La Spectatrice danoise: Amusement XXXIII.
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Amusement XXXIII.
Suite de l’Extrait du Journal d’un Gentilhomme Jutlandois.
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II. Journée.
General account
Je me levai de bonne heure, pour avoir plus
de tems à donner à ma parure. Jusques-là j’avois regardé
ce soin comme indigne d’un homme : mais, comme l’amour
change les idées ! je me figurai dès-lors, que les
hommes devoient plaire aux femmes par le mème genre de
mérite, que les femmes plaisent aux hommes, par la bonne
grace du corps & les agrémens du visage. Je ne
confiai point l’arrangement de ma tête à mon valèt de
Chambre. J’envoiai qnerir <sic> un Baigneur. Mon
gros Jutlandois en murmura. On m’en amena un François.
Je m’en attendois à ètre étourdi de son babil ; mais il
s’obstina à donner un démenti à l’idée qu’on a
communément, qu’un François ne sauroit se taire. Il ne
me parla qu’à propos, & toujours fort laconiquement.
En quel goût, Monsieur ! voulés-vous ètre frisé, me
dit-il d’abord ? En Marons ? en Pendans ? en Négligé ?
en Petit-Maitre ? en grosses boucles ? en petites
boucles ? Il attendoit tranquillement que je me fusse
décidé. Confus de mon ignorance, qui paroissoit dans mon
air également indécis & étonné ; vous n’avés, lui
répondis je, qu’à m’accommoder comme il vous plaira. Je
ne me repentis point de m’en ètre remis à son goût. Il
éleva avec tant d’art l’édifice simétrique de mes
cheveux, qu’en me mirant je ne pus retenir un souris de
complaisance. Quoique naturellement peu loüangeur, je
parodiai en sa faveur ces deux vers de Boileau :
Après avoir donné à mon ajustement toute
l’attention coquette d’une femme aimable, je consultai
une glace pour savoir à peu près quelle impression je
ferois sur Mlle. de * * *. Je me trouvai charmant. Je
n’aurois jamais soupçonné ma figure susceptible de tant
de graces, capable de tant d’attraits. Mon habit étoit
galant, ma taille degagée, mes yeux vifs & brillans,
tels qu’ils sont quand l’amour les anime. Une seule
chose mortifioit ma vanité. A travers tout cela perçoit
mon air villageois. Mes maniéres étoient des plus
unies ; & à la cour la simplicité ne fut jamais de
mise. J’étois vétu en homme de qualité, & je n’en
avois aucunes façons. Ma grossiéreté & mes agrémens
faisoient un contraste tant soit peu risible. Je n’avois
pas seulement la petite oїe du grand monde. La révérence
étoit ma croix. Je l’essaїai cinq à six fois
inutilement. Je n’attrapois point cette aisance de la
Cour. A la fin j’y renonçai, & je m’occupai de
pensées plus sérieuses. Je rougîs de mon ridicule souci.
« L’air de Copenhague, me dis-je, auroit-il la vertu de
gâter la raison ? Ne faut-il que vingt-quatre heures de
séjour pour rendre un homme extravagant, pour le remplir
d’objets frivoles, pour lui faire prendre des riens pour
des occupations intéressantes ? » Après quelques
soliloques dans ce goût-là, je me jettai sur un
Prie-Dieu. A peine avois-je commencé à invoquer l’Etre
suprème, l’auteur de la Nature, l’ami du genre humain,
que le Courtisan auquel j’étois adressé, entra dans ma
chambre, sans s’étre fait annoncer. « Eh ! Quoi ?
s’écria-t-il ; Vous faites votre priére du matin. »
« Pourquoi non ? » dis-je froidement. « En Jutlande,
passe, reprit-il, mais à Copenhague, y pensés-vous ? A
votre âge s’asservir aux usages du bon vieux tems !
Copier le Bourgeois ! Mettés cet usage, repartis-je, au rang des devoirs, & des devoirs les
plus indispensables. Oh ! interrompit-il, si vous
continués sur ce ton-là, vous ne prendrés point dans
cette ville. Vous passerés pour bigot ; & l’on ne
vous fera accueil nulle part. On n’oseroit parler devant
vous, on vous regarderoit comme un homme génant, on
n’oseroit hazarder un conte gaillard, une chanson
libertine, on vous croiroit le censeur général de toutes
les cotteries. Et bien des Dames vous trouveroient de
trop, mème dans leurs parties de jour. Autant
vaudroit-il vous faire afficher pour un franc importun.
Vous dirai-je encore, que parmi la jeunesse de la Cour
cela n’est plus de mode ? Nous laissons ces pieux
éxercices à la vieillesse. Nous avons nos heures si bien
réglées, & la journée est si courte qu’il nous est
impossible de trouver un seul moment pour faire notre
Cour à Dieu. Et n’en trouvés-vous pas, lui dis-je, pour
la faire au Roi, pour vaquer à vos plaisirs ? Oh ! pour
cela, reprit-il, nous avons du temps de reste ; &,
s’il faut vous le dire, C’est cette extrème dissipation
qui nous rend odieux le recüeillement. Accoutumés à
voler de plaisirs en plaisirs, occupés tantot à plaire
au Roi, tantot à courtiser les Ministres & le
Favori, toujours à nous avancer dans la carriére de la
fortune, nous ne vivons pas pour nous-mèmes, nous
n’éxistons que dans l’avenir, nous renvoїons nos devoirs
les plus essentiels à l’âge, le moins propre à les
remplir. Nous ne connoissons point cette satisfaction
intérieure, qui nait du témoignage d’une conscience
pure. Mais les plaisirs des sens nous dédommagent par
leur variété des plaisirs qui manquent à notre cœur.
Nous serions les plus heureux des hommes, si un ennui
secret n’empoisonnoit toutes nos joïes, si le dégout se
mèloit plus rarement à nos délices, si la fortune, à
laquelle nous nous livrons sans réserve,
ne souffloit sur nos projets, n’anéantissoit notre
bonheur, ne moissonnoit nos plus chéres espérances.
Mais, ajouta-t’il, trève de réflexions. Voulés-vous
aller faire un tour à Torbek ? Il fait beau. Deux amis
seront de la partie. On nous y fera bonne chére. J’ai
déjà pourvu au vin. Nous en aurons d’excellent, que j’ai
filouté à mon Pére. Nous irons en Carosse ou à Cheval,
comme il vous plaira. » Je ne répondois point à cette
proposition. Il s’aperçut de mon embarras. « Cet
arrangement, me dit il, dérangeroit-il les mesures, que
vous pouvés avoir prises pour passer votre journée
agréablement ? Point du tout, répondis-je ? <sic>
Pourquoi donc Vous ètes vous adonisé ? à coup sur, il y
a du dessein. N’est-il pas vrai ? Vous en voulés à
quelqu’une de nos dames ; & il faut avoüer,
ajouta-t’il d’un ton ironique, que nous n’en avons
guére, dont le cœur puisse tenir contre une parure de si
bon goût. Vous allés trainer tous les cœurs après vous.
Adieu. Je me ferois conscience de retarder d’un seul
jour vos bonnes fortunes. » Pour démentir cette
raillerie, je l’arrétai, & je lui dis, que je ne
voulois faire des conquètes qu’à Torbek. Il me prit au
mot, me tira de ma chambre, & me fit monter dans son
équipage. Je ne m’ennuiai pas un seul instant : il me
sembla, qu’il avoit ramassé tout son babil & tout
son esprit pour m’amuser. Je ne sai, si cet esprit étoit
de bon alloi, mais je sai bien, que, tant qu’il parloit,
l’ennui n’osoit s’approcher de moi. Peut-ètre ses
saillies étoient-elles broüillées avec le sens commun ;
mais assurément elles étoient dans les bonnes graces du
plaisir & du badinage. Toujours vif & leger, il
effleuroit trente sujèts & n’en approfondissoit
aucun. Tantot c’étoient de jolis contes, tantot
l’Histoire des Coquettes de la ville &
toujours le mot pour rire. Je n’aurois jamais cru qu’un
Petit-Maître put ètre si amusant. J’en fus si charmé,
que peu s’en fallut, que je ue <sic> préférasse le
brillant au solide, l’esprit au jugement, l’étourderie à
la gravité. L’heureux naturel que celui de l’homme
enjoüé ! la gaїté est le plus beau présent de ls
<sic> nature. A peine fumes-nous arrivés â Torbek,
que les deux personnes dont mon ami m’avoit parlé,
vinrent nous joindre. C’étoient deux gentilshommes de la
Chambre, en qui je ne trouvai rien de remarquable, sinon
que l’un affectoit de grassaier, & l’autre
accompagnoit toutes ses phrases d’un souris
d’approbation ; deux ridicules, également pardonnables à
leur âge. Tandis-que nous attendions impatiemment le
diner, nous vimes arriver un de ces voitures, que le
Bourgeois nomme Carosses, en dépit du gentilhomme, qui
lui donne un autre nom. Un laquais, à livrée bizare, en
déballa une jeune dame & un jeune homme assés
lestement mis. Parbleu ! s’écria mon ami ; c’est une
bonne fortune qui se présente à nous. Tirons au sort, à
qui de nous quatre en profitera. Nous étions à pousser
cette idée, lorsque ce Duo entra. La dame nous adressa
une révérence, que nous aurions pris pour une révérence
de protection, si elle n’avoit été accompagnée d’un air
niais, & d’une rougeur dans laquelle se peignoit son
embarras. Le Cavalier nous salua aussi profondément
qu’on salue des Cordonbleus. Les premiers complimens
furent assortis aux premiers salainelecs. Il nous pria
de vouloir bien le souffrir lui & la dame dans notre
appartement. Mon ami trancha du grand seigneur ; &
lui dit : D’un ton de Sultan : « Monsieur ! nous y
consentons volontiers. Madame est si aimable, que c’est
bien le moins qu’elle vous serve de passe port. » Le Petit-Maître bourgeois (car c’en étoit
un) ne comprit pas la force de ces expressions : La
jeune femme ne les entendit pas mieux. Elle remercia par
une révérence muette. Je lui présentai un siége :
« Monsieur, me dit-elle, en vérité, vous avés bien de la
bonté. » La laide chose, que les beautés brutes !
Celle-ci avoit l’esprit le plus borné sous l’enveloppe
la plus brillante. C’étoit un oison sous une figure
d’Ange. Grands yeux, noirs, bien fendus, teint à ravir,
composé de lis & de roses, beaux bras, bouche de
corail, petite, réguliére, &, ce qu’il y a de plus
rare ici, garnie de deux rangs de perles ; le tout sans
graces, sans ame & sans vie. Je ne vis jamais de
visage plus beau ; je n’en vis jamais de plus fade. Au
premier coup d’œil, ébloüi, au second j’en fus dégouté.
A voir cette statuё, qui ne l’auroit cruё sans
sentiment ? On ne pouvoit que le penser, & l’on se
trompoit. Le jeune homme me fit la confidence de ses
amours. « Elle n’est pas si bête, me dit-il, qu’elle le
paroit. Quand nous sommes tète-à-tète, elle m’agace le
plus plaisamment du monde, non qu’elle soit coquette,
car je suis son unique amant ; mais c’est qu’elle aime
le plaisir ; son mari est à la Chine, c’est à dire bien
loin d’ici ; & elle m’a fait la grace de me prendre
pour son pourvoїeur. Je m’acquitte de mon emploi en
homme qui se pique d’honneur ; & pourtant j’ai peine
à y suffire. Vous ne sauriés croire, combien l’attrait
du plaisir la rend spirituelle. Telle est sa tendresse
pour moi, qu’à proprement parler, ce n’est pas elle qui
m’accorde des faveurs ; c’est moi, qui lui accorde mes
bontés. Le reste des jeunes gens donnent à leurs
maitresses des cadeaux, pour avoir la permission de
cueillir les fruits de leurs soins ; mais moi, je n’ai
qu’à prendre ; & si je fais à la
mienne un présent, c’est par lassitude de volupté, c’est
pour me libérer des fatigues d’un plaisir trop
fréquent. » A peine eut-il achevé les derniers mots de
cet impertinent discours, qu’on servit le potage. Nous
nous mimes à table. Nous fumes bien régalés. Le
petit-maitre bourgeois, qui se croioit & beau garçon
& beau parleur, s’empara de la conservation. Nous
nous divertimes de sa ridicule ingénuité. Il se plaignit
amérement de ce qu’il ne lui étoit pas permis de porter
du galon ; il nous raconta l’insipide histoire de sa
vie ; il commença par les espiégleries qu’il faisoit
dans son enfance à ses (*1)
Francoises, continua par un détail de ses dépenses,
& finit par ses avantures galantes durant ses
voiages ; son récit nous ennuioit ; mais nous le lui
pardonnâmes en faveur de quatre bouteilles de délicieux
Côte-Roti, dont-il égaїa notre attention. La belle image
n’ouvrit pas la bouche ; nous paiâmes l’hôte ; &
partimes, non sans boire le vin de l’étrier. Mon Ami ne
cessa de me vanter l’agréable partie que nous venions de
faire. Chacun a son goût. Pour moi, soit que je fusse
distrait par le souvenir de Mlle. de * * *, soit que
j’appréciasse trop éxactement les choses, je n’y trouvai
aucun plaisir. Je ne me livrai à la joїe que par
complaisance ; & je maudis vingt fois dans mon moi
Philosophique cette tyrannique politesse, qui, forçant
les inclinations, impose, sous le beau nom de
sociabilité, les devoirs les plus génans à tout homme
qui entre dans le monde. Heureux, qui a le courage de
secoüer ce joug, & qui, dépendant de lui-méme, n’est asservi qu’à ses penchans ! mais
plus heureux celui, dont les penchans sont toujours
soumis à la raison ! A mesure que nous approchions de la
ville, mon ami parloit avec plus de retenuё. En
respirant l’air chéri de Torbek, il me sembloit avoir
fait provision de belle humeur. Mais sa gaîré
<sic> l’abandonnoit insensiblement. Peu s’en
fallut, qu’il n’eut la mine d’un homme sage. Il n’a
pourtant point de femme, me disois-je. Copenhague, ne
doit pas ètre fort agréable, puisque ses habitans y
laissent leur enjoûment à la porte. A peine y fumes-nous
arrivés, que nous fumes joints par les deux Cavaliers,
qui avoient été de la partie. Ils nous conduisirent chés
Madame la Comtesse de * *. Nous y trouvames bonne
compagnie. La Comtesse de * *. est une femme respectable
par son rang & encore plus par son mérite ; son
Hotel est le rendés-vous du beau monde. Le Magistrat s’y
va délasser de ses occupations ; l’homme d’etat y perdre
de vuё ses affaires ; le Courtisan y respirer l’air de
la liberté ; Le Militaire s’y amuser innocemment, le
Petit-Maître y désapprendre la fatuité & s’y
familiariser avec le bon sens & la modestie.
J’y soupai ; & je me retirai une demie heure
après, fort satisfait d’acoir <sic> vû une des
plus aimables dames de Copenhague, que je trouvois
d’autant plus belle, qu’elle etoit Jutlandoise, &
fort mécontent de n’avoir pas vu Mlle. de * * * à qui
j’avois destiné ma journée.
Citation/Motto
Milton, vive Milton ! car
dans le monde entier
Jamais Baigneur ne sçut mieux que lui son métier.
Jamais Baigneur ne sçut mieux que lui son métier.
Level 4
Heteroportrait
Madame la Fille, qui
est en possession de faire les honneurs de la
maison, me reçut poliment. Comme elle est fort
jolie, je l’examinai assés attentivement. Mes
regards, quoique lancés à la dérobée,
n’échappérent point à mon Ami.
Dialogue
« N’est-il pas vrai, me dit-il tout bas,
qu’on ne trouve pas en Jutlande de femme aussi
aimable ? C’est un présent que votre Province nous
a fait : mais vous sentés bien que nous l’avons
façonnée. Ce qui m’étonne, répondis-je naivement,
c’est qu’elle ne se soit pas gatée parmi vous,
c’est qu’elle ait conservé cet air de douceur
& de simplicité, qui est l’appanage de nos
Jutlandoises. » Oui, je suis surpris
qu’elle n’ait pris des maniéres de la ville &
de la cour, qu’autant qu’il en falloit pour
compléter ses charmes. Alte-là, interrompit-il ;
que vous connoissés mal nos dames ! Vous vous
figurés, qu’outrées dans leurs modes, que dégagées
& minaudiéres, elles copient les coquettes des
Romans. Erreur. Elles donnent dans l’excès opposé.
Passionnnées pour les anciennes modes, elles
gâtent toujours les nouvelles : elles aiment si
fort les usages antiques, que la bonne maniére de
faire la révérence n’a pas encore pu s’introduire
généralement parmi elles. Quelques-unes prennent
un air haut pour un air de qualité, un maintien
roide, pour un maintien de Cour, la taciturnité
pour la vertu cardinale de leur séxe. Celle-ci,
comme vous voїés, n’a point de roideur. En elle
rien d’empesé. Elle doit tout à la nature, &
rien à l’art. Elle est maniérée. Elle a cet air
uni & aisé, si commun en France, si rare dans
ce paїs. C’est delà qu’elle tire ces graces, qui
donnent un nouvel éclat au brillant de ses yeux
pleins de douceur & de feu, ces graces qui
relevent la finesse de son teint, & la
délicatesse de ses traits mignons, ces graces qui
la rendent un des ornemens de la Cour, & les
délices des meilleurs cotteries. Vous en parlés,
lui dis-je, en homme enthousiasmé. Point du tout,
répliqua-t’il ; savés-vous bien, qu’au gout de nos
plus fins connoisseurs, elle brilleroit au beau
milieu de Versailles, où l’on est & si
critique & si délicat ? Voulés-vous le détail
de ses qualités ? Son cœur est droit, vertueux,
compatissant, & tendre, mais tendre uniquement
pour l’heureux mortel qui la posséde. Ceux qui la
connoissent à fonds, disent qu’il y a peu de
femmes qui plaisent autant, & qui aient moins
d’envie de plaire. Elle hait à mort la
coquetterie, & peut ètre un peu
de cette haine rejaillit-elle sur les coquettes.
La plupart des femmes ont besoin d’étaier leur
vertu d’un grand nombre de réfléxions. Pour elle,
naturellement portée au bien, elle n’a qu’à se
livrer au penchant qui l’y conduit. Le <sic>
sagesse sistématique est à la vérité plus
méritoire ; mais elle est infiniment moins sure.
Les Maris ne s’y fieront jamais. Qu’une femme est
foible, quand elle a son tempérament à combattre !
Une qualité, dont on ne doit pas mettre tout le
mérite sur le compte de la nature, c’est
l’empressement avec lequel elle sert ses amis,
rend service à ceux qu’elle affectionne, protège
ceux qui ont eu l’art de la gagner. Ajoutés à
cela, qu’elle donne quelquefois en badinant à
notre jeune noblesse de sages conseils,
malheureusement peu suivis. Je m’en suis bien
trouvé. L’année passée, je m’étois attaché, faute
de mieux, à une A - - - I - -. Elle me persuada
(une jolie femme persuade aisément) d’y renoncer.
Son esprit, quoique peu cultivé, est tel qu’il le
faut pour le <sic> société. Bien des dames
apportent en compagnie migraine, mauvaise humeur,
contrainte. Elle y apporte tonjours <sic>
l’enjoûment. Avec elle on sent qu’on est à son
aise. Cette égalité d’humeur, qui fait le plus
doux agrément du commerce de la vie, ne
l’abandonne jamais. On diroit qu’elle a fait un
pacte avec la gaieté. Elle a quelque fois les plus
heureuses saillies ; & beaucoup d’usage du
monde, & de naiveté supplée à ce qui lui
manque du côté de la lecture. Quoique d’un
caractére égal, elle se plie à toutes sortes de
génies & s’y plie sans effort ; sa souplesse
coule de source. Aussi la vieille Cour en
fait-elle autant de cas que la nouvelle. Venons à ses défauts ; car elle n’est
pas parfaite. 10. Elle n’a point de gout pour
quelque spectacle que ce soit ; grand défaut dans
une ville où il y en a trois. 20. Elle se repose
quelque fois avec tant de confiance sur ses
charmes, qu’elle en néglige sa parure ; cette
méthode viole le 2. règlement des statuts de la
Toilette, qui porte formellement ; qu’une jolie
femme ne doit paroitre qu’après avoir passé deux
heures au moins devant son miroir. On lui pardonne
cette faute ; mais en dix années d’ici, elle sera
obligée de se conformer au réglement. 30. Elle
trouve jolies toutes les femmes laides. Ce défaut
est assés singulier, mais il est réel. Vous voilà
sur les voies, ajouta-t’il. A l’aide de ce
portrait, vous n’étes plus étranger dans cette
maison. Adieu, j’ai affaire. Je vous y laisse. »
1(*) Filles ou Femmes, pour la plupart Danoises, qu’on met auprès des enfans pour leur enseigner le François. Cet usage a son époque dans l’année qui suivit celle de la Révocation de l’Edit de Nantes.