Sugestão de citação: Jean Castilhon (Ed.): "No 4.", em: Le Spectateur français, ou Journal des moeurs, Vol.1\004 (1776), S. 217-288, etidado em: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Ed.): Os "Spectators" no contexto internacional. Edição Digital, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4202 [consultado em: ].


Nível 1►

Discours.

Nível 2► Metatextualidade► Le hasard a fait tomber dans mes mains, un Mémoire présenté à un grand Ministre ; comme il contient un projet utile aux Arts, & que d’ailleurs il est une preuve que la multiplicité des productions mauvaises ou frivoles, nuit au succès & à l’exécution des Ouvrages les plus estimables, de même que les mauvaises herbes & l’ivraie étouffent le bon grain, j’ai cru faire plaisir à mes Lecteurs de leur faire connoître ce morceau. ◀Metatextualidade

[218] Nível 3► Carta/Carta ao editor► Monseigneur,

« J’ai pris la liberté de mettre sous vos yeux le Prospectus d’un Journal, ou plutôt d’un Catalogue périodique des productions des Peintres & Sculpteurs anciens & modernes, sous le titre de Journal des Arts ; j’ai sollicité vos bontés pour en obtenir le Privilége ; mais la quantité de Journaux Littéraires qui, depuis deux ans, se sont multipliés à l’infini, a fait craindre à votre sagesse qu’un plus grand nombre ne devînt enfin préjudiciable aux Lettres ; & elle s’est déterminée à ne plus accorder de Privilége pour aucune espèce de Journal. [219] L’Ouvrage que je propose, Monseigneur, n’a rien de relatif à la Littérature & aux Sciences ; il n’y est absolument question que de tableaux, de morceaux de sculpture, & autres objets semblables. Mon projet n’est que d’indiquer aux Amateurs, aux Voyageurs, aux Curieux, en quels lieux ils pourront trouver ces ouvrages, dans quels Cabinets, dans quelles Églises, à quels propriétaires ils ont passé, les différens prix auxquels ils ont été successivement vendus, les divers accidens qu’ils ont éprouvés, les réparations qu’on y a faites ou dont ils ont besoin ; de suivre surtout les chef-d’œuvres dans [220] leurs mutations, translations, changemens des lieux de leur exposition, même chez l’Étranger, jusques à leur ruine totale, soit par incendie, soit par quelqu’autre événement ; de les annoncer aux Amateurs, lorsqu’ils seront en vente, ou exposés à la curiosité publique ; enfin de ne jamais perdre de vue des morceaux chers aux Artistes & précieux à la Nation. Il n’existe aucun Ouvrage qui ressemble à ce projet entièrement neuf. L’Almanach des Arts, qu’on a imprimé cette année avec privilége, & qui ne remplit point son titre, n’a aucun rapport avec mon plan ; c’est une nomenclature sèche des Artistes [221] vivans, & de quelques-unes de leurs productions, faite avec si peu de connoissance de l’Art, qu’elle les a presque tous mécontentés. D’ailleurs, est-ce avec des Almanachs qu’on instruit des amateurs ? Quels secours peuvent y trouver les curieux, à qui il faut des éclaircissemens détaillés, qui ne peuvent être que le résultat de soins multipliés, de recherches pénibles, & de longues méditations ? Il y a une si grande disproportion entre les productions du génie, que je me propose de faire connoître, & l’idée mesquine d’un Almanach, qu’il est bien étonnant qu’un homme de bon sens l’ait con-[222]çue, & plus étonnant encore qu’il ait osé la publier. Certainement un tel homme n’a aucune notion de l’étendue & de la sublimité des Arts.

Mon projet, non-seulement ne ressemble à aucun des Journaux, Feuilles & Almanachs, qui ont inondé le Public ces années dernières ; mais encore il est antérieur à la création de ceux qui n’ont survécu que de peu de jours à leur première aurore, & de ceux qui se soutiennent encore dans leur langueur originelle.

Il y a quatre ans que des personnes éclairées, vouloient m’engager de publier mon Ouvrage, & d’en demander le Pri-[223]vilége, qui, dans ce tems, n’eût souffert aucune difficulté ; mais je fus retenu par la crainte de n’avoir pas devant moi une assez grande quantité de matière, pour pouvoir alimenter, sans interruption, la curiosité publique. Il me restoit quelques voyages à faire pour me procurer des éclaircissemens sur quelques-uns des matériaux que j’avois, ne voulant m’en rapporter qu’à moi seul, pour les descriptions & pour les notices des tableaux & sculptures, ayant souvent éprouvé que la plûpart de celles qu’on trouve dans les livres faits pour les indiquer, sont infidelles, & plus propres à égarer qu’à éclairer [224] le Lecteur. Par le refus du Privilége que je prends la liberté de vous demander, Monseigneur, vous me puniriez d’avoir voulu donner plus de perfection à un Ouvrage utile, & d’en avoir retardé la publication pour le mûrir encore ; je perdrois le fruit de dix ans de travaux, de voyages & de recherches ; les Amateurs & les Curieux seroient privés d’un établissement qu’ils desirent, & d’un grand nombre de notes intéressantes que j’ai rassemblées, & de celles que je me dispose, & que mon Ouvrage me mettroit à portée de recueillir encore. Les Journaux des Sciences & de Littérature n’ont [225] à craindre aucune concurrence de la part du mien, qui n’a rien de littéraire. Des descriptions de tableaux n’exigent que beaucoup d’exactitude & de simplicité, sans aucune prétention à l’esprit : toute critique, toute analyse, tout jugement en matière de littérature me sont étrangers, & je n’y prétends rien. Je ne suis ni assez dépourvu de talent pour n’être que Journaliste, ni assez habile pour composer des Ouvrages d’esprit. Si vous craignez, Monseigneur, que le titre de Journal ne le fasse rentrer dans la classe des Ouvrages de ce genre, quoiqu’il n’y ait pas plus de rapport entre mon Plan & les Journaux [226] littéraires, qu’il n’y en a entre ceux-ci & les journaux des Écrivains de vaisseaux ; je consens néanmoins de renoncer à mon titre, & de prendre celui de Catalogue général, périodique & raisonné des productions des Arts. Si Monseigneur veut me prescrire un autre titre, je le prendrai avec d’autant plus de plaisir, qu’il distinguera davantage mon projet, des Journaux littéraires, avec lesquels j’ai le plus grand intérêt que mon Ouvrage ne soit point confondu. » ◀Carta/Carta ao editor ◀Nível 3

Metatextualidade► Je ne prévois point quelle sera la décision du Ministre, & je sens qu’à sa place je pencherois autant à accorder qu’à refuser. [227] C’est à sa prudence à délibérer si la loi qu’il s’est imposée de mettre un frein à cette manie, qui avoit saisi une foule d’Écrivains, de s’ériger en juges des talens & du génie, & si la nécessité de borner le nombre des Feuilles périodiques, sont plus avantageuses aux Lettres, que l’exception qu’il feroit à la loi en faveur de l’Auteur de ce Mémoire, ne seroit utile aux Arts & aux Amateurs. ◀Metatextualidade

[228] Réflexions
Sur le jeu.

C’étoit une grande folie à l’Auteur de Beverley, d’imaginer que son Drame, en mettant sous les yeux des Joueurs François un tableau bien noir, bien lugubre, de la passion qui les possède, viendroit à bout de les corriger plus efficacement que Regnard ne l’avoit fait, en tournant le Joueur en ridicule. Nível 3► Je me souviens que quelques jours avant la représentation de cette pièce, quelques amis de l’Auteur, qui sont aussi les miens, faisoient le procès à [229] Regnard, de n’avoir attaqué une passion aussi violente, qu’avec les armes du ridicule. Aux grands maux, disoient-ils, les grands remèdes. Un Joueur de profession s’embarrasse-t-il qu’on le plaisante ? L’épigramme, le ridicule glissent sur lui. Il faut l’effrayer par les suites mêmes de ses excès ; il faut lui faire sentir que sa fureur peut le porter à commettre tous les crimes ; qu’il est comme impossible à un Joueur de ne pas devenir un malhonnête homme ; qu’il est le fléau de sa femme, de ses enfans, l’opprobre de sa famille, la honte de ses amis ; que lorsqu’il est sans ressource, il est sans pudeur, & que dans cet état il ne peut répondre de rien ; qu’il [230] y a plus à parier qu’un Joueur mourra sur l’échafaud, ou tout au moins dans une prison, que dans son lit. Voilà les tableaux qu’il faut offrir au Joueur, & les précipices qu’il faut lui montrer.

L’intention est bien philosophique, leur disois-je, c’est dommage qu’elle ne puisse produire aucun effet, si ce n’est, tout au plus, sur quelques jeunes gens, qui ne connoissent pas encore la passion du jeu, ou qui n’y sont pas engagés bien avant ; & vous conviendrez que pour ceux-là, le ridicule seroit encore plus efficace ; car au mal moral, comme au mal physique, les remèdes doux sont ceux qui conviennent le mieux, dans les avant-coureurs [231] ou dans le commencement de la maladie.

A qui donc, & dans quelles circonstances voulez-vous offrir vos sombres tableaux ? Si c’est au Joueur, lorsqu’il est déterminé à tenter les hasards, vous n’y gagnerez rien ; car comme il n’est excité que par l’espoir du gain, & qu’il ne voit devant lui qu’un bonheur assuré, vous ne lui persuaderez jamais que les maux causés par le jeu, que les infortunes dont vous lui parlez, puissent le regarder. Si la crainte de perdre, l’unique chose qui pourroit le détourner du jeu, ne fait sur lui que des impressions légères, & toujours effacées par l’espérance, comment toute autre crainte au-[232]roit-elle quelque pouvoir sur lui ? La crainte de ne pas réussir dans ses projets, tourmente plus le voleur que la vue du gibet ne l’effraye ; il le voit dans un si grand éloignement, qu’à peine il l’apperçoit. Les environs de Monfaucon ne sont pas les quartiers de Paris le moins fréquentés des voleurs.

La crainte ne se fait ressentir au Joueur que dans le moment du combat, lorsqu’il est dans l’attente du sort qui va se décider ; & cependant si dans ce moment intéressant, lorsqu’il y a une égale probabilité pour la perte ou pour le gain, vous lui proposiez de renoncer au coup du sort, sa crainte disparoîtroit, & il ne se livreroit qu’à l’espérance.

[233] Mais c’est lorsque le hasard s’est déclaré contre lui, qu’il déteste & qu’il maudit sa passion. Alors les reproches qu’il se fait sont plus sanglans que tous ceux que vous pourriez lui faire alors il se fait des tableaux plus terribles qu’aucun de ceux que vous pourriez lui offrir : alors seulement il se ressouvient de sa femme, de ses enfans, qu’il réduit à la misère, des exhortations de ses amis, des menaces d’un père irrité, des angoisses d’une mère alarmée, & sur-tout des importunités de ses créanciers.

Mais s’il lui survient quelque ressource, ces idées funèbres se dissipent, la sérénité renaît avec l’espoir du gain, & sur-tout avec [234] un desir d’autant plus violent, que les ressources sont plus rares.

A quelle époque mettrez-vous donc le tableau de Beverley sous les yeux du Joueur ? Sera-ce lorsqu’il est entièrement ruiné, lorsqu’il ne lui reste plus aucun moyen de tenter la fortune, lorsqu’en proie à la misère & à ses créanciers, il maudit le sein où il a été conçu ? Ce seroit augmenter son supplice en pure perte.

Puisque la raison, ni les menaces, ni la crainte ne peuvent rien contre le Joueur rassuré par l’espoir, il ne reste d’autre moyen que de ridiculiser la profession même de Joueur, ses espérances chimériques, sa démence. Si vous pouvez le faire appercevoir de la [235] bassesse, de la honte de sa passion, si vous le rendez ridicule aux yeux des honnêtes gens, s’il voit qu’il en est regardé avec mépris, qu’il est en bute à l’ironie, aux persifflages de la bonne compagnie, enfin si vous pouvez le faire rougir de lui-même, vous ferez plus qu’en affligeant son cœur sur le sort d’un malheureux, auquel il se flatte qu’il ne ressemblera jamais.

Toutes les passions ont leurs jouissances ; celle du Joueur n’est que dans l’espérance ; car la jouissance du Joueur que la fortune favorise, n’est que l’espoir de nouvelles faveurs ; de là vient qu’il est peu sensible au gain. Il semble que la passion du jeu ne [236] laisse de sensibilité que pour la perte.

Cette passion a de singuliers caractères. L’avare, qui ne peut se déguiser ses penchans, se cache, opère dans les ténèbres, craint que ses usures ne deviennent publiques ; mais il dépose toute honte, lorsque sous le titre de Joueur, il peut se livrer à toute la fureur de sa cupidité. Ainsi le Joueur a le privilége de pouvoir se livrer sans honte, & publiquement, à tout ce que l’avarice a de plus bas.

Plus l’avare acquiert de richesses, & plus son avarice augmente : peut-être des pertes excessives & continuelles corrigeroient-elles l’avare, le dégoû-[237]teroient ; la passion du jeu s’accroît également par ses pertes & par ses succès.

Le moyen le plus efficace de corriger le Joueur, ce n’est ni la honte, ni les menaces, ni les représentations, c’est de ne lui laisser aucun moyen de jouer.

Nível 4► Narração geral► Il y a quelques années qu’un homme très-riche, revêtu d’une des premières charges de sa Province, mais dominé par la fureur du jeu, perdit dans une séance, qui dura trois jours & trois nuits, tout ce qu’il avoit au monde ; Charge, terres, argent, hôtel, meubles, contrats, il ne sauva rien. Un Anglois lui avoit gravement tout gagné. Le perdant désolé, la larme à l’œil, & le déses-[238]poir dans l’ame, s’en alla tristement annoncer à son épouse (heureusement il avoit oublié de la mettre au jeu), qu’il falloit chercher gîte ailleurs, & quitter sa maison, qui ne lui appartenoit plus. Comme il ne savoit que devenir, il engagea sa femme d’aller chez l’Anglois, lui demander la grâce de leur permettre d’occuper encore huit jours leur ancienne demeure, pour leur donner le temps de chercher un asyle chez quelqu’un de leurs parens. L’Anglois s’attendoit à cette démarche ; l’infortunée se fait annoncer : il vole au-devant d’elle. Essuyez vos pleurs, Madame, lui dit-il ; votre mari est un honnête homme, c’est bien dom-[239]mage qu’il soit fou. Je ne veux, ni ne dois profiter de sa folie ; mais comme tout autre que moi pourroit en abuser, daignez me suivre. Il la conduisit dans son cabinet, où un Notaire achevoit de dresser une donation en faveur de la femme, de tout ce qu’il avoit gagné au mari ; il lui rendit tout, & mit dans l’acte la clause prohibitive & conditionnelle, que jamais son mari ne pourroit exiger que l’argent qu’elle voudroit bien lui donner, & qui fut fixé à une somme très-modique par mois ; que s’il arrivoit à ce furieux de joueur un écu, elle ne seroit plus tenue de lui rien donner. Il lui fit signer l’acte, & l’accom-[240]pagna pour l’installer dans sa maison. Elle se hâta de faire part à son époux de la générosité de l’Anglois, il en fut pénétré ; & pour s’ôter à l’avenir toute occasion de jouer, il confirma la donation, & déclara que n’ayant plus rien, il renonçoit au jeu pour toujours. Il fit imprimer la donation, la distribua dans toute la Ville, afin que s’il étoit assez malheureux pour s’oublier jusqu’à jouer sur sa parole, personne ne fût assez fou pour jouer avec lui. ◀Narração geral ◀Nível 4 ◀Nível 3

[241] Extrait

De la Gazette de Paris article : Grande Allée du Palais Royal, du 1 Avril 1771.

Nível 3► Une société d’Amateurs ayant formé, dans le mois de Janvier dernier, le projet d’une Histoire du Costume François du dix-huitième siècle, s’étoit proposé de créer, à perpétuité, une place de Dessinateur général des Modes nouvelles, à commencer à l’époque de l’heureuse invention de la frisure à la Grecque. A peine ce projet fut-il rendu public, que les Artistes se présentèrent en [242] foule. La Société, soit pour se mettre à couvert de l’importunité des sollicitations, soit pour s’assurer que cette place, dont les appointemens devoient être fixés à deux mille écus, ne seroit donnée qu’au mérite, déclara qu’elle seroit mise au concours : Elle publia un Programme, dans lequel on avertissoit les concurrens, qu’elle se décideroit en faveur de l’Artiste qui auroit le mieux saisi les modes qui écloroient depuis le premier jusqu’au quinze Mars, avec toutes leurs variations ; la Société déclaroit qu’elle excluroit du concours, toute collection incomplette, c’est-à-dire, dans laquelle l’Auteur auroit oublié quelque mode [243] principale. Elle dispensoit les concurrens de marquer la durée de chaque mode, & se réservoit ce soin : elle fixoit au 16 mars la remise des collections des dessins.

La Société s’attendoit à un grand nombre de pièces ; mais il ne lui en a été présenté que trois ; & à l’examen, il ne s’en est trouvé aucune qui ait rempli ses vues. Sur cinq cents cinquante-neuf modes ou variations, bien certifiées dans une assemblée mandée à cet effet, de Coëffeurs, Coëffeuses, Marchands de faux cheveux, Perruquiers, Faiseuses de Modes, Parfumeurs, Rubaniers, Gaziers, Teinturiers, Couturières, Tailleurs, Cordonniers, Bijoutiers, [244] Marchands de Breloques, &c. la collection la moins incomplette des trois, ne contenoit que trois cents modes ; encore a-t-il été décidé que la rapidité du faire nuisoit à la correction du dessin. Néanmoins on a accordé un prix à chacun des concurrens.

Mais la Société des Amateurs a délibéré, qu’attendu les changemens continuels & rapides des modes, tant dans la coëffure, que dans toutes les autres parties de l’habillement des hommes & des femmes, depuis la sommité des plumes jusqu’à l’extrémité de la pantoufle, depuis le talon jusqu’au toupet, un seul Artiste ne pouvant suffire à saisir ces variations, la place de Dessinateur général des [245] Modes demeureroit vacante, & que la Société s’occuperoit incessamment à rassembler des fonds suffisans, qu’elle ajouteroit à ceux qu’elle a déjà, pour créer six places de Dessinateurs Costumiers, à raison de cent louis d’appointements pour chacun.

En conséquence, la société a ouvert une souscription pour les Dames. On ne recevra pas moins de deux louis ; mais on les laisse les maîtresses de porter leur souscription aussi loin qu’elles voudront. On promet de dessiner, sous les coëffures les plus élégantes, les portraits ressemblans de celles dont la généreuse magnificence se sera le plus distinguée. La souscription pour les hommes [246] ne sera que d’un louis, attendu que les modes chez eux sont sujettes à moins de variations ; mais on ne met point de bornes à leur bienfaisance, & l’on promet aux trois plus magnifiques les mêmes avantages qu’aux Dames.

La souscription ne sera ouverte que jusqu’au mois d’Octobre prochain : on distribuera le samedi de chaque semaine la liste des Souscripteurs ; & la liste générale sera gravée, avec les portraits à la tête du tome premier de l’Histoire du Costume, à laquelle la Société se propose de faire travailler incessamment. ◀Nível 3

[247] Discours.

Il me semble vous avoir raconté, mon cher Lecteur, l’histoire de certain usurier expirant, que son Confesseur exhortoit à restituer l’immense produit de ses usures : « Eh ! mon Père, lui répondit le vieux avare, il n’y a que ceux qui retiennent injustement le bien d’autrui, des malhonnêtes gens, des voleurs, qui soient obligés à la restitution. Grâce au ciel je n’ai rien de commun avec de telles gens. Ce que j’ai reçu de ceux à qui j’ai prêté, ils me l’ont donné volontairement ; je ne les ai ni menacés, ni forcés ; ils sont ve-[248]nus à moi ; rien n’est mieux acquis que ce qu’on nous donne. Allez, allez, mon Père, j’ai vécu tranquille sur cet article, & je meurs de même. »

Vous riez, mon cher Lecteur, de la sécurité de cet homme, & vous auriez bien de la peine à croire qu’il fût de bonne foi. Nível 3► Retrato alheio► Après ce que je viens de voir de ce vertueux Timon, qui s’est fait une si grande réputation de probité, par l’austérité de ses mœurs, & par ses déclamations enflammées contre l’injustice, je ne sais trop que penser de mon usurier. L’intérêt & l’amour-propre font voir les choses d’une si étrange manière, qu’il m’arrive souvent de me méfier des actions qui me [249] paroissent les plus pures ; & je ne compterois pas plus sur moi que sur un autre.

Vous savez que ce sage Timon, assez riche pour pouvoir se passer de nouveaux bienfaits, vient pourtant d’en obtenir un auquel il ne s’attendoit point. Je le rencontrai hier, je le félicitai ; il me remercia d’un air assez froid : j’en fus piqué. Je lui parlai de Cléanthe. Il faut vous dire que ce Cléanthe, pauvre & ne courant après aucune espèce de célébrité, honnête, & peu soucieux de le paroître plus qu’il ne l’est, avoit de justes prétentions sur le bienfait que Timon a recueilli. Diálogo► Il est vrai, me dit Timon, d’un air assez indifférent, que ce pauvre [250] Cléanthe n’a jamais été heureux. Eh ! non vraiment, repris-je ; il a travaillé pendant quinze ans à défricher des terres ingrates ; il a réussi à les faire fructifier, & quand il les a mises en valeur, qu’on peut assigner sur leur produit des récompenses pour le cultivateur, & des bienfaits pour d’honnêtes citoyens ; lorsqu’il attend tout de son bon droit, & qu’il se félicite de n’avoir pas besoin de recourir à d’autre protecteur qu’à son titre, on lui fait sa part si petite, qu’il auroit peut-être moins à se plaindre, si on l’eût oublié. Qu’en pensez-vous, Timon, croyez-vous que les murmures de Cléanthe soient si condamnables ? = J’en conviens, [251] mais que voulez-vous ? Il n’y a qu’heur & malheur dans ce monde. = Il me semble, entre nous, que votre heur est un peu aux dépens de celui de Cléanthe ; car enfin vous ne pouvez pas dissimuler que vous n’avez en rien contribué aux défrichemens, que vous n’avez jamais partagé les soins & les peines que Cléanthe s’est donnés ; & cependant vous lui en ravissez le fruit ! = Qui ? moi ! ravir à quelqu’un le fruit de ses travaux ! vous ne me connoissez pas sans doute. J’ignorois sur quoi le bien qui m’est venu chercher étoit assigné. = Mais quand vous l’avez appris ? = J’avois accepté, que vouliez-vous que je fisse, & qu’auriez-vous [252] fait à ma place ? = Moi, j’aurois volé chez mon Protecteur ; je lui aurois dit que son amitié pour moi, lui avoit fait commettre, sans qu’il s’en doutât, une injustice envers Cléanthe : je l’aurois tant importuné, que je l’aurois engagé à me décharger du poids de son bienfait. = Fort bien : vous croyez donc qu’on dispose ainsi de ses protecteurs ? Au surplus ce n’est pas moi qui ai fait la part de Cléanthe ; ce n’est pas moi qui ai sollicité la mienne. Je ne disconviens pas que cette petite augmentation de revenu ne me fasse beaucoup de plaisir ; je suis fâché qu’elle soit sur cet objet plutôt que sur tout autre ; mais après tout, c’est la faute des cir-[253]constances, & non pas la mienne. Si l’on ne m’eût point donné, ou que j’eusse refusé ce bienfait, un autre l’auroit accepté, & Cléanthe n’en seroit pas mieux ; il ne peut donc pas trouver mauvais que j’en profite ; l’équité la plus sévère ne sauroit m’en faire un crime ; & plus j’examine, moins je trouve que j’aie rien à me reprocher. = Je vois du moins que vous ne vous reprochez rien. Adieu, Timon. J’étois un grand sot de plaindre Cléanthe. ◀Diálogo ◀Retrato alheio ◀Nível 3

[254] Discours.

Metatextualidade► Tout ce qui a quelque rapport avec les mœurs Grecques & Romaines, me flate & m’élève l’ame. Je ne sais pourquoi j’applaudis de meilleur cœur à ma nation, lorsqu’elle adopte quelque bon usage de l’antiquité. ◀Metatextualidade Les courses à pied & à cheval sont des exercices sains & utiles, auxquels je voudrois qu’elle s’accoutumât. Ils donnent, ils entretiennent l’activité, la force & l’adresse du corps & la vigueur de l’esprit. Des prix proposés aux vainqueurs excitoient parmi les Grecs une telle émulation, que les Souve-[255]rains alloient les disputer eux-mêmes. Les plus grands Poëtes célébroient leurs victoires, & ces triomphes étoient mis au rang des actions les plus mémorables.

Mais chez les Grecs, il ne suffisoit pas que les chevaux fussent bons coureurs, il falloit encore une adresse infinie dans le cavalier. Non-seulement il falloit parcourir le stade *1 avec la plus grande rapidité, & tourner autour de la borne qui servoit de but ; mais encore il falloit quelquefois monter sans selle, conduire un cheval [256] par la bride, pour en changer après un certain nombre de courses ; & sans cesser de courir, sauter d’un cheval sur l’autre, ce qui étoit d’autant plus difficile, qu’on n’avoit point l’usage des étriers. Chez nous c’est le cheval qui a presque tout l’honneur de la victoire. L’adresse du cavalier se borne à le conduire & à le presser : aussi celui qui dispute le prix, se dispense-t-il souvent de monter le cheval qui court, & le fait-il monter par un palfrenier. Cet usage de faire courir, au lieu de courir soi-même, étoit aussi établi chez les Grecs ; mais il y a apparence qu’il n’avoit lieu que pour les Rois, soit qu’ils ne voulussent point se donner en spec-[257]tacle, soit que ces courses eussent pu les exposer à quelque danger.

Quelque nombreuse & quelque brillante que fût l’assemblée des Jeux Olympiques, je doute qu’elle le fût autant que l’ont été celles de nos dernières courses. Que seroit-ce si les Coureurs, au lieu d’une gageure, disputoient un prix proposé par le Gouvernement, & sur-tout si l’adresse des Coureurs étoit jointe à la rapidité des chevaux ?

Comme l’exercice du cheval a un rapport essentiel avec l’Art Militaire & la Tactique, je voudrois que pour donner plus d’éclat à ces Jeux, on n’y admît que la jeune Noblesse. Ce n’est pas qu’on ne pût en instituer dans les villes [258] & dans les camps, pour les Plébéïens militaires, ou destinés à le devenir.

Les courses à pied plus fatigantes, demandent un exercice plus soutenu. Elles étoient plus estimées chez les Grecs, que les courses à cheval. Comme ce Peuple rapportoit tout au militaire, & que l’Infanterie, chez lui, ainsi que chez toutes les Nations, surpassoit de beaucoup en nombre la Cavalerie ; il n’est pas étonnant qu’il donnât la préférence aux courses à pied : d’ailleurs, le bien qu’elles peuvent procurer, est plus considérable & plus général.

Cet exercice est trop négligé parmi nous : il se borne à quel-[259]ques jeux qu’on abandonne après la première jeunesse : c’est au peu de cas que nous en faisons, qu’on doit attribuer, en partie, la délicatesse de nos organes, la foiblesse de notre santé ; ces rhumes, ces fluxions de poitrine, qu’une marche un peu précipitée nous occasionne ; cette lassitude, cet accablement, ces sueurs abondantes, qui sont les suites d’une course, qu’un Grec ou qu’un Romain eût regardée comme une promenade ordinaire & lente. Nous sommes trop efféminés pour ne pas accuser d’exagération les Historiens, lorsqu’ils nous parlent de la vélocité de ces peuples. Comment un Seigneur François se persuade-[260]roit-il qu’en un jour un Grec ait pu faire soixante lieues ; & que des Romains aient fait sans se reposer, cinquante-trois lieues dans le cirque ?

La course des chars étoit celle que les Grecs honoroient le plus, parce que les Généraux & les Chefs combattoient sur des chars ; comme ce n’est plus l’usage parmi nous, cet exercice ne pourroit procurer à notre jeunesse d’autre avantage, que de conduire plus élégamment un cabriolet, & de ne pas exposer le peuple à être estropié, par la maladresse ou par l’étourderie de nos petits maîtres. Je me figure un de ces hardis conducteurs sur un char Grec, attelé de quatre che-[261]vaux de front, obligé de tourner douze fois autour d’une borne avec la plus grande célérité. Quel embarras ! L’exercice du cabriolet lui paroîroit alors bien frivole & bien puéril ! Je me garderai bien de conseiller à ma Nation de rétablir ce genre de course ; mais la course à pied mérite toute son attention. Qu’elle l’institue, & je lui promets que la génération future sera délivrée d’une foule de maux qui affligent la génération présente.

[262] Lettre et Projet

d’un nouveau Journal.

Nível 3► Carta/Carta ao editor► Il vient de me tomber entre les mains, Monsieur le Spectateur, une Feuille nouvelle, dont l’Auteur a jugé à propos de prendre votre nom. J’ai été trompé par le titre de Nouveau Spectateur, que porte la Brochure ; mais enfin j’ai vu que c’étoit un Journal des Spectacles de Paris, qui n’est point nouveau, mais dont on essaye encore de ranimer les cendres.

Depuis quelques années, la création & la chûte des Journaux [263] Littéraires François se succèdent avec une telle rapidité, que les mauvais succès, qui, dans tout autre genre, sont si décourageans, semblent être précisément ce qui fait éclore entreprise sur entreprise. Sur la mer turbulente de la critique, des débris d’un vaisseau naufragé, se forment tous les jours des escadres nombreuses, destinées à périr presqu’en quittant le rivage. S’il étoit permis de comparer le prophane avec le sacré, j’appliquerois aux Journalistes, ce qu’un Père de l’Eglise disoit en parlant des persécutions, que le sang des Martyrs *2 étoit une semence féconde de Chrétiens.

[264] Ces ruines si fréquentes, & ces réproductions continuelles, n’auroient pas lieu, si les Journalistes connoissoient mieux les devoirs qu’ils s’imposent. Il y a d’ailleurs un grand obstacle amené par le temps, qui s’oppose au succès des Journaux. Depuis Sallo jusqu’à nos jours, c’est toujours la même marche ; des extraits & des critiques, voilà tout ; car je compte pour rien le fiel que certains Journalistes répandent depuis quelque temps dans leurs Feuilles. Les Lecteurs s’ennuyent à la fin de cette uniformité.

Voici, Monsieur, une nouvelle carrière que je vais ouvrir. Un Journal qui n’est que Litté-[265]raire, ennuye ; un Journal purement morale exciteroit la curiosité d’un trop petit nombre de Lecteurs ; je veux, ce qu’aucun Journaliste n’a encore tenté, faire marcher de front la Littérature & la Morale. Dans le Journal que je me propose, je ne parlerai jamais d’un Ouvrage, que je n’aie fait connoître à mon Lecteur, les mœurs, le caractère & les habitudes de l’Auteur, afin qu’on puisse juger de l’un par l’autre.

Comme mon projet est très-vaste, je me bornerai, pendant quelques années, à une Feuille qui paroîtra quatre fois la semaine, sous le titre de Journal des Coulisses. On y trouvera, I°. des réflexions nouvelles sur les [266] Tragédies, Comédies, Opéra, Opéra-Comiques, & autres Pièces anciennes, qui forment le fond de nos différens Théâtres. 2°. Les analyses & extraits des Pièces nouvelles, depuis le Drame jusqu’à la parade, avec la critique la plus impartiale, & les jugemens les plus sains qu’il sera possible. 3°. Des observations sur la manière dont ces Pièces seront jouées. C’est ici où le littéraire & le moral se lieront. Comme c’est des mœurs, & de l’intelligence des Acteurs & des Actrices, que dépend leur jeu ; on trouvera dans mon Journal l’histoire de chacun. On suivra la conduite de l’Acteur & de l’Actrice, de la Chanteuse & du Chanteur, [267] du Danseur & de la Danseuse, depuis son enfance exclusivement, dans toutes leurs sociétés, leurs parties de plaisir, leurs amusemens, leurs occupations les plus sérieuses & les plus frivoles ; on y fera connoître leurs caractères, leurs habitudes bonnes & mauvaises, leurs gôuts ; en un mot leurs vices & leurs vertus. On rendra compte de leurs études ; on examinera scrupuleusement leurs talens, leur savoir, leur goût & leur capacité : ainsi par la peinture naïve de leurs mœurs, on expliquera les défauts de leur jeu : on verra pourquoi telle Actrice rend bien tel rôle, & mal tel autre ; on s’y convaincra que le rôle de Junie, par [268] exemple & celui d’Iphigénie, ne seront jamais bien rendus par une Actrice, qui n’ayant qu’un peu de beauté qui la rapproche de ces personnages, est obligée d’imiter, comme elle peut, leurs autres qualités ; que le rôle de Zaïre rendu par une Actrice blasée par les plaisirs, ne seroit qu’une fade parodie ; qu’un Acteur qui auroit perdu toute idée de vertu, s’acquitteroit mal de la plupart des rôles de Corneille. On y verra que l’incapacité, le défaut d’intelligence, l’esprit faux, l’ignorance de l’histoire, ne permettant pas à un Acteur de se former une idée véritable du personnage qu’il représente, il est évident qu’il doit jouer à [269] contresens, comme par exemple, si jouant le rôle de Cinna, dans la Tragédie de ce nom, ou celui de Brutus dans la mort de César, il se faisoit, de ces fiers Républicains, l’idée d’un Ravaillac ou d’un Damien. Enfin je porterai si loin mon attention à cet égard, que les Spectateurs qui auront souscrit à ma Feuille, & qui la liront attentivement, pourront, par le jeu des Actrices & des Acteurs, juger sainement de leur conduite dans la vie privée, de leur honnêteté, de leur esprit & de leur caractère.

Le plan de mon Ouvrage, m’engagera nécessairement à recueillir & à rapporter un nombre infini d’anecdotes de toutes les [270] espèces, galantes, sérieuses, comiques, grandes & petites infidélités, noirceurs, trahisons, brouilleries, bon mots, ruptures, tracasseries, raccommodemens, petits soupers, secrets de boudoirs, intrigues, marchés ; j’y insérerai le tarif actuel du prix auquel les beautés vénales, (s’il en est de ce genre dans les Troupes Royales & subalterens) mettent leurs charmes ; le rapport de ce prix entre celles des différens Spectacles, & une moyenne proportionnelle, pour faciliter la répartition de l’impôt que je suis dans le dessein de proposer sur les vices publics.

Voilà, Monsieur le Spectateur, la réforme dont je vais donner [271] l’exemple aux Journalistes François. Je ne doute pas que mon projet ne paroisse très-philosophique, & qu’en conséquence, vous ne l’annonciez dans votre première Feuille. La souscription est ouverte, on pourra s’adresser à la porte de chaque Spectacle ; les Acteurs & Actrices qui me fourniront de bonnes anecdotes de leurs camarades, recevront une Feuille gratis.

Je suis, avec l’estime la plus sincère, M. le Spectateur, &c. ◀Carta/Carta ao editor ◀Nível 3

[272] Suite du Discours

Sur la Manie du Suicide.

Metatextualidade► J’ai tâché de vous prouver, mon cher Lecteur, que le Suicide n’avoit pour principe que l’aliénation de l’esprit portée jusques au plus haut degré. J’ai employé quelques preuves morales & physiques. Quant à ces dernières, un de mes amis, grand anatomiste, a trouvé, dans tous les maniaques qui se sont donnés la mort, & qu’il a eu occasion de disséquer, le cerveau dans un désordre étonnant, & un dérangement manifeste dans la situation de la glande pinéale. J’ai commencé un recueil d’histoires des fous qui se sont donnés la mort ; qui mortem pe-[273]perere sibi. Vous verrez qu’il n’y en a pas un seul dont les actions ne soient une preuve de mon principe. ◀Metatextualidade Je ne dis pas que ce genre de folie se termine toujours par la mort ; j’admets différens degrés de manie, qui produisent différens effets, ou différentes espèces de suicide. La plus commune est celle des amans infortunés. Les uns vont se jeter dans un cloître, ou parce que leur maîtresse est morte, ou parce qu’elle leur a fait infidélité ; les autres renoncent à se marier, & se condamnent à une éternelle viduité, parce qu’un père inexorable s’est opposé au mariage qu’ils avoient projeté dans leur cœur. Un joueur s’arrache les cheveux ou se donne de la tête contre un mur, quand il a perdu son argent, un Poëte frappe son front, & [274] ronge ses ongles jusqu’au vif, quand il ne trouve point la rime, ou qu’il ne peut enchâsser sa pensée dans un vers. Exemplum► Œdipe, de regret d’avoir eu des enfans de sa mère, s’arrache les yeux ; un autre eût peut-être fait pis. ◀Exemplum Chacun est suicide à sa manière : le plus fou est celui qui s’ôte, par la mort, tout moyen de réparer ses fautes & ses malheurs. Metatextualidade► Le trait suivant est, il faut en convenir, un genre de suicide un peu singulier, mais le fait n’en est pas moins vrai. ◀Metatextualidade

Nível 3► Narração geral► Un homme de ma connoissance, de beaucoup d’esprit, amoureux d’une femme dont il avoit été fort aimé, s’imagina qu’elle n’avoit plus pour lui que de l’indifférence : pour ranimer ses feux, il-essaya <sic> de la rendre jalouse. Il fit semblant de s’attacher à une jeune personne que ses [275] parens vouloient marier : sa première maîtresse s’apperçut aisément que ce nouvel amour n’étoit qu’un jeu. Mon ami désespéré, voulant absolument savoir quel effet produiroit sur elle une infidélité véritable, se maria, moitié par dépit, moitié par curiosité, avec la jeune personne, qu’il respecte beaucoup, mais qu’il n’aimera jamais. ◀Narração geral ◀Nível 3

Voici deux fous qui viennent de donner à la Ville de Brest, un spectacle plus tragique, spectacle qu’avoient déjà donné il y a deux ou trois ans à S. Denis, deux fous de la même espèce. Nível 3► Narração geral► Les deux dont il s’agit étoient Sergens dans la Marine, âgés l’un & l’autre de 25 à 26 ans. Chaulin & Fierville étoient leurs noms, ils étoient fort liés ; Chaulin étoit d’une bonne famille ; les chagrins do-[276]mestiques lui avoient inspiré le dégoût de la vie : son camarade étoit fils d’un Libraire. Ils exécutèrent le 11 du mois de Février dernier, le projet qu’ils avoient formé de s’ôter la vie. Après leur service du matin aux casernes, ils sortirent de la ville, munis chacun d’un pistolet ; ils se rendirent sur la montagne de Ste Marie, à une demi-lieue de Brest, où l’on a trouvé leurs cadavres ; leurs blessures étoient à la tête. Comme Fierville avoit à côté de lui un pistolet chargé sans amorce, on a présumé qu’il s’étoit manqué, qu’il avoit chargé le pistolet qui avoit détruit son camarade, & qu’il s’en étoit servi pour se donner la mort ; ◀Narração geral ◀Nível 3 ce qui prouve évidemment que la raison une fois égarée, rien n’est en état de la faire revenir, & que de [277] toutes les folies, le dessein de se donner la mort est le plus incurable. Metatextualidade► Voici deux Lettres qu’ils avoient écrites la veille de leur mort ; dans la première, le soin que prend Fierville de vouloir persuader que la folie n’entre pour rien dans son projet, est une preuve qu’il le croyoit intérieurement, & qu’il faisoit tout ce qu’il pouvoit pour étouffer cette idée. ◀Metatextualidade

[278] Lettre
de Fierville à B * * *.

Nível 3► Carta/Carta ao editor►

De Brest le 11 Février 1776.

« Vous serez sans doute surpris, mon cher B * * *, de recevoir une lettre d’adieu, de la part de deux jeunes gens qui quittent volontairement ce monde, pour se soustraire aux disgrâces d’une vie qui leur est également à charge à tous deux depuis fort long-tems. J’ai été ravi de trouver dans mon camarade, une façon de penser conforme à la mienne ; nous goûtons aujourd’hui le même plaisir, en partageant le même sort. Ce n’est point par folie, que nous avons résolu de nous expédier ; car les fous ont toujours [279] grand soin de se conserver eux-mêmes au milieu de leur folie : ce n’est pas non plus par lâcheté, puisque tant de gens braves prennent tous les jours, malgré leur bravoure, tant de précautions pour éviter la mort, & que d’ailleurs ceux qui regardent le suicide comme une action lâche, n’ont point assez de courage pour se tuer eux-mêmes ; car presque tous les hommes préfèrent une vie malheureuse & flétrissante, à une mort volontaire, dont la douleur momentanée les délivreroit pourtant d’un si grand nombre de maux. A quoi donc attribuer notre résolution, sinon à notre volonté seule ? Au reste, mon cher B * * *, tout le regret que je laisse ici-bas, c’est de n’avoir pas pu [280] réussir à signer mon nom ; & que mon ami, qu’on dit avoir étudié avec B * * *, ne puisse cependant pas faire un roulement avant notre mort, ou battre une breloque en mesure : peut-être par ses accords tambourins, eût-il fléchi l’impitoyable Caron, dont nous passons la barque.

D’ailleurs, je vous engage à ne point pousser aujourd’hui la susceptibilité, au point de jeter des regrets sur notre sort ; puisque le moment de notre destruction, est pour nous le terme de notre félicité. Adieu, je suis, jusqu’au dernier instant, ton cher ami. » Fierville. ◀Carta/Carta ao editor ◀Nível 3

Metatextualidade► Cette lettre paroît être l’effet du délire. La logique de Fierville, pour prouver que ce n’est ni par folie, ni par lâcheté qu’il se donne [281] la mort, feroit rire, s’il ne s’agissoit pas d’une chose aussi grave. La Lettre de Chaulin est moins extravagante : mais le regret de la vie s’y fait sentir en mille endroits ; & si son pistolet eût manqué, comme celui de Fierville, il est à présumer qu’il eût remis la partie ; sa lettre est de la même date. ◀Metatextualidade

Nível 3► Carta/Carta ao editor► « Je t’écris ce billet, mon cher V * * *, pour te faire savoir que le moment de mon départ est enfin arrivé. Je prends une route un peu difficile à suivre : aussi ne t’ai-je pas engagé à être du voyage. J'ai avec moi un compagnon qui a voulu être de la partie, & qui n’est pas peureux, avec lequel je pourrai me divertir, quand nous serons arrivés à notre destination, où nous aurons tout le temps de te rece-[282]voir, avec ton estomac délabré, qui ne nous promet pas une longue attente dans notre espoir. Mais c’est assez badiner ; & pour te parler sérieusement, tu sauras qu’à l’instant où tu lis ce fatal billet, j’ai déjà perdu la vie. Je me suis expédié d’un coup de pistolet, qui est en vérité pour moi un coup de fortune, après toutes les disgrâces que m’ont fait essuyer mes injustes parens. Je te dirai que j’ai mis moi-même une lettre à la poste pour mon père, avec un état de mes dettes, pour le prévenir de ma catastrophe. Comme mon suicide n’est que le fruit de son inflexibilité, & de l’avarice de mon impitoyable mère, je n’ai pas cru devoir apporter aucun ménagement pour les en instruire [283] l’un & l’autre, prévenu que je suis au contraire, du plaisir qu’ils goûtent intérieurement en apprenant ma destruction. Au reste, mon cher V * * *, je te prie d’ajouter sur l’état que j’ai laissé à M. M * * *, auquel j’ai fait remettre mes papiers, par un dernier effort de la confiance que je lui dois, malgré son injuste prévention à mon égard, le prix de la perte de mon sabre, dont je serois fâché que tu supportâs l’enchère à mon défaut, &c.

Je te prie de témoigner au brave & généreux Officier, le regret que j’ai de périr d’une manière si contraire aux sentimens de religion & de délicatesse qu’il m’a toujours supposés, & le souvenir que j’emporte en mourant, de ses bon-[284]tés pour moi ; assure-le de toute ma reconnoissance, & presse-le par les motifs les plus engageans, d’accélérer auprès de mon père le payement de mes dettes, auquel je suis persuadé qu’il ne se refusera pas, sur-tout à l’appui de sa recommandation.

Fais mille complimens de ma part à tous nos Messieurs, & sur-tout à R * * *, qui m’a fait, ainsi que toi, pendant ma vie, tant d’offres de services : n’oublie pas de comprendre dans l’assurance de mes derniers respects, que je fais à tous, D * * *, C * * *, &c. desquels je n’ai jamais reçu que des honnêtetés. Assure pareillement de mon souvenir, T.G. & R. qui m’ont faussement accusé d’être l’auteur [285] d’une mauvaise plaisanterie faite il y a long-temps contre eux, & dans laquelle je n’ai eu d’autre part que d’en avoir produit une copie, en dépit de l’estime que je leur ai sincèrement vouée ; ce dont je leur fais mes excuses, que je les prie de vouloir bien accepter, attendu que mon aveu ne doit point leur être suspect au moment où je touche, & que mon état doit être envers eux un sûr garant de ma protestation.

Si j’eusse été plus avantageusement prévenu de la bonne volonté de mon père, & que je n’eusse pas appréhendé de faire tort à mes véritables créanciers, par la trop grande quantité, j’eusse augmenté mes dettes en faveur de quelques camarades, dont je me serois supposé dé-[286]biteur ; mais la prudence a réglé à cet égard la générosité de mon cœur envers mes amis, auxquels je ne peux laisser en mourant que des regrets vains, mais sincères de leur entière privation.

Adieu, mon cher ami, souviens-toi quelquefois d’un jeune homme, qui t’a toujours sincèrement estimé, & qui te prie de pardonner au feu de la jeunesse, les petits emportemens qu’il a pu quelquefois témoigner à ton égard.

Tu connus mes malheurs, & tu vois ma disgrâce.

Hélas ! si l’horreur de mon crime, malgré ta juste douleur, te force à me condamner, que le tendre & fidèle attachement qui nous a unis pendant que j’ai vécu, t’engage au moins à plaindre ton ami, & à verser [287] sur son tombeau des pleurs, stériles à la vérité ; mais qui seront toujours chers & précieux à la mémoire de ton infortuné camarade.

J’ai mis ci-dessous l’adresse d’une personne, à laquelle je te prie en grâce de faire savoir, sans déguisement, le véritable genre de ma mort, & de lui marquer mille choses honnêtes de ma part ; c’est un dernier service que j’attends de ton amitié, dont tu dois croire que j’ai conservé le souvenir jusqu’au dernier instant.

Chaulin.

A M. le P * * *, Lieutenant-Genéral au Bailliage de . . . . . en Vexin François ». ◀Carta/Carta ao editor ◀Nível 3 C’étoit son Parrein.

[288] Metatextualidade► Quelle étrange folie ! cet homme paroît avoir des sentimens de religion & d’honneur, il reconnoît qu’il va commettre un crime horrible, & il l’exécute ! ◀Metatextualidade ◀Nível 2

Fin du N°. 4. ◀Nível 1

1Le Stade étoit l’espace que parcouroient les Coureurs, & qui avoit pris le nom de la mesure itinéraire de 600 pieds, qui formoient le stade Grec, ou 25e partie de notre lieue.

2Sanguis Martyrum, semen Christianorum.