La Spectatrice danoise: Amusement XL.

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Amusement XL.

Citation/Motto

Que ferois je à la Cour, moi qui ne suis, Seigneur !
Hipocrite, jaloux, médisant, ni flatteur ?

Boursault Esope à la Cour.

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A la Cour, le mérite est plus nécessaire que partout ailleurs & cependant le vrai merite est quelquefois le plus grand obstacle à l’élévation d’un homme. Voici une Histoire qui en fait foi.

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General account

Polydor parût fort jeune à la Cour. A un air de noblesse, qui présageoit, qu’il ne démentiroit pas la gloire, que ses illustres Ancêtres lui avoient laissée à soutenir, il joignoit de beaux Talens, cultivés & perfectionnez par une bonne éducation. Les qualités du cœur, il les possédoit au supréme degré. Il l’avoit droit, généreux, compatissant, véritablement noble. Son esprit étoit éclairé, étendu, délicat. Il n’avoit rien oublié pour l’orner de belles connoissances, de connoissances utiles à sa patrie & a lui même. Capable de toutes les sciences & de tous les arts, il s’étoit borné à une teinture de ceux qui sont inutiles à un homme de condition, & s’étoit attaché à approfondir ceux qui sont nécessaires au bien de l’Etat, & au Gouvernement des hommes. La Politique & l’Art militaire faisoient ses délices. Il les avoit étudié comme le moïen le plus sur de parvenir, parceque ces deux sciences étoient peu cultivées dans sa Patrie. Une grande facilité à s’enoncer accompagnoit ces belles qualités. En un mot, le mérite de Polydor étoit extraordinaire & brillant. Au lieu de le cacher, il le montra. Aussitôt l’envie éleve contre lui ses plus noires vapeurs, & la calomnie ses nuages les plus épais. Néanmoins il plût au Roi, qui lui donna une Compagnie, & le fît Gentilhomme de la Chambre. Ces deux charges ne contentoient pas son ambition, & comme elles ne suffisoient pas pour l’occuper, il s’adonna à l’étude. Après avoir langui quelques années dans ces emplois subalternes, il alla chercher de la gloire en France, où on lui donna un Régiment. Après la Paix, on voulût l’y fixer, mais l’amour de la Patrie l’emporta sur l’apas des offres tentantes, qu’on lui fit. Il y retourna ; ses belles actions ne fûrent comptées pour sien. Dans les païs Etrangers, Colonel, il redevint dans le sien Capitaine, & il fût obligé de se contenter du titre, qui le ruinoit sans l’avancer. Pour se mettre au fait des Négociations, dont il sçavoit parfaitement la Théorie, il demanda & obtînt la permission de suivre en Angleterre un de ses Oncles, qui y alloit en Ambassade. Il y passa trois ans, & s’y perfectionna dans le grand art de négocier. L’Ambassadeur mourût. On chargea Polydor d’une affaire épineuse. Il l’a traita avec toute la dextérité d’un Politique consommé. Il se hâta d’informer la Cour du succès, mais la réponse qu’il recût ne contînt, que des loüanges & son rappel. On crût lui dorer la pillule, en lui permettant de porter un Cordon de foïe rouge, frivole honneur qui n’aboutissoit à rien, & qui le rendoit plus élevé, sans le rendre plus grand. Pour s’étaïer d’une puissante Protection, il fît la Cour à la Niéce d’un Ministre ; mais celui-ci, après l’avoir lon-tems amusé, la donna à un Fat, duquel il ne prenoit aucun ombrage. Polydor sentît cet affront, comme il le devoit ; mais il ne se rebuta point. Il s’attacha à la Fille du Favori, riche héritiére. Mais le Ministre, qui craignoit qu’il ne se vengeât, mit tout en œuvre pour anéantir sa poursuite, & y réussît. Pour le consoler, il persuada au Roi de le gratifier d’un Titre de plus. La place de Chef général des Ingénieurs vînt à vaquer. Il étoit le seul homme de Guerre, qui pût remplir cette charge éminente, car le Génie étoit son fort. Il la brigua : mais quoiqu’on eût dû absolument la lui donner, quand même il ne l’auroit pas demandée, on l’en éloigna, parcequ’elle l’approchoit trop du Généralat, & que ses talens auroient été trop en vuë. On en gratifia l’ignorance d’un esprit borné, à qui la cabale donnoit libéralement les lumiéres de Vauban & de Coëhorn : On craignît, qu’il n’offrît ses services à une autre Couronne ; on crût l’affectionner à l’Etat, qu’on ne vouloit pas absolument qu’il servît en érigeant un de ses Terres en Comté, grace, dont il ne fit aucun cas, parcequ’on ne lui avoit pas permis de la mériter. La Fortune commença enfin à se radoucir : Dans un besoin pressant, on eût recours à lui, comme au seul homme capable de sauver le Roïaume. Il fût admis au Conseil. Ses avis fûrent suivis ; & l’on ne s’en repentît pas. Mais le nouveau Secretaire d’Etat ne fît qu’un <sic> courte apparition dans le Ministére. La supériorité de ses lumiéres montroit la médiocrité des autres, son intégrité accusoit leurs concussions : Son zéle découvroit leur négligence. Ses succès déposoient contre leur incapacité. Ils se liguérent contre lui ; trop habile pour se soutenir, trop vertueux pour se venger, il succomba. Le Prince le remercia, & lui fit présent de quelques Aunes de Ruban bleu, dont il lui ordonna d’aller étaler dans une Province, dont il lui donna le Gouvernement. Quoique ce ne fût pas un Thêatre pour ses vertus, elles y brillérent, & l’éclat en vint jusqu’à la Capitale, où il fût rappellé. Le Roi, après avoir mûrement pesé tous les talens, résolut de lui confier l’éducation du Prince Roïal : Mais, quoique Polidor eût pour lui le sufrage du Monarque, la voix du Public & l’insuffisance de tous les rivaux, il échoüa. Ses ennemis le noircirent, & firent tomber le choix du Souverain sur une de leurs Créatures. Ennuié de la Cour, Polydor se retira dans sa Comté. Il gagna sur son cœur de ne desirer ni biens ni grandeurs. Il comprît, que le vrai bonheur est incompatible avec les troubles de l’ambition, & que le mérite ne simpathise point avec les faveurs de la fortune. Son seul deplaisir dans sa solitude fût le regrêt de ne ne <sic> l’avoir pas compris plutôt, & d’avoir passé les plus beaux jours de sa vie, hors de cette volupté pure, qui naît de la tranquillité de l’ame, comme la tranquillité naît de la victoire qu’on remporte sur ses passions.
Combien de Polydors à la Court ! Un mérite distingué n’y parvient que rarement aux premiers emplois. La raison est aisée à trouver. Le Prince ne voit les choses que par le canal de ceux qui l’approchent. Ce sont eux, qui guident son cœur & ses yeux. Or, ils sont intéressés à éloigner autant qu’ils peuvent, à laisser dans l’oubli un mérite qui cherche à se pousser. Ils en conçoivent de la défiance & de la jalousie ; Aussi, loin de concourir à son élévation, ils y mettent quelquefois des obstacles invincibles. Un jeune Seigenur d’un mérite distingué donne une envie secrette. Cette envie dégénère en haine ; & cette haine porte des coups d’autant plus dangereux, que ceux qui la nourrissent dans leur cœur, en connoissent l’injustice, & la cachent avec soin. Que le cœur de l’homme est gâté ! Il ne sçauroit aimer ceux qui le forcent à l’admiration ; & il cherche à les détruire, pour les réduire au niveau de sa mediocrité.

Example

Presque tous les Courtisans pensent ce que disoit un Bourgeois d’Athènes, à qui l’on demandoit, pourquoi il opinoit pour l’éxil d’Aristide, qu’il ne connoissoit pas. C’est, répondît il, que je suis la d’entendre dire, qu’il est le meilleur Citoїen de la République.
La conduite des Courtisans est conforme à la prudence de la Politique. Il est mille fois arrivé, que des Protégez se sont servis du crédit de leurs Protecteurs pour s’emparer de leurs postes ; Tel à qui nous avons ouvert la porte de la fortune a fait ensuite tous ses efforts pour ruiner la notre, semblable à cet oiseau, des plumes duquel on se sert, pour empaner la fléche qui le tuё. Ils sçavent que la reconnoissance n’est pas la vertu de la Cour, & que les Vipéres ont souvent piqué le sein du bienfaiteur, qui les avoit rechauffé. Suivant ce système, ils ne songent qu’à travailleer <sic> pour eux memes. Dailleurs, qui prime, craint de ne plus primer ; Et l’on ne se résout jamais à arroser un arbre, qui pourroit étendre ses racines jusques sur notre terrain, & obscurcir par son ombrage l’éclat de notre gloire. C’est là le Bréviaire de la Cour. Mille éxemples instruisent les Ministres de ce qu’ils ont à craindre ; Ils agissent en conséquence, parcequ’ordinairement quelque zéle qu’ils aїent pour le bien de l’Etat, ils sont encore plus zélez pour leurs intérêts particuliers. Une grande réputation étant donc presque aussi nuisible qu’une mauvaise, le jeune Seigneur qui veut s’ouvrir le chemin de la fortune, doit prendre garde de ne pas trop faire voir son mérite. Car ce n’est que l’éclat du mérite, qui est défavorable. C’est là le chef-d’œuvre de la politique. Il faut, à l’aide d’une hypocrisie d’une nouvellé espèce, couvrir sa vertu, feindre de petits défauts, se dérober au babil de la renommée.

Example

Brutus ne se mît à couvert de la cruauté de Tarquin, qu’en faisant semblant d’être imbécille :

Example

Sixte-quint ne parvînt au Pontificat que par une dissimulation de ce genre.

Example

Le Cardinal de Fleury ne s’éleva au plus *1haut degré de puissance, où un Ministre soit monté, qu’en cachant avec soin son ambition, en se couvrant de grands dehors de simplicité, en affectant un grand éloignement des affaires, & même une espèce d’incapacité & d’ignorance de la Politique.
En diminuant sa gloire, on émousse les traits de l’envie. On parvient d’autant plus sûrement à ses fins, qu’on n’est point regardé comme une concurrent redoutable. Surpasser les autres, & se dire leur inférieur, ne rien oublier pour se faire connoitre, & se piquer d’être ignoré, faire de belles actions, & se parer d’une grande modestie, attribuer l’honneur de ses exploits à la justesse du plan des Ministres, & ne se réserver que la gloire de l’éxécution & le mérite de l’obéїssance, c’est le plus sûr moїen de tirer parti de son mérite. Mais la jeunesse étourdie, vaine, imprudente na <sic> sait point prendre ces sages mesures. Elle s’imagine, qu’il ne faut simplement qu’aller droit au but. Aussi est-ce un prodige, si elle y arrive. Loin de cacher son mérite, elle tâche d’en montrer plus qu’elle n’en a. Mais plus on se loûe soi même, moins on est loûé des autres. Plus on fait d’efforts pour les éclypser, & moins on s’apperçoit de ses efforts, moins on rend justice au succès. Un homme qui cherche à s’avancer par son mérite, se résout par cela même à dépendre de l’opinion d’autrui ; mais les hommes sont d’ordinaire assez injustes pour se roidir contre tout ce qu’on fait pour les forcer à l’estime. Ils ne veulent pas qu’on la leur arrache. Ils aiment mieux la donner gratuitement. Ils veulent, que ce soit un présent, & non un devoir ; qu’on leur en aît obligation, & non y être obligez. C’est bien pis à la Cour, où l’on est plus difficile sur le mérite, où la rivalité se joint au penchant qu’a l’homme de ne pas juger équitablement de son semblable, & d’être blessé de l’éclat d’une gloire naissante. Il est d’autres causes, qui concourent à la rare élévation des personnes d’un grand mérite. Un homme vertueux, & sensible à l’honneur, ne recherche que les emplois qu’il est capable de remplir dignement : Et souvent, un excès de modestie lui ferme les yeux sur sa capacité. Dailleurs, pour l’obtenir, il n’emploїe que les voїes honnêtes & légitimes ; Il ne connoit point les détours, ni les souterrains. Il laisse aux Ames basses, & à ceux qui n’ont ni vertus ni talens, le soin de s’avancer en ourdissant la trame d’une intrigue, en flattant les passions de leurs protecteurs, en importunant par des sollicitations éternelles les dispensateurs des graces de la cour, en les achetant à beaux deniers comptans. Car, dans ce Siécle, tout est vénal. On ne s’éléve qu’en rampant. L’homme de mérite rougiroit de devoir sa grandeur à une bassesse. S’il ne réussit pas, il s’en console aisément ; il se dit, qu’il est infiniment plus glorieux de mériter une chose que de l’obtenir. On ne le verra jamais faire une Cour servile, & grossir la foule dans une anti-chambre. Vertueux, il ne sauroit être habile Courtisan. Les moiens en usage pour parvenir, quels sont-ils ? Caresser un valet de chambre tout puissant, faire les yeux doux au beau séxe, qui se laisse souvent surprendre par les sens, à qui l’envie de plaire est naturelle, & à qui l’on plaît à coup sûr en flattant sa passion dominante par un respect & un amour réels ou simulés, fraper à toutes les portes, plier devant les personnes les plus méprisables, rendre hommage à leurs plus grands défauts, en les érigeant par une flatterie adroite en autant de qualités, se présenter, solliciter, demander sans cesse, ramper de mille maniéres différentes. L’homme de mérite croiroit s’avilir par de manège aussi humiliant pour un grand cœur, que nécessaire pour la fortune. Les talens sont naturellement fièrs ; le mérite est incompatible avec cette basse Politique ; La noblesse des sentimens du cœur, l’élévation de l’ésprit donnent une certaine roideur, qui ne permèt pas de se ravaler. En un mot, à la cour, on ne va guére loin, quand on ne vole que sur les aîles du mérite. La faveur est depuis lon-tems broüillée avec la vertu. Heureux, qui, parvenu sans bassesse, à scû mettre dans son tort la fortune ! Plus heureux, qui n’a pas daigné s’en donner la peine ! On se plaint quelquefois de la disette de grans hommes. On ne trouve pas, dit-on, des sujèts propres à remplir certains postes, qui demandent une grande étenduё de génie : on se trompe ; ce sont pas les bons sujèts qui manquent ; ce sont les connoisseurs éclairez. Il arrive très souvent, qu’un homme d’un beau génie meurt, sans s’être fait connoitre, qu’un Courtisan languit dans un recoin de Province, tandis qu’il pourroit gouverner l’Etat, qu’un Militaire vieillit dans les emplois subalternes, tandis-qu’il seroit digne des premières places ; Il seroit à souhaiter, que ceux qui sont dans les charges les plus éminentes eûssent assez de discernement pour connoître les Talens ; assez de zéle pour s’appliquer soigneusement à les découvrir, dans quelque état qu’ils fussent ; assez de désintéressement pour les encourager ; assez de grandeur d’ame pour n’en être point jaloux ; assez de courage pour ouvrir indistinctement à toutes les personnes de mérite la porte des honneurs. Mais y pensé je ? Est-ce à moi de réformer la Cour ? Et pourquoi souhaiter ce qu’on ne sauroit espére ? Une autre cause des obstacles que trouve à la Cour l’élévation des gens de mérite, c’est la foiblesse de quelques Princes. On en a vû, qui ont laissé prendre sur eux un tel pouvoir à leurs Favoris & à leurs Ministres, qu’ils ne pouvoient se résoudre à leur déplaire, en agissant sans les consulter. Ils ont toûjours été, pour ainsi dire, en tutelle. Un Courtisan leur plaisoit par son mérite : Ils n’osoient l’élever, sans prendre conseil. J’ai lû ce matin un trait d’Historien assés singulier.

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Jaques I, Roi d’Angleterre, ennuié de Carr, Comte de Sommerset, son Favori, donna son affection à George Villiers, jeune Gentil-homme, dont les charmes l’avoient ébloüi. Ce Prince eût pourtant bien voulu, que Sommerset n’en concût pas de la jalousie ; car, quoiqu’il ne l’aimât plus, il n’avoit pas le courage de s’en débarasser. Il suggéra donc lui-même à Villiers d’aller rendre visite au Comte, & de lui demander sa protection, comme devant être de ses créatures. Villiers obéît ; & abordant Sommerset ; « Mylord, lui dit il, je souhaite devenir un de vos Serviteurs, & vous prie de vouloir prendre soin de ma fortune à la Cour. Vous assurant de la fidelité la plus respectueuse & la plus soumise. » Le Favori, qui craignoit d’être éclipsé par ce nouveau venu, ne pût dissimuler son chagrin. « Je n’ai pas besoin de vôtre service, lui répondit-il ; Et vous ne devez pas compter sur moi. Au contraire, je vous tordrai le coû, si je le puis ; & c’est tout ce dont vous devez être assuré de ma part. » Ce même Roi étoit si foible, que sur le point de le condamner à la mort, pour cause d’empoisonnement, il lui fît les plus tendres adieux. «  Au nom de Dieu, lui dit il, dis moi quand je te reverrai. Sur mon ame ! je ne mangerai ni ne boirai jusqu’à ce que tu reviennes » ; Ensuite se jettant sur son coû, il le baisa 3. ou 4. fois, en lui disant, « au nom de Dieu, donne de ma part ces baiser à ta Femme. » Mais à peine Sommerset fût-il monté en Carosse, que Jaques I dit tout haut. « Voilà qui est fait, il ne me reverra de sa vie. » *2
Après tout ce que nous venons de dire, on ne doit pas être surpris de voir dans les Cours un si petit nombre de gens de mérite. Il est même étonnant, que ce petit nombre triomphe de tant d’obstacles. L’Histoire me fournit mille éxemples de l’éxactitude, avec laquelle les personnes en place traversent les grans génies.

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Louvois sacrifioit souvent le bien de la France à la jalousie qui l’animoit contre Turenne. Il auroit souhaité, que ce Général fut battu ; & il arrangeoit toujours les choses de façon, qu’il n’avoit jamais que de petites Armées à commander. Mais le Vicomte, toujours victorieux, triomphoit également de l’envie de ses ennemis, & de la supériorité des ennemies de son Maître.

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La conduite du Cardinal Albéroni doit faire trembler tout Ministre, porté à élever le mérite. D’une naissance au dessous de la médiocre, il parvint à une Cure d’Italie. Il s’attacha au Duc de Vendôme, & se procura la protection & la confiance de Madame des Ursins. Cette Princesse gouvernoit l’Espagne. Le Roi, qui étoit veuf, songeoit à un second Mariage. Voiant qu’elle ne pouroit l’émpècher, elle voulut lui donner de ses mains une Princesse, sur laquelle elle put compter, & qui par reconnaissance maintînt son crédit. Elle s’ouvrit à l’Abbé Albéroni, qui alla sécretement à Parme négocier cette affaire, qui fut bientôt conluё. Il conduisit la Princesse de Parme en Espagne. Mais, il passa les limites de sa commission. Il eut l’adresse, dirai je ? la lâcheté d’immoler à ses intérèts & à l’espoir de son avancement sa bienfaitrice. Il instruisit la Reine du pouvoir de la Princesse des Ursins sur l’esprit du Roi d’Espagne, & lui insinua, qu’elle n’en pourroit avoir autant, qu’après avoir détruit celui de cette Princesse. La Reine avoit trop de pénétration & de lumières pour ne pas voir que son interèt éxigeoit qu’elle suivit ce conseil. Aussi, dès-qu’elle fut en Espagne, la Princesse des Ursins fut elle disgracieé, & renvoiée hors du Roiaume. L’Abbé Albéroni se vit, par ce arrifice <sic>, seul maitre de la confiance de la Reine, qui le récompensa bien de ses salutaires mais perfides avis. Si la Princesse des Ursins fut rentrée en grace, certainement les plus grands génies n’auroient pas été ceux, quelle auroit le plus favorisés.
Devois je croire, en composant cet essai sur la Cour que je serois obligé de vous assurer, ami Lecteur, que la Cour de Copenhague est exceptée de l’idée peu flatteuse, que j’ai donnée des Courtisans ? Qui ne sait, qu’il n’en est dans le monde aucune, où régne moins cet esprit d’intrigue, qui <sic> j’ai tâché de dépeindre ? La raison, je la donne à déviner à <sic> gens plus habiles que moi. Peut-ètre me soupçonnerés-vous de ne pas parler sérieusement. Mais pourquoi ? Je ne sai point flatter ; &, quand mème je saurois cet art, je ne l’éxercerois point en faveur des Courtisans. Ne sont-ils pas assès elevés, & en mème tems assés persuadés de leur élévation ? Flatter la Cour, c’est dégrader l’humanité, Je viens à vous, Messieurs, qui avés pris feu à la lecture des vérités dures qui <sic> j’ai écrites sur la Cour. En deux mots ; si j’ai frapé au but, vous avés tort de vous plaindre ; vous vous décélés ; vous vous trahissés vous-mèmes : Si non, Vous vous ètes gendarmé sans fondement contre la Spectatrice. Du reste, je vous renvoїe à La Bruyere.

1* Ceci n’est point une hiperbole. Ximemès, Greffenfeld, Vlefeld, Richelieu, Mazarin fûrent extrêmement puissans ; mais ou leur autorité fut traversée, ou ils la perdirent enfin, aulieu que celle de Fleuri, a été sans bornes, & sans troubles. Il faut prendre au rabais ce que dit dans son eloge l’Historien de l’Academie des Sciences ; qu’elle couloit de source, & qu’elle se ressentoit de la simplicité des moїens, qui l’avoient fait naître.

2* The History of England during the Reigns of the Royal house of Stuart &c. By Oldmixon.