La Spectatrice danoise: Amusement XXXII.
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Brief/Leserbrief
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Ameneront ce point marqué des destinées,
Qui pour moi finira le tems.
Soleil ! que tant de fois mes yeux ont vu renaître,
Tu vas donc pour jamais à mes yeux disparaître.
Terre ! sur moi tu vas crouler ;
Tout l’Univers m’échappe, & me livre à l’abime ;
J’y touche : le torrent entraine la victime
Sous le coup, qui va l’immoler. L’implacable Mort m’environne ; Je marche à ses côtés ; dans ses bras je m’endors ;
Avec les alimens que son souffle empoisonne,
Je m’incorpore mille morts :
L’Eau, l’Air, le Feu, la Terre à ma perte conspirent ;
Au dedans, au dehors, tour-à-tour me déchirent,
M’embrasent, vont me submerger.
L’Art m’offre son secours ; il m’est souvent un piége ;
Et jamais je n’échappe au danger qui m’assiége
Qu’à l’aide d’un nouveau danger. Bientot, de cette Idole altière, De ce Corps, qui maitrise aujourd’hui mon Esprit,
Il ne restera plus que la vile poussière,
Grand Dieu ! dont la main le paitrît.
Bientot pâle, sanglant, livide, infect, horrible,
Des Insectes rongé - - - Loin, image terrible !
J’expire, si tu me poursuis.
Et d’un risible orgüeil, j’ose encor me repaître ?
Et je puis, à l’aspect de ce que vais être,
Idolatrer ce que je suis ? De ce souffle actif, qui m’anime, Qui vit, qui pense en moi, quel sera le destin ?
Du pouvoir de la Mort trop illustre victime,
Pourroit-il fondre dans son sein ?
Dans le sein de la Mort ! lui, dont l’intelligence
Embrasse l’Univers, fonde sa propre essence,
Lui, qui connoit le Dieu vivant.
Non non, qui te connoit sans fin doit te connoître,
Dieu des Dieux ! ton idée, attachée à mon ètre,
Le munit contre le Néant. (*1) Ah ! mon œil perce le nuage : Tu m’éclaires ; quel bien, quel espoir m’est permis ?
Torrens de volupté ! serés-vous mon partage ?
Au Juste seul ils sont promis.
L’Impie, en expirant, fondra dans ces abimes,
Où ta haine éternise un Peuple de Victimes,
Qu’à jamais ton bras doit frapper.
Quoi ? grand Dieu ! pour jamais le Ciel ou le Tartare !
L’un ou l’autre m’attend ; un souffle m’en sépare,
Et le plaisir peut m’occuper ? Une foule d’objèts m’attache ; Ciel ! à quelles douleurs suis-je donc destiné ?
C’est en le déchirant qu’à la terre on arrache
Un arbre trop enraciné.
Vains fantômes de biens, qu’un œil jaloux m’envie !
De quels nœuds vos attraits m’enchaînent à la vie ?
Je dois les rompre ; quels efforts !
De quels traits armés-vous le bras qui me menace ?
Dans une seule Mort, dont l’attente me glace,
Combien m’apprètés-vous de morts ? Que vois-je ? ô spectacle ! ô surprise ! La Mort sur les Humains auroit perdu ses droits ?
Nul dessein, nul effort, nul vœu, nulle entreprise,
Qui soient mesurez à ses lois.
L’erreur a de leurs jours éternisé l’espace ;
Chacun, sans voir de terme, acquiert, enlêve, entasse,
Court aux honneurs, vole aux combats :
Et celui, qui tremblant sous cent hivers succombe,
Plein d’un nouveau projet sur le bord de la tombe,
Périt de coup qu’il n’attend pas. Volez à travers mille orages, A travers mille écüeils, mille gouffres ouverts ;
Allez, troupe effrénée ! au mépris des naufrages,
Dépoüiller un autre Univers.
Pour vous entr’arracher l’idole qui vous charme,
Tentez tout, osez tout. Que votre soif m’allarme
Pour le Pupile & les Autels !
Vous n’êtes plus - - - A voir vos trésors innombrables,
Vos soupirs, vos projets, vos vœux insatiables,
Qui vous eut pu croire Mortels ? Toi ! dont la flamme & le carnage Marquent, fier Conquérant ! les pas ensanglantés,
Sans doute l’Univers te verra d’âge en âge
Régner sur cent climats domtés.
Poussière ambitieuse, au néant échappée !
Quel fruit des attentats de ta fatale épée ?
Vaincre, Triompher & Mourir.
Quoi ? tant de nations sous ton char écrasées,
Pour parer d’un vain tas de couronnes brisées
Le sépulchre, où tu vas pourrir ? Sur ce Théâtre, où disparoissent Les malheureux joüets des caprices du sort,
Mes yeux épouvantés à peine reconnoissent
L’Homme aux prises avec la Mort.
Quelle face ! Grand Dieu ! quels regards immobiles !
Quel trouble, quel effroi sous ces dehors tranquilles !
Par degrés il se sent périr.
Ce qu’il perd l’attendrit ; ce qu’il risque le glace ;
Ciel ! soutiens sa foiblesse ; & pour dernière grace,
Qu’il achève enfin de mourir ! Venés, voiés, Troupe frivole ! Qu’un Peuple sacrilège ose diviniser ;
L’arrèt n’est point douteux : il a proscrit l’Idole ;
Et l’Idole va se briser.
Connoissés votre sort, présomptueux fantômes !
La foule des humains, à vos yeux vils atômes,
Disparoit devant votre orgüeil :
Rapprochés-vous enfin de l’Espèce mortelle ;
Venés, pour la venger, vous confondre avec elle
Dans la poussièro <sic> du cercüeil. Mon œil tremblant parcourt la Terre : Les Mourans & les Morts gîsent de tous côtés ;
Elle entr’ouvre son sein - - - quel spectacle elle enserre !
Tous mes sens sont épouvantés.
Que de gouffres infects, qui sans cesse engloutissent !
Que de lambeaux hideux, qui lentement périssent !
Tel est donc l’ouvrage du Tems.
O Terre ! de la Mort trophée épouvantable !
Qu’est ce-donc que ta masse ? Un monçeau lamentable
Des débris de tes habitans. Dans ce tas de poussière humaine, Dans ce cahos de boüe & d’ossemens épars,
Je cherche, consterné de cette affreuse scène,
Les Aléxandres, les Césars,
Cette foule de Rois, fiers rivaux du tonnerre,
Ces Nations, la gloire ou l’effroi de la Terre,
Ce Peuple, Roi de l’Univers,
Ces Sages, dont l’esprit brilla d’un feu céleste ;
De tant d’hommes fameux voilà donc ce qui reste :
Des Tombeaux, des Cendres, des Vers. Que ce spectacle vous terrasse, Monstres ! que trop lon-tems mon cœur osa nourrir ;
Le fragile Univers n’est qu’une ombre qui passe ;
Tout meurt ; c’est a vous de mourir.
Image de la Mort ! appui de ma foiblesse,
Entre le crime & moi vien te placer sans cesse.
Demasque à mes yeux les faux biens ;
Tu commences le sage, & la vertu l’achève ;
Mais le sage, des Cieux, où la vertu l’élève,
Tombe, si tu ne le soutiens.
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Par ta seule image glacée,
Je cherche contre tes fraїeurs
Dans une sagesse insensée
Des remèdes faux & trompeurs.
A ton seul aspect je frissonne ;
Toute ma force m’abandonne ; O Mort ! tu me parois le comble des malheurs. Que peut une Raison, qne <sic> toujours environnent
Les plaisirs, les appas de ce Monde enchanteur ?
Son flambeau me présente une foible lueur ;
Et ses conseils ne me donnent
Ni fermeté, ni vigueur. Mais la Religion, mon unique ressource, Me rassure contre tes coups ;
Tes coups m’ouvriront une source
De gloire & de bonheur, où les Saints boiront tous. Qui ? Moi ? je pourrois être à la Mort asservie, Moi, que le Ciel créa pour l’Immortalité ?
Mon Etre m’est garant de mon éternité,
Et qu’au sein de la Mort je puiserai la vie.
Au dessus de l’humanité,
Heureuse du bonheur de la Divinité ;
A mon Dieu pour toujours unie - - - Quel espoir ! qu’il est glorieux ! La Mort m’arrachant à la Terre
Me portera jusques aux Cieux,
Où, sur un Thrône radieux
Mon œil contemplera le Maître du Tonnerre.
Jésus ! par ton sang précieux
Je désarmerai sa colére.
Je ne le verrai point comme un Juge sévère.
La Foi dans le plus grand des Dieux
Me montre le plus tendre Pére. O Mort ! je ne crains plus ta main. La vertu me rend magnanime.
Non ; je ne te crains plus ; frappe ; prends ta victime ;
Mais épargne le fruit que je porte en mon sein ;
Allonge de mes jours les jours de son enfance ;
Que le moment de sa naissance
Ne soit pas celui de sa fin !
1(*) Ces trois vers renferment la plus forte preuve de l‘immortalité de l’Ame, & la plus à la portée de toutes sortes d’esprits. L’Ame de l’homme connoit son créateur, est capable de vertu, a des idées distinctes du bien & du mal ; de sorte que, quand même elle ne seroit pas Immortelle de sa Nature, les perfections de Dieu éxigeroient qu’il l’immortalisât. Il n’en va pas de même de l’Ame des Bêtes. Dépourvuё de la connoissance de Dieu imapable <sic> de vertu, bornée aux besoins de la vie, elle doit nécessairement périr. Ne pouvant ètre jugée, elle ne peut qu’ètre anéantie. Ceux qui se sont avisez de tirer des conséquences impies de ce que j’ai dit sur l’Ame des Brutes, m’ont prèté gratuitement leurs principes. Ceux qui ont cru, qu’on en pouvoit tirer avec fondement, manquent, ce me semble, de justesse d’esprit.