Zitiervorschlag: Laurent Angliviel de la Beaumelle (Hrsg.): "Amusement XLVI.", in: La Spectatrice danoise, Vol.1\046 (1749), S. 393-400, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4228 [aufgerufen am: ].


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Amusement XLVI

Zitat/Motto► Que malheureux le sort des Mortels soudoïez,
Qui tantôt foudroïez,
Dans ce métier ingrat vieillis sans récompense,
Combattent en tout tems contre leur indigence ! ◀Zitat/Motto

Le comte de – – Lett Div.

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I.

La Guerre rend presque toûjours les hommes malheureux, & les Souverains coupables. Quels sont les malheurs de la Guerre ? La perte d’une infinité de sujèts, la dépopulation des Etats, la stérilité des terres, le dépérissement du Commerce, la décadence des Arts, l’extinction de la vertu abandonnée à la licence du Soldat, & tous les maux inséparables de la perte, que la société civile fait d’un nombre prodigieux de membres nécessaires. Quels sont les crimes des Princes ? Le mepris qu’ils font d’un sang, dont ils devroient être avares ; la Tyrannie qu’ils sont obligez d’exercer sur leurs sujèts, dont ils devroient être les Péres ; la mendicité à laquellè ils les réduisent par des impôts éxorbitans ; les tromperies qu’ils mettent en œuvre pour parvenir à leur but ; le peu d’égalité de prix qu’il y a souvent entre leurs prétentions même légitimes, & la vie des milliers de personnes, dont il les appuïent.

II.

Il n’est aucun Prince sensé, qui déclarât la Guerre à son Voisin, s’il y réfléchissoit mûrement. Il veut conquerir une Province, qui arrondiroit ses Etats ; mais I° le succés est incertain. Il a des forces supérieures ; mais rien de plus commun, qu’une Armée battuë à platte couture par une Armée moins nombreuse. 2° S’il en fait la conquete, l’ennemi sera, il est vrai, [394] affoibli d’autant : Mais ne perdra t’il pas infiniment plus qu’il ny <sic> gagnera. On a observé, que dans une Campagne où il ne se passe ni Bataille ni Siége, un Général perd toûjours, sans coup férir, les quatre quints de son Armée. Exemplum► Un Anglois a démontré, que que <sic>, pour chaque nouveau sujèt, que Louis XIV, a mis sous le joug, il en a perdu trois de son ancien domaine ; de sorte que si ce conquerant se fût livré aux cruautés les plus inoüis, il auroit fait moins de mal à son Roïaume. ◀Exemplum Exemplum► N’eût-il pas mieux valu pour la Suéde, que Charles XII, aulieu <sic> de son ambition, eût eû d’autres défauts plus criants, & qu’il eut été aussi voluptueux que Sardanapale, aussi fou que Caligula, aussi barbare que Néron ? Il auroit été l’horreur du genre humain ; mais au moins il n’auroit point ruiné ses sujéts. Il est admiré du Vulgaire ; mais qu’importe aux sujèts, que leur Roi soit admiré ou non ? L’admiration est pour le Prince, & la pitié pour les Peuples. Quand ceux-ci sont malheureux & appauvris, le Souverain ne sauroit être grand. Le bonheur des sujéts est inséparable de la véritable grandeur d’un Roi ; & cette grandeur est incompatible avec l’ambition. ◀Exemplum

III.

C’est pourtant l’ambition, qui produit toutes les Guerres. Les Princes accoûtumez dez <sic> leur enfance à voir tout plier devant eux, s’imaginent que l’Etat est fait pour eux. Il en est peu, à qui on aît dit, qu’ils sont faits pour l’Etat. Suivant ce sistême, ils croient le sang des hommes trop bien emploié, s’il sert à cimenter leur prétenduë gloire, & à arroser les Lauriers dont ils se couronnent. Ils le prodiguent, tandis-qu’ils épargnent leurs trésors. Ils attaquent une Place : Que trente mille hommes y périssent, peu importe, pourvû qu’ils la prennent. Mais qu’importe aux sujèts la prise de cette ville ? Rien du tout. Leur Roi en sera plus puissant ; mais en seront-ils plus heureux ? Je ne conçois pas, comment les hommes ont été assez fous pour s’assu-[395]jettir à servir aux dépens de leur vie l’ambition d’un seul. Car c’est l’ambition, qui cause toutes les guerres. Les différends de particulier à particulier sont souvent obscurs ; les differends de Prince à Prince sont presque toûjours clairs. La subtilité des Manifestes veut envain y répandre des nuages. L’ambition perce à travers le sophisme. Presque tous les Manifestes sont bien tournez ; Mais toute la Réthorique des Secretaires n’est pas capable d’aveugler le Public. Exemplum► Qu’importoit aux François, que leur Roi déclarât, la Guerre à Guillaume III ? Les Anglois ne vouloient plus de Stuard. Qu’avoit la France à voir là dedans ? N’est il pas permis à un Peuple libre de faire ce qu’il lui plaît, sans qu’un Roi Despotique vienne s’en mêler ? Le vrai est, que Loüis XIV. vouloit avoir la gloire de remettre Jacques II. sur le Thrône, & obtenir le titre de vengeur des Rois. A regarder la chose sans intérêt, il étoit assez plaisant, de voir un Prince, sacrifier une partie de ses sujèts, en faveur d’un autre Prince, qui trouvoit dans son petit genie des ressources contre ses malheurs, & qui regardoit le Thrône, qu’il avoit perdu par sa faute, avec tant d’indifférence, qu’il dît en apprenant la nouvelle de la Paix concluë à son désavantage : « Dieu soit loüé ! nous pourrons aprésent <sic> avoir de bons Chevaux Anglois. » ◀Exemplum

Exemplum► Combien d’injustices l’Ambition n’a t’elle pas commises dans cette Guerre ? Le droit étoit assurément de la dernière évidence. Mais qu’ont gagné les parties Belligérantes ? La victorieuse a été à deux doigts de sa ruine. L’Impératrice Reine a perdu la Silésie. La Hollande a perdû sa Liberté. L’Angleterre a perdû des richesses immenses. La France a affoibli son Commerce. Il est vrai, qu’elle a fait de grands progrès dans les Païs-bas ; mais aussi ses finances en ont été épuisées, ses habitans reduits à la dernière misère, ses terres privées des bras qui les fertilisoient, ses manufactures destituées d’ouvriers. Mais aussi elle a rendû presque toutes ses conquêtes, elle n’a pû empêcher l’Election du Grand [396] Duc de Toscane, elle a été chassée d’Italie, & a perdu Cent mille Soldats en Allemagne. Cette Guerre a couté à l’Europe la vie de plus de sept-cent mille hommes. Quelle perte ! A quoi a t’elle abouti ? A rien. Messieurs de Saxe & de Löwendahl sont ceux qui y ont le plus gagné & du côté de la Gloire & du côté de l’Intérêt. ◀Exemplum

IV.

Exemplum► « Vous tremblez », disoit un Officier à son Général dans une occasion critique. « Je tremble, répondit celui-ci, du carnage que je vais faire. » ◀Exemplum Ce Marêchal coloroit peut être sa pusillanimité du beau nom de compassion. Mais, cette suspicion à part, ces paroles sont dignes d’un Héros. Un Général, en qui l’amour de la gloire, l’éclat du rang, l’ivresse des succès n’ont pas éteint l’humanité ; qui combat sans être altéré de sang ; qui joint à un grand cœur un esprit Philosophe ; un tel Général peut il livrer Bataille sans quelque émotion ? Peut il ne pas gémir au fonds du cœur de l’infortune de la condition humaine ? Il voit sous ses yeux une infinité de Soldats, à qui la misere, l’autorité, ou le libertinage ont mis les armes à la main ; qui s’exposent à la mort pour avoir dequoi conserver la vie ; il voit une brillante jeunesse armée pour satisfaire l’orgueil, pour soutenir un droit douteux, pour appuïer la jalousie d’un Prince. Cette Plaine va être arrosée du sang de milliers d’hommes, qui vont à la boucherie sans savoir pourquoi. Un acharnement inconcevable animera les Combattans. Quelle perte va faire l’Univers ! Combien de grands hommes en tout genre moissonnez avant le tems ? Ces réfléxions ne peuvent qu’attendrir un sage Général, qui connoit le prix du sang humain. Dailleurs, incertain du succès qui dépend de mille circonstances que la prudence la plus déliée ne peut prévoir, il est en droit d’être troublé.

[397] V.

La Guerre est un mal nécessaire. On le dit, & à force de le dire, tout le monde en est persuadé. Cependant rien n’est plus faux. J’aimerois autant, qu’on me soutînt, que les procès de Province à Province sont nécessaires. Ce n’est que l’ambition qui en fait la nécessité. Les Princes conviendroient aisement, si on pouvoit les guérir de cette maladie Epidemique, le plus funeste des maux qui soient sortis de la Boëte de Pandore. Le Projèt de Paix perpétuelle de l’Abbé de St. Pierre (*1 ) n’est peut ètre pas aussi chimérique, qu’on le pense communément. Mais quand il le seroit, ne pourroit on terminer autrement les différends des Princes ? Les loix du Code décident des affaires des particuliers ; pourquoi le droit de la Nature & des Gens, qui est le Code des <sic> genre humain, ne pourroit-il pas décider des différends des Princes ? La voïe des Négociations est très avantagense <sic>, & l’a toûjours été. Elle a souvent épargné bien du sang. Si elle étoit insuffisante, (ce que je ne crois pas, supposé que les Ministres négociassent de bonne-foi) chaque Nation ne pourroit elle pas remettre ses intérêts entre les mains d’arbitres désintéressez, dont le jugement seroit sans appel ? Mais que dis-je ? Tout cela demande de la bonne-foi ; Et dois-je avoir oublié, qu’elle est aujourd’hui bannie de presque tous les Conseils des Princes ? Exemplum► Villeroi, Secretaire d’Etat, n’en faisoit pas la petite bouche ; il établissoit [398] pour Maxime (*2 ) « que l’intention des Princes & de leurs premiers Ministres ne doit pas être asservie à leur signature, mais que leur signature doit l’être à leur intention. » ◀Exemplum Exemplum► Ferdinand le Catholique se glorifioit de ses fourberies. « Quintana lui disoit, que Loüis XII. se plaignoit d’avoir été trompé deux fois. Deux fois ! répondit il ; parbleu ! il en a bien menti, l’yvrogne. Je l’ai trompé plus de dix. » ◀Exemplum

Cependant, malgré le bon accüeil qu’a reçu partout la Politique commode & détestable de Machiavel, il en faut toûjours venir aux Négociations. Dans l’état où sont à présent les choses en Europe, il est bien difficile, que l’une des Partïes Belligérantes soit vaincuë au point de recevoir, sans conditions, la loi du vainqueur. On se bat ; & puis on se raccomode, comme des enfans qui se sont querellez. Ne seroit il pas plus naturel & plus utile, que le Congrès précédât la déclaration de Guerre ? Les Peuples vont se couper la Gorge pour la gloire de leurs Souverains respectifs, tandis-que les Souverains se divertissent aux dépens de leurs Peuples. Quand ils ont acquis assez de gloire, ils envoîent leurs Plénipotentiaires dans une Ville pour traiter de la Paix. Après bien de ruses & des détours politiques, on convient ; on se restitue ce qu’on s’est pris, comme si le droit de la Guerre avoit été égal de part & d’autre, quoique souvent il n’y aït eû d’égal qu’un tort réciproque. Ne vaudroit-il pas mieux commencer par des Conférences ? On se repent toûjours d’avoir fait la guerre. On ne se repent presque jamais d’avoir fait la paix ; Et je ne vois que les Anglois, qui aïent lieu de maudire le Congrès d’Utrecht.

VI.

Si l’on veut absolument répandre du sang, qu’on en répande. Mais du moins qu’on le ménage. Selden, Alciat, [399] Frisius, Gentilis, Ayala &c. ont voulu que les Rois vuidassent leurs différends à la pointe de leur Epée. C’est trop éxiger d’eux ; & il vaut sans doute infiniment-mieux, qu’un million d’hommes périsse, que si un Roi étoit tué en Duël. Mais chaque Nation ne pourroit elle pas fournir un certain nombre de Champions, proportioné à ses forces respectives ? Le succès d’un tel combat ne seroit pas plus incertain, que celui d’une Bataille, dont le gain dépend de la fortune ;

Ebene 3► L’inexpérience indocile

Du Collégue de Paul-Emile
Fît tout le succès d’Annibal. ◀Ebene 3

Exemplum► Je ne lis jamais le Combat des Horaces & des Curiaces, entre les mains desquels Albe & Rome avoient mis leur destinée, sans admirer la sagesse des Albains & des Romains. Les premiers fûrent vaincûs. Mais leur Patrie, pour être subjuguée, en fût elle plus malheureuse ? ◀Exemplum

VII.

Mr. le Président de Montesquieou, (*3 ) dit quelque part, que les Guerres sont moins meurtrières depuis l’invention de la Poudre. Il est vrai que la Mousqueterie a banni la mêlée ; Mais l’Artillerie fait un terrible dégât. Le Canon éclaircit furieusement les rangs. Rien ne peut résister aux Boulèts rouges ; Et je doute que le Diable, avec tout son esprit & tout son savoir, eùt pû inventer des armes plus meurtrières. Au prix de nous, les Anciens combattoient poliment. Les siéges de Places duroient dix ans ; ce qui prouve qu’il n’y périssoit pas beaucoup de monde. Aujourd’hui, par la méthode de Vauban & de Coëhorn, une ville ne tient guére [400] audelá de six Semaines de tranchée ouverte, quelque bien défenduë qu’elle soit. Autrefois les armées n’étoient pas si nombreuses. Une armée de cent mille Combattans étoit un prodige. Aujourd’hui, les Rois n’argumentent qu’à la tête de deux cent mille Tenans. Autrefois, on déclaroit la guerre, avant que de la commencer. Aujourd’hui, on endort par de belles promesses la vigilance de l’ennemi, & en suite on emploie contre ses frontières la redoutable Logique du Canon. Il y a bien d’autres différences entre l’ancienne manière de faire la Guerre & la moderne. Nous nous applaudissons de notre supériorité, quoiqu’elle nous soit très funeste.

VIII.

Fremdportrait► De tous les Guerriers, les Suisses sont les plus coupables. Ils pourroient joüir en paix des douceurs de la Liberté. Mais l’oisiveté les chasse de leur patrie, & les conduit dans un service étranger. Ils vendent leur sang à qui veut l’acheter, & perdent la vie pour venger les querelles d’autrui. Quelquefois l’Ainé d’une Maison est Colonel d’un Régiment à la solde du Roi de France, & le Cadèt sert le Roi de Sardaigne. Les Fréres, les Amis, les Parens, les Concitoïens sont obligez de ne point se faire de quartier ; Et cela, pour les intérêts opposez de quelque Prince. Autant d’homicides qu’ils commettent, puisqu’ils tuent des gens qui n’ont rien à démêler avec eux. Comment tant de courage (car les Suisses en ont) se trouve t’il uni à tant d’extravagance ? Leurs services criminels sont quelquefois mal récompensez ; Tant-mïeux ; je souhaite de bon cœur, que tous les Rois les traitent, comme a fait en dernier lieu le Roi d’Espagne. Comme, sans argent, point de Suisses, ils se dégouteroient bientôt d’un métier pénible & infructueux. ◀Fremdportrait ◀Ebene 2 ◀Ebene 1

1(*) L’Abbé de St. Pierre, qu’on peut appeller l’Ami de l‘humanité, est mort à Paris le 29. d’Avril 1743. M. le Cardinal de Fleuri l’appelle dans un billet écrit d M de Fontenelle, L’Apothicaire de l’Europe. Ce Ministre eût été plus utile à sa Patrie, s’il eût empruntè les lumieres de l’Academicien, aux dépens duquel il se divertissoit.

2(*) Voyez les Préliminaires des Traites d’Amelot de la Houssaie, à Paris 1692.

3(*) Auteur des Lettres Persannes & des Considérations sur la décadence de l’empire Romain. Il doit donner bientôt au public un ouvrage sur la Politique, auquel il travaille depuis 16. ans.