Zitiervorschlag: Laurent Angliviel de la Beaumelle (Hrsg.): "Amusement XXXI.", in: La Spectatrice danoise, Vol.1\031 (1749), S. 257-272, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4212 [aufgerufen am: ].


Ebene 1►

Amusement XXXI.

Ebene 2►

Zitat/Motto► D’un œil malin chacun se regarde & se lorgne ;
Un magot, qui voit de travers
Vous tourne en ridicule un borgne.
Aiés sur vos défauts les yeux toûjours ouverts. ◀Zitat/Motto

La médisance est de la mème datte que la vertu, & la vertu est aussi ancienne que le monde. Tous les hommes sont sujèts à ce défaut. La moitié du monde s’occupe à médire, & l’autre moitié à écouter & à croire les médisances.

Le voleur est puni : le médisant ne l’est pas ; cependant il est beaucoup plus coupable & plus dangereux. Le premier attente à nos biens : le second à notre honneur, à un bien plus précieux que la vie mème. On peut se garder de l’un ; on ne sçauroit se mettre à couvert des traits de l’autre. L’un & l’autre est ennemi de la société civile ; mais le voleur est un ennemi déclaré, aulieu que le médisant est un ennemi caché, &, par cela mème, plus à craindre. On [258] convient généralement, que le voleur & le médisant sont méprisables ; cependant ils sont estimez & respectez quand ils excellent dans leur art. Un homme qui a le talent de railler avec finesse, de satiriser avec sel, d’amuser les présens aux dépens des absens, fait les délices d’une cotterie. Un homme, qui sait le secrèt de dérober habilement le bien d’autrui est respecté de ceux mèmes aux dépens desquels il a doré son carosse. A les voir l’un & l’autre courus, chéris, courtisez, on diroit qu’on ne méprise dans les autres que leur malhabileté, qu’on ne déteste le médisant, & qu’on ne punit le voleur, que lorsqu’ils n’ont pas sçû s’élever au point de perfection. A la honte de l’humanité, il a y certains crimes, que notre corruption rend des crimes heureux : il y a certains vices, que nos préjugés rendent des vices brillans.

Il devroit ètre permis aux femmes de médire des femmes : si une dame m’accuse d’être galante, j’ai droit de représailles ; mais si un homme me taxe du même défaut, comment m’en venger ? En disant, qu’il est galant ? Je rougirois de son reproche ; il s’enorgueilliroit du mien. Telle est la force de la prévention, que ce qui est un défaut chez les femmes est une belle qualité dans les hommes. On devroit donc défendre à ceux-ci de médire de celles-là. La partie est trop inégale.

Lequel des deux séxes est le plus médisant ? Avoüons-le sans détour ; c’est le nôtre. Des riens nous occupent ; des minuties nous remplissent ; notre esprit est vuide ; & notre cœur se ressent toujours du vuide de notre esprit. On ne peut pas toujours joüer. Au jeu succéde la conversation. Nous n’avons rien à dire, parceque nous ne nous donnons pas la peine de réfléchir. Nous ne pouvons nous taire, sans [259] nous faire une extrème violence. Dés-là, quoi de plus naturel, que de se jetter sur la fripperie du prochain, de conter quelques anecdotes galantes, oe <sic> tourner en ridicule ceux qui nous déplaisent ? Il n’en est pas de mème des hommes. Occupez du soin de leur fortune, accoutumez à réfléchir, formez à la discrétion par l’expérience, ils doiveut <sic> naturellement ètre moins enclins à la médisance, que nous ne le sommes. J’imagine, que la plupart ne médisent que par complaisance pour nous. Dailleurs, nous avons pour medire des talens uniques. Nous savons railler avec délicatesse ; nous découvrons avec une sagacité merveilleuse les ridicules les plus imperceptibles ; rien ne nous échappe. Nous lançons nos traits avec légéreté ; nous masquons nôtre jeu avec artifice. Faut-il ètre surprise, si tout cela joint à notre penchant, nous rend Maitresses-Professes dans l’ordre nombreux des Médisans ? Que les hommes viennent nous vanter leur supériorité : nous pourrons leur opposer nos talens pour la médisance. Badinage à part, nous avons sur eux un tel empire, & ils sont si jaloux de celui qu’ils ont usurpé sur nous, que si nous voulions ériger la médisance en vertu, ils nous contesteroient la prééminence ; ils voudroient nous ravir la gloire de les surpasser.

Si je ne craignois, qu’on ne m’accusât de faire une satire contre mon séxe, je dirois que, quelques médisantes que nous soïons, nous sommes infiniment plus sensibles à la médisance que les hommes. Le moindre trait, lâché contre nous, nous pique au vif. Une raillerie nous démonte. Cela n’est pas étonnant. Accoutumées à recevoir toutes sortes d’hommages, ennivrées d’encens, sans cesse environnées de flatteurs, nous ne pouvons qu’ètre vivement choquées du démenti que le médisant donne à nos adulateurs. Ajoutés [260] à cela notre supériorité en amour propre ; & vous aurés tous les motifs, qui justifient notre excessive sensibilité.

La médisance fait - - - Mais qu’est-ce que la médisance ? Il est bien tems, ce me semble, de la définir. On se sert tous les jours de cette expression. Fixons-en le sens. C’est un vice, par lequel uous <sic> disons du mal de notre prochain sur de simples soupçons, par lequel nous donnons à ses actions une interprétation sinistre, à ses paroles un tour malin, & par lequel nous publions ce qui n’a point éclaté. Cette définition est bien embarassée : j’en aurois pu donner une meilleure, si j’avois voulu me donner la peine de feüilleter la Placette ou Nicole ; mais elle n’auroit pas été à moi.

Suivant ce que je viens de dire, attaquer une vertu mal établie, c’est médisance. Publier, qu’une personne sage n’a qu’une sagesse apparante, c’est calomnie. Inventer des aventures désavantageuses à l’honneur d’une Femme, les circonstancier, c’est une noirceur horrible. Mais dire, qu’un méchant écrivain est méchant écrivain, qu’une dame laide est laide, ce n’est ni médisance, ni calomnie, ni noirceur ; mais l’un est un crime irrémissible auprès des auteurs ; & l’autre un péché énorme que les femmes ne pardonnent jamais. Serions-nous plus jalouses de notre beauté que de notre honneur ? Et est-il bien vrai, qu’il est des dames, qui aimeroient mieux ètre surprises avec leur amant, qu’ètre surprises en deshabillé ? Une reine pardonna à un peintre l’attitude lubrique qu’il lui avoit donné dans un tableau en faveur des traits, dont il avoit embelli son visage.

La médisance la plus atroce, est celle qui attaque un Corps entier. Un zèle mal-entendu tombe souvent dans ce défaut. C’est beaucoup, s’il ne va pas jusqu’à la calomnie. Nous en avons un éxemple récent. L’innocence des Francs-[261]Maçons a été vivement attaquée par un écrivain, qui s’est masqué sous le nom de Philothée. Mais cet auteur sera réfuté au premier jour. On lui prouvera, qu’il est tombé dans les contradictions, où tombent toujours les médisans ; qu’il a calomnié une société dont il ne sait & ne saura jamais que le nom ; qu’il l’a condamnée sur des possibilités, qu’il a données pour des preuves ; & que sa brochure, qui n’est qu’un libelle diffamatoire, heurte de front les éléments de la Logique, les préceptes de la Religion en général ; & les principes du Protestantisme en particulier. Monsieur Philothée sera peut-ètre forcé à se débâtiser, pour me servir de son expression. Il verra dumoins, que la zèle pour les Christianisme produit bien souvent les choses les plus contraires au Christianisme mème. Metatextualität► Revenons à notre sujet, &, s’il se peut, à notre texte. ◀Metatextualität

Il est étonnant, que les hommes, qui sentent le besoin qu’ils ont de l’indulgence de leurs semblables, soient si acharneés à se nuire réciproquement par la médisance. D’un côté tout semble conspirer à les unir ; de l’autre, l’envie, le mauvais cœur, l’ambition, l’intérèt, tout semble concourir à les diviser. La médisance leur est pernicieuse ; ils en éprouvent tous les jours les funestes effèts ; néanmoins, ils n’en deviennent pas plus retenus. Ce qui les aveugle, c’est l’amour propre. Ils s’imaginent, que plus ils abbaisseront les autres, plus ils s’éléveront eux-mèmes. L’esprit ne fait pas ce raisonnement tout haut ; mais le cœur le fait tout bas, & sans prendre conseil de la raison.

Allgemeine Erzählung► Je vois entrer dans le cercle une dame & un cavalier. On leur fait un accüeil de prince. Ce ne sont pas des politesses ; ce sont des adorations. Le <sic> dame du logis se déride en leur faveur. Elle accable des gracieusetés le cavalier, au-[262]tour duquel toutes les femmes s’attrouppent, tandis-que tous les cavaliers s’empressent à entouvrer <sic> la dame, nouvellement arrivée, impatiemment attenduë. Ce beau couple est l’ame de la conversation ; & la médisance est l’ame de tous leurs discours. Ici, l’on dit, que Lisimène mèt du rouge & qu’elle s’est arrangée avec son amant, pour mettre quelque chose de pis sur la tête de son mari. Là, on assure, que Dorise, pour soutenir le rang que lui donne son titre, fait habiller ses servantes en laquais à livrée ; que Galatée n’a contracté avec Dorilas qu’un mariage de conscience, qu’elle change de mari comme de domestique, & qu’elle renverra au prémier terme celui qu’elle a aujourd’hui ; que Plautimerg décrie les ouvrages d’autrui, & surtout ceux des étrangers, parceque les siens ne sont plus applaudis, grace au bon goût ; que la vertu de Grelotine mille fois attaquée, mille fois triomphante, a été enfin vaincuë par l’homme le moins propre à l’ébranler. ◀Allgemeine Erzählung Tous ces traits malins peignent non seulement ceux, qui sont sur le tapis, mais encore ceux qui les y mettent. Les médisans découvrent leur tour d’esprit, leur humeur, & leurs défauts en publiant les défauts des autres.

Qu’est-ce qu’une conversation intéressante ? C’est une conversation de médisance. Parler raison, est ennuïeux, & difficile. Parler avec esprit, c’est une qualité fort rare. Parler à propos, c’est une contrainte, dont la vanité ne s’accommode pas. Disserter sur des sujets d’érudition, c’est pédanterie, ou approchant. S’instruire & s’amuser par des propos utiles & agréables, est à la portée de peu de personnes. Se taire, est impossible. Il faut donc nécessairement recourir à la médisance. On brille à peu de frais dans ces sortes de conversations ; il ne faut qu’une imagination vive, de la mémoire, & de la malice. C’est à ces causes qu’il faut attribuer l’universalité de la médisance.

[263] Les grands hommes sont quelquefois railleurs ; mais ils ne sont presque jamais médisans. Un penchant décidé à la médisance est l’appanage d’un petit génie. Qu’il y a de petits génies dans le monde ! Les grands cœurs occupés à s’illustrer ne s’abaissent pas à déprimer autrui.

La bigoterie est ordinairement accompagnée d’une humeur médisante. Le dévot intéresse toujours le ciel dans ses ressentimens. A l’entendre, il ne médit que par charité ; il ne nuit à son prochain que par zéle pour la gloire de Dieu. Il ne mord que pieusement ; il ne le déchire que par compassion. Ebene 3► Fremdportrait► Orphise a donné depuis peu dans la dévotion ; sa maison ne désemplit pas de dévotes, qui vont chés elle se délasser de leurs saintes éxercices aux dépens des mondaines. « Mon Dieu ! dit l’une, d’un air béat, & roulant des yeux santifiés : que les hommes sont pervers ! Mr. de * * * ne cesse de partager son tems entre l’amour, le jeu & le vin. Hier, il but à sa toilette quatre bouteilles de Bourgogne. Après diner, il fut en conter à Made. de * * * qui, entre nous, ne lui est pas plus cruelle, qu’elle l’a été à Mr. * * * Après avoir soupé tête-a-tête avec elle, il a été au brelan, où il a perdu 500 Ducats. Que la médisance est commune aujourd’hui, s’écrie l’autre ! Je sors d’une maison, où l’on n’a cessé de médire » ; & là-dessus elle fait part à ses auditrices de toutes les histoires scandaleuses qu’elle a entenduës, avec horreur, & qu’elle répéte en radoucissant son ton de voix par sa lenteur à prononcer chaque mot. ◀Fremdportrait ◀Ebene 3 La vilaine engeance, que les bigots !

Ne peut-on pas dire du bien de la médisance ? N’a-t’elle pas ses bons côtés ? sans doute ; elle est utile à quelque chose. Elle nous éclaire sur nos défauts. Quelque illusion que nous soions portés à nous faire, il est rare, que, lors-[264]que nous voions toutes les langues médisantes s’éxcercer contre nous, nous n’ouvrions les yeux sur nos foiblesses. Les coups qu’on porte à notre réputation, les ridicules qu’on découvre en nous, humilient notre orgüeil. Sur ce pié-là, dira quelque badin, il est permis de médire des dévots. Sans outrer les choses, avoüons, que de toutes les médisances c’est la plus pardonnable. Car leur amour-propre a grand besoin d’ètre mortifié.

Un autre avantage de la médisance, c’est qu’elle est extrèment utile dans le commerce de la vie. Ebene 3► Exemplum► Un cavalier veut en conter à une femme : cette femme sera portée à l’écouter ; si la médisance se tait, elle hazardera sa réputation : mais si la médisance lui dit, que ce cavalier est un infidelle, un indiscrèt, un téméraire, elle le bannira de sa cour. Sa vertu sera d’autant plus affermie, qu’on lui en aura fait un portrait plus noir. Si elle est naturellement foible, elle s’armera de rigueurs, pour retenir plus lon-tems son captif, pour lui donner bonne opinion de sa sagesse, pour conserver son estime & reprimer son babil, si elle vient à perdre son cœur. ◀Exemplum ◀Ebene 3

Ebene 3► Exemplum► Un Négociant, en combien de méchantes affaires ne s’engageroit-il pas, si la charitable médisance ne venoit lui donner de bons avis sur le compte de ses correspendances ou de ses chalans ? ◀Exemplum ◀Ebene 3 Ebene 3► Exemplum► Sans la médisance, le Courtisan ne seroit il pas souvent la dupe des offres de service, des protestations d’amitié, des regards benins d’un autre Courtisan, qui cherche sourdement à lui nuire. ◀Exemplum ◀Ebene 3

Ebene 3► Exemplum► Un Etranger n’a-t’il pas essentiellement besoin de quelques rapports fidéles ? Si la médisance ne vient au secours de son inexpérience, il est perdu sans ressource. Il se fauxfile avec des débauchés ; & ses mœurs sont décriées. Il se confie à des fripons, & sa bourse s’en ressent. Il se livre a de [265] faux amis ; & il en est trahi. Un Etranger ne sauroit se passer de la médisance. S’il est honnête homme, il n’a ni méfiance ni dissimulation. A chaque instant il est trompé. ◀Exemplum ◀Ebene 3

La vertu de la plupart des femmes a de grandes obligations à la médisance. A parler en général, nous ne sommes pas vertueuses par amour pour nos devoirs, par principe de religion. Nous le sommes par des motifs purement humains. L’honneur, ce tiran de nos tendres inclinations, peut infiniment plus sur nous que les lois, que nous dicte la raison. Sommes-nous sur les bords du précipice ? la crainte de la médisance vient nous en retirer. Ebene 3► Exemplum► Voiés cette femme sévère, que les amans les plus aimables, les plus généreux, les plus séduisans ne peuvent dompter, qui n’écoute qu’avec une dédaigneuse distraction toutes les tendresses qu’on lui débite, qui reçoit avec une froide civilité les assiduités les plus marquées, qui ne répond qu’avec fierté aux soupirs qu’un essain d’adorateurs pousse à ses côtés ? Vous la croiés véritablement vertueuse : détrompés-vous ; elle n’a que l’écorce de la vertu. Paîtrie de sentiment & de volupté comme le reste des femmes, sensible aux soins qu’on lui rend, enchantée des vœux qu’on lui offre, entètée du pouvoir de ses charmes, elle ne résiste, que parcequ’elle redoute la médisance. Quelle seroit foible, si elle étoit sûre, que les foiblesses ne seront connuёs que de celui, qui en partagera avec elle les agrémens & les délices ! Que son cœur s’ouvriroit vite à l’amour & ses bras au plaisir, si elle parvenoit à une conviction parfaite de la discrétion de son amant. ◀Exemplum ◀Ebene 3 Que le qu’en dira-t’on retient de femmes ! Les péres & les maris sont, en conscience, obligés d’ètre les avocats de la médisance envers & contre tous. Cette médisance, dont on médit tant, est plus puissante contre les attraits du vice & les artifices des [266] séducteurs, que ne le sont les yeux des méres & des jaloux. Qu’on fasse avec éxactitude l’anatomie de notre sagesse, on trouvera, que nous en conservons notre honneur que par la crainte de perdre notre réputation. Sans cela, pourquoi ne serions-nous pas aussi foibles que le sont les hommes ? Que les femmes qui se piquent d’une austere vertu, qui s’enorgüeillissent de la pureté de leurs mœurs, qui font paїer si cherement à leurs maris leurs sagesse chagrine, que ces femmes réfléchissent, que les hommes ont attaché notre point d’honneur à la conversation de notre innocence ; & que le point d’honneur a de tout tems eu plus de force pour modérer la fougue des passions humaines, ou pour élever les cœurs au sublime des sentimens & aux grandes actions, que n’en ont eu tous les motifs pressans tirés des lumiéres de la raison. Il nous est plus aisé d’étouffer la voix des remords, que de bannir de nos cœurs la crainte de la médisance (*1 ).

Quelque avantage qu’on puisse tirer de la médisance, elle est toujours un vice affreux ; que les hommes seroient heureux, s’ils la bannissoient de la société ! La discorde rentreroit dans les enfers. La paix & l’union régneroient sur la terre.

Ebene 3► Exemplum► Aspaisie, dont les vuёs s’étendoient toujours sur le bien public, tâcha de remédier aux maux que la médisance causoit dans Athénes. Pour cet effet, elle présenta à l’Aréopage une longue requète, pleine de sages remontrances. On en a trouvé quelques fragmens dans une Bibliothèque d’Héraclée, ville d’Italie, découverte depuis quelque tems. Metatextualität► Je vais les donner ici d’après la traduction Danoise d’un de nos savans Professeurs. ◀Metatextualität

[267] Ebene 4► Venerables Senateurs !

« De tous les vices qui régnent dans cette ville, il n’en est point de plus commun ni en mème tems de plus contraire au bonheur public que la médisance ; de plus commun ; tout le monde y donne : de plus contraire au bien de l’Etat ; de là naissent, comme d’une source féconde, les divisions entre les divers ordres de la Réplublique, la tyrannie des grands, la méfiance des petits, les haines & les vengeances réciproques, l’éxil de la vertu, &, pour le dire en un mot, les révolutions les plus funestes. La supériorité de vos lumiéres vous découvre, sages Aréopagites, tous les inconveniens d’un défaut si généralement répandu, d’un défaut que la raison desaprouve, & que la probité condamne ; d’un défaut auquel la nature donne du penchant, la curiosité du plaisir, & la fausse philosophie des couleurs ; d’un défaut qui part presque toujours du mauvais cœur, & qui ne laisse pas d’ètre infiniment agréable à l’esprit ; d’un défaut, dont les effets sont aussi difficiles à réparer, qu’aisés à produire.

Mon séxe y est si enclin, qu’il paroitra peut-ètre surprenant, qu’une femme ose l’attaquer ; c’est attaquer toute la ville, tous les membres de l’Etat ; & qui suis-je pour braver la langue de tous les médisans (*2 ) ? Je ne solliciterai point votre protection contre ce monde d’ennemis ; si vous approuvés mon projet, ils n’oseront paroitre : se déclarer contre le résultat de vos délibérations, ce seroit se déclarer contre les conseils de la sagesse mème.

[268] 10. Comme l’intérèt est le grand mobile des actions humaines, il seroit essentiel de mettre à contribution la médisance, de taxer chaque attentat à la réputation des Citoiens. Cet impot utile aux particuliers mettroit Republiqve <sic> en etat de soutenir la guerre qu’elle vient de déclarer aux Mégariens.

20. Tout médisant, qui auroit paїé dix fois l’amande, devroit ètre noté d’infamie, & contraint d’aller de maison en maison publier sa retractation, si c’est calomnie, & son repentir, si c’est simplement médisance. Cette peine paroitra dabord trop sévère ; mais comme ce vice est purement volontaire, le coupable doit ètre puni de sa dangereuse opiniâtreté. Dailleurs, on ne l’emploira que rarement, parceque les Citoiens ne consultant que leur intérèt, renonceront insensiblement à un défaut qui les appauvriroit, & qui les aviliroit aux yeux du public. Le plaisir de médire ne tiendra point contre le déplaisir de paїer l’amande, & la crainte d’ètre flétri.

30. Les femmes seront condamnées à ne paroitre qu’en négligé aux spectacles & aux promenades publiques ; &, à la trentiéme récidive, elles seront obligées par sentence à fermer leur porte à tout ce qui aura l’air de galans, & à s’en tenir à leur mari - - -

40. Pour découvrir les coupables, le Magistrat - - - ◀Ebene 4 Metatextualität► le reste manque. ◀Metatextualität

Quand Aspasie présenta cette requète, elle étoit vraisemblablement piquée au jeu, son honneur étoit attaqué ; & les Aréopagites ne jugérent pas à propos de la venger en établissant cette espèce d’Inquisition. L’Athénien étoit fort vif, & par conséquent ne savoit ce que c’étoit que de mesurer ses sillabes. Il est vraisemblable, que les plus fortes lois n’au-[269]roient pu arrèter ce torrent. ◀Exemplum ◀Ebene 3 Si l’on établissoit en France, un pareil tribunal, le Francois ne seroit pas plus retenu ; il n’en seroit que plus malheureux. L’Anglois est taciturne & rèveur ; mais l’esprit de liberté, dont il est animé, ne sauroit se plier à un pareil établissement.

Metatextualität► Je reçus hier au soir une lettre ; on m’y accuse de médisance. On me permettra de m’en justifier. Je ne sai pas précisément, qui en est l’auteur. Ceux qui connoissent particuliérement la jeunesse de la Cour, le dévineront plus aisément. ◀Metatextualität

Ebene 3► Brief/Leserbrief► Madame la Spectatrice !

Vous écrivez sur la médisance, & vous étes la plus médisante de votre séxe : Vous supposés une lettre d’un de mes Compatriotes ; vous lui faites trotter la cour, les spectacles, & la ville. Lorsqu’il rentre chez lui tout harassé, & sur les dents, crac, le voilà amoureux. Nous ne prenons pas feu si vite, nous autres Jutlandois. Nos flames naissent au Snapsting (a3 ), & n’éclatent que (b) l’onziéme de Juin. Nous ne nous contredisons pas au point de partir à la premiére virgule, & puis de faire des arrangements pour rester, avant la fin de la Periode. Nous ne possédons pas la vivacité spirituelle des François, mais aussi notre bon sens ne nous fait pas marcher si vite. Si nous ne sommes pas du Vin de Champagne qui petille, nous sommes du gros Vin rouge qui ne s’évapore pas facilement. Si j’étois François, par éxemple, je devrois finir pas <sic> vous en conter, mais je ne vous connois pas & je ne suis pas Ixion. Qui que vous soiés, contentés vous de mon estime, je vous la donne toute entiere.

Oliger le Jutlandois. ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3

[270] Réponse à Mr. Oliger.
Brief/Leserbrief► Monsieur !

Est-ce en Jutlande, que vous avés appris à rire malignement des intentions les plus pures ? J’attaque la médisance ; & me voila, d’un coup de votre imagination, la plus médisante personne de l’espéce la plus médisante, au moins dans votre esprit ; car ce n’est pas sans malice que vous avés mis mon séxe en jeu. Et de qui, je vous prie, ai-je médit ? Du nom de quel vicieux ai-je sali me Feüilles ? Quelle coquette ai-je apostrophé ? Quel écrivain ai-je voulu décréditer ? Et cependant quelle ample matiére ? Que n’aurois-je pas pu dire de Plautiberg, qui écrit en tous les genres, & qui n’excelle en aucun ? qui Humaniste, Philosophe, Bel-Esprit, Théologien, Epigrammiste, Jurisconsulle, Historien, Moraliste, s’enrichit de ses plagiats ? Quels traits n’aurois-je pas pû lancer sur ce tas d’insipides auteurs, que leur vanité loge, dans leur imagination, à l’endroit le plus honorable du Parnasse ? Ce ne seroit presque pas médisance, que d’ouvrir les yeux à tant de cœurs bas, à tant d’esprits faux, qui se font, en dépit du Public, illusion sur leur chére personne. Ce seroit charité. Cependant, je m’en suis abstenu ; & vous me taxés d’ètre la femme la plus medisante ? La raison ? C’est que j’ai supposé une lettre d’un de vos Compatriotes. Mais que diriés-vous de celui, qui a supposé l’Extrait de Journal ? Vous ne diriés pas à coup sur ; c’est un médisant. On s’aime toujours assés, pour ne prononcer qu’avec retenuё sentence contre soi-même. Convenés donc de bonne foi, qu’en ce moment votre phlegme Jutlandois vous a manqué, & que vous ne me cédés point en contradictions. Qu’il y a de caractéres François en Dannemarc ! Quel dommage, disoit quelquun, qu’on y soit vin de champagne, sans pouvoir en [271] boire ! Faisons la paix, mon cher & petillant Compatriote ! Je vous dispense volontiers des fadeurs françoises à la mode ; quoique femme, & presque coquette, j’aime mieux régner dans votre estime que dans votre cœur. Je craindrois que le terme des deux païemens ne fut le terme de vos douceurs ; & je n’aime pas les infidéles. Connuё à tout le monde, je garderai donc l’incognito pour vous seul, & serai toujours,

Votre très humble & très obéissante servante

Aspasie. ◀Brief/Leserbrief

Billet.

Metatextualität► Philothée a gardé si peu de ménagemens avec les Francs-Maçons, son écrit est si plein de mauvaise-foi, il s’est servi de voїes si obliques pour le publier, vous nous avés si positivement assurés qu’on étoit pardonnable de médire des calomniateurs, que je ne fais pas difficulté de vous envoier ce couplet, que la lecture de sa brochure m’a dicté. ◀Metatextualität

Chanson.

Sur l’air d’epicure

Débâtise toi, Philothée !

Ton Libelle dément ce nom.
D’Epicurien & d’Athée
Tu traites l’heureux Franc-Macon.
Tu t’ès forgé de vains fantomes,
Et tu les répands en tout lieu ;
Mais ètre l’ennemie des hommes
Seroit-ce ètre l’ami de Dieu ?

Metatextualität► Voici une Lettre sur les complimens du premier jour de l’an. ◀Metatextualität

Ebene 3► Brief/Leserbrief► Nous voici dans le mois des complimens. Ne décrirés-vous point, Madame la Spectatrice ! cet empressement avec [272] lequel on se fait à l’envi mille protestations d’amitié, mille offres de service, sans mettre la sincérité de la partie, cette contrainte qu’on voit sur le visage des Courtisans, ces caresses dont ils s’accablent, cette impression d’artifice, qu’ils mettent dans leur accüeil, ces coups d’œil de protection dont ils paient les courbettes de leurs cliens, le noble maintien avec lequel les dames donnent leur main à baiser, faveur presque toujours accompagnée d’une révérence à côté & d’un regard de complaisance jetté comme par distraction sur leurs engageantes, l’air affairé des Bourgeois, l’embarras des Grands, le mécontentement des uns, quand son Excellence n’a pas été visible, le plaisir des autres, quand ils ont scu <sic> se dérober aux visites importunes des Petits, les mines des filles quand on leur souhaite un mari, les grimaces équivoques des femmes, quand on leur souhaite des enfans, & tous ces vœux plus extravagans les uns que les autres, dont on se régale mutuellement. Armés-vous de la plume de Juvenal pour foudroier cette coutume. Vous trouverés tous vos lecteurs disposés à y renoncer ; & les seuls cochers de fiacres en murmureront. Rien n’est plus contraire à la bonne foi que cet usage. Combien de gens jurent une amitié éternelle à des personnes dans le sein desquelles ils enfonceroient de bon cœur le poignard ? Rien n’est plus opposé à la droite raison. N’est-il pas ridicule, que, sur la plus légère connoissance, un homme soit en droit d’en étouffer d’embrassades un autre. Ce jour est le jour des parjures & des menteurs. Destiné à unir les hommes, il ne sert qu’à entretenir dans leur cœur les sentimens de haine qu’ils ont contre leur prochain, sentimens d’autant plus vifs, que cet usage tyrannique les force à les cacher. ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3 ◀Ebene 2 ◀Ebene 1

1(*) Est-il nécessaire d’avertir, que ce que je viens de dire, a ses exceptions? Qu’on me pardonne ces humiliantes vérités. Hier, deux dames, en réputation d’esprit, m’en avoüérent de beaucoup plus fortes. Cette ingénuité est bien rare.

2(*) Cec,i ne contredit pas ce que les meilleurs écrivains assurent de la défense faite aux Orateurs de mettre aucun éxorde dans leur discours ; il faut distinguer un placet d’avec un plaidoié. Note du Professeur Tenebricosus.

3(a) (b) Deux Termes de paiement.