la Cour ? Des noirceurs couvertes du voile de la politesse ; des intrigues secrettes sans nombre ; des ambitieux affamés d’honneurs ; des mécontens ; des voluptueux ; des gens de mérite. J’en vois ici. Je verrois un Roi aussi cher à ses Courtisans qu’au reste de ses Sujets ; qni <sic> mérite le titre de Bien aimé que son Peuple lui a donné ; & dans lequel les étrangers admirent l’union (*1 ) du Bon, du Juste, du Grand : des Abbés dont tout le savoir est l’histoire des Anecdotes scandaleuses, & toute l’occupation la coquetterie : des Petits-Maitres indéfinissables, dont tout le mérite est la pétulance ; toute la gloire, la conquète de quelque Iris mal assurée ; toute la conversation, la Bagatelle : Des femmes, qui, toujours à l’affut des cœurs ou des plaisirs, rajeunissent leurs appas décrépits avec la céruse & le plâtre : des Courtisans qui font par ambition les crimes qu’on fait à quatre Lieües de là par intérèt : Des Duchesses dont la conduite force les maris à envier le rang de simples Particuliers. C’est ici tout comme là. Je ne verrai rien à la Cour de nouveau. A Paris je vois Versailles. Il est inutile que je sorte d’ici, si je veux ètre témoin des sottises humaines. » ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 3

[418] V.

Exemplum► De tous les Peuples l’Anglois est celui qui est le moins enclin à l’imitation. Ils <sic> aime à se singulariser ; ses vertus & ses vices, il ne veut les devoir qu’à lui-même. Il n’a pas un bon sens d’emprunt ; sa raison lui apartient ; & il n’en aliéne point les droits en faveur du préjugé. En France, une action est proscrite quand on peut dire à celui qui la fait : cela n’est pas d’usage. En Angleterre, on répond : cela se fait, puisque je le fais. L’esprit de liberté qui régne dans cette Ile, répand sur tous les habitans un gout d’indépendance, qui influё non seulement sur les affaires du Gouvernement, mais encore sur leurs affaires privées & sur leur caractère. ◀Exemplum

VI.

Le sage Législateur des Chinois, Confuciuns, a laissé aux princes un sentence ; qui mèriteroit d’ètre gravée dans tous leurs palais, ou, pour mieux dire, dans le cœur de chacun d’eux. Ebene 3► « Le roi, ditil <sic>, est le Patron sur lequel se forment tous ses Sujets. Ainsi, pour avoir un Roiaume bien policé, il faut qu’il en donne le modèle dans l’économie de sa propre Maison ; que lui-mème soit l’original de la sagesse & de la vertu, qui de sa personne passe à la famille, de sa famille à sa Cour, de sa Cour dans sa Capitale, de sa Capitale dans ses Provinces. Car si on n’a point de honte de l’imiter dans le mal, on auroit honte de ne le pas imiter dans le bien. » ◀Ebene 3 ◀Ebene 2 ◀Ebene 1

1(*) C’est ainsi que s’exprime l’illustre Van Hoey dans son Adieu à la Cour de France.