La Spectatrice danoise: Amusement XLVII.
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Amusement XLVII.
Zitat/Motto
Dela les Monts chacun veut être
Comte ;
Ici Marquis, Baron peutêtre ailleurs :
Je ne sçai pas lesquels sont les méilleurs ;
Mais je sçai bien, qu’avecque la Patente
De ces beaux noms, on s’en aille au marché,
On reviendra comme on étoit allé ;
Prenez le Titre, & laissez moi la rente.
Ici Marquis, Baron peutêtre ailleurs :
Je ne sçai pas lesquels sont les méilleurs ;
Mais je sçai bien, qu’avecque la Patente
De ces beaux noms, on s’en aille au marché,
On reviendra comme on étoit allé ;
Prenez le Titre, & laissez moi la rente.
La Fontaine.
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Convenons-en ; nous avons dégénéré.
Nos Péres, contents de la vertu, ne couroient point après les
Titres. Ils laissoient cette manie à l’Espagne, à l’Allemagne, à
la France. Sommes-nous les descedans de ces illustres &
sages Danois, nous, qui, contents des Titres, ne courons point
assurément après la vertu, nous qui nous piquons d’avoir en
vanité ce qui nous manque en mérite ? Anciennement, notre
Noblesse ne se distinguoit que par sa valeur & par l’étenduё
de ses Terres. Quoiqu’extrêmement jalouse de ses privileges,
& attentive à les augmenter à l’élection d’un nouveau Roi,
elle ne daignoit pas seulement penser aux titres. On sait,
combien elle fût irrité de ce qu’Ulefeld étoit revenu dans sa
Patrie Comte de l’Empire, & avoit par là porté atteinte au
mepris qu’un Gentilhomme Danois devoit à ces frivoles honneurs.
Cet heureux tems n’est plus. L’antique simplicité a disparu. On
ne voit partout que Comtes & Barons. Qu’il en est, dont une
Tortuё pourroit à son aise parcourir en un jour la Comté ou la
Baronie ! Je suis bien surprise, que nous n’aîons pas donné dans
la fureur du Marquisat. Il ne nous manque en vérité que ce
ridicule. Patience ! il viendra bientôt nous saisir. Un homme de qualité, dont la Noblesse se perd dans
l’obscurité des tems, & dont les aieux sont celébres dans
l’Histoire, ne peut d’ordinaire soutenir le grand nom qui lui a
été transmis. Pour suppléer à son incapacité, il allonge du
titre de Comte, que ses Ancêtres avoient méprisé, parce qu’il
étoit inutile à leur gloire. La véritable grandeur est
antérieure aux Titres, qui ont extrêmement dégénéré de leur
institution primitive. Dabord, ils fûrent la récompense du
mérite, ensuite ils devinrent l’appui de la faveur, enfin ils
sont devenus le trophée d’un amour propre fainéant. Le
Bourgeois, vrai singe du Noble, le copie en ceci. Rester
éternellement dans la médiocrité, cela est ennuїeux ; en sortir
par son mérite, cela est difficile & pénible. Il est une
voїe plus courte. Il n’y a qu’à se (*1) caractériser. Il est vrai, que ma Cuisine en ira
plus mal ; mais aussi mon nom en sera plus long, & ma
personne plus profondement saluée. Tirons-nous de la foule ;
sortons de l’obscurité : devenons un diminutif de Seigneur.
Voilà comme on raisonne. Là-dessus, sollicitations sur
sollicitations, requête sur requête. La Cour accorde enfin.
C’est un malade, dont elle guérit l’imagination blessée. Voilà
mon homme ravi, charmé enthousiasmé. Plus de liaison avec ses
anciens Amis. Son titre a changé ses inclinations. Il ne connoit
plus son voisin Gunter, qui plie boutique & devient son
égal, en sortant de la crasse par les mêmes moїens. Quel est le
sens d’un Placèt, tendant à obtenir un titre honorifique ? Le
voici au naturel. « Sire ! j’ai amassé quelque bien à duper le
Public dans mon petit Négoce. Je n’ai pas assez de bon sens pour
vivre avec plaisir dans l’état où je me suis enrichi. Votre
Majestè voudroit elle me faire la grace de me métamorphoser en homme respectable ? j’en vois tant, qui
sont respectés, quoiqu’ils ne vaillent peut être pas plus que
moi ! Daignez donc, vû que l’Argent est bon Gentilhomme, me
permettre de ne plus travailler au bien public, de mépriser mes
égaux, dérompre <sic> le fil de ma fortune, d’envoїer ma
famille à l’hôpital sur les aîles de l’orgüeil, d’être ce que je
ne suis ni ne peux être &c. »
Les Parvenus sont ordinairement fiers & intraitables.
Quel est cet homme distrait, quand il faut rendre un salut ;
brusque, quand on le contredit ; qui conteste le pas avec
opiniatreté ; à l’anti-chambre duquel il faut se morfondre,
avant que d’être introduit ? C’est un Ex-laquais. Il oublie
qu’il est né Paїsan. Après cela, étonnez-vous qu’un Seigneur de
la vieille roche oublie qu’il est homme.
La leçon du Militaire étoit, à mon gré, plus utile, que
son salut n’eût été honorable. Il n’en fût pourtant pas
remercié. L’ingratitude !
Qui cherche à s’illustrer par cette voïe, n’est pas en
vérité fort délicat sur l’honneur, sur la véritable gloire. La
Patente qu’il reçoit prouve moins son mérite que sa folie. Un
tems viendra, qu’on guérira de ce préjugé, & qu’on lui en
substituera un autre, vraisemblablement aussi ridicule. Ainsi va
le monde. Une sottise est chassée par une autre sottise, qui, à
son tour, est remplacée par une nouvelle. A proprement parler,
nous ne revenons jamais de nos égaremens, nous ne faisons qu’en
changer, & les derniers renchérissent toûjours sur les
premiers. Notre amour propre, conseillé par notre inconstance,
se tourne sans cesse vers de nouveaux objèts. Certains titres sont
tellement avilis parmi nous, que je ne désespère pas de voir un
tems, où ils seront autant méprisez, qu’ils
sont aujourd’hui courus. Ce tems n’est peut être pas si éloigné
qu’on pourroit l’imaginer. Un Jeune Seigneur ne daigne plus a
présent être Conseiller d’Etat, quoique nos meilleurs familles
commençassent autrefois par là leur entrée dans les Charges.
Combien de Bourgeois ne se croiroient pas assez honorez du titre
de Conseillers de Commerce ? Que résultera t’il de cette
indifférence pour tout ce qui est commun ? La prodigalité des
titres plus relevés. Les Excellences ne seront pas plus rares
ici, qu’elles le sont à Bruxelles, où tout Marchand est traité
au long & au large d’Excellentissime Seigneur. Dans la suite
cette dénomination sera peut être une injure. Que savons nous ?
Que les tems sont changez ! François I. n’étoit traité que
d’Excellence. Frédéric III. n’eût pas un autre titre, quand, il
fût proclamè Roi. Des-que les Monarques eûrent pris celui de
Majesté qui leur convenoit, les petits Princes ne voulûrent
point leurs restes, ils s’arrogérent celui d’Altesse, les sujèts
se jettèrent sur celui de Grandeur & d’Excellence, qu’ils
laisseront, pour prendre celui de Majesté, quand il plaira aux
Rois de ressusciter le titre de Divinité, que les Empereurs
Chrétiens s’attribüoient. « Où est votre Marquisat, disoit une
Duchesse de Savoie à un François, soi-disant Marquis ? »
« Madame, lui répondit il, il est dans votre Roїaume de
Chypre. » Où est vôtre Comté, peut on demander à bien de nos
Comtes ? Peuvent ils répondre, sans recourir aux espaces
imaginaires ? Il est des titres brillans, qui jurent avec le
caractère de celui qui les porte ; ce qui fait un contraste
assez risible. Un Prince, dont la Principauté n’éxiste nulle
part, est toûjours traité de Transparance, souvent malgré son
opacité ; un Seigneur, d’Excellence, quoiqu’il n’excelle qu’à
manger & à s’ennivrer ; un Bourgeois est apellé, Monsr. le
Conseiller de Justice, quoique sa vie n’ait été qu’un tissu
d’injustices, & qu’il ne soit bon qu’à en
Conseiller. Un nain d’Evêque, à qui l’on donnoit de la Grandeur,
suivant l’usage, dît plaisamment : Laissez-là ma Grandeur. Elle
n’a que trois pieds et demi de haut. Qu’un homme rempli d’une noble
ambition, cherche après avoir servi sa patrie, un Titre qui, dû
à ses belles actions, soit assorti au genre de services qu’il a
rendu, qui, en le distinguant des membres inutiles à l’Etat, lui
serve d’échellon pour monter plus haut, & d’aiguillon pour
mériter des postes plus éminens. Je ne trouve là rien que de
fort naturel. Mais qu’un homme, après avoir amassé du bien par
toutes sortes de voïes, véüille en imposer à ses compatriotes,
c’est ce que je ne saurois digérer. S’il veut obtenir mon
estime, qu’il soit galant homme, sociable, bon ami, bon Mari,
bon Pére, qu’il la mérite. Son titre ne le refondra pas. Le
Prince ne sauroit le rendre plus respectable à mes ieux qu’il ne
l’est en effet. L’estime dépend du jugement avantageux qu’on
porte d’une personne, & ce jugement ne dépend point du Roi.
La volonté ne connoit d’autres Souverains que le cœur &
l’esprit. Et l’esprit & le cœur du sage ne sont déterminés
que par les qualités réelles. Vous Vous plaignés du mépris que
j’ai pour Vous. Mais que n’étes vous resté dans le néant d’où
Vous êtes sorti ? Je n’aurois pas seulement songé
à Vous mépriser. En vous élevant, vos dèfauts, vos vices ont
été, pour ainsi dire, exposez au grand jour. On s’indigne
toûjours contre quelqu’un qui veut que nous l’estimions malgré
nous. On lui cherche des ridicules, & malheureusement pour
lui, en le démasquant, on lui trouve quelque chose de plus. On
fait abstraction de l’éclat qui l’environne ; on écarte le
Seigneur, on ne veut voir que l’Homme, on le reduit à sa juste
valeur ; & l’on ne trouve que l’usurier, pesant du bien
d’autrui. On en rit, on le vilipende. La Satyre & la
malignité vont leur train & donnent un démenti formèl à la
fortune. Prenez-vous en à Vous même ? pourquoi Vous êtes-vous
exposé à un éxamen désavantageux ? Vous n’êtes que bouffi, &
Vous voulez qu’on Vous trouve de l’embonpoint ? Ne sortez point
de votre Sphère : Vous aurez peu d’envieux, encore moins
d’ennemis, point de censeurs. Oublier la bassesse de son origiue
<sic>, c’est la rapeller aux autres.
Nouveaux-Titrés ! Souvenez vous
toûjours, que vous avez affaire à un Public malin. Vous croîez,
qu’un titre passe l’éponge sur votre naissance & sur votre
première condition. Détrompez Vous ; c’est précisément ce qui la
mèt au grand jour. Souvent la peur d’un mal nous conduit dans un
pire. Ce Parvenu s’offense de la familiarité de son ancien
voisin, & s’avise de familiariser avec un Cordon-bleu.
Quelle distance pourtant du Cordonbleu à lui ! aulieu qu’entre
lui & son ancien voisin, il n’y a que le tems &
l’argent.
Que j’estime un Parvenu, quî fidelle aux lois de l’honneut
<sic>, de la bienséance, de la modestie, n’oublie point ce
qu’il a été & ne sait presque pas ce qu’il est devenu !
Que de pareils éxemples sont rares !
qu’on voit de gens, à qui l’élevation fait perdre la mémoire !
Ne vaut-il pas mieux ètre que paraitre ? Je laisse à décider au Lecteur, si ce
raisonnement n’est pas plus ingénieux que solide. Ce qu’il y a
de sur, c’est qu’il est bien des gens, dailleurs très estimables
& très sensés, qui seduits par l’éxemple, se décorent d’un
titre. Mais ils sont les premiers à rire de la Requète, qu’ils
présentent à ce sujet. Il est infiniment disgracieux à un homme
de mérite de ne pouvoir acquérir l’estime des autres, que par
une démarche, qui le rend méprisable & ridicule à ses
propres yeux. Tel, qui s’est lontems diverti en prose & en
vers aux dépens des Titrés, est enfin obligé de païer tribut à
cet usage tirannique. La passion pour les titres est parmi nous
une maladie Epidémique. Tout le monde veut excéder sa condition.
C’est quelque chose d’assés plaisant, qu’une grande Ville, dont
presque tous les habitans paroissent ce qu’ils ne sont pas,
& font consister la grandeur dans une vaine fumée : car,
qu’est-ce qu’un Titre ? Une autre marotte suit de
celle-là : c’est la Préséance. On dispute le pas avec hauteur.
Les égards & les respects se mesurent au titre, & non au
mérite, ou à l’âge. De pareils ridicules
n’ont besoin que d’ètre exposez pour ètre sentis. Qu’ils sont
communs ! Les Dames, ailleurs si polies, que leur compagnie est
pour un jeune homme la meilleur écôle d’urbanité, sont, sur cet
article, d’une sensibilité incroїable. Sans cesse occupées du
cérémonial, elles n’agissent que par poids & par mesure,
après avoir sérieusement consulté le Livret qui le régle. Elles
apportent dans la Société cette gène, cette contrainte qui en
éxile la liberté & avec la liberté les plus doux agrémens.
Il en est, qui aiment mieux laisser languir leur Fille dans un
ennuîeux célibat, qu’accepter un parti avantageux qui
l’obligeroit de céder le pas à telle & telle. Avoit-elle
tort ? Croiroit-on, que la folie des Rangs a gagné la Campagne.
Rien n’est plus vrai : tout ce qui est un peu audessus de Paisan
Serf en est entiché. Ce sont des disputes éternelles.
Ceci me rappelle un assés joli conte. Dans un Paїs, où les Titres sont à la mode, on ne sauroit
parvenir à l’estime de ses compatriotes, au moins généralement
parlant, si l’on n’en est décoré. Mais, comme la plupart des
Titulaires ne sont pas gens d’un mérite fort éminent ; on se
repose sur l’indulgence dn <sic> Prince ; on court à la
grandeur par les mèmes voies ; on ne daigne pas seulement se
donner la peine de s’en rendre digne ; on fait consister la
véritable gloire dans l’approbation publique ; & dès-là on
néglige la solide vertu, qui apprend à se passer de cette
approbation ; on cherche l’éclat, & on n’a plus le courage
de consentir de n’ètre grand qu’à ses propre îeux. Plus les
titres sont communs, & plus ils sont avilis : plus ils sont
avilis, & moins ils sont mérités. Ceci a l’air d’un
Paradoxe. Ce n’en est pourtant pas un. L’homme veut ètre estimé
de ses semblables ; mais il veut aussi qu’il lui en coute le
moins qu’il lui est possible. En tout paїs, pour obtenir un
Titre, qu’en coute-t’il ? Quelques sollicitations, quelques
Loüis à un Secretaire. Voiant donc, qu’il peut se distinguer
aisément, il choisit cette voîe, qui favorise en mème tems son
Ambition & sa paresse. Il n’est plus tenté de se fraier le
chemin aux honneurs en suivant la route de l’Héroïsme. Plus les
récompenses, duёs au mérite, sont faciles à obtenir, moins il y
a de vrai mérite. Un Etat, ou l’émulation ne régne
pas, ne produit guéres de grands hommes ; & l’émulation
n’est-elle pas étouffée par l’extrème facilité avec laquelle les
Citoiens s’élèvent ? Une ville, dont les habitans seroient tous
atteints de la maladie des Titres, pourroit ètre comparée à un
homme prèt à tomber en létargie. Je ne vois personne, qui ne
coure après les Titres ; Dans ce grand nombre d’aspirans, qu’il
en est peu, qui tâchent de les mériter ! Car ce n’est pas les
mériter, que de faire simplement son devoir. Pour en ètre digne,
il faut & des efforts & des succès extraordinaires.
Parvenus Titrés ! rendés vous justice. Pesez vos actions &
vos titres : & convenés de bonne-foi, que ceux-ci, quoique
vuides de réalité, sont plus pesants que celles-là. Un de nos
Auteurs dit au sujet de la multitude des Titrés : Il aurait pu ajouter,
que par malheur l’Homme est souvent dégradé par ce qui fait le
Héros en ce genre. Les Arts Méchaniques, qui font le revenu le
plus clair du Peuple, souffrent, à ce qu’on dit, de la passion
pour les Titres. Voici ce que m’a écrit à ce sujet un bon
Patriote.
J’ai
dit bien du mal des Parvenus & des Titrés. Je n’ai pourtant
qu’effleuré la matiére. Que seroit-ce, si je l’avois creusée ?
Je n’ai point prétendu mettre dans cette Classe les personnes de
qualité ; on doit à leur naissance des titres relevés, quand ils
en augmentent l’éclat par un vrai mérite. Bien plus : je n’ai
blamé que l’excès ; je n’ai condamné que l’abus. La liberté que
j’ai prise n’aura pas le suffrage du gros de mes Lecteurs. Tant
mieux.
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Exemplum
Aléxandre le Grand ordonna aux
Spartiates de l’honorer comme fils de Jupiter Ammon ;
Ces graves Républicains ne pûrent tenir leur serieux, en
délibérant sur cette affaire. « Il veut être Dieu,
dirent-ils, eh bien ! qu’il le soit ! » De même le
Prince, sans cesse importuné : « ils veulent, dit il,
être Conseillers, eh bien ! qu’ils le soient hors de mon
Conseil. » Conseillers de commerce, conseillers de
justice, Conseillers d’êtat, &c. quels titres
Pompeux ! Sa Majestё se suffit à elle même ; Ils sont
simplement Titulaires. Quels titres frivoles !
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Allgemeine Erzählung
« Quoi ? Est-ce ainsi qu’on
traite les personnes de ma sorte ? Est-ce à moi qu’on
ose faire un pareil affront ? Est-il permis de violer
ainsi les ordres du Roi ? Me connoit-on bien ? » disoit
un homme à qui un Officier n’avoit point accordé, par
inadvertance, le salut de la Garde. « C’est précisément
parceque je ne vous ai pas reconnû, repliqua l’officier.
Puis-je déviner ? Si Vous aviez orné votre carosse de
deux tonneaux de biére, je me serois rappellé,
qu’avant-hier Brasseur, Vous étes aujourd’hui Conseiller
de Justice : Mais le moien quand vous ne daignez pas
aider un peu ma mémoire ! » Notre homme,
honteux & confus,
Jura, mais un peu tard, qu’il ne se plaindroit plus.
Jura, mais un peu tard, qu’il ne se plaindroit plus.
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Fremdportrait
Place, place. Laissez passer
Monsieur le Conseiller. Quoi ? ce petit homme, que j’ai
vû cent fois dérrière un Carosse, est aujourd’hui
dedans ? Il est donc décidé qu’on doit être éclaboussé
par des faquins. Eh ! oüi. Ces faquins font fortune,
s’élevent à force de ramper, & la fortune ne va
guére à piè, & sans titre honorifique. Ses bassesses
lui ont acquis le droit de s’enorgüeillir. Son élevation
n’a pas été rapide. Il a passé par tous les degrés. Mais
à mesure qu’il montoit à un degré plus haut, il oublioit
le degré inférieur ; & d’oubli en oubli, il ne sait
plus ce qu’il a été. Il ne sait pas mème qu’il n’est
aprésent <sic> qu’un Fat. Son titre le masque à
ses yeux, & lui dérobe toutes les vérités
humiliantes.
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« Je veux, disoit le Cardinal
Mazarin, multiplier si fort la dignité de Duc & Pair,
qu’il sera honteux à un homme de qualité de l’étre, &
honteux de ne l’étre pas. »
Fremdportrait
Un Seigneur de nouvelle édition est enchanté de
sa Métamorphose. Il caresse cette idée, il se panade, se
mire dans sa grandeur chimérique. Ennivré de lui-même, il
estime, il adore, il idolatre sa chére personne. Il étudie
dans son Cabinèt le rôle qu’il doit joüer dans le Monde. Il
paroît sur ce grand Thèâtre. Le Parterre est armé de
sifflets inéxorables. Aulieu de pâlir, une aveugle confiance
dirige ses pas. Ils joüent. Il n’est point deconcerté : Un
essain d’adulateurs mercénaires, qui bourdonne sans cesse
autour de lui, l’empêche de les entendre. Toûjours sifflé,
toûjours flatté, ils est le joüet de tout le monde, parceque
ses oreilles ne sont ouvertes qu’aux loüanges & fermées
qu’à la critique.
Fremdportrait
Si Florimond ne vouloit pas aller de pair avec un
Colonel, on ne se rappelleroit pas, que son Pére étoit du
bois dont on fait des Soldats.
Fremdportrait
Si Lisidor ne se quarroit pas
dans son Carosse doré, on ne se rappeleroit peut être pas,
qu’il a été Cocher.
Ebene 3
Monsieur le Conseiller
de Justice ! Vous méprisez le Lieutenant. Quelle injustice ?
Qui Vous rend, Vous, si estimable ? Est-ce votre adresse à
être devenu de Païsan serf, Païsan émancipé, d’Emancipé Laquais, de Laquais Valèt de Chambre, de Valet
de chambre Commis, de Commis Usurier, d’Usurier Conseiller ?
Vous avez le pas sur lui. Maisle <sic> méritez-vous ?
N’étes vous pas un inutile poids de la Terre ? Le Lieutenant
n’a t’il pas pardessus vous, les services de ses ancêtres,
ceux qu’il a rendus à sa Patrie, ceux qu’il a envie de lui
rendre ? Vous ne tenés à l’Etat, que comme un vermisseau à
l’Univers. Le Soldat aumoins sert son Prince. Et Vous, qui
n’êtes pas fort audessus du rien, Vous voulez absolument
paroître quelque chose. Mais votre roture perce à travers
votre fierté. Vous joüés un rôle, qu’on voit du premier coup
d’œil n’étre pas fait pour Vous. Votre air emprunté
suffiroit pour vous décéler. A votre hauteur on s’apperçoit
que votre dos est originairement un dos à charnière.
Fremdportrait
Un Financier gardoit dans sa
Bibliothéque la mandille qu’il avoit autrefois porté, &
la montroit à qui vouloit la voir.
Fremdportrait
Une Dame, que la fortune avoit
jetté d’un quatrième étage dans un équipage brillant, dit à
un Cavalier, qui lui rendoit des respects infinis : « je
n’ai pas oublié, Monsieur, que Vous me devez depuis dixhuit
mois deux Ducats pour le blanchissage de votre Linge. Il est
vrai, Madame, répondît le Cavalier ; mais je n’oserois vous
les paier. »
Ebene 3
« Je ne sais, me répondit un homme d’esprit,
entèté de la folie à la mode. Il est naturel de desirer
l’estime d’autrui. La notre ne peut nous suffire, ou du
moins nous ne sommes pas assés Philosophes pour nous en
contenter ; Et, dans ce siécle mal élevé, on ne regarde
point qui vous ètes, mais qui vous paraissés. Brillés-vous ?
Vous ètes Monseigneurisé par vos Inférieurs, révéré de vos Egaux, estimé de tout le monde ; &
peut-on briller sans Titre ? Ne sortés vous point de votre
etat ? Vous ètes ignoré ; ou, si l’on vous connoit, ce n’est
que comme un homme incapable d’en sortir. On ne demande pas,
quel mérite il a ? mais quel titre ? Voulés-vous qu’un
honnète homme se voîe, sans quelque déplaisir, toujours
éclipsé par un Fat ? On ne nous estime, qu’autant que nous
nous faisons estimer ; voulons-nous des égards, des
respects ? il faut les arracher. Obtenir un titre, c’est
afficher combien on croit valoir ; cela, si vous voulés,
n’est pas modeste ; mais j’y trouve ceci de commode, qu’on
en croit l’Afficheur sur sa parole, parceque presque tout le
monde aїant besoin de là mème indulgence, a intérét à
l’accorder. Ainsi, je condamne la passion régnante pour les
titres ; je la regarde comme une éclipse du bien sens
Danois, comme désavantageuse à l’Etat. Mais je ne
désapprouve point, qu’on s’y laisse entrainer : tant que le
monde sera fou, ce sera sagesse, que de se plier à ses
folies. »
Fremdportrait
Suligon &
Damis ne se voient pas, quoiqu’amis d’enfance : Ils
affectent de se fuir, parceque l’un ne veut pas ètre assis à
table au dessous de l’autre.
Fremdportrait
Une Dame Françoise l’entendoit
bien mieux : On la railloit d’avoir perdu son titre &
son tabouret de Duchesse dans les bras d’un Marquis épousé
en secondes nôces. « J’aime mieux, dit-elle, ètre couchée
agréablement qu’assise honorablement. »
Allgemeine Erzählung
J’ai vu deux Femmelettes se
chamailler, s’invectiver, se prendre aux cheveux pour
quelque differend <sic> survenu sur la préséance.
Leurs benèts de maris s’en mèlerent. Grands débats, grande
querelle. Matière au Curé d’éxercer son zèle. Il veut les
réconcilier, mais il y perd son Latin. Il faut que l’une des
deux céde ; & ni l’une ni l’autre ne veut céder. Le
Hameau est partagé entre ces deux Rivales, qui menacent de
ne plus mettre le pié à l’Eglise, qu’un ordre du Bailli
n’ait fixé leur état & leur rang.
Allgemeine Erzählung
Deux Dames de la Cour de
Charlequint contestoient vivement l’honneur de la préséance.
Les Courtisans prirent parti dans ce démélé. L’Empereur
évoqua à foi la connoissance de cette affaire. Il ordonna
aux deux concurrentes de se rendre le lendemain à la porte
de sa Chapelle. Toute la Cour attendoit impatiemment la
décision. Il y avoit de grands pâris pour & contre.
Charlequint arrive ; On tache de lire dans ses yeux l’arrèt
qu’il va prononcer. On l’éconte <sic> avec attention.
« Que la plus folle des deux, dit-il, passe la premiére. »
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« qu’on voit à Copenhague plus de
Héros qu’on ne voit d’Hommes. »
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Brief/Leserbrief
« Il semble dabord, me
dit-il, qu’un Artisan, qui voit son camarade devenir
Conseiller, devroit ètre encouragé par cet éxemple à
mettre la fortune dans ses intérèts par un travail
assidu. Il n’en est pourtant rien. Cet Artisan, qui se
voit méprisé, perd courage, s’abandonne à l’oisiveté,
& tâche de se rapprocher du Parvenu par des dépenses
qui excèdent ses facultés. Par là l’industrie d’un grand
nombre d’Ouvriers est perdue pour l’Etat. Le Menuisier,
le Cordonnier, le Tailleur &c. ne sont point
affectionnés à leur métier. Ils ne conçoivent pas, que
toutes les professions sont honorables, pourvû qu’on les
éxerce avec honneur. Pourquoi ? parcequ’ils voient, que
les Titrés seuls sont honorés, & que tout le reste
est confondu avec la plus vile canaille, & de
beaucoup inférieur à la Livrée. C’est cela
mème qui augmente si fort le nombre des Laquais,
membres, que leur indolence rend inutiles à l’Etat ;
& dont presque toutes les Capitales sont surchargées
aux dépens de la Campagne, qui ne peut que se ressentir
de la perte des bras, qui devroient la labourer. Ces
fainéans parviennent quelquefois : leur fortune porte
coup à l’agriculture & aux arts, &, en
multipliant le nombre des Valets, multiplie celui des
Inutiles. Le Païsan, qui ne peut prétendre à d’autre
bonheur qu’à celui de voir son Fils Affranchi, tâche de
lui faire porter les couleurs dans une bonne maison ; le
Bourgeois en fait autant du sien. Cet usage produisit un
effet singulier dans je ne sai quelle République Gréque.
On n’y vît plus que des Valets & des Seigneurs :
suite, funeste mais necessaire, des titres. Les Titres
sont enfantés par la vanité ; & la vanité, mais une
vanité des plus pernicieuses, est entretenuё &
nourrie par le Titres. Nulle subordination entre les
différens Ordres de l’Etat, quoi-qu’ils fixent les
rangs. Personne ne veut ètre effacé ; & tout le
monde s’écrase à l’envi. Toute l’Ambition consiste à
paroitre. C’est à qui dépensera le plus. Tous les états,
toutes les conditions se confondent en se rapprochant.
L’Artisan veut égaler le Marchand : le Marchand le
Titré : Le Titré le Magistrat : le Magistrat le Grand
Seigneur. Personne ne demeure à sa place, parceque
chacun se croit déplacé. Pour figurer, on donne dans le
faste. Autant de Titrés, presqu’autant de paresseux.
Ajoutés à cela que Pour soutenir ce faste, on fait plus
qu’on ne doit.
De bonnefoi, combien d’iniquités atroces
Trainent des Conseillers qu’on roule en des Carosses ? Les folles dépenses sont la source de mille crimes & de mille désordres &c. »
De bonnefoi, combien d’iniquités atroces
Trainent des Conseillers qu’on roule en des Carosses ? Les folles dépenses sont la source de mille crimes & de mille désordres &c. »
Metatextualität
Ces réfléxions, qui me viennent,
pour le dire en passant, de la main d’un Titré, mériteroient
un éxamen serieux, qui n’est pas de mon ressort.
1(*) Mot en usage, à Copenhague, pour exprimer; obtenir un Titre.