Cita bibliográfica: Laurent Angliviel de la Beaumelle (Ed.): "Amusement XLI.", en: La Spectatrice danoise, Vol.1\041 (1749), pp. 361-368, editado en: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Ed.): Los "Spectators" en el contexto internacional. Edición digital, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4222 [consultado el: ].


Nivel 1►

Amusement XLI.

Cita/Lema► (*1 ) Har! Rolf! Grands Généraux! & Vous, braves Soldats !
Armez-vous ; volez à la Gloire ;
Que
Bacchus éveille pour Boire,
Et
Vénus, pour Joüir, ceux qui suivent leurs pas ;
Pour Vous, Amis ! que
Mars conduit à la victoire,
Eveillés-vous pour de rudes combats.
◀Cita/Lema

Nivel 2► Les scaldes, nos anciens Poёtes, étoient obligés de faire des vers avant l’Action, pour animer les Soldats. C’étoient les Tyrtées de l’Armée, & les Xénophantes de ces intrépides Aléxandres. Autrefois, les Généraux, avant-que de livrer Bataille, s’époumonoient à faire de longues harangues, dans lesquelles ils représentoient à leurs Troupes toutes les horreurs de la captivité, tous les avantages de la victoire, toute la honte d’une défaite, tous les motifs qui pouvoient les engager à [362] combattre vaillammeut <sic>. Mais nos Péres n’y cherchoient pas tant de façons. Leur courage étoit leur unique orateur. Une chanson guerriére suffisoit pour les animer. Enflammés d’un desir insatiable de la Gloire, ils alloient à l’Ennemi avec autant de joїe, qu’ils seroient allés à un Festin. Sûrs de vaincre ou de mourir, ils regardoient d’un oeuil d’indifference les plaisirs de la vie, & ne la souhaitoient pas tant pour joüir des fruits de la victoire, que pour en être les témoins, & pour acquérir une nouvelle gloire dans de nouvelles occasions de la prodiguer.

Nos vieilles chroniques représentent notre Nation, comme la plus belliqueuse, qui aїt jamais éxisté. Si ce qu’elles nous en disent est vrai, nous pouvons hardiment défier tous les Peuples du monde de nous montrer des Ancêtres aussi illustres. On ne sçauroit contester la vérité du fonds de l’histoire, ni disconvenir qu’ils n’eussent pour la mort un souverain mépris, puisque les Auteurs Latins leur rendent ce témoignage. Ce mepris, ils le suçoient avec le lait. En naissant, ils respiroient l’air de l’héroïsme. Toutes leurs passions se concentroient dans la passion de la gloire. C’étoit-là le grand ressort, &, pour ainsi dire, la roüe Maîtressse de leurs actions. Ils ne regardoient comme de vrais biens, que ceux qu’ils avoient achetés au prix de leur Sang. L’éclat des richesses ne les ebloüissoit point. La gloire des armes étoit le seul objèt de leurs desirs. Mourir pour leur Patrie, voilà leur Ambition. « Notre honneur ou notre infamie, disoient-ils, ne dépend que de nôtre bras. Tant que nous vivons, apprenons l’art de mourir avec gloire. »

Ces sentimens heroiques se communiquoient de proche en proche, & faisoient des anciens Danois un Peuple d’Hommes. On demande aujourd’hui, si celui ci est Cordon-bleu, si celui-là est Cordon-blanc. Nos Péres, plus réglés dans leur estime, demandoient, combien a-t’il recû de Blessures ? La guerre étoit le chemin des honneurs. Le grand nombre des cicatrices étoient [363] les meilleurs titres de noblesse. Quelle différence prodigieuse entre eux & nous ! Nous avons autant d’ambition, mais ils avoient plus de courage. Leur mérite leur tenoit lieu de distinctions : Les distinctions nous tiennent lieu de mérite. Que voulez-vous ? Chaque siécle a sa façon de penser. Ne nous rapprocherons nous jamais des anciens usages ?

Nivel 3► Exemplum► Palnatakon, Législateur de la République d’Jomsbourg fit diverses loix, pour le moins aussi sages que celles de Lycurgue & de Numa. Parfaitement assorties au génie de la Nation, elles ne tendoient qu’à former un Peuple de Soldats, qui vraisemblablement seroit devenu un Peuple Roi, si sa valeur avoit été favorisée des mêmes circonstances que celles des Romains. Ces loix martiales arrachoient à la vie le prix, que les hommes y mettent ordinairement. Une entr’autres portoit, que tout Citoîen d’Jomsbourg, qui proféreroit le mot de crainte, ou qui pâliroit dans les plus grands dangers, en seroit banni à perpétuité. ◀Exemplum ◀Nivel 3 Peut étre aucun Jomsbourgeois ne donna t’il jamais lieu à l’éxécution de cette Loi. Si ces fiers Républicains revenoient au monde, reconnoitroient-ils quelques-uns de leurs descendans à cet air rampant, à ce ton plaintif, & larmoïant, qui jette un ridicule sur notre caractère, & sur notre langue dans l’esprit des Etrangers, qui nous font l’injustice de l’appeller une Langue de Mendians. (*2 )

Cette Ville connuё, dit on, aux historiens Latins, fût une pépiniére de Héros. L’amour de la Gloire étoit l’ame de cette République ; & c’est un puissant aiguillon. Les Romains qui subjuguerent presque tout l’Univers, & les Danois qui ne fûrent jamais subjugués, prouvent combien cette passion a de pouvoir. Que je sçai mauvais gré au hazard, d’avoir retardé si lon-tems l’inestimable present de l’imprimerie ! Que d’exploits ensévelis dans l’oubli le plus profond ? Combien de modéles de véritable grandeur [364] n’aurions-nous pas à opposer aux Grècs & aux Romains ? Quelle Nation moderne oseroit mettre en parallèle ses aîeux avec les notres ?

Le tems n’a pas tout détruit, & il nous reste encore quelques vieux Bouquins, qui font foi de nôtre supériorité. Mais ces restes précieux augmentent mes regrèts par l’idée avantageuse qu’ils me donnent de ce qui s’est perdû. Faut-il que les Cimbres & les Celtibères, après avoir tout fait, tout osé pour s’immortaliser, trompez dans leur espérance, n’aîent pû survivre à eux-mêmes ? Cette réflexion doit affliger tous les grands Coeurs & tous les bons Patriotes ; tous les grands coeurs, parceque cet éxemple prouve, que l’homme ne sauroit s’assurer l’immortalité la mieux méritée ; tous les bons Patriotes, parcequ’à mesure que les anciens Monumens ont commencé à disparoître, nous avons commencé à dégénérer ; & que le dépérissement des Lettres a produit & produira toûjours l’extinction du vrai mérite & de l’émulation. Mais voїons quelques échantillons de l’ancienne bravoûre Danoise.

Les chefs de la Nation, ou si l’on veut les Rois (quoiqu’il soit fort vraisemblable, que ce n’étoient que des Magistrats ou des Généraux choisis & dégradés par le Peuple & par l’Armée) les chefs, dis-je, brilloient moins par leur rang que par leur valeur. Comme ils n’étoient supérieurs aux autres en dignité, que parcequ’ils leurs étoient supérieurs en mérite, ils n’empruntoient pas leur gloire de leur élévation : mais leur élévation empruntoit son éclat de leur gloire. Aussi se piquoieut <sic> ils desurpasser <sic> en grandeur d’ame leurs sujéts, qui étoient en même tems leurs rivaux.

Le Grammarien Saxon ne nous permèt pas d’en douter. Nos autres Annalistes, quoiqu’ils aїent noїé la vérité Historique dans une mer de Fables, nous en donnent plusieurs éxemples. Exemplum► La Devise de Rolf, dont ils est parlé ci-dessus, étoit : « Mourir avec honneur, plutôt que vivre avec ignominie. » ◀Exemplum Exemplum► Frothon étant réduit aux dernières extrémités par Eric, celui-ci proposa [365] les conditions de paix les plus avantageuses. Quel est le Roi d’aujourd’hui qui ne les eût pas acceptées ? Frothon, qui trouvoit dans son courage des ressources que nous n’avons plus, & qui ne voioit rieu <sic> de plus humiliant que l’aveu de sa défaite, répondît : « Vous me rendrez mon Roiaume, Vous me rendrez ma Sœur, Vous me rendrez mon thrésor : mais me rendrez-vous mon honneur, à jamais terni, si j’accepte la Paix que Vous m’offrés ? Non ; je la refuse, & j’aime mieux être enséveli sous les débris de mon Thrône, que d’y être placé par la bonté de mon ennemi. Un coeur vraîment Danois hait non seulement l’esclavage, mais encore la liberté qu’il tient d’autrui. Je Vous ferai voir, que, quoique vaincû, je suis invincible. » ◀Exemplum

Commandées par de tels Généraux, les Troupes ne pouvoient manquer de courage. L’admiration, l’estime, l’affection, s’unissoient à leurs sentimens guerriers. La victoire pouvoit elle échapper à des gens qui s’étoient promis de se faire plutôt hâcher que de fuir ? Aujourd’hui, si un Genéral périt dans l’action, la Bataille est perduё. Les Danois aucontraire <sic> ne pouvoient être vaincus, dès que leur Général étoit mort. Il n’étoit pas permis de lui survivre. Aussi les Généraux, qui vouloient mourir dans le lit d’honneur, étoient ils obligés d’aller chercher la mort dans la mêlée avec autant d’ardeur, que les Généraux d’aujourd’hui la fuient.

Le Soldat étoit alors aussi estimé, qu’il est à présent méprisé. Si l’Officier s’etoit avisé de prendre sur son dos les mêmes licences qu’il se donne aujourd’hui, il auroit eû beau jeu. Certainement il auroit été criblé de Javelots. Les Soldats aimoient mieux avoir la tête coupée qu’être battus. Les coups de Bâton etoient le plus infame des supplices, comme l’esclavage, le dernier des malheurs. Des Soldats sans cesse chicanés par les Officiers, des Soldats dont les moindres fautes sont sévérement punies, & dont les épaules ne sont pas plus respectées qu’une enclume ne [366] sçauroient former de bonnes troupes. Nivel 3► « Comment veut on, disoient les Cimbres, que des gens qu’on accoutume à craindre les coups ne craignent pas la mort ? que des gens qui tremblent sans cesse devant l’officier, qui devroit être leur Pére, ne tremblent pas devant l’ennemi ? Que des gens qu’on façonne, pour ainsi dire, à l’infamie, qu’on familiarise avec les idées de la honte, qu’on forme à la lâcheté, aîent une bonne provision de courage, soient remplis de sentimens d’honneur, aiment la gloire ? » ◀Nivel 3 Les Troupes Françoises sont assurément moins bien disciplinées que ne le sont les Troupes Allemandes. Cependant il y a double contre simple à parier, que 30 mille François battront un pareil nombre d’Allemands, parceque l’honneur, qui anime les premiers, les rend, comme dit Voltaire, autant de héros à cinq fois par jour, aulieu que le service de fer des seconds énerve leur courage naturel. Le gain d’une Bataille ne dépend pas des évolutions militaires. Exemplum► Le Code militaire de France défend, dit-on, aux Officiers de porter la Canne, loi très sage & très conforme au génie de la Nation, dont la vivacité ne pourroit être modérée par la simple défense de s’en servir pour frapper ; loi qui sauve la vie à beaucoup d’Officiers, qui dans une Action ont autant craindre du Soldat mal-traité que d’u <sic> Soldat Ennemi. ◀Exemplum Parmi les Cimbres, tout ce qui servoit la Patrie étoit respecté. La Noblesse mangeoit non seulement son bien au service de son Prince, mais encore il n’étoit pas rare de voir des Gentilshommes simples Soldats. Aujourd’hui, presque en tout paїs, la Noblesse aime mieux entrer dans le service de la Cour que dans le service de la Patrie. Exemplum► Le Lieutenant, en Allemagne, n’a d’autres ressources que ses apointemens, quand il est économe, & le Jeu, quand il ne l’est pas. Le Soldat y est regardé comme le dernier des mortels. On lui préfére le respectable corps de la Livrée, le séminaire des Parvenus. On lui dérobe l’estime qui lui est duё pour la donner à des manans, à des Inutiles. Le Capitaine s’y [367] dédommage sur le Soldat de la modicité de ses apointemens. Il y a dans chaque Compagnie tant d’hommes à qui l’on permèt, d’être Valèts. Leur Solde entre dans la bourse du Capitaine, qui, suivant l’équité, devroit la repartir entre le reste de la Compagnie, qui est obligé de monter doublement la Garde. Delà vient que, dans quelques services d’Allemagne, le Soldat réduit au pain & à l’eau, s’est souvent lassé de la vie, & que plusieurs Princes, pour obvier à cet affreux désespoir, ont été obligez de rendre les sentinelles, des manières, des ombres, des fantômes de sentinelles, en condamnant leurs fuzils & leurs cartouches à l’absence de la poudre. ◀Exemplum Metatextualidad► Mais je m’apercois, que cette digression est un peu longue. Que le Lecteur me pardonne de m’être oubliée ; s’il savoit combien j’aurois à babiller sur cet article, & combien il m’est difficile de m’arrêter, quand mon instrument de caquet est monté sur un certain ton, il me tiendroit compte de mon silence. ◀Metatextualidad

La mort, terrible pour ceux, dont tout finit avec la vie, a des charmes pour ceux, dont la gloire ne peut mourir, C’étoit de cet oeuil que les Cimbres l’envisageoient. Ils se piquoient de mourir en riant. Voici une Epitaphe, qui en fait foi.

Nivel 3► Agnar tomba, rît & mourût. ◀Nivel 3

Je vourdrois bien, que quelqu’un de nos Scavans <sic> me montrât un vers, ancien ou moderne, qui approchât du sublime de celui-là ; qui contint un aussi bel éloge en aussi peu de mots. Nos Chroniques sont pleines de Braves, qui ont substitué un éclat de rire au dernier soupir.

On en voїoit, qui ennuiez d’une vie, que le fer de l’ennemi s’obstinoit à respecter, imploroient le secours du bras de leur meilleur ami. D’autres achetoient au poids de l’or la main qui les poignardoit. Peu s’en falloit, qu’une mort naturelle ne fût une mort infame. Le Suicide étoit fort commun parmi eux ; il étoit glorieux de décider soi même sa fin, témoin cette Epitaphe :

[368] Nivel 3► « Haddinger, Fils de Gram, croїant qu’apres avoir remporté plusieurs victoires, il étoit indigne de lui de mourir dans son lit, s’est pendu lui-même, pour vivre dans le souvenir de la postérité. » ◀Nivel 3

Aprésque <sic> le Christianisme eût éclairé ces contrées, il fallut se résoudre à mourir de maladie, quand on n’avoit pû mourir dans le combat. Triste nécessité pour eux ! Que firent ils ? Ils imaginèrent une mort martiale. Quand ils sentoient, que leur fin approchoit, ils se faisoient armer de toutes piéces. Ils croїoient qu’un Danois devoit non seulement mourir debout, mais encore armé. Qu’on juge par ce trait, de la façon de penser de nos Ancêtres. Que devoit-ce être, avant que la Religion mît un frein au mépris qu’ils avoient pour la vie ? Ils affectoient de prononcer en mourant quelque belle sentence. Exemplum► Klormod, condamné à mort par un Tyran, dît sur l’échaffaut :

Qui meurt dans sa vertu, meurt sans ignominie. ◀Exemplum

Je ne finirois point, si je voulois rapporter tous les éxemples frapans de magnanimité, dont nos Annales fourmillent. Je remarquerai seulement, que nos Péres devoient en partie leur intrépidité à la persuasion dans laquelle ils étoient, que chaque Javelot avoit son billét, & que ceux qui mourvient pour la Patrie alloient dans le Paradis d’Odin. On ne sauroit douter, qu’une Armée qui croiroit fermement la Prédestination absoluё n’eut un fort grand avantage. Mais, le moien d’amener les hommes à cette créance. Ils sentent toujours, qu’ils sont libres. ◀Nivel 2 ◀Nivel 1

1(*) Ces vers sont une traduction libre de ma façon de ce beau Couplèt de Thormod Kolbrunarscald Har hinn hardgreypi Hrolf skiotandi AEtgodir menn Their er ecki flyia Vekat ek ydr at vini Ne at vifs rvnvm Helldr ver ek ydr at hordvm Hildar leiki.

2(*) Voi. Epigram. de M. Holberg.