Amusement XXI. Laurent Angliviel de la Beaumelle Moralische Wochenschriften Klaus-Dieter Ertler Herausgeber Hannah Bakanitsch Mitarbeiter Karin Heiling Mitarbeiter Elisabeth Hobisch Herausgeber Mario Müller Mitarbeiter Sarah Lang Gerlinde Schneider Martina Scholger Johannes Stigler Gunter Vasold Datenmodellierung Applikationsentwicklung Institut für Romanistik, Universität Graz Zentrum für Informationsmodellierung, Universität Graz Graz 17.04.2018 o:mws.6601 La Beaumelle, Laurent Angliviel de: La Spectatrice danoise, ou l'Aspasie moderne, ouvrage hebdomadaire. Tome I. Copenhague: s.i. 1749, 161-168 La Spectatrice danoise 1 021 1748 Dänemark Ebene 1 Ebene 2 Ebene 3 Ebene 4 Ebene 5 Ebene 6 Allgemeine Erzählung Selbstportrait Fremdportrait Dialog Allegorisches Erzählen Traumerzählung Fabelerzählung Satirisches Erzählen Exemplarisches Erzählen Utopische Erzählung Metatextualität Zitat/Motto Leserbrief Graz, Austria French Religion Religione Religion Religión Religion Philosophie Filosofia Philosophy Filosofía Philosophie Denmark 10.0,56.0 Hungary 20.0,47.0 Germany Frankfurt am Main Frankfurt am Main 8.68417,50.11552 United Kingdom England England -0.70312,52.16045 United Kingdom Wales Wales -3.5,52.5 United Kingdom -2.69531,54.75844 Japan 139.75309,35.68536 France 2.0,46.0 West Prussia 18.0,53.5 Austria Vienna Vienna 16.37169,48.2082

Amusement XXI.

3.) Vous tirez une fausse conséquence du silence des Francs-Maçons. A vous en croire, il démontre contre eux. En vérité, Monsieur, vous n’êtes pas fort délicat en fait de Démonstration. Pointez mieux votre Lunette, & vous verrez qu’on peut se taire sans être Enfant de Ténèbres. Les Maçons ont leurs secrets, & il est de l’essence des secrets de n’être pas révélés. D’ailleurs, ils ne les cachent point. On peut dire en un sens, que ce n’est plus un Mystère. Y est initié qui veut, pourvu qu’il soit d’une probité reconnuë. Car un Franc-Maçon m’a juré, que l’Ordre, par ses constitutions fondamentales, n’admet que des vertus pures ou du moins justifiées. Le secret est, pour ainsi dire, public. Mais pourquoi n’est-il révélé qu’aux seuls Initiés ? Parce que, pour l’apprendre, il faut s’engager à le taire. Mais pourquoi cet engagement ? devenez Maçon, & vous le sçaurez. La Société en fait gloire. Elle ne refuse point de le communiquer. Que les non-Initiés s’en prennent donc à eux-mêmes de leur aveuglement. Il cesseroit, si leur prévention cessoit.

Se cache-t-on pour rien avec tant de précaution, dites-vous ? Non : mais qui vous a dit que l’Ordre ne peut soutenir le grand jour ? Vous sçavez apparemment l’Histoire Ecclésiastique. Vous devez y avoir vu, que, dans le quatriême Siécle, le zèle aveugle du Clergé rendit la Réligion Chrêtienne une espèce de Société Cabalistique, & qu’on n’en révéloit les Mistères qu’aux Adeptes. Ce fait est incontestable. L’imprudence de la Politique des Prêtres de ce tems-là est sensible. Mais dites-moi, ce secret authorisoit-il les Païens à soutenir, que ces assemblées récéloient quelques Mistères d’iniquité, & que les Dogmes des Chrêtiens étoient abominables, puisqu’ils n’étoient pas exposés au grand jour. Supposé même, que cette Conséquence découlât naturellement du systême occulte des Chrêtiens, étoit-elle vraïe ?

Vous vous imaginez, que si les murs pouvoient parler, ils déposeroient contre les Francs-Maçons. Belle manière de se tirer d’affaire, que de recourir aux conjectures, dénuées de vraisemblance, quand on ne peut alléguer aucune preuve solide : Je suis surprise, que vous n’aïez point, à l’aide d’une éloquente Prosopopée, animé ces murailles, & mis dans leur bouche le détail de toutes ces infamies, dont vous croïez qu’elles sont témoins. Croïez-moi, le crime est tôt ou tard découvert. L’homme n’en peut imposer long-tems à l’homme. J’absoudrois l’Ordre, quand je n’aurois d’autre preuve de son Innocence que la durée de son secret, sur lequel plusieurs Siècles ont coulé. Du reste, ne craignez point qu’il nuise à la vertu. L’un & l’autre subsisteront vraisemblablement jusqu’à la fin des Siécles.

4.) L’exclusion du Beau-séxe ne fait point de tort à l’Ordre. Notre curiosité en est piquée ; & je suis persuadés, que si elle étoit satisfaite, nous ne serions témoins d’aucunes débauches. Il y a quelques années, que la Reine de Hongrie fit entrer à main armée un détachement de Soldats dans une Loge de Vienne. On n’y vit rien d’indécent ; on ne trouva qu’une Equerre & un Compas.

5.) Les Francs-Maçons peu attachés à leur Société, ne prouvent pas plus contre elle, que les Chrêtiens tiédes contre la Réligion. D’ailleurs, il est bien des personnes, qui se disent de l’Ordre sans en être. Il en est, qui n’en parlent pas avec éloge, parce que peut-être ils en ont été chassés ; il en est, qui nient, qu’ils en soient membres, parce qu’ils s’imaginent, que ce titre leur nuiroit dans l’esprit des Bigots qu’ils ont à ménager, à peu près comme les Hollandois qui, en entrant dans le Japan, foulent aux pieds un Crucifix, pour avoir la liberté d’y négocier. Il en est enfin, qui ne fréquentent point les Loges, soit parce que leurs affaires ne le leur permettent pas, soit parce qu’ils en sont exclus pour un certain tems. Quoiqu’il en soit, je connois un homme très-vertueux & bon Franc-Maçon, qui a conseillé à son Fils de se faire recevoir. Voilà un fait, qui forme un grand préjugé en faveur de la Société. Telle est la force de la vertu, qu’un Pére vicieux, ne négligera rien pour avoir un Fils vertueux. Est-il croïable que la Franche-Maçonnerie change le cœur des hommes ? les aveugle sur leurs plus grands intérêts ? Leur inspire de l’amour pour le vice ?

6.) J’ai proposé à un Franc-Maçon la difficulté que vous me faites sur le serment. Il m’a répondu, qu’à la vérité le Récipiendaire s’obligeoit solemnellement à se taire, mais que ce n’étoit qu’après qu’on l’avoit assuré, qu’il seroit le Maître de rompre son engagement, si ce qu’on alloit lui révéler portoit la moindre atteinte à la Réligion, au Gouvernement & aux Bonnes-mœurs. Il m’a demandé, si la promesse que je lui ferois de garder un secret, avant qu’il me le confiât, seroit criminelle. Non, vraîment ! lui ai-je répondu. Et pourquoi, a-t-il repris, nous faire un crime de la nôtre, qui est expressément conditionnelle ? . . . Dites-moi, Monsieur l’Anti-Franc-Maçon ? ne promettez-vous pas le secret à quelqu’un qui va vous en révéler un Important ? Cette promesse est-elle horrible, sacrilège ? Cependant, vous ne sçavez pas, si ce quelqu’un ne va pas vous dévoiler quelque conspiration contre l’Etat, au lieu que le Récipiendaire ne donne sa parole, que sous la condition expressément énoncée, qu’on ne lui révélera rien de scabreux. Je parie, que, sur cet exposé, de cent Casuistes pas un ne le condamnera. On dit, qu’il est obligé de promettre sur l’Evangile ; & vous paroissez être dans cette idée ; si cela est, il est évident, que la Société des Francs-Maçons n’est point une Société de Déïstes.

Mr. le Baron de Holberg (*(*) Lettre XI.) conclut après de longs raisonnemens, que cet Ordre n’a aucun but, & qu’il n’est établi que pour exciter la curiosité des autres hommes, & donner aux oisifs matiére à parler. Peut-on dire, qu’une Confrairie, qui tend visiblement à unir le genre humain par les liens étroits de la Fraternité, n’a aucun but ? Qu’un corps, dont les principes vont à la perfection de l’espèce humaine, & établissent solidement la Sincérité, la Philantropie, la Discrétion, n’a d’autre vuë que d’exciter les regards curieux, l’indiscrétion insultante, les conjectures injurieuses, les persécutions violentes des non-Initiés ? Des signes, qui forment un langage müet, toûjours l’expression du cœur, & qui ont été ensévelis jusqu’ici dans le silence, sont-ce des riens ? Tant de Discours de Réception imprimés, sont-ce des riens ? Tant d’éxemples d’union & d’assistance fraternelles, sont-ce des riens ? Est-ce pour des riens qu’on souffrira plutot la mort, que de révéler les secrets ? Est-ce pour des riens, qu’un Ami conseillera à son Ami d’entrer dans l’Ordre ? Je reviens à vous, Monsieur.

7.) Vous assurez, que les Francs-Maçons sont ennemis des Rois. Ils le nient. Vous voilà à deux de jeu. Ils comptent parmi leurs Fréres plusieurs Souverains & plusieurs Princes. L’Empereur, le Roi de France, le Roi de Prusse, le Prince de Galles, le Prince de Conti &c. sont de l’Ordre de la Truëlle. Un grand nombre de Généraux & d’Officiers, qu’on peut appeller les apuis des Thrônes, que vous croiez qu’ils veulent renverser, ne dédaignent pas de porter le Tablier Maçon. N’êtes-vous pas de ce Monde ? Si cette Société en vouloit aux Rois, les Rois qui en sont membres ne l’extermineroient-ils pas ?

Mais, dit-on, ils ne sçavent pas le secret ; soit : mais du moins ils sçavent qu’ils ne le sçavent pas ; &, si cela étoit, ne leur seroit-il pas aisé de le pénétrer ? N’emploiroient-ils pas tous leurs soins à éclaircir leurs soupçons ? Ne verroient-ils pas, combien il leur est important de tout découvrir ? d’ailleurs, en supposant, que le secret s’est perpétüé seulement de Grand-Maître en Grand-Maître, le Prince de Galles l’a du nécessairement sçavoir, puisqu’il l’a été de toutes les Loges répanduës sur la surface de la Terre. S’il l’a sçu, certainement ce Mistère n’attaque point les Puissances Civiles ; Si l’on le lui a caché, il s’est perdu sans retour, puisqu’il ne peut l’avoir transmis à son Successeur.

Je suis surprise, que vous n’aîez pas étaïé votre accusation de l’autorité d’un Livre qui a pour titre : Les Francs-Maçons écrasés. L’Auteur de cet ouvrage, a eu l’effronterie de tromper deux fois le Public. Il publia d’abord une Brochure, intitulée : Les Francs-Maçons trahis. Il ne lui apprit rien, quoiqu’il protestât qu’il lui apprenoit tout. Je la lus avidement ; je l’étudiai ; je me mis au fait de tous les signes qu’il indique. Je retins toutes les questions & demandes du Catéchisme ; j’essaïai de tromper un Maçon de ma connoissance. Mais, ne comprenant rien à tout ce Grimoire, il croïoit que j’avois perdu l’esprit, & il tomba des nuës, quand je m’expliquai. A cette imposture, il en a ajouté une autre. Il a osé accuser les Francs-Maçons d’être unis pour la destruction des Couronnes. Il bâtit là-dessus une Histoire, qui n’a pas la moindre vraisemblance. Il dit, que cette Société est l’ouvrage de Cromwel, quoiqu’il aît été déjà démontré par le Docteur Anderson, (*(*) Voiez l’Histoire des Francs-Maçons, impriméu <sic> à Franc-fort sur le Meyn.) que la Franche-Maçonnerie étoit établie en Angleterre avant le dixiême Siécle, & quoiqu’il paroisse clairement par les Regîtres <sic> du Parlement, que les Pairs & les Communes accordérent en 1100 de grands Privilèges à des Loges déjà fondées. Vous ne m’avez point cité cet Auteur, sans doute parce que vous avez cru que c’étoit un garant infidelle. Vous vous êtes méfié de sa bonne-foi. Vous auriez bien mieux fait de vous méfier de votre zéle, qui vous a emporté trop loin. Car vous êtes le prémier, qui ait accusé les Francs-Maçons d’être tout à la fois ennemis de la Réligion, des Mœurs & du Gouvernement. Jusqu’à vous, on avoit séparé ces trois objets ; Vous les réunissez, pour exciter contre la Confrairie l’indignation publique. Ce trait n’est pas généreux. En effet, des milliers d’Ecclésiastiques, qui sont Francs-Maçons la justifient sur le prémier chef ; Une foule de gens de pro-bité de tous les Païs & de toutes les conditions, sur le second ; les Souverains, les Princes, les Magistrats, qui se font honneur de leur Truëlle, sur le troisiême.

Si vous aviez fait ces réfléxions, vous auriez écrit vivement, &, selon toutes les apparences, plus sensément. Au moins n’auriez-vous pas envisagé le Maçon sous l’idée d’un Monstre affreux. Les injures ne sont pas des preuves, & les fausses imputations déshonorent ceux qui y ont recours. L’amour de la vérité m’a mis la plume à la main. Quoique je ne m’érige point en redresseuse des torts, & que je ne sois qu’aux gages du vrai, j’aime à defendre l’innocence attaquée. Si vous me répliquez, vous aurez beau jeu. Je vous promets un profond silence. J’ai tout dit. Les Juges sont assez informés. Ils n’ont qu’à décider. Je suis &c.

Aspasie.

Voici un Sonnet d’un Franc-Maçon, qui tient un tout autre langage que notre Enthousiaste Misanthrope. Je me crois en droit de le placer ici, parce qu’il est fort bon, & qu’il n’a pas été encore imprimé.

Que guidé par l’erreur, la haine & la folie Le profane vulgaire outrage la Raison,En osant appeller abominable, impieUn Ordre, dont jamais il ne sçut que le nom ;Pour moi, qu’à ses secrets mon bonheur associe,Qui le sçais avoüé de la Réligion,Enchanté de mon sort, sans cesse je m’écrie :Heureux ! trois fois heureux ! quiconque est Franc-Maçon,Son cœur, toûjours en paix, au sein de la sagesse,N’a point à redouter la foudre vengeresse,Et par aucun revers ne peut être abattu. Ses loix servent de frein à la nature humaine ;Chéri de l’amitié, Héros de la vertu,Il est l’homme en un mot que cherchoit Diogène

Le Chevalier de Laures.

Il se présente ici une question assez intéressante, sçavoir, si cette Société doit être tolérée dans les Roïaumes & dans les Républiques. Mr. de Holberg, qui l’éxamine dans sa XI. Lettre blâme le Pape de ce qu’il l’a excommuniée ; mais il soutient qu’elle peut donnet <sic> lieu à des conspirations, & qu’on ne sçauroit blâmer un Souverain, qui cherche à l’abolir. Voilà qui est bien violent, pour un homme modéré comme lui. J’avoüe, que dans un Etat, où l’Ordre n’est pas toléré, où ses Loges sont prohibées & ses Assemblées clandestines, quelques mal-intentionnés peuvent s’assembler pour concerter leurs projets, comme s’ils étoient Maçons, Mais qu’un Prince, qui donne libre éxercice à la Confrairie, en aît rien à craindre, c’est ce que je nie :

1.) Parce que les Conspirations ne peuvent se tramer dans les Loges, vu qu’il est défendu d’y parler ni politique ni Réligion. 2.) Parce que la Franche-Maçonnerie, qui fleurit depuis longtems dans la Grande Bretagne, le Païs des troubles & des révolutions, n’a jamais donné lieu à des mouvemens séditieux. Que Mr. de Holberg foüille dans l’Histoire Ancienne & Moderne ; & qu’il montre, que la Franche-Maçonnerie, ou quelque Société semblable, aît servi de prétexte aux Conspirateurs. 3.) Parce que les Loges établies & protégées par le Prince seroient, en cas de besoin, intéressées à ce que des Assemblées clandestines ne se parassent point du titre d’Assemblées Maçonnes. Que quelques Cotteries de Sçavans ou de Beaux-Esprits s’assemblent trois fois la semaine dans un lieu solitaire, il n’y aura pas du mal : mais quelques scélérats pourront se servir de ce beau nom, pour machiner contre l’Etat. Cette possibilité est incontestable. Que le Souverain ou le Magistrat authorise ces Cotteries, il n’y aura plus rien à craindre. Les malintentionnés ne joüiront point du Privilège. Quel est le corps de Métier qui n’a pas ses Assemblées ? Le Gouvernement les protège. C’est assez pour être à l’abri des Cabales. En général, on ne sçauroit user de trop de circonspection, ni peser les choses trop mûrement, quand il s’agit de proscrire un Corps aussi nombreux que l’est celui-ci, & aussi respectable par les Rois & les Princes qui en sont membres.

Amusement XXI. 3.) Vous tirez une fausse conséquence du silence des Francs-Maçons. A vous en croire, il démontre contre eux. En vérité, Monsieur, vous n’êtes pas fort délicat en fait de Démonstration. Pointez mieux votre Lunette, & vous verrez qu’on peut se taire sans être Enfant de Ténèbres. Les Maçons ont leurs secrets, & il est de l’essence des secrets de n’être pas révélés. D’ailleurs, ils ne les cachent point. On peut dire en un sens, que ce n’est plus un Mystère. Y est initié qui veut, pourvu qu’il soit d’une probité reconnuë. Car un Franc-Maçon m’a juré, que l’Ordre, par ses constitutions fondamentales, n’admet que des vertus pures ou du moins justifiées. Le secret est, pour ainsi dire, public. Mais pourquoi n’est-il révélé qu’aux seuls Initiés ? Parce que, pour l’apprendre, il faut s’engager à le taire. Mais pourquoi cet engagement ? devenez Maçon, & vous le sçaurez. La Société en fait gloire. Elle ne refuse point de le communiquer. Que les non-Initiés s’en prennent donc à eux-mêmes de leur aveuglement. Il cesseroit, si leur prévention cessoit. Se cache-t-on pour rien avec tant de précaution, dites-vous ? Non : mais qui vous a dit que l’Ordre ne peut soutenir le grand jour ? Vous sçavez apparemment l’Histoire Ecclésiastique. Vous devez y avoir vu, que, dans le quatriême Siécle, le zèle aveugle du Clergé rendit la Réligion Chrêtienne une espèce de Société Cabalistique, & qu’on n’en révéloit les Mistères qu’aux Adeptes. Ce fait est incontestable. L’imprudence de la Politique des Prêtres de ce tems-là est sensible. Mais dites-moi, ce secret authorisoit-il les Païens à soutenir, que ces assemblées récéloient quelques Mistères d’iniquité, & que les Dogmes des Chrêtiens étoient abominables, puisqu’ils n’étoient pas exposés au grand jour. Supposé même, que cette Conséquence découlât naturellement du systême occulte des Chrêtiens, étoit-elle vraïe ? Vous vous imaginez, que si les murs pouvoient parler, ils déposeroient contre les Francs-Maçons. Belle manière de se tirer d’affaire, que de recourir aux conjectures, dénuées de vraisemblance, quand on ne peut alléguer aucune preuve solide : Je suis surprise, que vous n’aïez point, à l’aide d’une éloquente Prosopopée, animé ces murailles, & mis dans leur bouche le détail de toutes ces infamies, dont vous croïez qu’elles sont témoins. Croïez-moi, le crime est tôt ou tard découvert. L’homme n’en peut imposer long-tems à l’homme. J’absoudrois l’Ordre, quand je n’aurois d’autre preuve de son Innocence que la durée de son secret, sur lequel plusieurs Siècles ont coulé. Du reste, ne craignez point qu’il nuise à la vertu. L’un & l’autre subsisteront vraisemblablement jusqu’à la fin des Siécles. 4.) L’exclusion du Beau-séxe ne fait point de tort à l’Ordre. Notre curiosité en est piquée ; & je suis persuadés, que si elle étoit satisfaite, nous ne serions témoins d’aucunes débauches. Il y a quelques années, que la Reine de Hongrie fit entrer à main armée un détachement de Soldats dans une Loge de Vienne. On n’y vit rien d’indécent ; on ne trouva qu’une Equerre & un Compas. 5.) Les Francs-Maçons peu attachés à leur Société, ne prouvent pas plus contre elle, que les Chrêtiens tiédes contre la Réligion. D’ailleurs, il est bien des personnes, qui se disent de l’Ordre sans en être. Il en est, qui n’en parlent pas avec éloge, parce que peut-être ils en ont été chassés ; il en est, qui nient, qu’ils en soient membres, parce qu’ils s’imaginent, que ce titre leur nuiroit dans l’esprit des Bigots qu’ils ont à ménager, à peu près comme les Hollandois qui, en entrant dans le Japan, foulent aux pieds un Crucifix, pour avoir la liberté d’y négocier. Il en est enfin, qui ne fréquentent point les Loges, soit parce que leurs affaires ne le leur permettent pas, soit parce qu’ils en sont exclus pour un certain tems. Quoiqu’il en soit, je connois un homme très-vertueux & bon Franc-Maçon, qui a conseillé à son Fils de se faire recevoir. Voilà un fait, qui forme un grand préjugé en faveur de la Société. Telle est la force de la vertu, qu’un Pére vicieux, ne négligera rien pour avoir un Fils vertueux. Est-il croïable que la Franche-Maçonnerie change le cœur des hommes ? les aveugle sur leurs plus grands intérêts ? Leur inspire de l’amour pour le vice ? 6.) J’ai proposé à un Franc-Maçon la difficulté que vous me faites sur le serment. Il m’a répondu, qu’à la vérité le Récipiendaire s’obligeoit solemnellement à se taire, mais que ce n’étoit qu’après qu’on l’avoit assuré, qu’il seroit le Maître de rompre son engagement, si ce qu’on alloit lui révéler portoit la moindre atteinte à la Réligion, au Gouvernement & aux Bonnes-mœurs. Il m’a demandé, si la promesse que je lui ferois de garder un secret, avant qu’il me le confiât, seroit criminelle. Non, vraîment ! lui ai-je répondu. Et pourquoi, a-t-il repris, nous faire un crime de la nôtre, qui est expressément conditionnelle ? . . . Dites-moi, Monsieur l’Anti-Franc-Maçon ? ne promettez-vous pas le secret à quelqu’un qui va vous en révéler un Important ? Cette promesse est-elle horrible, sacrilège ? Cependant, vous ne sçavez pas, si ce quelqu’un ne va pas vous dévoiler quelque conspiration contre l’Etat, au lieu que le Récipiendaire ne donne sa parole, que sous la condition expressément énoncée, qu’on ne lui révélera rien de scabreux. Je parie, que, sur cet exposé, de cent Casuistes pas un ne le condamnera. On dit, qu’il est obligé de promettre sur l’Evangile ; & vous paroissez être dans cette idée ; si cela est, il est évident, que la Société des Francs-Maçons n’est point une Société de Déïstes. Mr. le Baron de Holberg (*(*) Lettre XI.) conclut après de longs raisonnemens, que cet Ordre n’a aucun but, & qu’il n’est établi que pour exciter la curiosité des autres hommes, & donner aux oisifs matiére à parler. Peut-on dire, qu’une Confrairie, qui tend visiblement à unir le genre humain par les liens étroits de la Fraternité, n’a aucun but ? Qu’un corps, dont les principes vont à la perfection de l’espèce humaine, & établissent solidement la Sincérité, la Philantropie, la Discrétion, n’a d’autre vuë que d’exciter les regards curieux, l’indiscrétion insultante, les conjectures injurieuses, les persécutions violentes des non-Initiés ? Des signes, qui forment un langage müet, toûjours l’expression du cœur, & qui ont été ensévelis jusqu’ici dans le silence, sont-ce des riens ? Tant de Discours de Réception imprimés, sont-ce des riens ? Tant d’éxemples d’union & d’assistance fraternelles, sont-ce des riens ? Est-ce pour des riens qu’on souffrira plutot la mort, que de révéler les secrets ? Est-ce pour des riens, qu’un Ami conseillera à son Ami d’entrer dans l’Ordre ? Je reviens à vous, Monsieur. 7.) Vous assurez, que les Francs-Maçons sont ennemis des Rois. Ils le nient. Vous voilà à deux de jeu. Ils comptent parmi leurs Fréres plusieurs Souverains & plusieurs Princes. L’Empereur, le Roi de France, le Roi de Prusse, le Prince de Galles, le Prince de Conti &c. sont de l’Ordre de la Truëlle. Un grand nombre de Généraux & d’Officiers, qu’on peut appeller les apuis des Thrônes, que vous croiez qu’ils veulent renverser, ne dédaignent pas de porter le Tablier Maçon. N’êtes-vous pas de ce Monde ? Si cette Société en vouloit aux Rois, les Rois qui en sont membres ne l’extermineroient-ils pas ? Mais, dit-on, ils ne sçavent pas le secret ; soit : mais du moins ils sçavent qu’ils ne le sçavent pas ; &, si cela étoit, ne leur seroit-il pas aisé de le pénétrer ? N’emploiroient-ils pas tous leurs soins à éclaircir leurs soupçons ? Ne verroient-ils pas, combien il leur est important de tout découvrir ? d’ailleurs, en supposant, que le secret s’est perpétüé seulement de Grand-Maître en Grand-Maître, le Prince de Galles l’a du nécessairement sçavoir, puisqu’il l’a été de toutes les Loges répanduës sur la surface de la Terre. S’il l’a sçu, certainement ce Mistère n’attaque point les Puissances Civiles ; Si l’on le lui a caché, il s’est perdu sans retour, puisqu’il ne peut l’avoir transmis à son Successeur. Je suis surprise, que vous n’aîez pas étaïé votre accusation de l’autorité d’un Livre qui a pour titre : Les Francs-Maçons écrasés. L’Auteur de cet ouvrage, a eu l’effronterie de tromper deux fois le Public. Il publia d’abord une Brochure, intitulée : Les Francs-Maçons trahis. Il ne lui apprit rien, quoiqu’il protestât qu’il lui apprenoit tout. Je la lus avidement ; je l’étudiai ; je me mis au fait de tous les signes qu’il indique. Je retins toutes les questions & demandes du Catéchisme ; j’essaïai de tromper un Maçon de ma connoissance. Mais, ne comprenant rien à tout ce Grimoire, il croïoit que j’avois perdu l’esprit, & il tomba des nuës, quand je m’expliquai. A cette imposture, il en a ajouté une autre. Il a osé accuser les Francs-Maçons d’être unis pour la destruction des Couronnes. Il bâtit là-dessus une Histoire, qui n’a pas la moindre vraisemblance. Il dit, que cette Société est l’ouvrage de Cromwel, quoiqu’il aît été déjà démontré par le Docteur Anderson, (*(*) Voiez l’Histoire des Francs-Maçons, impriméu <sic> à Franc-fort sur le Meyn.) que la Franche-Maçonnerie étoit établie en Angleterre avant le dixiême Siécle, & quoiqu’il paroisse clairement par les Regîtres <sic> du Parlement, que les Pairs & les Communes accordérent en 1100 de grands Privilèges à des Loges déjà fondées. Vous ne m’avez point cité cet Auteur, sans doute parce que vous avez cru que c’étoit un garant infidelle. Vous vous êtes méfié de sa bonne-foi. Vous auriez bien mieux fait de vous méfier de votre zéle, qui vous a emporté trop loin. Car vous êtes le prémier, qui ait accusé les Francs-Maçons d’être tout à la fois ennemis de la Réligion, des Mœurs & du Gouvernement. Jusqu’à vous, on avoit séparé ces trois objets ; Vous les réunissez, pour exciter contre la Confrairie l’indignation publique. Ce trait n’est pas généreux. En effet, des milliers d’Ecclésiastiques, qui sont Francs-Maçons la justifient sur le prémier chef ; Une foule de gens de pro-bité de tous les Païs & de toutes les conditions, sur le second ; les Souverains, les Princes, les Magistrats, qui se font honneur de leur Truëlle, sur le troisiême. Si vous aviez fait ces réfléxions, vous auriez écrit vivement, &, selon toutes les apparences, plus sensément. Au moins n’auriez-vous pas envisagé le Maçon sous l’idée d’un Monstre affreux. Les injures ne sont pas des preuves, & les fausses imputations déshonorent ceux qui y ont recours. L’amour de la vérité m’a mis la plume à la main. Quoique je ne m’érige point en redresseuse des torts, & que je ne sois qu’aux gages du vrai, j’aime à defendre l’innocence attaquée. Si vous me répliquez, vous aurez beau jeu. Je vous promets un profond silence. J’ai tout dit. Les Juges sont assez informés. Ils n’ont qu’à décider. Je suis &c. Aspasie. Voici un Sonnet d’un Franc-Maçon, qui tient un tout autre langage que notre Enthousiaste Misanthrope. Je me crois en droit de le placer ici, parce qu’il est fort bon, & qu’il n’a pas été encore imprimé. Que guidé par l’erreur, la haine & la folie Le profane vulgaire outrage la Raison,En osant appeller abominable, impieUn Ordre, dont jamais il ne sçut que le nom ;Pour moi, qu’à ses secrets mon bonheur associe,Qui le sçais avoüé de la Réligion,Enchanté de mon sort, sans cesse je m’écrie :Heureux ! trois fois heureux ! quiconque est Franc-Maçon,Son cœur, toûjours en paix, au sein de la sagesse,N’a point à redouter la foudre vengeresse,Et par aucun revers ne peut être abattu. Ses loix servent de frein à la nature humaine ;Chéri de l’amitié, Héros de la vertu,Il est l’homme en un mot que cherchoit Diogène Le Chevalier de Laures. Il se présente ici une question assez intéressante, sçavoir, si cette Société doit être tolérée dans les Roïaumes & dans les Républiques. Mr. de Holberg, qui l’éxamine dans sa XI. Lettre blâme le Pape de ce qu’il l’a excommuniée ; mais il soutient qu’elle peut donnet <sic> lieu à des conspirations, & qu’on ne sçauroit blâmer un Souverain, qui cherche à l’abolir. Voilà qui est bien violent, pour un homme modéré comme lui. J’avoüe, que dans un Etat, où l’Ordre n’est pas toléré, où ses Loges sont prohibées & ses Assemblées clandestines, quelques mal-intentionnés peuvent s’assembler pour concerter leurs projets, comme s’ils étoient Maçons, Mais qu’un Prince, qui donne libre éxercice à la Confrairie, en aît rien à craindre, c’est ce que je nie : 1.) Parce que les Conspirations ne peuvent se tramer dans les Loges, vu qu’il est défendu d’y parler ni politique ni Réligion. 2.) Parce que la Franche-Maçonnerie, qui fleurit depuis longtems dans la Grande Bretagne, le Païs des troubles & des révolutions, n’a jamais donné lieu à des mouvemens séditieux. Que Mr. de Holberg foüille dans l’Histoire Ancienne & Moderne ; & qu’il montre, que la Franche-Maçonnerie, ou quelque Société semblable, aît servi de prétexte aux Conspirateurs. 3.) Parce que les Loges établies & protégées par le Prince seroient, en cas de besoin, intéressées à ce que des Assemblées clandestines ne se parassent point du titre d’Assemblées Maçonnes. Que quelques Cotteries de Sçavans ou de Beaux-Esprits s’assemblent trois fois la semaine dans un lieu solitaire, il n’y aura pas du mal : mais quelques scélérats pourront se servir de ce beau nom, pour machiner contre l’Etat. Cette possibilité est incontestable. Que le Souverain ou le Magistrat authorise ces Cotteries, il n’y aura plus rien à craindre. Les malintentionnés ne joüiront point du Privilège. Quel est le corps de Métier qui n’a pas ses Assemblées ? Le Gouvernement les protège. C’est assez pour être à l’abri des Cabales. En général, on ne sçauroit user de trop de circonspection, ni peser les choses trop mûrement, quand il s’agit de proscrire un Corps aussi nombreux que l’est celui-ci, & aussi respectable par les Rois & les Princes qui en sont membres.