Zitiervorschlag: Laurent Angliviel de la Beaumelle (Hrsg.): "Amusement XVII.", in: La Spectatrice danoise, Vol.1\017 (1748), S. 129-136, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4191 [aufgerufen am: ].


Ebene 1►

Amusement XVII.

Zitat/Motto► Chez les Peuples Barbares
Les cœurs sçavent aimer : les amours, les vertus
En aucun païs ne sont rares. ◀Zitat/Motto

Ebene 2► Nos Ancêtres étoient aussi galans, & plus tendres que nous ne le sommes. Tant il est vrai, que le Cœur est citoien de tous les Païs, & que les sentimens de tendresse dégénèrent, à mesure qu’on l’éloigne de la Nature ! La sensibilité de l’Ame est semblable à une fleur, qui naît naturellement. Cétoit <sic> celle-là que les Anciens Danois avoient en partage. La Galanterie n’en approche pas parce qu’elle ressemble à une fleur que l’Artifice d’un Fleuriste impatient fait éclore avant le tems. Notre Coquetterie (car nous en avons toutes un peu, si l’on veut restraindre ce terme à l’envie de plaire) notre coquetterie, dis-je, produit tous les maux dont nous nous plaignons. l’inconstance des Amans heureux, & l’indiscrétion du Petit- [130] Maître avantageux. L’amour ne devroit être qu’un commerce de sentimens ; nous en faisons un Trophée de vanité. Visons moins à plaire, & nous plairons beaucoup plus. Nous gagnerons doublement à cet innocent artifice ; nous ferons moins de frais en avance, & nous enchaînerons plus long-tems nos conquêtes.

Les Anciennes Danoises n’avoient jamais à se plaindre de la légéreté de leurs favoris ; parce qu’elles donnoient à ceux-ci lieu de se plaindre de leur cruauté. Au lieu de s’empresser comme nous à abréger le Roman, elles le poussoient sans lassitude jusqu’au douziéme Tome. Elles n’auroient pas fait grace d’une formalité. La Galanterie étoit alors une étude sérieuse ; aujourd’hui elle n’est qu’un plaisir passager. Jadis la moindre faveur étoit païée d’une éternité de services. Aprésent le moindre service est païé d’un million de faveurs. Aujourd’hui la parure, le rang, les richesses sont les routes, par où nous allons à l’empire des cœurs. Dans le bon vieux tems la simplicité, la Modestie, la Beauté seules étoient en possession de cet empire chéri. Une Dame plaisoit alors toûjours plus qu’elle ne croïoit, & souvent plus qu’elle ne vouloit. La Fougère étoit sa Toilette ; son miroir, une eau claire & pure ; les Roses & les violettes étoient ses atours les plus beaux. Ses agrémens n’empruntoient de l’éclat que de la Nature, & d’un Art presqu’aussi simple qu’elle. Avec cela, n’est-on pas sûr de charmer ? sans cela, doit-on être surprise de ne pas charmer long-tems ?

Nos belles avoient plus de délicatesse & plus de fierté, que nous n’en avons. Les hommes connoissoient tout le prix de leurs rares Soupirs : ils les méprisent aujourd’hui, parce que nous en sommes prodigues. Le Roi Harald, fameux Conquérant, s’éprit d’amour pour une jeune fille, qui le païa de rigueurs. Voici quelques Lambeaux d’une élégie qu’il fit à ce sujet, J’aurois bien envie de la traduire en vers ; mais j’ai trop de respect pour les vers d’un Roi & surtout d’un Roi Céladon ;

Ebene 3► « Mes vaisseaux m’ont porté dans la Sicile. Ma grandeur & ma magnificence y ont brillé avec éclat. Une aimable Brune s’est présentée à moi. Dieux ! Quelles blessures sa présence n’a-t-elle pas faite <sic> à mon cœur ? ses regards m’ont embrasé, Je suis devenu tout sentiment : J’ai cru, en la voiant, que jusque-là je n’avois point [131] vécu. Tout le jour, j’ai pensé à elle. Cette aimable idée ne m’a point quitté la nuit ; mais, si j’en ai perdu le sommeil, je ne l’ai pas regretté, quoique le jour & la nuit aient été pour moi deux siécles. Quelles plus fortes preuves d’amour !

(*1 ) Ma Brune cependant me fuit & me dédaigne !

Le lendemain, quand l’Océan eut rendu á la Terre son flambeau, je rangeai mes troupes en ordre de bataille ; les ennemis furent supérieurs en nombre ; mais nous le fumes en courage. Le combat fut opiniâtre & sanglant. De peur que mes Soldats ne me ravissent l’honneur de la victoire, je défiai en Düel le Roi mon ennemi. J’exposai ma vie : mais de quel prix est la vie, quand on aime & qu’on n’est point aimé ? Et quelle gloire de vaincre, même lorsqu’on est indifférent sur la victoire ? Mon Rival tomba mort à mes pieds. Je volai vers ma Maitresse ; je lui présentai mon cœur & sa tête.

Ma Brune cependant me fuit & me dédaigne.

Ne pourrai-je me flatter jamais d’un tendre retour ? sera-t-elle toûjours insensible ? suis-je destiné à des infortunes éternelles ? serai-je toûjours le captif de ma captive ? Les feux de mon cœur ne fondront-ils jamais la glace du sien ? Ne pourrai-je, m’enivrant un jour entre ses bras des plus doux plaisirs, être dédommagé de mes peines par les caresses les plus tendres ? Peut-être qu’elle a des yeux pour un autre. Ah ! cruelle jalousie ! ne suis-je pas assez malheureux, sans que tu viennes me déchirer ? Injustes soupcons ! Nul mortel n’est plus heureux que moi. S’il en étoit un, que l’amour eut osé percer de son dard, je le percerois soudain de mon javelot. Ma Maîtresse est sans passion. Son cœur n’est point occupé. Personne n’en a pu encore trouver le chemin.

Ma Brune cependant me fuit & me dédaigne.

O vous tous, mes sujets ! ne jettez point les yeux sur elle, si vous voulez conserver votre raison. Que l’éxemple de votre Prince, que son malheur, que sa folie vous rendent sages ! éloi-[132]gnez vous de l’abyme où je suis tombé. Sa vüe m’a rendu le plus infortuné des mortels. Pouvoit-elle ne pas me rendre le plus amoureux ? je suis étranger, je suis Roi, je suis Conquérant, je suis Amant fidelle :

Ma Brune cependant me fuit & me dédaigne.

Faut-il qu’après avoir emporté d’assaut tant de places, je trouve ici une forteresse imprenable ? Depuis quand les femmes resistent-elles avec une invincibible <sic> opiniâtreté ? L’éclat de ma couronne n’est-il pas capable d’ébloüir ? Viens, mon cœur ! je veux te placer sur mon thrône ; je ne veux désormais régner que sous toi, plus content du titre de ton esclave, que de celui de Maître de l’Univers. Combien de filles de Roi t’envieront ce bonheur ? Un Conquérant trouva-t-il jamais de cruelles ?

Ne mérite-je pas qu’on m’aime & qu’on me craigne ?

Ma Brune cependant me fuit & me dédaigne.

Elle n’est point ambitieuse. Au moins si elle m’aime jamais je serai sûr que l’amour seul aura fait en ma faveur ce miracle. Je lui ai montré le Roi ; montrons lui à présent l’homme. Peut-être sera-t-elle plus sensible. Tais-toi, Modestie, & toi, Amour, dis-lui avec cette voix insinüante, qui sçait si bien persuader, dis-lui qu’Harald est aussi bon Soldat, que grand Capitaine, qu’il monte avec adresse un Coursier fougueux & caracolant, qu’il connoit toutes les ruses d’un Cerf, qu’il nage parfaitement, qu’il court avec agileté, qu’il lance un Javelot avec la derniére justesse, qu’il a une belle chevelure, que sa taille est fine & dédagée <sic>, que son visage ne manqueroit pas d’agrémens, si la vivacité de sa passion n’avoit terni l’éclat & le brillant de son coloris ; ajoûte, qu’il a pu lire dans les yeux agaçans des Dames de sa Cour l’impression que ces qualités font sur elles. Embellis-moi ; peins-moi plus aimable que je ne le suis. Peu m’importe pourquoi je suis aimé, pourvu que je le sois - - - - Mon messager s’acquitte fidellement de ma commission.

Ma Brune cependant me fuit & me dédaigne.

Destin ! veux-tu épuiser sur moi toute la rigueur de tes traits, après que la fortune m’a comblé de ses faveurs ? Puisque le Roi ni l’homme ne sçauroient lui plaire, montrons lui l’Amant ; Mon [133] adorable Vénus ! regarde-moi comme un Berger. Plus tendre que lui, serai-je moins heureux ? Que ne peux-tu lire dans mon Ame ? Que ne puis-je t’enflammer d’une partie des feux qui me brulent ? Je ne te demande point que tu me sacrifies ta vertu. Mon amour n’a pas besoin de l’aliment des faveurs. Je ne veux qu’un sentitiment <sic>. Je ne te conjure point de m’accorder un baiser, quoiqu’il seroit bien doux pour mon Ame d’errer sur tes lêvres de corail, & à mes lêvres de recevoir la tienne ; Je ne veux qu’un tendre regard. Je n’éxige point, que tu permettes à mes mains de s’égarer voluptueusement dans ton sein. C’est assez que mes désirs s’égarent, se partagent entre ces deux petits monts qu’une Gaze importune, qu’ils repoussent envain, derobe à mes yeux ; je n’éxige de toi qu’un soupir. Je ne te demande pas la grace de mourir entre tes bras ; je ne te demande que celle d’expirer à tes (*2 ) genoux. - - - Quel bonheur est le mien ? O Dieux ! n’en serez vous point jaloux.

Ma Brune s’humanise & commence à m’aimer. » ◀Ebene 3

Qu’on me permette de faire quelques remarques sur ce petit Poëme. 1.) On peut prouver par-là, que la délicatesse des sentimens est une Muse, qui seule vaut toutes les Muses du Parnasse & que la Poësie est bien plus belle, quand elle est fille de la Nature, que lorsqu’elle est fille de l’Art. 2.) Nos Péres étoient pour le moins aussi bons Poëtes que les Grecs & les Latins. J’ai lu Théocrite & Virgile dans de bonnes traductions Françoises & Allemandes ; mais, selon mon goût particulier, je n’y ai rien trouvé qui fut au-dessus de la Piéce qu’on vient de lire, dont je n’ai rendu les beautés que très-imparfaitement. De-là il s’ensuit que les Beaux-esprits François, qui prétendent, que les Païs Septentrionaux sont trop froids pour les Muses, sont dans une prévention ridicule & pitoïable. 3.) Nous devons travailler à anéantir le reproche que nous font les Etrangers de n’être pas capables de produire des ouvrages de Génie. A quoi bon le dissimuler ? Nous n’avons en fait de piecés de goût que fort peu de chose, qui puisse entrer en parallèle avec cette antique Elé-[134]gie, composée par un Roi, dans un siécle qui étoit la barbarie même. Avoüons le de bonne foi : Si M. le Baron de Holberg n’avoit pas donné au public son (*3 ) voïage souterrain de Klimius, & ses Comédies, nous n’aurions rien à opposer en ce genre, je ne dis pas aux François & aux Anglois, mais même aux Allemands. 4.) Je trouve dans l’elégie d’Harald un trait, qu’on ne voit plus que dans les anciennes Poësies. Aujourd’hui un Poëte ne sait que glisser sur son Martyre, & s’étend sur la joüissance ; Le nôtre n’en dit pas un mot. Il n’emploïe que deux vers pour faire sentir son bonheur, après en avoir consacré un grand nombre à l’étalage de ses peines ; & remarquez, s’il vous plait, que ces deux vers étoient nécessaires pour la perfection de l’ouvrage, qui avoit jusques-là trop attendri le Lecteur, pour ne pas le tirer enfin de cette mélancolie. Metatextualität► Mais rentrons dans notre sujet. ◀Metatextualität

Les sentimens que la Nature inspire aux deux séxes l’un pour l’autre sont assurément très-vifs. Eh bien ! figurez-vous, que ces sentimens que nous étouffons en partie, en paroissoient pas assez violens aux anciens Danois. Ils avoient imaginé un Paradis, appellé Valhalla, où l’on seroit plus ou moins heureux, selon qu’on auroit plus ou moins aimé sur la terre. C’est ce qui s’apelle raffiner sur le sentiment. Mahomet n’auroit-il pas emprunté de nous son Paradis Voluptueux ? Cette Chimère peuploit l’Etat, contenoit dans les bornes de la vertu l’impétueuse, la boüillante jeunesse, modéroit le feu des passions, maintenoit l’union dans les familles, prévenoit l’inconstance & ôtoit tout sujet de crainte aux Maris, qui, n’appréhendoient point, quand ils alloient se ranger sous les Drapeaux de Mars de se retrouver au logis sous ceux d’Actéon.

[135] Les Dames ne se contentoient pourtant pas de filer le parfait Amour. Elles étoient aussi courageuses que tendres, aussi fidelles aux loix de l’honneur qu’aux loix de l’hyménée. Rivales des Lacedemoniennes, elles l’étoient aussi de leurs Epoux. En voici des éxemples.

Ebene 3► Fremdportrait► On vint annoncer à une Mére, que son Fils étoit mort dans l’action. Qui de nous ne se fût point pâmée à cette nouvelle ? Mais elle, se rappellant qu’elle étoit Danoise aussi vite que nous l’avons oublié, où a-t-il été blessé, dit-elle ? Par devant ou par derriére ? Au cœur, lui répondit-on : Que je suis heureuse, s’écria-t-elle, d’avoir mis au monde un Fils, qui a sçu finir aussi glorieusement que son Pére ! ◀Fremdportrait

Fremdportrait► Une Dame, appellée Grida, s’apperçut qu’Illugus en contoit à sa Fille. Elle sçut même, que leurs cœurs étoient d’intelligence. Elle eut bien voulu qu’ils s’unissent par le Mariage. Mais la Paix, qui régnoit depuis long-tems, y avoit mis un obstacle. Grida étoit d’une Maison distinguée par ses exploits ; Et il n’auroit pas été décent, qu’elle donnât sa fille à un jeune homme, qui n’avoit pas fait encore ses preuves de valeur. Cependant Hilda (c’étoit le nom de la fille) étoit nubile ; & à un certain âge il est scabreux d’attendre. Qu’on imagine l’expédient dont elle se servit, pour éprouver, si Rodrigue avoit du cœur. Elle dit à Hilda de donner un Rendez-vous à Illugus. Celle-ci, ne se le fit pas redire. Le Rendez-vous étoit alors comme aujourd’hui l’écüeil de la vertu. L’amant ne perdit point ce tems précieux en vains complimens. Il attaqua la place, qui battoit déjà la chamade. Grida, qui étoit dans un Cabinet, vint au secours de la virginité de sa Fille. Ses yeux étincèlent de fureur : son bras est armé d’un cimeterre : son ton de voix est foudroiant. Elle prend le téméraire aux cheveux. Tu mourras, dit-elle. Mais lui l’envisageant d’un œil sec, d’un air tranquille, lui répond fièrement : Eh bien ! soit. Je ne crains point la mort. La Mère, ravie en admiration, s’écrie : Cher Illugus ! tu ès digne de ma Fille. Qui ne sçait pas craindre en aimant ne craindra jamais en combattant. Sa conjecture étoit bien fondée. Un cœur qui sçait conserver son intrépidité parmi des plaisirs si propres à l’affoiblir, doit avoir une [136] fermeté à toute épreuve dans un combat, où tout concourt à la fortifier. ◀Fremdportrait

Les Dames de qualité ne pouvoient, sans se déshonorer, survivre à leurs Maris. Fremdportrait► Sygné disoit à Hagbhart, prêt à mourir sur l’échaffaut. « Compagne de ton bonheur, je rougirois de ne point partager tes infortunes. Je te suivrai jusqu’au fonds du tombeau. Unis par les liens de l’Amour, nous le serons encore plus par le même supplice. » ◀Fremdportrait ◀Ebene 3

Je demande pardon à mes lecteurs femelles, si je leur ai mis sous les yeux des éxemples de tendresse, de grandeur d’ame & de vertu si opposés à ceux que nous donnons aujourd’hui. Ne pourroit-on pas faire notre apologie, en disant que le caractère des hommes est le Baromêtre de celui des femmes. Qu’ils redeviennent dignes de nous, nous redeviendrons ce que nous étions. ◀Ebene 2

Avertissement.

Plusieurs personnes de distinction aïant souhaité que ces feuilles se distribuassent le Mecredi & le Samedi au-lieu du Lundi & du Vendredi, le public est averti, qu’il aura réguliérement les feuilles ces deux jours-là dans les endroits ordinaires. ◀Ebene 1

1(*) C’est là le Réfrein : il y a dans l’Original : PO LÆTR. GERDR I GORDVM GOLLHRINGS VID MER SKOLLA.

2(*) En ce tems-là cette posture, qui prouve du respect, n’étoit pas un prétexte pour en manquer.

3(*) Cet ouvrage, qui est une critique fine & spirituelle des mœurs de ce siécle a été traduit en diverses langues, & en François par M. de Mauvillon, entre les mains duquel il a beaucoup perdu de sa beauté, non seulement par les défauts inséparables de la Traduction, mais encore par la faute du Traducteur, qui n’entendoit que médiocrement la Langue Latine. C’est au moins ce que m’ont dit divers connoisseurs ; & je le redis en faveur des Etrangers.